Justinien II dit Rhinotmète (Nez coupé) régna en tant qu'empereur de l'Empire byzantin à deux reprises: de 685 à 695, puis de 705 à 711. C'est après son premier règne et avant son exil que l'usurpateur Léonce lui coupa le nez, ce qui valut à Justinien son surnom. Impopulaire auprès de son peuple, qu'il ne cessait de surtaxer, et souffrant d'une réputation justifiée de cruauté et de vengeance disproportionnée à l'égard de ceux qu'il estimait lui avoir fait du tort, Justinien se battit également sur le champ de bataille. Il fut peut-être l'un des rares empereurs à retrouver son trône, mais le fait qu'il en ait été chassé à deux reprises par des usurpateurs rebelles n'ayant aucun lien avec l'Empire est significatif. Attaquant apparemment des villes au hasard, massacrant toute personne considérée comme une menace, et riant même lorsqu'il perdit sa propre flotte dans une tempête, Justinien avait sombré dans la folie, et son second règne est aujourd'hui considéré comme l'un des plus brutaux et des plus terrifiants de l'histoire byzantine.
Succession
Justinien naquit en 668 de la dynastie des Héraclides, fils de Constantin IV (r. de 668 à 685) et d'Anastasia. Lorsque Constantin mourut de dysenterie en 685, son fils et héritier désigné, Justinien II, hérita d'un empire en difficulté. Le seul point positif était que Constantin avait réussi à éviter le siège de Constantinople par le califat omeyyade entre 674 et 678. Les Arabes, sous la direction du calife Muʿawiya (r. de 661 à 680), avaient réalisé d'importantes avancées en Asie mineure et dans la mer Égée, mais lorsque leur flotte fut incendiée par le feu grégeois en 678, le calife fut contraint de signer une trêve de 30 ans avec Byzance. Il s'agissait de la première défaite majeure subie par les Arabes depuis l'avènement de l'islam. En 679, Muʿawiya fut contraint de céder les îles de la mer Égée qu'il avait conquises et de payer un lourd tribut annuel.
Ailleurs, cependant, les Byzantins ne connurent pas le même succès et les Arabes d'Afrique du Nord, les Bulgares et les Slaves des Balkans firent des incursions dans l'empire. Les traités conclus avec les Avars et les Lombards, ainsi que certains gains en Cilicie et l'établissement d'un protectorat sur la majeure partie de l'Arménie signifièrent au moins que les Byzantins consolidèrent les failles et inversèrent lentement le déclin constant qui les avait assaillis pendant un demi-siècle. Mais il restait encore beaucoup à faire.
Le jeune empereur semblait déterminé à se montrer à la hauteur de son célèbre homonyme Justinien Ier (r. de 527 à 565), l'un des plus grands souverains de Byzance, mais, comme le décrit ici l'historien J. J. Norwich, il n'était pas tout à fait de la même trempe:
Intelligent et énergique, il avait tout pour devenir un souverain compétent. Malheureusement, il avait hérité de ce trait de folie qui avait assombri les dernières années d'Héraclius et qui se manifestait à nouveau chez Constance vieillissant. Constantin IV était mort avant qu'elle ne se manifeste; chez son fils Justinien, cependant, elle s'imposa rapidement, le transformant en un monstre dont les seuls attributs étaient une suspicion pathologique à l'égard de tout ce qui l'entourait et une insatiable soif de sang. (102)
Le nouvel empereur n'avait que 16 ans lorsqu'il prit place sur le trône byzantin, mais il remporta néanmoins quelques succès militaires en Arménie, en Géorgie, dans les Balkans et en Syrie. Puis, les armées arabes ignorant la trêve convenue et pénétrant plus avant dans le territoire byzantin en Asie mineure, Justinien fut contraint de retirer ses propres armées d'autres régions pour faire face à cette nouvelle menace. En conséquence, les gains réalisés dans le nord furent progressivement perdus. Ses deux périodes d'empereur seraient marquées par la faiblesse militaire, mais pour l'instant, il y avait des problèmes plus urgents à régler au sein de l'empire à proprement parler.
Politique intérieure
Justinien sut consolider ses gains territoriaux et intégrer à l'empire byzantin les divers peuples qui constituaient ses sujets en déplaçant de force un grand nombre d'entre eux. Les Mardaïtes (un groupe chrétien indépendant d'Asie Mineure), en particulier, furent déplacés dans tout l'empire. Les Chypriotes furent déplacés à Kyzikos, un port important sur la côte sud de la mer de Marmara. Les Slaves, autre cible, furent déplacés en grand nombre des Balkans vers la province (thème) d'Opsikion, dans le nord-ouest de l'Asie mineure. Enfin, il est probable que Justinien ait été à l'origine du nouveau thème de l'Hellas (dans le Péloponnèse et certaines parties de la Grèce centrale) et de la kleisoura (district militaire) de Strymon, à l'est de Thessalonique.
