Les Colosses de Memnon (également appelés el-Colossat ou el-Salamat) sont deux statues monumentales représentant Amenhotep III (1386-1353 av. JC) de la 18e dynastie égyptienne. Elles sont situées à l'ouest de la ville moderne de Louxor et font face à l'est en regardant vers le Nil. Les statues représentent le roi assis sur un trône orné d'images de sa mère, de son épouse, du dieu Hâpy et d'autres gravures symboliques. Les figures s'élèvent à 18 mètres de haut et pèsent 720 tonnes chacune; elles sont toutes deux sculptées dans un unique bloc de grès.
Elles furent construites pour protéger le complexe mortuaire d'Amenhotep III qui se trouvait derrière elles. Les tremblements de terre, les inondations et l'ancienne pratique consistant à utiliser les anciens monuments et bâtiments comme matériau de référence pour les nouvelles structures contribuèrent à la disparition de cet énorme complexe. Il en reste peu de choses aujourd'hui, à l'exception des deux statues colossales qui se dressaient jadis à ses portes.
Leur nom vient du héros grec Memnon, tombé à Troie. Memnon était un roi éthiopien qui prit part à la bataille aux côtés des Troyens contre les Grecs et fut tué par le champion grec Achille. Le courage et l'habileté de Memnon au combat l'élevèrent cependant au rang de héros parmi les Grecs. Les touristes grecs, voyant les impressionnantes statues, les associèrent à la légende de Memnon plutôt qu'à celle d'Amenhotep III. Ce lien fut également suggéré par l'historien égyptien Manéthon, du IIIe siècle av. JC, qui affirmait que Memnon et Amenhotep III étaient la même personne.
Les auteurs grecs désignaient régulièrement l'ensemble du complexe sous le nom de Memnonium et le site devint légendaire pour la divination après qu'une des statues ait commencé à émettre des bruits interprétés comme des oracles. De l'Antiquité à nos jours, les colosses ont été une attraction touristique populaire et, de nos jours, on peut voir des graffitis inscrits sur la base par des visiteurs d'il y a des milliers d'années.
Amenhotep III et la gloire de l'Égypte
Amenhotep III vécut pendant la période du Nouvel Empire (vers 1570-c. 1069 av. JC) au cours de laquelle l'Égypte devint un pays de puissance et de richesse internationales. Son père, Thoutmôsis IV (1400-1390 av. JC), laissa à son fils un empire prospère et stable aux richesses considérables que le nouveau roi utilisa avec sagesse. Il n'avait que douze ans lorsqu'il monta sur le trône et épousa Tiye, une jeune fille de onze ou douze ans seulement, issue d'une famille prestigieuse. Tiye reçut le titre de Grande épouse royale, un honneur que même la mère d'Amenhotep III n'avait pas reçu. Ce titre reflète le grand statut d'Amenhotep III et de Tiye en tant que couple royal d'une puissance impressionnante.
Conformément aux traditions des puissants pharaons, Amenhotep III se lança presque immédiatement dans de grands projets de construction dans toute l'Égypte. Sa vision était celle d'un pays si splendide et opulent qu'il laisserait les gens dans l'émerveillement et les 250 bâtiments, temples, statues et stèles qu'il commanda témoignent de son succès dans la réalisation de cette vision. Son palais de villégiature à Malkata, sur la rive ouest du Nil, près de Thèbes, s'étendait sur plus de 30 000 mètres carrés (30 hectares) et comprenait de vastes appartements, des salles de conférence, des salles d'audience, une salle du trône et une salle de réception, une salle des fêtes, des bibliothèques, des jardins, des entrepôts, des cuisines, un harem et un temple au dieu Amon.
Amenhotep III commanda tant de monuments, de temples et autres projets de construction que les égyptologues ultérieurs lui attribuèrent un règne extraordinairement long, car il semblait impossible qu'un roi ait pu disposer des ressources nécessaires pour accomplir ce qu'il fit en moins de 100 ans. Amenhotep III, bien sûr, régna pendant bien moins longtemps, mais il était un roi si efficace qu'il accomplit bien plus que la plupart des autres.
