Le roi Ergaménès (également connu sous le nom de roi Arkamani Ier, r. de 295 à 275 av. J.-C.) était le plus grand roi de la ville de Méroé, royaume de Koush (situé dans l'actuel Soudan), qui s'affranchit de la domination égyptienne pour contribuer à l'émergence d'une culture entièrement distincte. La ville de Méroé est citée par de nombreux auteurs anciens (dont Hérodote) comme une ville presque légendaire, riche et mystérieuse, et les spécialistes attribuent à Ergaménès l'établissement de la culture qui favorisa une telle prospérité et jeta les bases sur lesquelles les rois et reines méroïtiques ultérieurs purent s'appuyer.
Sa relation avec le pharaon Ptolémée II Philadelphe (r. de 285 à 246 av. J.-C.) est le premier cas documenté de coopération politique entre Méroé et la dynastie ptolémaïque d'Égypte. Selon l'historien Robert Steven Bianchi, Ergaménès était étroitement lié au trône égyptien et "possédait un titulariat composé de cinq noms royaux sur le modèle des pharaons traditionnels de l'Égypte ancienne", dont son nom de trône Khnoum-Ib-Ré. Il est surtout connu comme le souverain qui rompit avec la longue tradition selon laquelle l'autorité religieuse l'emportait sur l'autorité séculaire du roi.
Ergaménès et les prêtres d'Amon
Selon l'historien Diodore de Sicile (1er siècle av. J.-C.), avant le règne du roi Ergaménès, les grands prêtres du dieu Amon avaient pour coutume de décider qui devenait roi et de fixer la durée de son règne. La santé du roi étant liée à la fertilité de la terre, les prêtres avaient le pouvoir de déterminer si le roi en place n'était plus apte à régner. S'ils le jugeaient inapte, ils envoyaient au roi un message, censé provenir du dieu Amon en personne, l'informant que le temps de son règne sur terre était terminé et qu'il devait mourir.
Cette tradition avait été instituée dans la ville de Napata, qui avait été la capitale du royaume de Koush jusqu'à sa destruction vers 590 avant notre ère par le pharaon égyptien Psammétique II (595-589 avant notre ère). La culture de Napata avait été considérablement influencée par celle de l'Égypte et les prêtres d'Amon de la ville avaient acquis le même niveau de pouvoir et d'influence que les anciens prêtres du dieu en Égypte. De même qu'en Égypte, on pensait qu'Amon pouvait s'adresser directement à ses prêtres, on croyait qu'il le faisait à Koush. Les rois de Koush avaient donc toujours obéi aux ordres divins et s'étaient donné la mort pour le bien supposé du peuple. Cependant, Diodore poursuit:
Mais, sous le règne du second des Ptolémées, Ergaménès, roi des Éthiopiens, élevé à l'école des Grecs et instruit dans la philosophie, osa le premier braver ces préjugés. Prenant une résolution digne d'un 184 roi, il pénétra avec ses soldats dans le sanctuaire du temple d'or des Éthiopiens et massacra tous les prêtres. Après avoir aboli une coutume absurde, il gouverna le pays selon sa volonté.
L'archéologue George A. Reisner (1867-1942), qui fouilla les sites de Napata et de Méroé, remit en question l'histoire de Diodore sur le contrôle sacerdotal de la royauté, la qualifiant de "très douteuse" et affirmant que le récit de Diodore était très probablement une légende qui, à l'époque où il écrivait, avait fini par être acceptée comme une vérité historique.
Le spécialiste Derek A. Welsby note toutefois que "la véracité de la déclaration de Diodore a été mise en doute, mais il n'y a pas d'autres preuves permettant de trancher cette question dans un sens ou dans l'autre" (32). Ce que l'on sait, c'est qu'après le règne d'Ergaménès, l'influence égyptienne dans la région de Nubie déclina, le royaume de Méroé se développa et l'écriture méroïtique remplaça l'écriture égyptienne.
La question de savoir si Ergaménès massacra effectivement les prêtres et libéra le peuple de l'influence égyptienne de la manière décrite par Diodore n'a donc pratiquement aucune importance. Il est clair qu'il se passa quelque chose de très important en rapport avec Ergaménès et les prêtres d'Amon, qui entraîna le déclin brutal de l'influence égyptienne. Le Musée de Nubie indique : "Lorsque les rois ont cessé d'écrire en égyptien et ont commencé à écrire dans leur propre langue méroïtique, nous avons soudainement cessé d'être en mesure de comprendre leurs inscriptions officielles", et cela semble s'être produit assez brusquement, ce qui plaide en faveur de la vérité de la version de l'histoire de Diodore.
