La bataille du Granique, en mai 334 avant J.-C., fut la première grande victoire d'Alexandre le Grand (356-323 av. J.-C.) contre les forces de l'empire achéménide. Alexandre avait traversé l'Hellespont avec ses forces macédoniennes et grecques combinées et avait posé le pied sur les rives de l'Anatolie. Son objectif était simple : vaincre Darius III (r. de 336 à 330 av. J.-C.) et conquérir le vaste empire perse. En mai 334 av. J.-C., il eut sa première occasion lorsqu'il affronta les Perses sur les rives du Granique. Après cette victoire contre les satrapes de Darius, il lui fera face au combat à deux reprises, à la bataille d'Issos puis à la bataille de Gaugamèles.
Prélude
Après la mort de son père Philippe II de Macédoine (r. de 359 à 336 av. J.-C.), Alexandre jeta son dévolu sur l'Empire perse pour se venger, du moins le prétendait-il, de l'invasion de sa patrie par Darius Ier et Xerxès pendant les guerres perses. Après avoir stabilisé les conditions de rébellion parmi les différentes cités-États grecques, il traversa l'Hellespont et voyagea le long de la côte nord de l'Anatolie (la Turquie actuelle) en évitant les chaînes de montagnes des hautes terres du nord jusqu'au site de l'ancienne Troie. Les Perses ne savaient pas grand-chose de lui et le roi Darius n'était guère enclin à le rencontrer, estimant que son commandant de confiance, Memnon, et les gouverneurs locaux (ou satrapes) pouvaient s'occuper du jeune arriviste. En outre, le roi nouvellement nommé était plus préoccupé par une éventuelle rébellion et des troubles parmi les satrapes locaux.
Dans La vie d'Alexandre le Grand, l'historien Plutarque évoqua le voyage d'Alexandre à Troie, où il honora Achille, le héros d'Homère. Plutarque écrit :
Il monta à Ilion, fit un sacrifice à Minerve, et des libations aux héros : il arrosa d’huile la colonne funéraire d’Achille, courut autour du tombeau, tout nu, suivant l’usage, avec ses compagnons, y déposa une couronne, et félicita le héros d’avoir eu, pendant sa vie, un ami fidèle, et, après sa mort, un grand poète pour célébrer ses exploits.
(trad. Alexis Pierron)
Alors qu'Alexandre et ses hommes étaient à Troie, les Perses tinrent un conseil des satrapes locaux pour discuter de l'arrivée du jeune Macédonien et des stratégies possibles pour se défendre contre lui. Memnon, un mercenaire grec de haut rang fidèle à Darius, suggéra d'appliquer une politique de la terre brûlée - détruire les cultures, les fermes et les villages - privant Alexandre de toute provision éventuelle. Les satrapes locaux rejetèrent cette idée, en partie parce que Memnon était grec, mais aussi parce qu'ils ne voulaient pas que leurs terres soient détruites. Ils considéraient, bien sûr, que la guerre perse était supérieure aux tactiques des envahisseurs grecs. Le conseil décida de mettre les Macédoniens sur la défensive en rassemblant leurs forces et en attendant Alexandre au Granique. Le Granique faisait environ 18 mètres de large, avec un courant rapide et des berges abruptes, ce qui leur donnait, pensaient-ils, un sérieux avantage.
Après avoir reçu des informations de ses éclaireurs sur la position des Perses sur le Granique, Alexandre avança vers le fleuve ; il avait compris qu'il devait vaincre les Perses pour obtenir les ressources nécessaires à la poursuite de sa conquête de la Perse. Alors que les forces macédoniennes approchaient du fleuve, Parménion, l'un des plus fidèles généraux d'Alexandre et commandant de son flanc gauche, lui conseilla d'attendre le matin avant d'attaquer. Alexandre répondit, selon Plutarque, que ce serait "déshonorer l'Hellespont que de craindre le Granique". L'historien Arrien parle de cette rencontre en disant qu'Alexandre avait réalisé que les Perses ne le craignaient pas parce qu'ils ne le connaissaient pas. Alexandre rejeta le plaidoyer de Parménion ; la bataille commencerait l'après-midi même mais ne durerait qu'une heure à peine. Bien que les chiffres varient selon les sources anciennes, les récits modernes comptent 10 000 cavaliers et 5 000 mercenaires grecs dans l'infanterie perse. Les forces d'Alexandre comptaient 13 000 fantassins et 5 000 cavaliers.
