La légende du Graal (également connue sous le nom de Quête du Graal, Quête du Saint Graal) s'est développée en Europe vers 1050-1485. Elle est probablement originaire d'Irlande sous forme de folklore avant de paraître sous forme écrite quelque temps avant 1056 dans The Prophetic Ecstasy of the Phantom, un conte irlandais. Le concept fut popularisé par le poète français Chrétien de Troyes (l. c. 1130-1190) dans son Perceval ou le Conte du Graal (vers 1190) qu'il laissa inachevé et fut complété par d'autres poètes dans les ouvrages connus comme les Quatre Continuations.
L'histoire de Chrétien de Troyes présente un château mystique, un Graal (à ce moment-là un plateau, pas une tasse), une cortège étrange, une femme qui change de forme, et un héros de passage supposé poser une question qui briserait un sort magique; tous les éléments trouvés dans l'œuvre plus ancienne The Prophetic Ecstasy of the Phantom. Le Graal de Chrétien fut transformé en coupe du Christ lors de la dernière cène par Robert de Boron (XIIe siècle) dans son Joseph d'Arimathie et les écrivains ultérieurs continueront cette tradition. L'association du Graal avec la coupe du Christ fut standardisée par Sir Thomas Malory dans Le Morte d'Arthur (1469), qui est la forme la plus connue de nos jours.
La légende du Graal s'est peut-être développée à partir de rituels chamaniques celtiques dans lesquels un initié devait passer certains tests pour atteindre un état d'illumination élevé. La quête du Graal, donc, serait une quête du sens de la vie, de la nature du divin, et symboliserait le véritable but de la vie d'une personne. La nature résonante des contes de la quête inspire le public depuis des siècles, et les légendes arthuriennes restent aussi populaires aujourd'hui que par le passé.
Origine première
L'expert Jessie L. Weston, dans son ouvrage phare From Ritual to Romance, affirme que la légende du Graal se développa à partir des premiers rites orientaux de fertilité qui liaient la santé d'un monarque à celle de la terre. Le monarque était gardé en bonne santé, ou guéri de tout ce qui l'affligeait, grâce à un rituel qui impliquait tout un cérémonial et des jeux de rôle. Ce concept voyagea grâce au commerce vers l'Europe où il s'exprima dans des contes folkloriques qui se transformèrent ensuite en littérature médiévale.
L'expert arthurien R.S. Loomis cite la première version écrite connue d'une «histoire du Graal» sous le nom de The Prophetic Ecstasy of the Phantom, écrite en Irlande quelque temps avant 1056, peut-être vers 1050, même si ce récit ne mentionne pas un Graal en soi. Dans cette histoire, le haut-roi d'Irlande, Conn, rencontre un cavalier fantôme qui s'avère être le dieu de la fertilité Lugh. Lugh invite Conn à dîner dans son palais, et ils s'en vont ensemble, mais quand Conn arrive au palais, il trouve Lugh déjà sur place et un grand festin déjà préparé. Pendant que Conn est assis, il se voit servir d'énormes portions de viande et de boisson par une jolie jeune fille couronnée connue sous le nom de «Souveraineté d'Irelande». Quand elle apporte un calice en or plein de bière à la fête, elle demande à Lug: «À qui cette coupe sera-t-elle donnée?» et Lugh répond: «Remplis-la pour Conn.» Alors que Conn boit du calice, Lugh entre en transe et donne les noms de tous les descendants royaux de Conn. Lugh et son palais disparaissent alors, et Conn reste seul avec le calice.
C'est le genre de conte que Weston présente comme étant né de rituels de fertilité. Les premiers rituels auraient impliqué une figure représentant le roi et d'autres symbolisant les forces naturelles qui soutenaient et encourageaient le règne du roi. Conn dans l'histoire représente la monarchie mais pas le concept de souveraineté qui est clairement symbolisé par la jeune fille couronnée. Quand la jeune fille demande au dieu de la fertilité à qui il faut donner l'honneur du calice, il indique Conn — le roi est honoré par le monde naturel et la monarchie est volontairement servie par la souveraineté naturelle qui est l'acceptation d'un monarque donné par la terre et par le peuple. Lugh assure alors le roi d'une longue lignée ininterrompue de descendants — d'une fécondité continue — et, une fois le message transmis, les êtres surnaturels et leur palais disparaissent, laissant à Conn un souvenir marquant de la rencontre.