Reisner affirme également qu'Ergaménès était un contemporain de Ptolémée IV Philopatôr (r. de 221 à 205 av. J.-C.) et non de Ptolémée II Philadelphe et qu'il joua un rôle important dans la construction du temple de Dakka dans le sud de l'Égypte. Les relations entre les Koushites et l'Égypte étaient toutefois tendues sous le règne de Ptolémée IV, et une coopération entre les deux pays dans un projet de construction semble peu probable. Plus important encore, les dates ne correspondent tout simplement pas, car Ergaménès n'était plus roi de Méroé en 221 avant notre ère et, en outre, sous le règne de Ptolémée IV, le royaume de Koush soutint une révolte en Haute-Égypte, de sorte qu'il est indéfendable d'affirmer que l'Égypte et Koush collaborèrent à des projets de construction à cette époque.
Si Reisner peut se tromper sur le pharaon égyptien avec lequel Ergaménès aurait traité, son affirmation concernant le récit de Diodore peut également être erronée. Il semble évident qu'Ergaménès et Ptolémée II établirent une relation de respect mutuel entre les deux pays après qu'Ergaménès eut affirmé son autorité sur les prêtres d'Amon. Les monarques égyptiens et le culte d'Amon avaient une longue histoire de méfiance mutuelle et de frictions à cette date, après tout, et le refus d'Ergaménès de se plier à leurs règles aurait bien convenu à un roi égyptien.
Réformes d'Ergaménès
Après avoir libéré Méroé des coutumes égyptiennes, Ergaménès entreprit d'adopter une série de lois qui allaient rendre la culture méroïtique encore plus distincte de la culture égyptienne (vers 285 av. J.-C.). Il institua des pratiques funéraires dans la ville même de Méroé au lieu d'observer la tradition de l'inhumation des morts à Napata selon la tradition égyptienne. Bien que toutes les tombes trouvées à Méroé (y compris celle d'Ergaménès) aient été pillées, les preuves qui ont été découvertes indiquent des pratiques similaires à celles des Égyptiens, mais significativement différentes.
Deux exemples de ces différences sont les représentations des rois méroïtiques dans des poses égyptiennes mais avec des éléments koushites tels que les vêtements, les traits du visage et l'armement, ainsi que le style des cercueils utilisés pour les enterrements. Les similitudes concernent les rituels entourant l'enterrement des morts (dépôt d'objets personnels dans la tombe ou le tombeau) et la transformation du tombeau en maison pour le défunt.
Les conceptions architecturales égyptiennes furent conservées mais modifiées pour refléter la culture de Koush, de même que la statuaire et les autres œuvres d'art. Le culte d'Amon se poursuivit à Méroé et le temple d'Amon, situé au centre de la ville, était considéré comme un chef-d'œuvre, mais les prêtres n'avaient plus de pouvoir sur les rois.
La royauté elle-même changea après le règne d'Ergaménès avec l'institution de reines qui gouvernaient sans le soutien ou la domination d'un homme. Avant le règne d'Ergaménès, les rois avaient des épouses qui exerçaient ou non une influence sur la cour, mais à partir de 284 avant notre ère, leur influence devint significative. Un certain nombre de ces reines, connues sous le nom de Candaces (ou Kentake), régnaient en toute autonomie et certaines sont représentées en train de mener leurs armées au combat. Entre 170 avant J.-C. et 314 de notre ère, ces reines sont considérées comme de redoutables monarques qui élargirent leur territoire, orchestrèrent des accords commerciaux fructueux, défièrent la volonté de Rome et négocièrent des conditions favorables pour leur peuple.
La langue et l'écriture égyptiennes disparurent également à Méroé après le règne d'Ergaménès pour être remplacées par l'art méroïtique et l'écriture méroïtique très caractéristique de vingt-trois symboles, y compris les voyelles. Comme personne n'a encore déchiffré l'écriture, tout ce que l'on sait du grand roi Ergaménès reste caché et aussi mystérieux que la ville de Méroé elle-même le deviendrait pour les écrivains ultérieurs.
Conclusion
Les réformes d'Ergaménès renforcèrent l'identité nationale de Méroé et du royaume de Koush en encourageant l'art, l'architecture, l'écriture et la politique indigènes et en abandonnant la longue tradition qui consistait à modeler ces aspects culturels sur les paradigmes égyptiens. Ergaménès semble avoir amélioré la vie de son peuple en encourageant l'industrie et l'agriculture dans la région et en amassant des richesses considérables grâce au commerce.
Malheureusement, ni le roi ni les habitants de Méroé ne prirent conscience des dangers liés à l'épuisement des ressources sans se soucier de l'avenir. Les grandes forêts et les champs fertiles furent abattus et épuisés par les forges de la ville qui devaient brûler du bois pour produire du charbon de bois, et par la surexploitation des terres agricoles qui épuisa les éléments nutritifs du sol. Méroé aurait probablement dû être abandonnée, mais elle fut détruite avant que cela ne se produise.
La ville fut mise à sac vers 330 de notre ère par les Aksoumites et fut désertée vers 350. Aujourd'hui, il n'y a plus de forêts ni de champs et les ruines de Méroé s'élèvent dans les sables arides du Soudan. La mémoire d'Ergaménès est perpétuée par les historiens de l'Antiquité, qui l'ont trouvée aussi remarquable que la ville elle-même.