Gustave Caillebotte (1848-1894) était un peintre impressionniste français réputé pour son talent de dessinateur et sa capacité à saisir les perspectives. Il aimait particulièrement les scènes montrant des personnes à un balcon qui admirent la vue, souvent avec une géométrie rigoureuse dans la composition. En plus de peindre, Caillebotte était aussi un important collectionneur d'art et une source vitale de soutien financier pour ses collègues impressionnistes.
Origines
Gustave Caillebotte vit le jour à Paris le 19 août 1848. Sa famille était issue de la bourgeoisie aisée, son père étant propriétaire d'une usine textile très prospère. Il suivit un cursus de droit mais il quitta l'université avant la fin de ses études, Caillebotte fut appelé à servir comme officier dans la guerre franco-prussienne de 1870. Après la guerre, il voyagea en Scandinavie et en Italie où il admira l'art exposé en public. En 1872, il étudia auprès du peintre Léon Bonnat (1833-1922). À partir de 1873, il étudia l'art de manière académique à l'École des Beaux-Arts, mais il souhaitait poursuivre quelque chose de différent de l'art conservateur approuvé par l'establishment; tout cela commençait à l'ennuyer.
L'intérêt de Caillebotte pour l'art fut ravivé à la suite d'une rencontre fortuite avec Claude Monet (1840-1926) à Argenteuil, sur la Seine, où ce dernier peignait régulièrement en plein air. Lors de la première exposition impressionniste, qui se tint à Paris en avril 1874, Caillebotte put constater par lui-même ce que Monet lui avait décrit : le nouveau mouvement artistique qu'un groupe d'artistes d'avant-garde était en train de créer. Il fit également la connaissance de l'une des vedettes du mouvement, Edgar Degas (1834-1917), et, par l'intermédiaire de Monet, il fut introduit dans le groupe plus large des artistes qui faisaient sensation. De plus, en 1874, Caillebotte hérita de la fortune de son père, ce qui fit de lui l'un des rares artistes parisiens à pouvoir peindre pour le plaisir sans se soucier de vendre ses toiles. Cet homme calme et réservé utilisa généreusement sa fortune pour soutenir ses collègues artistes, en leur achetant du matériel, en payant le loyer lorsqu'ils s'endettaient et en achetant leurs œuvres lorsque très peu d'autres le faisaient.
Financier prospère, l'historien de l'art S. Roe donne la description suivante du jeune Caillebotte : "...un jeune homme sérieux, à l'ossature fine et aux yeux grands et profonds, [il] était réservé, sportif et très riche" (101). Avec l'argent et le talent, Caillebotte semblait tout avoir, mais il y avait une faille dans sa vie. La mort du père de Caillebotte en 1874 et, plus important encore, la mort prématurée de son jeune frère René la même année, tournèrent les pensées de l'artiste vers sa propre mortalité. Caillebotte, pour une raison connue de lui seul, était convaincu qu'il mourrait à la fois jeune et à l'improviste. En fait, il eut doublement raison. À seulement 30 ans, Caillebotte rédigea même son testament qui comprenait des dispositions visant à aider les artistes indépendants à organiser leurs propres expositions.
L'impressionnisme
L'impressionnisme étaitune tentative de capturer en peinture les effets temporaires de la lumière et de la couleur en utilisant des coups de pinceau rapides et audacieux tout en travaillant en plein air. Les adeptes utilisaient une palette beaucoup plus colorée que celle utilisée jusqu'alors dans les beaux-arts et prenaient pour sujet principal la nature et la vie quotidienne plutôt que les scènes mythologiques et religieuses. Cette approche était contraire à l'establishment artistique ultra-conservateur et il était très difficile pour ces jeunes artistes de faire exposer leurs œuvres dans le seul endroit qui pouvait faire leur réputation et leur apporter des commandes lucratives : le Salon de Paris. C'est pourquoi ils avaient organisé leur propre exposition en 1874, même si elle n'avait pas été un succès en termes de réaction des critiques ou de ventes.
Inspiré par ce nouveau mouvement et par la rupture audacieuse des conventions académiques qu'opéraient les impressionnistes, Caillebotte produisit son propre chef-d'œuvre en 1875, Les Raboteurs de Parquet. La peinture fut rejetée par le Salon mais impressionna ses collègues artistes par son innovation et son savoir-faire. La vue est prise d'un angle étrange et bas, tandis que le point de fuite est placé de façon inhabituelle à l'extrême gauche. Les lignes du sol et les cadres décoratifs sur les murs créent un espace géométrique si fort qu'on a l'impression que les personnages travaillent sur un échiquier. L'intérêt des impressionnistes pour la lumière est plus subtil ici, mais il est toujours visible dans les reflets et les changements de couleur du plancher en bois, rétroéclairé par la fenêtre derrière.
