Décébale (c. 87-106 de notre ère) était le roi de Dacie (en gros la Roumanie et la Moldavie actuelles) qui mena deux guerres contre Rome sous Trajan (en 101-102 et 105-106 de notre ère) pour défendre son royaume.
Trajan (r. 98-117 de notre ère) avait renouvelé un conflit entre Rome et la Dacie qui, pensait-on, avait pris fin lorsque Domitien (r. 81-96 de notre ère) avait négocié une paix antérieure en acceptant de verser à la Dacie une certaine somme chaque année, sans stipuler de date de conclusion. Trajan s'opposa à ce traité, tandis que Décébale, lui, estimait que ce n'était que justice rendue puisque, selon lui, c'était Rome qui avait déclenché la guerre précédente. Il défendit la Dacie contre l'assaut de Trajan de façon remarquable et est honoré comme le dernier et le plus grand roi de Dacie.
Lorsque la deuxième guerre contre Rome tourna à son désavantage, Décébale continua à échapper aux troupes de Trajan en se déplaçant vers différentes forteresses dans les montagnes. Il fut finalement retrouvé, mais se suicida plutôt que d'être emmené à Rome et figurer dans un triomphe romain. On se souvient de lui comme d'un monarque juste et compétent qui défendit le pays contre l'agression romaine et mourut pour la noble cause de la liberté.
L'ascension au pouvoir
Le peuple de Dacie était à l'origine une confédération de tribus qui s'unirent sous un seul chef. Le premier roi, Rubobostes, vainquit les Celtes de la région et établit un semblant d'unité nationale. Le deuxième roi, Oroles, poursuivit cette initiative et réunit les différentes tribus sous sa direction, consolidant les régions en une confédération plus étroite. C'est le troisième roi, Burebista (c. 80-44 de notre ère), le mieux attesté historiquement parmi ces monarques, qui réussit à établir la Dacie en tant que nation. Il conquit les dernières tribus hostiles, agrandit le territoire dace, réforma l'armée et institua des lois.
Burebista soutint Pompée dans sa guerre civile contre Jules César en 49-48 av. JC, et le fait que son soutien ait compté témoigne de sa puissance et du prestige de la Dacie à cette époque. En fait, César fut tellement offensé par le soutien de Burebista à son rival qu'il envisagea d'envahir la Dacie en représailles, mais il fut assassiné en 44 av. JC; la même année, Burebista fut également tué. L'aristocratie dace s'opposait au concept de Burebista d'un gouvernement central fort, car elle estimait que cela réduisait son pouvoir individuel. Il fut assassiné probablement quelques mois seulement après César, et la Dacie se divisa en quatre principautés distinctes. À l'époque d'Auguste César (r. 27 av. JC - 14 ap. JC), le pays s'était divisé encore plus, en cinq territoires, le plus fort étant dirigé par un roi nommé Cotiso, fiancé à la fille d'Auguste.
Cotiso fut renversé par son propre peuple et, apparemment, à l'instigation de Rome; la raison exacte de ce renversement n'est pas claire. Un autre roi, Douras, se leva à sa place. Il est possible qu'il ait été soutenu par Rome dans un premier temps, mais si c'est le cas, il se retourna rapidement contre elle. Il gagna le soutien du peuple en lançant des raids de pillage dans le territoire romain de Mésie et, à mesure que le soutien dont il bénéficie augmenta, il revendiqua la soumission de toute la Dacie à son autorité. C'est à ce moment-là que Décébale entra dans l'histoire en tant que général de l'armée de Douras.
On ne sait rien de l'enfance ou de l'ascendance de Décébale, bien que de nombreuses théories aient été proposées. Son nom pourrait être Diurpaneus ou Dorpaneus (bien que cela soit contesté) et "Décébale" est un titre qui signifie "courageux de cœur" ou "plus fort que le cœur de dix hommes", titre sous lequel il se fit connaître après sa victoire sur l'armée de Domitien. L'expert Philip Matyszak affirme que le titre "se traduit grossièrement par 'Cœur vaillant' et suggère que Décébale aimait diriger de l'avant" (216). Cette interprétation est probablement correcte car il est clair que Décébale était populaire auprès de ses hommes et, en 87 de notre ère, Douras fut contraint d'abdiquer et Décébale devint roi de la Dacie unifiée.
