La bataille d'Azincourt, qui se déroula le 25 octobre 1415, vit Henri V d'Angleterre (r. 1413-1422) vaincre une armée française largement supérieure en nombre pendant la guerre de Cent Ans (1337-1453). Les Anglais gagnèrent grâce à la supériorité de leur arc long, de leur position sur le terrain et de leur discipline. Les Français souffrirent de leur dépendance à l'égard de la cavalerie lourde sur un terrain difficile et de l'indiscipline de leurs commandants.
Parmi les conséquences de la bataille, Henri put prendre plus facilement le contrôle de la Normandie, puis marcher sur Paris. En outre, en vertu du traité de Troyes de 1420, Henri V atteignit son objectif et fut nommé à la fois régent et héritier du roi français Charles VI (r. 1380-1422). Grâce à ses victoires et avec un peu d'aide littéraire de la part d'auteurs tels que William Shakespeare (1564-1616), Henri V est devenu un héros national durable et Azincourt reste à ce jour l'une des batailles les plus célèbres de l'histoire anglaise, commémorée dans l'art, la littérature et la chanson.
La guerre de Cent Ans
La guerre de Cent Ans entre l'Angleterre et la France avait commencé avec Édouard III d'Angleterre (r. 1327-1377) qui fit son possible pour faire valoir par la force ses prétentions au trône de France. La mère d'Édouard, Isabelle, avait été la fille de Philippe IV de France (r. 1285-1314), mais la naissance et la diplomatie ne suffirent pas à persuader les rois français de céder leur trône. Les Anglais prirent un bon départ lorsque la guerre finit par éclater, en détruisant d'abord une flotte française à Sluys dans les Pays-Bas en 1340, puis en remportant deux grandes victoires sur le champ de bataille: Crécy en 1346 et Poitiers en 1356. Dans les deux cas, l'arc long anglais dévastateur surmonta un avantage numérique français considérable. À Poitiers, le fils d'Édouard III, Édouard le Prince Noir (1330-1376) réussit à capturer le roi Jean II de France (r. 1350-1364), ce qui aboutit au traité de Brétigny de 1360 par lequel Édouard III renonça à ses prétentions au trône de France à condition que le roi le reconnaisse comme nouveau suzerain de 25 % de la France.
Après une période de paix à partir de 1360, la guerre de Cent Ans se poursuivit lorsque Charles V de France, alias Charles le Sage (r. 1364-1380) se montra bien plus compétent que ses prédécesseurs et commença à récupérer les anciens gains territoriaux anglais. Charles évita astucieusement les batailles à grande échelle, auxquelles les Anglais ne pouvaient de toute façon plus se livrer, et en 1375, les seules terres françaises appartenant à la Couronne anglaise étaient Calais et une mince tranche de Gascogne. Pendant le règne de Richard II d'Angleterre (r. 1377-1399), la paix règna en grande partie entre les deux nations, mais lorsque Henri V monta sur le trône en 1413, la guerre reprit de plus belle.
L'ambition d'Henri V
Avec les pirates français qui se déchaînaient dans la Manche et la possibilité d'obtenir des terres et du butin en cas d'invasion d'une France chancelante, la majorité des barons anglais et du Parlement étaient enthousiastes à l'idée d'entrer dans le feu de l'action. Henri V bénéficiait également du soutien financier de l'Église, après s'être occupé de l'hérésie des Lollards en 1414. Le roi anglais bénéficiait également d'un autre avantage: Charles VI avait graduellement sombré dans la folie et cela avait conduit la noblesse française à se chamailler entre elle et à diviser le pays en factions chaotiques, principalement les Bourguignons et les Armagnacs. Le moment était venu pour Henri de faire valoir sa revendication en tant que roi légitime de France, les armoiries royales anglaises montrant toujours, à dessein, les trois lions d'Angleterre et la fleur de lys de France. Il était maintenant temps de faire de cette revendication une réalité.
Henri dévoila ses intentions quand, à la mi-août, il envahit la Normandie avec une armée d'environ 10.000 hommes fournis par à peu près tous les barons d'une Angleterre remarquablement résolue. Henri dirigeait son armée en personne et était aidé par ses deux frères, les ducs de Clarence et de Gloucester. Les Anglais s'emparèrent du port d'Harfleur au bout d'un siège éreintant de cinq semaines. À l'approche de l'hiver et alors que ses forces n'étaient plus que de 6 000 à 7 000 hommes en raison des combats plus longs que prévus à Harfleur et d'une vague dévastatrice de dysenterie, Henri décida de se retirer à Calais, tenue par les Anglais, et de se regrouper. Le roi quitta Harfleur le 8 octobre 1415 et longea la côte jusqu'à ce qu'il ne soit obligé de mener son armée loin à l'intérieur des terres afin de traverser la Somme. Les Français avaient détruit des ponts, en gardaient d'autres et avaient brûlé la campagne pour empêcher les envahisseurs de s'approvisionner. Henri trouva finalement un point de passage peu profond près de Voyennes le 19 octobre. C'est sur le chemin du retour vers la côte qu'une importante armée française intercepta les envahisseurs, qui, ironiquement, étaient sur le chemin du retour vers leur territoire.