Le style de Caillebotte
Les peintures de Caillebotte ont souvent un sens aigu de la composition, et il utilise fréquemment une diagonale audacieuse pour attirer le regard du spectateur dans la scène - voir, par exemple, Le Pont de l'Europe (1876), Homme au balcon (1880), et Un balcon au 31 Bd Haussmann (1880). Son coup de pinceau est lisse et très éloigné des touches rugueuses et très visibles que l'on retrouve souvent dans les œuvres des autres impressionnistes. Roe décrit son style comme ayant "une qualité architecturale nette, et un réalisme urbain unique" (145).
À l'instar d'Edgar Degas et d'Édouard Manet (1832-1883), l'impressionnisme novateur de Caillebotte réside dans son choix de la vie quotidienne et dans le cadrage inhabituel des scènes, à la manière d'une photographie, où des parties de personnages, en particulier, sont brusquement coupées pour donner l'illusion que le tableau est un instantané d'un moment plus large dans le temps. Sa Rue de Paris, temps de pluie (1877) est un exemple classique de cette approche - voyez les parapluies qui cachent partiellement ce qui se passe derrière eux - et se combine avec l'amour de Caillebotte pour les lignes fortes : l'axe vertical central du lampadaire qui coupe le tableau en deux, les diagonales fuyantes de l'immeuble à gauche, et l'horizon élevé de la rue, tous accentués par les courbes contrastantes des parapluies. Si des impressionnistes comme Monet jouent manifestement avec les effets de la lumière dans leurs œuvres, Caillebotte le fait aussi, mais de manière beaucoup plus subtile. Il capture ici les reflets des personnes et de leurs parapluies sur la route et le trottoir mouillés. Enfin, les personnages dominants qui s'approchent du spectateur sur la droite regardent à leur droite quelque chose que le spectateur ne peut pas voir, créant ainsi l'illusion que cette scène n'est qu'une seule image d'un panorama de rue beaucoup plus large.
Une autre caractéristique de nombreuses œuvres de Caillebotte est un point de vue inhabituel. Par exemple, dans les Canotiers ramant sur l'Yerres (1877), le spectateur semble être - ce qui est impossible étant donné l'équilibre précaire d'un léger esquif dans l'eau - debout dans le bateau et semble regarder les rameurs. Enfin, un autre élément troublant de l'œuvre de Caillebotte, du moins pour les critiques d'art contemporains, était son utilisation fréquente des tons bleu-gris, souvent rendus encore plus frappants par l'utilisation d'une touche de couleur vive ici et là dans la scène (comme le baldaquin rouge et blanc de l'Homme au balcon).
Une plus grande reconnaissance
La première tentative des impressionnistes de contester le monopole du Salon sur la présentation de l'art au public avait été décevante, mais les jeunes artistes n'étaient pas découragés. Caillebotte participa à l'organisation et au financement d'une deuxième exposition indépendante des impressionnistes en 1876 - où il exposa huit œuvres - et d'une troisième en 1879, qu'il finança à nouveau, en payant le loyer d'un appartement spacieux qui servirait de galerie et pour le matériel publicitaire. Peu à peu, cependant, Caillebotte, tout patient qu'il était, se lassa des querelles entre les artistes pour savoir qui devait être inclus dans ces expositions ; il ne s'entendait surtout pas avec le diviseur Degas qui se considérait le leader du groupe.
Gustave Caillebotte: A Gallery of 30 Paintings
En 1888, des œuvres de Caillebotte furent présentées lors d'une grande exposition à Bruxelles, notamment son inhabituel nu masculin, Homme au bain, une scène réaliste peinte dans les tons sobres de bleu et de gris caractéristiques de l'artiste. Caillebotte attirait désormais l'attention des critiques en tant qu'artiste qui réussissait à combiner les caractéristiques de l'art traditionnel avec une approche moderne en termes de sujet et de cadrage.
