Lycurgue est considéré comme le fondateur semi-mythique de la Sparte classique et responsable de toutes les lois de la cité-état ainsi que de ses institutions militaires et politiques. Des générations de Spartiates le connaitraient surtout sous le nom de "législateur".. Il fit de Sparte l'une des puissances militaires les plus efficaces de la Grèce antique.
Au départ, la cité-État spartiate détenait la souveraineté sur la moitié sud du Péloponnèse, mais avec la mise en place des politiques de Lycurgue, elle allait étendre ses frontières, acquérant la domination sur le reste de la péninsule. Cependant, malgré le crédit accordé à Lycurgue d'avoir changé le visage de Sparte et créé une "culture militariste", de nombreux historiens restent sceptiques quant à la vie et aux réalisations de ce prétendu législateur.
Débat sur son existence
Selon l'historien Roderick Beaton dans son ouvrage The Greeks, Lycurgue n'a jamais existé bien que son nom reste attaché au système de lois spartiates. Ernie Bradford, dans son livre Thermopylae, écrit que l'existence de Lycurgue est remise en question. Nombreux sont ceux (modernes et classiques) qui le considèrent comme un homme, un mythe ou un dieu. Bradford rejette l'idée que Lycurgue était un législateur et ajoute que, Sparte étant une puissance terrestre, il était essentiel pour elle de développer une classe de guerriers. "Le fait demeure que près de deux siècles ou plus avant les invasions perses, les Spartiates avaient adopté leur code de règles de fer qui les distinguait de tous les autres hommes." (61) Les historiens modernes qui n'acceptent pas l'existence de Lycurgue pensent que le code de loi et d'ordre rigide des Spartiates était le résultat d'une "conception cohérente" et le produit de l'adaptation et du changement, et non l'œuvre d'un seul individu.
Dans ses Vies des Hommes Illustres, l'historien Plutarque (c. 45 - c. 125 de notre ère) écrit dans sa biographie de Lycurgue : "On ne peut rien dire absolument, de Lycurgue le législateur, qui ne soit sujet à controverse. Son origine, ses voyages, sa mort, enfin les lois mêmes et le gouvernement qu’il a institués, ont donné lieu à des récits fort divers". (15) Il espérait écrire une histoire "de ne nous attacher, dans notre récit, qu’aux faits les moins contestés de la vie de Lycurgue, et qui se recommandent par les plus graves autorités.". (16) Même la période à laquelle Lycurgue vécut est remise en question. Certains historiens pensent qu'il aurait vécu à l'époque d'Iphitus, l'Argonaute, tandis que d'autres, comme l'historien Apollodore, le datent beaucoup plus tôt, avant l'avènement des jeux olympiques (776 av. J.-C.). L'historien grec Xénophon (430 - 354 av. J.-C.) le considère comme un contemporain des Héraclides, descendants d'Hercule.
Exil
Plutarque a écrit comment une crise potentielle de la vie surgit après la naissance du neveu de Lycurgue - une crise qui le poussa à s'exiler. Dans l'éventualité de l'accession de son neveu au trône de Sparte, Lycurgue craignait d'être impliqué si quelque chose arrivait au jeune enfant. L'exil était sa seule option. Il se rendit d'abord en Crète où il observa la forme de gouvernement et les lois de l'île - en rejetant certaines et en approuvant d'autres. C'est là qu'il fit la connaissance du philosophe Thalès. De Crète, il passa en Asie où il examina les différences entre les manières et les règles de vie des Crétois, considérés comme sobres et tempérés, et des Ioniens, un peuple aux habitudes délicates. C'est en Ionie qu'il se familiarisa avec les œuvres d'Homère ; il pensait que les leçons d'état et les règles de moralité du poète lui seraient utiles à son retour à Sparte. Son étape suivante fut l'Égypte où il observa la méthode de séparation des militaires du reste de la nation - "il la transféra d'eux à Sparte." (19) Finalement, à la demande de Sparte, il rentra chez lui et "s'appliqua sans perdre de temps à une réforme en profondeur, et résolut de changer toute la physionomie de la république". (20) Ses compagnons spartiates croyaient que "c'était en lui seul que se trouvaient les véritables fondements de la souveraineté, une nature faite pour gouverner et un génie pour obtenir l'obéissance". (19)