Troupes et armes
Les deux camps présents à Azincourt disposaient d'une cavalerie lourde composée de chevaliers et d'infanterie, mais c'est l'arc long anglais qui s'avéra une fois de plus décisif - c'était l'arme la plus dévastatrice sur le champ de bataille médiéval. Ces arcs longs mesuraient entre 1,5 et 1,8 mètre de long et étaient le plus souvent fabriqués à partir d'ifs et cordés avec du chanvre. Les flèches, capables de percer les armures, mesuraient environ 83 cm de long et étaient fabriquées en frêne et en chêne pour leur donner plus de poids. Un archer expérimenté pouvait tirer 15 flèches par minute, soit une toutes les quatre secondes. Les Français disposaient d'un petit contingent d'archers mais continuaient à privilégier les arbalétriers, qui nécessitaient beaucoup moins d'entraînement que les archers mais qui ne pouvaient tirer qu'un carreau d'arbalète contre cinq flèches. Les archers anglais étaient généralement positionnés sur les flancs, d'où ils pouvaient plus facilement atteindre les chevaux ennemis, qui n'avaient généralement qu'une protection blindée sur la tête et la poitrine.
En ce qui concerne la cavalerie à Azincourt, les hommes d'armes les mieux équipés (qu'ils aient été de rang chevaleresque ou non) portaient une armure de plaques, de tissu ou de cuir renforcé par des bandes de métal. Leurs armes de prédilection étaient la lance, l'épée et la hache. Les hommes d'armes pouvaient commencer à combattre à cheval, puis descendre de cheval ou partir à pied dès le début. L'infanterie ordinaire, généralement gardée en réserve jusqu'à ce que la cavalerie ou les chevaliers à pied ne se soient affrontés, avait peu ou pas d'armure et maniait des armes telles que des piques, des lances, des haches et des outils agricoles modifiés. Peu de canons furent utilisés à Azincourt, c'était encore à l'époque une arme relativement nouvelle et peu fiable. Les Anglais n'en avaient aucun (même s'ils en avaient utilisé lors du siège d'Harfleur) tandis que les Français n'avaient probablement que quelques petits canons portatifs.
En termes de ratio, il y avait une proportion beaucoup plus élevée d'archers dans l'armée anglaise à Azincourt par rapport aux batailles de Crécy et Poitiers, au moins 3:1 archers par rapport aux hommes d'armes. Des compagnies d'archers notables, chacune comptant environ 500 hommes, provenaient du Lancashire, du Cheshire et du Pays de Galles. À Azincourt, les archers essentiels étaient commandés par le très expérimenté Thomas Erpingham (né en 1357). Il convient également de noter que le ratio élevé d'archers d'Henri n'était pas seulement dû au choix des armes. Le salaire journalier d'un archer n'était que la moitié de celui d'un homme d'armes, et Henri ne disposait de liquidités que pour quelques mois de combat sur le terrain; le roi espérait que le butin comblerait le manque à gagner et lui permettrait de prolonger sa campagne.
La bataille
Henri n'avait encore que 28 ans mais il s'était déjà imposé comme un excellent chef militaire lors de batailles contre des rebelles anglais et gallois au cours de la première décennie des années 1400, sous le règne de son père Henri IV d'Angleterre (r. 1399-1413). Le roi était maintenant prêt pour son ultime test, mais les Français n'avaient pas chômé depuis qu'Henri avait débarqué en Normandie. Le connétable de France, Charles d'Albret, avait rassemblé une armée d'environ 20 000 hommes (certains historiens avancent le chiffre de 36 000) pour affronter la force ennemie de 6 à 7 000 hommes (ou 9 000 si l'on suit les estimations supérieures). Le connétable expérimenté et Boucicault, le maréchal de France, étaient tous deux d'accord pour dire que la meilleure stratégie était d'encercler et d'affamer l'ennemi afin de le soumettre. En effet, le ravitaillement était le problème numéro un d'Henri. Cependant, les nobles français, plus jeunes et impétueux, passèrent outre et optèrent pour une attaque frontale beaucoup plus risquée dans l'espoir d'écraser les Anglais par leur supériorité numérique. Les deux armées se rencontrèrent le jour de la Saint Crépin, le 25 octobre 1415, près du village d'Azincourt, à environ 75 km au sud de Calais. Quatre récits de témoins oculaires ont survécu, deux de chaque côté, ce qui signifie que les détails sont mieux connus que ceux de nombreuses autres batailles médiévales.