Caillebotte le collectionneur
Caillebotte constitua la première grande collection impressionniste en aidant des amis artistes comme Pierre-Auguste Renoir (Caillebotte était le parrain du fils aîné de Renoir) et Monet (il fut témoin au mariage de Monet), qui souvent n'avaient même pas l'argent pour acheter les peintures et les toiles nécessaires à la poursuite de leur carrière artistique. Il paya le loyer de Monet à Paris pendant de nombreux mois et le sauva plusieurs fois de l'expulsion par un don en espèces. Un autre bénéficiaire des paiements réguliers de Caillebotte était Camille Pissarro (1830-1903), et il achetait souvent les peintures de ce dernier à des prix fort généreux.
Caillebotte achetait des tableaux impressionnistes lors de ventes de galeries et d'expositions lorsque peu d'autres personnes étaient intéressées, choisissant délibérément ceux qui ne pouvaient pas se vendre. Sachant qu'il aidait ses amis moins fortunés, Caillebotte était également conscient qu'un jour ces œuvres auraient une énorme valeur culturelle, et dès le début, il prévit de léguer sa collection à l'État français après sa mort.
Il acheta plusieurs croquis d'Alfred Sisley (1839-1899) et Le Déjeuner sur l'herbe de Monet (1865-6). Il acheta le Nu au soleil de Renoir après la deuxième exposition impressionniste de 1876, en plus de ses autres Renoir, dont Bal au Moulin de la Galette. En 1884, il acheta Le Balcon de Manet (1832-1883), ajoutant à une collection qui représentait presque tous les artistes impressionnistes.
Autres centres d'intérêt
La voile était une autre de ses passions. Il naviguait depuis longtemps sur des yachts sur la Seine, près de sa maison familiale d'Yerres Caillebotte soutenait financièrement certains clubs de course, et il participait régulièrement à des régates avec son jeune frère Martial, qui était pianiste, compositeur et photographe passionné. Les deux frères étaient particulièrement proches. En 1881, Caillebotte acheta une maison au Petit-Gennevilliers, aujourd'hui en banlieue parisienne, maison qu'il habita avec Martial. Outre des sports comme l'aviron, Caillebotte conçut et construisit des yoles et des yachts. Son habileté et sa connaissance du bois sont évidentes dans le traitement qu'il en fait dans plusieurs de ses tableaux, notamment Les Planchers et le Jeune homme jouant du piano (1876).
Gustave, l'un des plus importants philatélistes de l'époque, était également passionné de jardinage et il peignait régulièrement les fleurs qu'il cultivait dans son jardin et les espèces rares et exotiques comme les orchidées qu'il cultivait dans sa serre. Toujours très occupé, Caillebotte s'intéressait à la politique locale et devint membre du conseil municipal de Petit-Gennevilliers, ce qui lui permit de financer personnellement l'amélioration des équipements locaux.
Mort et héritage
Caillebotte mourut à l'improviste le 21 février 1894 d'une hémorragie cérébrale. Il ne s'était jamais marié et n'avait pas eu d'enfants. Il avait eu une compagne de longue date, Charlotte Berthier, à qui il laissa une belle somme dans son testament. Pissarro déplora la mort de son ami en disant : "Nous venons de perdre un ami sincère... que nous pouvons pleurer profondément ; il était bon et généreux, et de surcroît, un peintre de talent" (Bouruet Aubertot, 322). Les critiques contemporains avaient estimé que l'œuvre de Caillebotte était la plus ambitieuse et la plus prometteuse des impressionnistes, mais sa renommée se ternit au XXe siècle par rapport à des noms comme Monet et Renoir. Peut-être son succès à collectionner l'art de ses camarades avait-il éclipsé le sien? Au XXIe siècle, une réévaluation de la contribution de Caillebotte à l'art est en cours, et il est aujourd'hui reconnu non seulement pour ses talents, mais aussi comme quelqu'un dont les toiles constituent un témoignage précieux du Paris de l'époque à laquelle il vécut.
L'impressionnante collection d'art de Caillebotte comptait 96 œuvres à sa mort, dont 67 étaient des impressionnistes (peintures à l'huile et pastels). En 1896, comme prévu, l'État se vit offrir la collection, mais il n'accepta que 38 des œuvres impressionnistes, et ce après un processus de négociation long et controversé. Le point d'achoppement était la condition posée par Caillebotte pour que les œuvres soient d'abord exposées au musée du Luxembourg, puis transférées au Louvre après la mort de l'auteur du tableau en question (ce musée ne présentait pas les œuvres d'artistes vivants). Après la pression du public, qui lança notamment une pétition, les tableaux furent effectivement exposés au musée du Luxembourg et font aujourd'hui partie de la plus grande galerie de peinture impressionniste au monde : le musée d'Orsay à Paris.