Malgré tous ces bouleversements, ou peut-être même à cause d'eux, les campagnes de nombreuses régions de l'empire prospérèrent. La classe des paysans indépendants était en plein essor, leur niveau de vie augmentait et l'empire pouvait compter sur une base solide pour le recrutement de son armée. Justinien gâcha tout par la suite en augmentant les impôts à un niveau insupportable. En 691, 20 000 soldats slaves firent ainsi fait défection au profit des Arabes, ce qui entraîna la perte de l'Arménie. Pour se venger de cette déloyauté, l'empereur choisit une cible bien précise: les familles slaves de Bithynie. Des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants furent massacrés ou jetés à la mer.
Comme beaucoup de ses prédécesseurs, l'empereur s'intéressait de près aux questions ecclésiastiques; Justinien était un fervent défenseur de l'orthodoxie. Un groupe en particulier fut persécuté: les Pauliciens, une secte arménienne qui s'attachait à détruire les icônes. Le monothélisme, c'est-à-dire la croyance que Jésus-Christ n'avait eu ou n'avait qu'une seule volonté, était également condamné. Justinien convoqua le Concile in Trullo (ou concile de Quinisexte), qui se réunit à Constantinople entre 691 et 692. Le concile publia 102 canons sur la discipline de l'Église, et lorsque le pape Serge Ier refusa de les accepter, Justinien tenta de le faire arrêter.
La querelle entre les églises occidentales et orientales était sans doute due, une fois de plus, à la question de savoir qui avait le droit de décider des règles du christianisme. En effet, les décrets du concile étaient presque tous insignifiants, comme l'interdiction de friser les cheveux de manière séduisante ou la détermination du nombre d'années de pénitence pour ceux qui consultaient des diseurs de bonne aventure. Une seule décision aurait touché les gens ordinaires: l'interdiction de danser en l'honneur des dieux païens, ce qui mettait fin au théâtre masqué, une forme d'art longtemps associée à Dionysos. Il semblait bien que la vie sous Justinien n'allait pas être très amusante.
La piété de Justinien était illustrée par ses pièces d'or, la première monnaie byzantine à représenter le Christ comme image principale. La représentation de la barbe et des cheveux longs devint la norme pour les pièces de l'empire par la suite. Les légendes des pièces de Justinien se lisent comme suit: "Jésus-Christ, roi des souverains" sur l'avers et "Seigneur Justinien, serviteur du Christ" sur le revers, qui montrait l'empereur tenant une croix. Au cours de son second règne, les pièces de Justinien représentaient le Christ de façon plus inhabituelle, imberbe et avec des cheveux courts et bouclés.
Exil
En 695, un désastre frappa le règne de Justinien lorsque l'usurpateur Léonce (r. de 695 à 698), général ambitieux et commandant de la province d'Hellas, s'empara du trône. Le général, le plus haut gradé de l'armée à l'époque, était soutenu par une vague de mécontentement populaire de la part de la paysannerie face aux lourds impôts prélevés continuellement par Justinien et par l'indignation de l'aristocratie face aux extorsions constantes perpétrées par l'entourage de l'empereur, dirigé par le redoutable eunuque porteur de fouet, Étienne de Perse.
Léonce, qui avait déjà été emprisonné pour ses ambitions entre 692 et 695, se vengea en faisant défiler Justinien enchaîné autour de l'Hippodrome de Constantinople, puis en coupant le nez de l'empereur, une punition destinée à l'empêcher d'exercer de futures fonctions, la convention voulant qu'un empereur soit exempt d'imperfections physiques. Justinien, désormais surnommé "nez coupé"(rhinotmetos), fut alors exilé à Chersonèse, en Crimée. D'autres, plus proches du trône, eurent moins de chance: traînés dans les rues de la capitale derrière des chariots, ils furent ensuite brûlés vifs dans le Forum Bovis.
Le règne infructueux de Léonce ne dura que trois ans, et ses principaux points faibles furent une épidémie de peste dévastatrice et la perte de Carthage aux mains des Arabes en 697. En 698, il fut lui-même destitué par un autre usurpateur, Apsimar, commandant militaire (drongaire) du thème des Cibyrrhéotes, dans le sud de l'Asie mineure. Ironiquement, Apsimar avait été envoyé par Léonce pour reprendre Carthage mais, n'y parvenant pas, il revint et utilisa sa flotte pour évincer l'empereur. Selon le principe habituel de la cour byzantine "on récolte ce que l'on sème", Léonce eut le nez coupé et fut exilé. Tibère III, nom qu'Apsimar avait choisi pour lui même, n'accomplit guère plus que son prédécesseur, et il supervisa à la fois une invasion ratée de la Syrie et la perte de l'ouest de l'Afrique du Nord au profit des Arabes.