Comme lors des deux grandes victoires que l'Angleterre avait remportées précédemment dans la guerre de Cent Ans à Crécy et à Poitiers, les Français commirent l'erreur fatale de laisser les envahisseurs choisir leur propre position défensive. Cette erreur fut peut-être due au fait que les commandants français avaient sous-estimé la taille de l'armée anglaise. Henri rassembla ses troupes dans une dépression naturelle flanquée de bois protecteurs. Les Français auraient alors dû attaquer dans une zone confinée, et Henri avait donc déjà réussi à annuler leur vaste avantage numérique. Les troupes anglaises étaient disposées avec des archers sur les deux flancs et à l'avant, et protégées par des piquets aiguisés de 1,8 mètre plantés en biais.
Le plan de bataille français, découvert dans un document qui subsiste encore aujourd'hui, semble avoir été d'avoir des archers et des arbalétriers juste devant et sur le côté du corps principal qui était composé d'hommes d'armes au centre et d'infanterie ordinaire de chaque côté. Ensuite, deux grandes ailes composées de cavalerie lourde et de troupes de soutien devaient rejoindre le corps principal de l'armée française et le faire avancer, une aile attaquant le flanc droit de l'ennemi et l'autre l'arrière des Anglais. Mais comme souvent dans les guerres, le plan était loin de correspondre à la réalité du jour J.
William Shakespeare, dans sa pièce Henri V (1599), imagina ces lignes émouvantes pour le roi, alors qu'Henri harangua son armée juste avant le début de la bataille:
... et d’aujourd’hui à la fin des siècles, ce jour solennel ne passera jamais, qu’il n’y soit fait mention de nous ; de nous, petit nombre d’heureux, troupe de frères : car celui qui verse aujourd’hui son sang avec moi sera mon frère. Fût-il né dans la condition la plus vile, ce jour va l’anoblir : et les gentilshommes d’Angleterre, qui reposent en ce moment dans leur lit se croiront maudits de ne s’être pas trouvés ici. Comme ils se verront petits dans leur estime, quand ils entendront parler l’un de ceux qui auront combattu avec nous le jour de Saint-Crépin !
(Acte 4, Scène 3, Texte établi par François Guizot)
Le champ de bataille était dans un état choquant pour les chevaux, les champs récemment labourés et la pluie de la nuit avaient créé une mer de boue pour les deux camps. Les Anglais avaient une armure plus légère que leurs homologues français, ce qui s'avéra très utile dans les conditions de la bataille. En fait, les Français ne voulaient pas entrer dans le défilé où Henri avait stationné ses troupes et il les fit donc avancer un peu vers une position un peu plus exposée pour les inciter à charger hâtivement. D'après les descriptions, il semble que les archers aient emporté leurs pieux pointus avec eux.
Les arbalétriers et les archers français firent partir quelques salves, puis la cavalerie chargea, mais ces unités étaient réduites en nombre car de nombreux nobles avaient quitté les lignes pendant le long délai avant le début du combat. Les deux ailes de cavalerie ne pouvaient pas non plus attaquer le flanc et l'arrière de l'armée anglaise car les deux côtés étaient maintenant protégés par des arbres. Parmi les chevaliers qui attaquèrent, beaucoup tombèrent de leur cheval et virent leur armure transpercée par les puissantes flèches anglaises qui leur étaient tirées depuis plusieurs directions. L'attaque française fut repoussée sur sa propre infanterie qui avançait, tandis qu'une deuxième vague de cavalerie vint s'ajouter à la première, principalement sur les flancs afin d'éviter leurs propres hommes.
Très vite, le terrain n'était plus qu'un marécage de boue après le passage de tant de chevaux et d'hommes, tandis que les corps s'entassaient, bloquant davantage le défilé. La phase suivante de la bataille vit des hommes d'armes se battre à pied des deux côtés, ainsi que les archers anglais qui utilisaient maintenant leurs épées, haches et maillets, alors que le champ de bataille devenait encore plus chaotique et boueux. Il y avait maintenant tellement de cadavres et de blessés que si un chevalier en armure tombait, il y avait de fortes chances qu'il suffoque dans la masse des hommes et des chevaux se tordant de douleur. La plupart des troisième unités françaises, ainsi que celles arrières, quittèrent alors le champ de bataille. Contre toute attente, Henri V avait mené ses hommes à une victoire impitoyable.