Le Perceval de Chrétien de Troyes
Selon Loomis, ce conte irlandais est un précurseur du poème de Chrétien de Troyes Perceval ou le Conte du Graal de 1190 qui est la première fois où l'on mentionne le Graal par son nom dans la littérature mondiale. À un moment de ce poème, le chevalier Perceval de la cour du roi Arthur rencontre le roi Pêcheur (aussi connu sous le nom de roi du Graal) qui l'invite à dîner dans son château. Comme dans le récit précédent, le roi Pêcheur arrive au château avant Perceval et une grande fête est prévue. Perceval est témoin d'une étrange procession pendant qu'il mange: une lance saignante, un candélabre et un Graal sont transportés devant lui vers une pièce adjacente.
Alors que Perceval suivait sa formation comme chevalier, son instructeur lui avait fait comprendre l'importance de ne pas divulguer ses pensées en tenant sa langue et qu'un chevalier ne devait jamais être trop bavard; par conséquent, même s'il voulait demander ce que signifiait cette procession, il reste silencieux. Il se réveille le lendemain matin pour trouver le roi Pêcheur, les serviteurs et le château disparus, envolés, et il est seul pour seller son cheval et continuer son voyage. Plus tard, il rencontre une femme en pleurs qui le gronde pour ne pas avoir demandé à qui servait le Graal parce que, s'il l'avait fait, il aurait pu guérir le roi et la terre.
Le Graal de l'œuvre de Chrétien de Troyes est un plateau et l'expert arthurien Norris J. Lacy explique comment un public contemporain aurait compris cela:
Le mot lui-même n'est pas enveloppé de mystère. C'est l'une des nombreuses flexions du latin médiéval gradale, un mot qui signifiait «par degré», «par étapes», appliqué à un plat ou un plateau qui était apporté à la table à diverses étapes ou rations du repas. (257)
Dans le conte de Chrétien de Troyes, Perceval aurait dû demander: «Qu'est-ce que le Graal ? Qui sert-il ?» et en posant ces questions, un lien aurait été créé entre le roi blessé et malade, sa terre infertile, et le pouvoir du Graal de guérir et de rétablir. Chrétien de Troyes mourut avant de finir le poème, mais d'autres poètes portèrent l'histoire à sa conclusion dans les Quatre Continuations, Perceval se rachète pour son échec initial, succédant au roi Pêcheur en tant que monarque, et régnant à juste titre sur des terres fertiles et abondantes.
Robert de Boron et Wolfram von Eschenbach
Les œuvres de Chrétien étaient des lectures populaires et très influentes, même son Perceval inachevé, et inspirèrent le poète Robert de Boron à écrire son propre roman, Joseph d'Arimathie, dans lequel le Graal est transformé d'un symbole païen de fertilité et de guérison à la coupe de laquelle Jésus-Christ avait bu pendant la Cène. Joseph d'Arimathie est mentionné dans les quatre évangiles bibliques comme un disciple secret de Jésus-Christ qui donna son temps et sa tombe après la crucifixion. Dans le folklore médiéval, il vint en Grande-Bretagne après la résurrection du Christ amenant avec lui le Graal, la coupe de laquelle le Christ avait bu pendant la Cène, que Joseph avait utilisé pour recueillir le sang du Christ sur la croix, et il fonda une abbaye à Glastonbury.
Robert de Boron reprend cette tradition dans son poème dans lequel Joseph cache le Graal dans sa maison après l'exécution du Christ et est emprisonné peu après pour sa foi chrétienne. Le Christ apparaît à Joseph en prison, lui donne le Graal qui avait été caché, et lui enseigne les secrets de son utilisation. La magie du Graal empêche Joseph de vieillir et le maintient en parfaite santé jusqu'à ce qu'il soit libéré de prison plusieurs années plus tard et parte pour la Grande-Bretagne.
Robert de Boron christianisa les anciens motifs païens des légendes arthuriennes et introduisit le célèbre symbole de l'épée dans la pierre (une arme différente de l'épée d'Arthur Excalibur) qui établit Arthur comme le vrai roi de Grande-Bretagne mais la présente comme une épée dans une enclume (qui deviendrait une pierre seulement plus tard). Deux autres écrivains travaillant à peu près à cette époque, Béroul et Thomas d'Angleterre, contribuèrent au développement des légendes — Thomas réintroduisant les éléments de l'amour courtois établis par Chrétien de Troyes— mais la légende du Graal sera ensuite développée par le poète allemand Wolfram von Eschenbach (vers 1170-c. 1220) dans son Parzival.