Second règne
L'empire étant en difficulté, Justinien put passer à l'action pour revenir au pouvoir. L'ex-empereur bénéficia de l'aide de son futur gendre Tervel, le khan de Bulgarie (r. de 701 à 718), à qui l'empereur avait promis sa fille en mariage, et des Khazars, la tribu turque semi-nomade de l'autre côté de la mer Noire. Le chef khazar Ibuzir devint le beau-frère de Justinien, alors que le futur empereur à deux reprises épousa rapidement sa sœur Théodora. En 705, Justinien et sa famille élargie assiégèrent Constantinople. Tibère III avait prudemment réparé les digues vieillissantes de la ville, mais trois jours seulement après avoir établi leur camp à l'extérieur des murailles de Théodose, les assaillants entrèrent par une conduite d'aqueduc. Pris par surprise, les gardes du palais se rendirent et Tibère III s'enfuit en Bithynie. Justinien, qui portait désormais un faux nez en or, étaitde retour sur le trône dans la salle de réception dorée qu'il avait lui-même ajoutée au Grand Palais. Il couronna alors son épouse d'origine étrangère, l'impératrice Théodora, un geste sans précédent.
La deuxième période de règne de l'empereur (705-711) le révéla en tant que méchant tyran, et son premier acte fut la vengeance. Tibère fut poursuivi et capturé, tandis que Léonce fut ramené d'exil. Tous deux furent enchaînés dans l'Hippodrome, couverts d'excréments, puis exécutés. Justinien s'attaqua ensuite à l'armée et aux généraux qui s'étaient rangés du côté de Tibère. Le plus grand nom était celui du frère de l'ex-empereur, Héraclius, mais beaucoup d'autres furent pendus lors d'une exécution publique le long des murs théodosiens de la ville. L'évêque de Constantinople qui avait couronné les deux usurpateurs fut aveuglé et exilé. D'autres encore, dont la loyauté fut jugée douteuse, furent jetés dans des sacs et jetés à la mer.
Sur le plan militaire, Justinien se montra toujours aussi inefficace pour empêcher les Arabes d'envahir une grande partie de l'Asie mineure entre 709 et 711. La situation ne fut guère facilitée par le fait que l'empereur avait fait tuer presque tous les officiers compétents de l'armée byzantine. Tyane, en Cappadoce, fut perdue par les Arabes en 709. La même année, une attaque byzantine sur Ravenne - aux motivations mystérieuses - fut menée avec succès: Justinien fit rassembler tous les nobles de la ville, les expédia à Constantinople et les fit exécuter. Malgré cette attaque si récente, le nouveau pape, Constantin, se rendit à Constantinople en 711, et une réconciliation eut lieu après la contrariété causée par le concile de Trullo. Ce serait la dernière visite d'un pape à Constantinople jusqu'à Paul VI en 1967.
L'intermède cordial de l'amitié fut interrompu par Justinien qui se fit encore plus d'ennemis et attaqua Chersonèse - peut-être pour se venger d'y avoir été exilé, mais à présent, presque toutes les actions de l'empereur ressemblaient à des actes de folie. La ville fut mise à sac, sept nobles importants furent rôtis vivants, tandis que d'autres furent jetés à la mer après s'être fait attacher des poids autour des jambes. Sur le chemin du retour, toute la flotte de Justinien fut coulée dans une tempête. On dit que l'empereur aurait ri en appenant la terrible nouvelle.
En 711, une grave rébellion, menée par le général Philippicos, éclata. Une fois de plus, Tervel intervint et fournit à l'empereur une armée de 3 000 hommes. Tervel avait déjà reçu le titre de César et bénéficié d'un accord commercial favorable, mais sa force n'était pas suffisante pour renverser la vapeur et Justinien fut évincé pour la deuxième fois.
Mort et successeurs
Philippicos, soutenu par les Khazars qui venaient de reprendre Chersonèse, par l'armée byzantine et conforté par la nouvelle que d'autres parties de la Crimée avaient déjà rejeté le droit de Justinien à régner, s'empara du pouvoir en 711. Pour s'assurer que Justinien ne connaîtrait pas de troisième chance, l'empereur fut exécuté le 4 novembre 711. Peu après, son fils et co-empereur Tibère fut également assassiné, ainsi que la plupart des conseillers de son père. Le règne de Philippicos ne durerait cependant pas plus de deux ans, les Byzantins étant témoins d'une succession d'empereurs et de défaites militaires à l'étranger de plus en plus calamiteuses. Cette tendance se poursuivrait jusqu'à ce que Léon III ne monte sur le trône et n'apporte une stabilité bien nécessaire entre 717 et 741.