Première guerre contre Rome
En 85 de notre ère, Douras et Décébale attaquèrent la Mésie romaine et tuèrent le gouverneur Gaius Oppius Sabinus. Domitien, empereur de Rome à cette époque, mobilisa son armée pour frapper la Dacie, en 86 de notre ère, afin de mettre un terme aux incessantes incursions que Décébale avait poursuivies, et aussi comme mesure punitive pour venger Sabinus. Décébale répondit en proposant de négocier une paix, mais Domitien refusa et envoya le général Cornelius Fuscus (mort en 86) à la tête d'une grande armée pour détruire les Daces.
L'historien romain Dion Cassius, qui est la principale source des guerres de Rome contre la Dacie (avec les gravures de la campagne sur la colonne de Trajan), note que Décébale se moqua de cette menace et renvoya un mot disant que "ses conditions de paix étaient que chaque Romain devait lui payer un tribut annuel de deux oboles. S'il n'était pas payé, il provoquerait la guerre et déchaînerait un torrent de malheurs sur les Romains" (Epitome 68.6). Domitien, furieux, ordonna à Fuscus de se lancer dans la battaille.
Matyszak, suivant le récit de Dion Cassius, écrit:
L'attitude cavalière de Décébale était inspirée par sa maîtrise de son propre terrain fait de collines escarpées, de forêts épaisses et de rivières rapides. En outre, entre le règne de Burebista et celui de Décébale, les Daces avaient construit une redoute dans les montagnes de l'Orastie. Il s'agissait d'une série complexe de forteresses, de tours de guet et de murs répartis sur environ 500 kilomètres carrés. Les recherches archéologiques modernes sur ces structures confirment que les Daces étaient d'excellents architectes et ingénieurs, et que leurs forts devaient sembler sûrs contre le pire que les Romains pouvaient faire. (217)
Fuscus fut tué au combat à la suite d'une embuscade et la légion subit de lourdes pertes. Elle se replia en Mésie romaine après avoir perdu un nombre important de soldats, d'armes et même l'étendard de la légion, le célèbre aigle. Domitien était loin d'être intéressé par une demande de paix, cependant, et envoya une autre légion en Dacie par le passage connu sous le nom de Portes de Fer à Tapae, où ils rencontrèrent les forces daces et les battirent.
Comme chaque partie avait maintenant remporté une nette victoire, et que toutes deux avaient d'autres affaires à régler, des négociations furent ouvertes. Décébale jura de respecter les frontières avec Rome et de s'abstenir de mener des hostilités et Domitien accepta de lui envoyer une main-d'œuvre pour l'aider à réparer les dommages causés à son royaume ainsi que des ingénieurs et un paiement annuel. Domitien mourut peu après et Nerva (96-98 de notre ère) lui succéda. Il se concentra sur le renforcement de Rome et ignora la situation en Dacie. Après deux ans, il abdiqua en faveur de Trajan, son fils adoptif, et Trajan, lui, fit de la Dacie une de ses priorités.
Les guerres de Trajan
Trajan considérait comme une insulte que Rome, qui avait été lésée par la Dacie à cause des raids et de l'insolence de ses rois, doive payer une subvention annuelle qui ne ferait que rendre la Dacie encore plus forte et plus insolente. Dion Cassius observe comment Trajan "a également observé que leur puissance et leur orgueil augmentaient" et comprit qu'il devait s'occuper de la Dacie avant qu'elle ne devienne un problème encore plus grave (Histoire romaine, 68.6).
Trajan marcha sur la Dacie en 101 de notre ère et combattit systématiquement les forteresses le long du chemin en faisant appel à des troupes auxiliaires qui connaissaient la région et pouvaient facilement escalader les collines et naviguer sur les rivières et les ruisseaux. De plus, dans un effort pour protéger ses soldats contre l'arme de poing dace connue sous le nom de falx (une sorte de faux), il améliora et modifia leurs casques et armures. Sa campagne fut un succès sans faille qui lui permit de capturer la capitale dace de Sarmizégétuse ainsi que la sœur de Décébale.
Décébale sollicita la paix et des négociations furent ouvertes. Selon Dion Cassius:
Aussi Décébale, surtout lorsque, dans le même temps, Maximus eut pris sa soeur et une place forte, se montra-t-il disposé à traiter à n'importe quelle condition, non qu'il eut l'intention d'y rester fidèle, mais il voulait respirer un moment. (Histoire romaine, 68.9)
Il accepta de rendre toutes ses armes, de mettre fin aux paiements annuels de Rome, de renvoyer les déserteurs romains qui faisaient partie de son armée, de renoncer à tous les gains de territoire qu'il avait pris à Rome, de démolir ses fortifications et de s'allier à la cause romaine en tant que roi client. Désormais, dit-il, les amis et les ennemis de Rome seraient aussi les siens et il ne lèverait plus jamais la main sur l'État romain.