Le Parzival de Wolfram est considéré comme la plus grande épopée allemande de son époque (et donnerait plus tard le pouvoir aux œuvres de Wagner). Inspiré par le Perceval de Chrétien de Troyes (bien que Wolfram dans son texte non seulement nie cela, mais aussi se moque de Chrétien), le Parzival est un conte d'éveil spirituel, un Bildungsroman (histoire détaillant l'éducation d'un personnage, le voyage vers la maturité, la quête spirituelle), dans lequel Parzival voyage d'un état de chaos et de doute de soi à celui de l'acceptation de soi, de la grâce et de la paix.
Le livre V du Parzival voit le héros quitter la cour d'Arthur et arriver au château du Graal dont le seigneur, Anfortas, souffre d'une blessure dont il ne guérit pas. Parzival ne pose aucune question sur la blessure ni sur l'étrange procession qui passe devant lui, et ce pour la même raison pour laquelle Perceval resta silencieux dans l'œuvre de Chrétien de Troyes. Le lendemain matin, il se réveille pour trouver le château et tous ses habitants disparus et blâme l'expérience sur les mauvais esprits essayant de le perturber. Dans le conte de Wolfram, le Graal n'est pas un plat ou une tasse, mais une pierre — une sorte de bijou — qui fournit les mets les plus délicats que l'on puisse souhaiter avoir et ce, en abondance. Sachant que telle chose ne pouvait exister, Parzival décide d'oublier cet épisode. En revenant à la cour d'Arthur, la dame Sigune lui dit avec colère qu'il aurait dû demander à Anfortas le sens de la procession et du Graal, mais ne lui dit pas pourquoi.
Parzival se lance dans une quête pour trouver le Graal, il est instruit par un saint homme qui lui révèle sa signification et sa valeur, et s'engage finalement dans un combat unique avec un chevalier qui, symboliquement, s'avère être lui-même. Il est vaincu par ce chevalier qui brise son épée, puis fait la paix avec lui ce qui le conduit à la compréhension et à l'acceptation de lui-même. En fin de compte, Parzival devient le Roi du Graal comme il le fait dans les Quatre Continuations françaises du poème de Chrétien de Troyes.
Cycle Vulgate et Post-Vulgate
La légende du Graal fut développée au Pays de Galles dans le Mabinogion (vers 1200, bien que les histoires soient probablement plus anciennes) qui présente le Graal comme un chaudron qui fournit tout ce que l'on veut manger ou boire en abondance. Le Graal redevient alors un calice dans l'œuvre du moine Layamon (fin XIIe/début XIIIe siècle) dont Brut est la première version de la légende arthurienne en anglais. Brut de Layamon est la source principale de la première version en prose de la légende en anglais, le Cycle Vulgate (aussi connu sous le nom de Cycle Lancelot-Graal en 1215-1235). C'est la première fois que les légendes apparaissent en prose, ce qui est significatif parce que la prose était réservée à la non-fiction sérieuse (théologie, histoire, philosophie), tandis que les œuvres de l'imagination étaient toujours rendues en poésie. Le fait qu'un scribe inconnu prenne le temps d'écrire l'histoire en prose suggère à quel point le sujet était pris au sérieux à ce moment-là.
Un aspect très intéressant du développement de la légende arthurienne et de la quête du Graal est le silence de l'Église médiévale. Il n'y a pas de condamnation ou de critique des légendes arthuriennes, même si elles contestaient de façon flagrante les enseignements de l'Église sur le mariage, la fidélité ou son dessein dans la vie de 1056 à 1215. Au moment de l'écriture du Cycle Vulgate, les légendes avaient été largement christianisées, mais on pourrait s'attendre à ce que l'Église médiévale ait fait quelques déclarations concernant le genre de l'amour courtois et les légendes arthuriennes.
Selon certains experts, notamment Denis de Rougemont, l'Église agit à cet égard par la croisade des Albigeois (1209-1229) qui écrasa une secte hérétique connue sous le nom de Cathares. Selon cette théorie, les romans d'amour courtois étaient des allégories religieuses représentant symboliquement les croyances cathares. Les Cathares croyaient que l'Église était corrompue, ne représentait pas la vérité divine, et que la Bible était principalement rédigée par Satan. Ils rejetaient la résurrection de Jésus-Christ en tant que réalité historique, affirmant que les récits évangéliques étaient une représentation symbolique, et ils croyaient en une déesse Sophia (sagesse) que l'Église avait injustement enlevée aux vrais croyants (Cathares = Purs, les vrais fidèles).
Selon cette théorie, la demoiselle en détresse qui doit être secourue par le chevalier est Sophia, son ravisseur est l'Église, et le chevalier est le vrai dévot cathare. Le Graal, tel que décrit d'abord par Chrétien de Troyes, serait la clé de la connaissance de la vérité du divin; il suffisait de demander à qui le Graal servait pour atteindre l'illumination. L'incapacité des différents chevaliers à poser cette question était due à leur endoctrinement dans les faux enseignements de l'Église.