Il était maître en diplomatie et plaçait les autres nations dans sa dette par le biais de cadeaux somptueux afin de s'assurer qu'elles seraient enclines à se plier à ses souhaits. Sa générosité envers les rois amis était bien établie et il entretenait des relations profitables avec les nations environnantes, ce qui remplissait le trésor royal de l'Égypte. Il préserva l'honneur des Égyptiennes en refusant les demandes d'envoi d'épouses à des souverains étrangers, affirmant qu'aucune fille d'Égypte n'avait jamais été envoyée à l'étranger et ne le serait pas sous son règne. Bien que les autres nations ne se soient pas senties flattées par cette politique, elle exprimait une adhésion à la tradition et aux valeurs culturelles qui gagna leur respect.
Tout au long de son règne, Amenhotep III améliora les politiques de gouvernement très saines de son père et fit de même en matière de religion. Amenhotep III était un fervent défenseur de l'ancienne religion égyptienne et exprimait son intérêt de manière généreuse en parrainant les arts et les projets de construction. Parmi les plus opulents, on peut citer son complexe de temples mortuaires, qui comprend les figures massives des Colosses de Memnon.
Le grand complexe mortuaire
Le complexe mortuaire d'Amenhotep III était plus grand et plus important à tous égards que tout ce qui avait été construit auparavant en Égypte. À l'époque de sa construction, il était plus magnifique et plus impressionnant que le temple de Karnak. Il couvrait plus de 35 hectares et comprenait de nombreuses pièces, salles, portiques et plateaux qui reflétaient probablement la vision du Champ des roseaux, le paradis égyptien. En leur temps, les statues colossales du roi auraient flanqué une allée, probablement ornée de statues, menant au complexe.
Il y avait une cour ensoleillée ouverte adjacente au temple, entourée de trois rangées de colonnes et, sur les côtés nord et sud, des statues du roi sous forme d'Osiris momifié. Cela correspondait à la tradition selon laquelle les rois s'associaient à Horus pendant leur règne et à son père Osiris dans la mort. Les statues mesuraient 8 mètres de haut. Celles situées au sud de la cour portaient la couronne blanche de Haute-Égypte, tandis que celles situées au nord portaient la couronne rouge de Basse-Égypte.
Les statues du roi symbolisaient son règne sur toute l'Égypte, l'identifiaient à Osiris et mettaient en évidence la richesse et le pouvoir du roi. Osiris était considéré comme le premier roi d'Égypte et comme le Seigneur et le Juge des morts. Même si les rois avant et après Amenhotep III s'associaient à Osiris dans leurs complexes mortuaires, Amenhotep III rendit sa relation étroite avec le dieu à la fois plus évidente et plus impressionnante.
La plupart des Égyptiens n'auraient jamais été autorisés à pénétrer dans le complexe pour voir ces statues, ni dans la cour du soleil ou quoi que ce soit d'autre, mais ils auraient eu connaissance des grandes figures qui se tenaient aux portes, visibles à des kilomètres à la ronde. L'égyptologue Gay Robins note que la fonction des statues "était de garder l'entrée du complexe, d'inspirer la crainte de la puissance du roi et de célébrer les réalisations de l'État" (130). Leur capacité à susciter l'admiration est bien établie par les auteurs, de l'Antiquité à nos jours, en raison de leur taille et des efforts qu'il fallut déployer pour les créer.
Les gardiens de la Porte
Les statues furent sculptées dans des blocs de grès quartzite extraits soit de la région de Memphis (près du Caire actuel) au nord, soit de la région d'Assouan au sud. S'ils étaient extraits du nord, les blocs devaient être transportés par voie terrestre sur 645 km et, s'ils provenaient du sud, sur 238 km, car ils étaient trop lourds pour être transportés par bateau sur le Nil. On ne sait pas comment les pierres furent transportées, mais elles ont probablement été poussées sur des traîneaux, de la même manière que les blocs de pierre furent transportés sur le site de Gizeh pour la construction des pyramides.