Avant de se lancer dans sa réforme, Lycurgue quitta brièvement Sparte pour rendre visite à l'oracle d'Apollon à Delphes. Il pria pour que "ses lois soient les meilleures et la république qui les observe la plus célèbre du monde". (20) Croyant que ses prières avaient été entendues, il retourna à Sparte. Les premiers historiens, ceux qui croient en son existence, affirment que l'Oracle de Delphes guida Lycurgue dans le façonnement d'une société spartiate fondée sur un pilier de trois vertus : l'austérité, l'égalité entre les citoyens et la puissance militaire. Thomas Martin, dans son ouvrage Ancient Greece, écrit que "le profond respect des Spartiates pour leur système de gouvernement par la loi était symbolisé par leur croyance qu'Apollon de Delphes l'avait sanctionné par un oracle appelé la Rhêtra". (96) La "Grande Rhêtra désigne à la fois l'oracle de Delphes et la constitution non écrite de Sparte. Les lois qui provenaient de l'oracle (le Rhétra) étaient considérées comme des révélations divines. Bien que les historiens puissent discuter de son existence, Lycurgue reste aux yeux de tant de personnes "le grand législateur". Que sa force provienne de l'Oracle d'Apollon, de Lycurgue ou d'une adaptation, Sparte est devenue une cité-État dominante et un ennemi acharné de l'Athènes antique.
Les changements commencent
Selon Plutarque, le plus grand et le plus important des changements apportés par le législateur fut la création du sénat de vingt-huit membres, un organe dont le pouvoir était égal à celui des rois et qui assurait "la stabilité et la sécurité de la république". (20) Estimant qu'il existait une inégalité dans la propriété foncière, le changement suivant "et le plus dangereux" qu'il entreprit fut une redistribution des terres. Avec une redistribution complète, il espérait "expulser de l'État l'arrogance et l'envie, le luxe et le crime et ceux qui sont encore plus invétérés à la maladie du manque et de la superflicité". (23) Bien que Plutarque ne mentionne pas comment il y parvint, Lycurgue réussit à convaincre les propriétaires fonciers de ses propositions. Le seul commentaire de Plutarque est que Lycurgue les convainquit qu'" ils devaient vivre tous ensemble sur un pied d'égalité, le mérite étant leur seule voie vers l'éminence.... ". (23)
Non content des changements drastiques qu'il avait déjà effectués, Lycurgue collecta tout l'or et l'argent, le fer devenant la nouvelle monnaie. Désormais, il n'y avait plus aucun moyen d'acheter des marchandises étrangères : aucune cargaison n'arrivait au port de Laconie ; il n'y avait plus de maîtres de rhétorique, de diseurs de bonne aventure itinérants, de "marchands de prostituées", d'orfèvres, de graveurs et de bijoutiers. En ce qui concerne l'abolition de la propriété de l'or et de l'argent, Bradford a écrit qu'après une bataille, les Spartiates "corrompus, même s'ils devaient le devenir plus tard, étaient si strictement endoctrinés par les lois de Lycurgue qu'ils voyaient dans la richesse des objets en or les choses mêmes qui causaient la corruption et la mollesse parmi les hommes." (244) Plutarque soutient que Lycurgue élevait ses citoyens de telle manière qu'ils étaient incapables de vivre par eux-mêmes. Parmi les nombreuses restrictions, ils ne pouvaient pas voyager à l'étranger, ce qui les empêchait de se familiariser avec des règles de moralité, des habitudes ou des conceptions différentes du gouvernement. Il bannissait également tous les étrangers incapables de donner une raison de leur présence à Sparte, craignant qu'ils n'introduisent "quelque chose de contraire aux bonnes manières." (44) Il proscrivit en outre tous les arts inutiles et superflus. Le luxe disparut rapidement. En fin de compte, les lois de Lycurgue signifiaient qu'être riche n'était plus un avantage sur les pauvres.