Trajan accepta les conditions de paix et se retira de Dacie, retournant à Rome, mais laissa une garnison de soldats à Sarmizégétuse pour s'assurer que Décébale respecte le traité. À Rome, Trajan célébra son triomphe et se consacra à d'autres affaires tandis qu'en Dacie, Décébale commença à reconstruire et à restaurer ses fortifications et à envoyer des invitations dans toute la région afin que de nouvelles forces se joignent à son armée afin de détruire Rome.
La garnison de Sarmizégétuse informa Trajan que Décébale avait rompu la paix et il marcha à nouveau sur la Dacie en 105 de notre ère. Décébale envoya des assassins pour le tuer pendant la marche, car il savait que Trajan avait l'habitude de rendre visite à ses hommes sans garde du corps et qu'il pourrait être facilement pris, mais l'un de ces assassins fut arrêté pour avoir agi de façon suspecte et, sous la torture, révéla le complot. Trajan poursuivit sa marche tandis que Décébale tenta une autre tactique: il fit savoir au général de Trajan, Longinus, qu'il souhaitait la paix et invita Longinus à venir régler les détails. Mais à son arrivée, Longinus fut arrêté et Décébale fit savoir à Trajan qu'il ne le lui renverrait que si Trajan se retirait.
Longinus, cependant, n'était pas prêt à se laisser utiliser de cette façon et persuada un affranchi (un ancien esclave, maintenant un serviteur) dans la forteresse de lui apporter du poison. Il dit ensuite à Décébale qu'il voulait que cet homme soit envoyé à Trajan avec un message concernant les négociations et la manière de le libérer. Une fois l'homme envoyé, Longinus se donna la mort avec le poison. Décébale envoya alors un autre messager à Trajan pour lui demander de rendre l'affranchi qui avait aidé Longinus en échange du corps de ce dernier et de dix autres captifs encore en vie. Trajan non seulement refusa mais garda le messager que Décébale avait envoyé avec l'offre.
Trajan reprit sa marche sur la Dacie mais, cette fois, afin d'envoyer un message clair qu'il ne se laisserait pas faire, il s'arrêta sur les rives du Danube et construisit un énorme pont. Dion Cassius commente ce fait en écrivant:
Trajan construisit un pont de pierre sur l'Ister, pont à propos duquel je ne sais comment exprimer mon admiration pour ce prince. On a bien de lui d'autres ouvrages magnifiques, mais celui-là les surpasse tous. Il se compose de vingt piles, faites de pierres carrées, hautes de cent cinquante pieds, non compris les fondements, et larges de soixante. Ces piles, qui sont éloignées de cent soixante-dix pieds l'une de l'autre, sont jointes ensemble par des arches. Comment ne pas admirer la dépense faite pour les établir ? Comment ne pas être étonné de la manière dont chacune d'elles a été construite au milieu d'un grand fleuve, dans une eau pleine de gouffres, sur un sol limoneux, vu qu'il n'y eut pas moyen de détourner le courant ? (Histoire romaine, 68.13)
Ce pont, bien sûr, prit du temps à être construit et pendant ce temps, Décébale attaqua les garnisons que Trajan avait laissées en Dacie plus tôt et redoubla d'efforts pour reconstruire ses forts et ses défenses. Il demanda aussi à ses amis et anciens ennemis de se joindre à lui pour résister à l'invasion romaine car, comme il le disait, ils feraient mieux de s'allier à lui maintenant plutôt que d'attendre que Rome ne les soumette séparément plus tard. Malgré tout, il avait compris, à la lumière de ses défaites passées, qu'une bataille ouverte avec les Romains de Trajan serait une erreur tragique. Ainsi, alors que Trajan franchissait son nouveau pont et entrait en Dacie, Décébale lança une guérilla.
L'armée romaine se dirigea en deux colonnes vers la capitale Sarmizégétuse, l'assiégea et la prit. Décébale s'enfuit vers les hauteurs de ses forteresses en Transylvanie. Trajan voulut qu'on le retrouve et qu'on le lui amène et, ne le trouvant pas, il fit raser la ville. Utilisant les mêmes types de troupes que lors de sa première campagne dace, Trajan envoya ses hommes dans les montagnes pour traquer Décébale.