À leur époque, les gardiens de la porte auraient été des représentations claires d'Amenhotep III en tant que dieu-roi, bien qu'ils soient en ruine depuis des siècles et que les figures soient aujourd'hui méconnaissables. Il fut déifié de son vivant et vénéré à travers son propre culte pendant des siècles par la suite. La base des œuvres représente sa mère Mutemwiya et son épouse Tiye sur le devant et Hâpy, le dieu du Nil, sur le côté. Ces trois figures symbolisaient la renaissance. Gay Robins commente la signification des figures mère/épouse :
Ensemble, ces femmes représentaient le rôle combiné de mère/consort de la déesse du ciel grâce auquel le dieu du soleil se renouvelait, de sorte que leur présence symbolisait le renouvellement perpétuel du roi par l'auto-régénération. (130)
Dans l'Égypte ancienne, l'art était créé pour être fonctionnel et les colosses ne font pas exception. Les statues auraient servi non seulement à garder le complexe, mais aussi, par une sorte de magie bienveillante, à permettre au roi de les habiter et de recevoir force et subsistance de l'imagerie symbolique. Les figures de Mutemwiya et de Tiye ne sont pas de simples ornements honorifiques, mais avaient un but précis selon la croyance égyptienne. Les statues mortuaires placées dans les tombes étaient considérées comme des maisons pour l'âme du défunt lorsqu'elle visitait la terre et devait recevoir des offrandes de nourriture et de boisson. De la même manière, on pensait que les Colosses étaient plus que de simples images de pierre, surtout après que l'un d'entre eux se soit mis à chanter.
La statue chantante
L'historien grec Strabon (65 av. JC - 23 après JC) est le premier à avoir enregistré le son qui sera décrit plus tard comme un chant, le son d'une lyre, d'instruments en cuivre, d'une corde de harpe ou de lyre cassée, et d'une gifle ou d'un coup. Dans sa Géographie, Strabon note qu'un tremblement de terre brisa la partie supérieure de la statue septentrionale qui, par la suite, émit ce bruit tous les jours à l'aube. Après avoir visité le site, Strabon écrit
Sur cette même rive se dressaient naguère presque côte à côte deux colosses monolithes : de ces colosses, l'un s'est conservé intact, mais toute la portion supérieure de l'autre à partir du siège a été renversée, à la suite, paraît-il, d'un violent tremblement de terre. On croit généralement dans le pays qu'une fois par jour la partie du second colosse qui demeure encore assise sur son trône et d'aplomb sur sa base fait entendre un bruit analogue à celui que produirait un petit coup sec. Effectivement, lors de la visite que je fis à ce monument en compagnie d'Aelius Gallus et de sa nombreuse cohorte d'amis et de soldats (c'était vers la première heure du jour), j'entendis le bruit en question, mais d'où venait-il ? De la base de la statue ou de la statue elle-même ?
(XVII.46)
Strabon ajoute qu'il ne peut pas être sûr de l'origine du son, qu'il s'agisse de la statue elle-même, du socle ou de l'une des personnes se trouvant à proximité, mais il affirme qu'il acceptera toute autre explication que celle de l'image de pierre qui "parle" d'une certaine façon.
De nombreux autres auteurs antiques firent état de la statue chantante et les graffitis que l'on peut encore voir à la base indiquent si un visiteur a entendu ou non le son. Des gens de toutes les classes de la société et de toutes les régions se rendaient sur le site à des fins de divination, pour poser une question et espérer la réponse des dieux, et ils étaient récompensés - ou déçus - par l'expérience. Cette pratique se poursuivit jusqu'à la visite de l'empereur romain Septime Sévère (193-211 de notre ère), en 196 ou 199 de notre ère, qui n'entendit pas le son. Dans l'espoir de s'attirer les faveurs de l'oracle, il fit réparer la statue septentrionale; par la suite, les sons cessèrent complètement.
On pense généralement que le son était dû à la rosée qui séchait dans les fissures de la statue et que la roche poreuse réagissait simplement à la chaleur du matin après une nuit fraîche. De nos jours, on peut entendre des sons "mystérieux" similaires provenant d'objets tels que les glissières de sécurité sur les routes entre l'aube et le milieu de la matinée.
La réparation de la statue par Septime Sévère colmata les fissures du haut du corps et la sauva sans doute de l'effondrement, mais le site perdit de sa popularité par la suite. Sans oracle miraculeux pour répondre à leurs questions au Memnonium, les gens décidèrent de se rendre sur d'autres sites pour y déposer leurs supplications et leurs prières. Le site resta cependant une attraction touristique, pour l'expérience de voir les énormes statues se dresser sur le fond des montagnes lointaines et les ruines du complexe mortuaire derrière elles. À l'époque de Strabon, le site était déjà en ruine et le temple et les statues intérieures avaient disparu depuis bien longtemps, mais les colosses de Memnon restent des rappels de la grandeur et de la vision de l'Égypte ancienne.