Le troisième changement majeur fut l'ordonnance de Lycurgue selon laquelle tous les Spartiates devaient manger en commun, souvent considérée comme "un coup plus efficace contre le luxe dans le désir des riches." (25) Un repas spartiate simple se composait généralement de bouillon noir, d'orge, d'un peu de vin, de figues et de fromage. Ce changement n'était pas de bon augure pour les riches qui se soulevèrent contre Lycurgue. Il y eut des propos injurieux et des jets de pierres qui poussèrent le législateur à se réfugier dans un sanctuaire. Cependant, un jeune Spartiate, Alexandre, parvint à s'approcher suffisamment de Lycurgue pour le frapper au visage, lui faisant perdre un œil. Voyant le chef défiguré, la foule se dispersa tranquillement, mais le législateur au grand cœur ne punit pas le jeune homme et l'invita chez lui. Lycurgue était considéré comme un homme bon et doux. Certains historiens, cependant, rejettent l'histoire de la perte d'un œil mais reconnaissent qu'il fut peut-être blessé. Quoi qu'il en soit, il fit construire un temple à Minerve en souvenir de l'incident.
La Grande Rhêtra
Lycurgue ne coucha jamais sa loi par écrit ; en fait, la Rhêtra l'interdisait. "Il pensait que les points les plus importants ... étant imprimés dans le cœur de leur jeunesse par une bonne discipline, seraient sûrs de rester, et trouveraient une sécurité plus forte, que toute contrainte ne le serait, dans les principes d'action formés en eux par leur meilleur législateur, l'éducation." (28) Et, afin de fournir une bonne éducation à la jeunesse spartiate, il devint nécessaire de réglementer le mariage - même la conception et la naissance d'un enfant. Les hommes étant souvent partis à la guerre, les femmes étaient encouragées à participer à la lutte, à la course, au lancer de palets, de flèchettes. Une femme forte donnait naissance à des enfants forts et en bonne santé. Les garçons en bonne santé faisaient de bons soldats. Après la naissance d'un enfant, il était emmené devant les anciens de sa tribu et examiné. S'il était "robuste et bien fait", on donnait l'ordre de le laisser vivre et de l'élever. Si l'enfant était "chétif ou mal formé", il était jeté dans le gouffre des Apothètes . On considérait que "ce n'était ni pour le bien de l'enfant, ni pour l'intérêt public, qu'il devait être élevé." (32)
Lycurgue croyait qu'il fallait former de bons soldats dévoués, c'est pourquoi la lecture et l'écriture n'étaient enseignées que brièvement ; les garçons étaient formés avant tout pour endurer et conquérir au combat. La discipline était importante et, à mesure qu'ils grandissaient, elle était renforcée. En règle générale, il était interdit aux jeunes hommes de s'adonner à l'agriculture, à l'artisanat ou à tout autre type de profession - uniquement celle des armes. À sept ou huit ans, un garçon était retiré de son foyer et enrôlé dans un petit groupe où il restait, jusqu'à ses 13 ans. "Leur vie entière était consacrée à l'État". (Bradford, 61) Les qualités essentielles pour qu'un garçon soit un bon soldat étaient la ruse, l'audace et la débrouillardise. Lorsqu'il vivait dans un dortoir, un jeune Spartiate était nourri d'un minimum de rations, car on attendait de lui qu'il vole de la nourriture en complément. S'il était pris, il était fouetté sans pitié.
Mort
Un jour, Lycurgue convoqua une assemblée de citoyens et "leur dit qu'il pensait maintenant que tout était raisonnablement bien établi, tant pour le bonheur que pour la vertu de l'État." (45) Cependant, il voulait faire un dernier voyage à Delphes et faire un sacrifice à Apollon. Il leur dit d'observer les lois jusqu'à son retour. Il fit même prêter serment aux rois, au sénat et à "toute la populace" de maintenir la forme de politique établie. L'oracle lui dit que les lois qu'il avait établies étaient excellentes "et suffisantes pour le bonheur et la vertu d'un peuple". (45) Après avoir fait part de la décision de l'oracle, il décida de ne pas retourner à Sparte. Il choisit de mettre fin à ses jours, envisageant une mort "adaptée à une vie si honorable". Sa mort, comme sa vie, reste discutée. Il fut peut-être enterré à Sparte ou en Crète où ses cendres auraient été dispersées dans la mer.