Le Morte D'Arthur
L'affirmation, comme celle de Jessie L. Weston, selon laquelle la romance médiévale est née du rituel païen fut contestée à maintes reprises par les experts et n'est en aucun cas universellement acceptée. À la fin du XVe siècle, les légendes arthuriennes étaient principalement christianisées et, à travers le Cycle Vulgate et sa version révisée connue sous le nom de Cycle Post-Vulgate, tombèrent entre les mains de Sir Thomas Malory, chevalier qui avait beaucoup lu sur les légendes arthuriennes et qui était prisonnier politique dans la prison de Newgate à Londres.
Malory rassembla les différentes versions des légendes arthuriennes, principalement du Cycle Post-Vulgate, pour créer son chef-d'œuvre Le Morte D'Arthur qui raconte l'histoire de l'ascension et de la chute du roi Arthur, de ses nobles chevaliers et de sa cour à Camelot. Malory raconte l'histoire de la naissance d'Arthur, son instruction par Merlin le magicien et l'ascension au pouvoir en tirant l'épée de la pierre. Arthur reçoit alors son épée Excalibur de la Dame du Lac, épouse sa reine Guenièvre (qui lui apporte sa Table Ronde), et se lance dans un règne de réforme et de justice dans lequel ses chevaliers aident les pauvres et les opprimés au lieu de les exploiter et de les punir. Les initiatives d'Arthur changent son royaume et les régions environnantes en mieux jusqu'à ce que la liaison de son meilleur ami et plus grand chevalier, Sir Lancelot, avec Guenièvre ne soit découverte et que toute la cour ne se disloque.
Avant cela, cependant, dans le sixième livre de l'œuvre de Malory, le Saint Graal apparaît dans la cour d'Arthur et une voix commande aux chevaliers de le trouver. Lancelot semble être le meilleur candidat pour ramener le Graal à la cour, mais c'est seulement parce que personne ne connaît encore sa liaison avec Guenièvre. Le péché secret de Lancelot l'empêche de porter à bien la Quête du Graal, qui est finalement conclue par son fils illégitime, fils de dame Ellan de Corbenic, Sir Galahad, le cœur pur.
Conclusion
L'œuvre de Malory, publiée en 1485 par William Caxton, fut un best-seller mais tomba hors de faveur pendant la Renaissance lorsque les lecteurs s'intéressèrent davantage à la littérature classique. Elle fut relancée par le poète britannique Alfred, Lord Tennyson, en 1859, par l'intermédiaire de ses Idylles du roi et, depuis lors, la légende arthurienne continue d'exercer une influence considérable sur la littérature, l'art et la culture.
Au XXe siècle, elle a constitué la base du poème très influent The Wasteland de T. S. Eliot (1922), qui a ensuite servi de base à la littérature des écrivains de la soi-disant génération perdue, notamment Le Soleil se Lève Aussi (1926) d'Ernest Hemingway, dans lequel le protagoniste, Jake Barnes, est à la fois le roi Pêcheur et le chevalier qui doivent apporter la guérison aux terres désolées de la culture occidentale au lendemain de la Première Guerre mondiale. James Joyce, Ezra Pound, William Faulkner et de nombreux autres auteurs remarquables ont puisé dans la légende du Graal, et les chercheurs aujourd'hui continuent d'étudier ces histoires pour leur signification existentielle et spirituelle.
L'affirmation de Weston selon laquelle les légendes arthuriennes provenaient des rituels païens de fertilité fut contestée, comme on l'a noté, mais sa revendication continue d'exercer une influence considérable. L'expert Dan Merkur, dans son ouvrage The Mystery of Manna de 1999, souligne les similitudes d'expérience entre le chevalier-pèlerin de la Quête du Graal et les expériences chamaniques qui correspondent étroitement aux revendications de Weston. Comme dans le premier récit de The Prophetic Ecstasy of the Phantom, à travers l'œuvre de Chrétien de troyes, celle de Wolfram et les autres, à travers l'expérience chamanique, l'initié arrive à un endroit inconnu où il y a un potentiel de transformation, mais cet initié doit savoir quoi demander et que recevoir avec humilité afin d'atteindre une connaissance plus élevée de soi et du monde qui l'entoure. La légende du Graal continue de résonner auprès d'un public moderne parce qu'elle illustre la motivation sous-jacente de la condition humaine: la quête de trouver un sens et un but ultimes dans la vie de chacun.