Les pertes françaises furent ahurissantes: environ 7 000 hommes (là encore, les estimations les plus élevées vont jusqu'à 13 000). Les Anglais ne comptaient peut-être que 500 morts (ou moins de 1 000 selon certains historiens). L'une des raisons de ce taux de mortalité élevé chez les Français est que, vers la fin de la bataille, Henri avait ordonné l'exécution des prisonniers lorsqu'il reçut la nouvelle qu'un contingent de l'ennemi avait attaqué le train de bagages anglais à l'arrière et qu'un reste du troisième rang des troupes françaises semblait encore vouloir se battre. Le roi craignait peut-être que la bataille ne reprenne et ne voulait donc pas que ses hommes soient préoccupés par des prisonniers qui pourraient eux-mêmes reprendre le combat. Le résultat fut un massacre de sang-froid que les historiens français n'ont jamais pardonné à Henri. Il s'agit certainement d'un exemple gênant de la façon dont les règles de la chevalerie médiévale n'étaient pas toujours respectées dans le feu de la bataille.
Parmi les soldats tombés à Azincourt figuraient la plupart des membres de la noblesse française, dont trois ducs, six comtes, 90 barons, le connétable de France, l'amiral de France et près de 2 000 chevaliers. Cette réduction de la noblesse française signifiait qu'il y aurait une résistance limitée aux prochains mouvements d'Henri en termes d'affrontement de grandes armées de campagne. Le roi avait, une fois de plus, mené ses troupes depuis le front et avait gagné, même s'il avait reçu un coup violent sur son casque (qui est maintenant suspendu au-dessus de sa tombe dans l'abbaye de Westminster) et que sa couronne de bataille en or avait été brisée. Il y eut quelques pertes anglaises notables dans la bataille, comme Édouard Plantagenêt, 2e duc d'York, qui avait courageusement mené l'avant-garde anglaise, et le jeune Michael de la Pole, comte de Suffolk.
Les suites de la bataille
La victoire à la bataille d'Azincourt fit d'Henri V un héros national dans un pays qui commençait tout juste à se sentir une nation. Le statut héroïque d'Henri fut mis en évidence par une magnifique procession de bienvenue lorsque le roi revint à Londres en novembre 1415. La procession salua Henri comme un véritable grand monarque anglais et comprenait des chœurs, des jeunes filles avec des tambourins et des bannières qui le proclamaient roi de France. Le passage dans la capitale incluait des centaines de nobles français capturés qui devaient ensuite subir l'indignité supplémentaire d'un service d'action de grâce dans la cathédrale Saint-Paul. Le captif le plus illustre fut Charles, duc d'Orléans, neveu de Charles VI, qui se retrouva finalement prisonnier de la Tour de Londres pour une partie de ses 25 années de réclusion en Angleterre. Parmi les autres captifs notables, citons Jean, duc de Bourbon, Charles d'Artois, comte d'Eu, Louis, comte de Vendôme, Arthur, comte de Richemont, et le maréchal Boucicault, qui avait commandé l'avant-garde française et qui fut emprisonné dans le Yorkshire jusqu'à sa mort quatre ans plus tard.
Alors que les Français évitaient désormais soigneusement toute mention explicite de la bataille d'Azincourt et ne l'appelaient que "le jour maudit", au cours des cinq années qui suivirent, Henri s'empara de la Normandie par une série de sièges, puis marcha sur Paris. Le roi anglais eut tellement de succès qu'il fut désigné comme régent et héritier de Charles VI. L'accord fut signé et scellé par le traité de Troyes en mai 1420. Pour cimenter la nouvelle alliance, Henri épousa la fille de Charles, Catherine de Valois (l. 1401 - c. 1437) le 2 juin 1420 dans la cathédrale de Troyes.
Tout ce faste et cette fierté anglaise s'effondrèrent lorsque Henri V mourut brusquement, probablement de dysenterie, en 1422. Déjà, la roue de la fortune commençait à tourner et l'arrivée de Jeanne d'Arc (1412-1431) en 1429 vit le début d'un renouveau français, le roi Charles VII de France (r. 1422-1461) prenant l'initiative. Le faible règne d'Henri VI d'Angleterre (r. 1422-61 & 1470-71) vit la défaite finale des Anglais, qui perdirent tous les territoires français à l'exception de Calais à la fin de la guerre en 1453. L'Angleterre s'enfonça alors dans les querelles dynastiques insulaires que nous appelons aujourd'hui la Guerre des Deux Roses (1455-1487).