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Comprenant qu'il ne pourrait pas échapper aux Romains éternellement, Décébale rassembla ses chefs restants autour d'un grand festin, puis se tua en se tranchant la gorge. Un cavalier romain du nom de Maximus venait de localiser le fort où se tenait le banquet et se précipita dans la pièce au moment où Décébale se suicidait. Maximus lui coupa la tête et l'apporta à Trajan. Trajan ordonna alors une rafle massive de Daces fidèles à Décébale qui furent amenés comme prisonniers à Rome et ordonna que leurs terres, et celles de beaucoup d'autres, soient confisquées par les citoyens romains. Matyszak écrit:
Les peuples indigènes furent soit extirpés, soit chassés de leurs terres et des colons furent amenés de tout l'Empire pour prendre leur place. L'une des conséquences de cette situation est que, de toutes les langues modernes, le roumain est l'une des plus proches du latin, et le nom moderne du pays reflète la mesure dans laquelle les colons de Trajan se sont sentis chez eux. (224)
Avant de s'enfuir de la capitale, Décébale avait ordonné que son trésor et sa riche garde-robe soient cachés dans des grottes et des recoins et même au fond de la rivière afin qu'ils ne tombent pas entre les mains des Romains. Après sa mort, cependant, ces endroits furent révélés aux Romains par un de ses hommes qui avait été fait prisonnier, et les trésors furent emportés comme butin tout comme le peuple de Dacie.
Conclusion
Le nom de Décébale tomba dans l'oubli jusqu'au XIXe siècle, lorsque la Roumanie, comme de nombreuses autres nations européennes, se mit en quête d'un héros national à la suite de son indépendance. Décébale était le choix évident et, tout au long du XXe siècle et ce jusqu'à nos jours, il a été honoré sur des billets de banque, dans la littérature et dans la sculpture. Le plus célèbre d'entre eux est le monument Decebalus Rex, commandé par un homme d'affaires roumain et sculpté dans une falaise aux Portes de Fer en Roumanie entre 1994 et 2004, une image du visage du grand roi regardant le Danube et une plaque ancienne, de l'autre côté du fleuve, que Trajan avait placée pour commémorer la route qu'il avait construite lors de sa conquête de la Dacie.
Bien que l'histoire le connaisse surtout pour ses guerres contre Rome, Décébale était un administrateur compétent qui agrandit et améliora son royaume. Il poursuivit peut-être aussi les réformes religieuses entamées sous Burebista. La religion de la Dacie était centrée sur la divinité Zalmoxis (connue sous le nom de zalmoxisme) qui était un dieu du ciel et peut-être la divinité principale d'un panthéon dont on sait peu de choses aujourd'hui. Zalmoxis promettait à ses adeptes la vie éternelle, en particulier à ceux qui mouraient courageusement au combat, et l'on pense que Décébale mit l'accent sur cet aspect de la foi pour encourager ses troupes.
La mort n'était pas la fin de la vie pour ceux qui croyaient en Zalmoxis, mais seulement un changement de lieu; les morts se déplaçaient vers l'au-delà aussi facilement que quelqu'un marchait d'une région de Dacie à une autre. Cette croyance, qui était partagée par les tribus à l'intérieur et à l'extérieur du royaume de Dacie, aurait renforcé leur détermination à résister aux Romains.
Quel qu'ait été le rôle joué par la religion dans l'éthique guerrière de la Dacie, il fallait un chef fort pour transmettre ce type d'inspiration à ses troupes. Décébale était précisément ce genre de roi, capable de susciter la loyauté de ses partisans et le respect de ses ennemis. Dion Cassius fait son éloge en le qualifiant de "maître à la fois de la théorie et de la pratique de la guerre" et note qu'"il savait bien non seulement comment donner suite à une victoire mais aussi comment gérer une défaite" (Histoire romaine, 67.6). Même sur la colonne de Trajan, qui rapporte l'histoire des guerres daces en images, Décébale est dépeint comme un adversaire admirable.
La Roumanie d'aujourd'hui cite Burebista, Décébale et Trajan comme les pères fondateurs du pays : Burebista pour avoir fondé le pays, Décébale pour l'avoir défendu et Trajan pour l'avoir peuplé de citoyens romains, qui allaient influencer de manière significative le développement de la culture et de la langue, après la deuxième guerre remportée par Rome. De ces trois personnages, cependant, Décébale est particulièrement apprécié pour ses efforts visant à préserver la Dacie en tant que nation libre et indépendante.