La bataille
Une situation unique et problématique pour les Perses était le positionnement de leur cavalerie sur les rives du Granique ; l'infanterie mercenaire grecque - forte de 5 000 hommes - était placée derrière eux. Certains historiens pensent que cette idée coûta la bataille aux Perses. La cavalerie perse ne pouvait ni avancer à cause des berges du fleuve ni reculer à cause de l'emplacement de l'infanterie. De plus, la seule arme unique des Perses, le char à faux, était presque inutile sur les berges boueuses. S'agissait-il d'une erreur tactique ou de pure arrogance ? Si l'on ajoute à cela l'absence de véritable chef - à part Memnon - la bataille était perdue avant d'avoir commencé.
Selon Arrien et d'autres sources, Alexandre se fit remarquer par "l'éclat de ses armes" et "l'attitude respectueuse de son état-major". Il était également très visible grâce à la grande plume blanche de son casque. Cette notoriété n'échappa pas aux Perses dont l'objectif principal était de tuer Alexandre.
Pendant un bref instant, les deux armées se tinrent en face l'une de l'autre en silence. Alexandre avait aligné ses forces sur les rives occidentales du fleuve ; Parménion commandait la gauche tandis qu'Alexandre (avec ses huit gardes du corps), ses forces de cavalerie de Compagnons et ses troupes légères se postaient à l'extrême droite. Au centre de la phalange traditionnelle se trouvaient la cavalerie thessalienne et des troupes légères supplémentaires. Alexandre devint l'agresseur en envoyant en premier, depuis le centre, la cavalerie des Compagnons, les lanciers et les troupes légères à travers la rivière. Les Perses répondirent par une grêle de flèches et de javelots. Ils avaient l'intention d'attaquer les Macédoniens dans l'eau, où le sol était glissant et difficile. Memnon en personne dirigeait le centre perse. Comme de plus en plus de Perses rejoignaient l'attaque contre le centre macédonien, l'attention était détournée d'Alexandre. Bien que causant des dommages considérables au centre de l'attaque, l'armement perse n'était pas à la hauteur des Macédoniens - javelots légers contre lances de 15 pieds.
Au son des trompettes, Alexandre et ses hommes plongèrent dans l'eau et remontèrent la rive opposée en diagonale. Arrien écrit:
Alexandre, à la pointe de l'aile droite, entre dans le fleuve au bruit des trompettes et des cris de guerre redoublés, se dirigeant obliquement par le courant, pour éviter en abordant d'être attaqué sur sa pointe, et afin de porter sa phalange de front sur l'ennemi.
En arrivant sur la rive opposée du fleuve, le combat se transforma en un affrontement au corps à corps. Bien que subissant un certain nombre de pertes, Alexandre commença à prendre l'avantage, et de nombreux Perses commencèrent à battre en retraite. Cependant, tout au long de la bataille, l'infanterie mercenaire grecque resta sur ses positions et ne bougea pas.
Alors qu'Alexandre émergeait des eaux du Granique, il remarqua que Mithridate, le gendre de Darius, chevauchait avec un escadron de cavalerie détaché des forces perses principales. Alexandre attaqua, tailladant Mithridate au visage. Rhoesacès, commandant d'un satrape perse, remarqua l'attaque contre Mithridate et leva son épée sur Alexandre, tranchant une partie de son panache et brisant son casque. Alexandre le transperça aussitôt. Spithridatès, un autre commandant perse, leva sa propre arme pour attaquer Alexandre, mais Cleitos le Noir l'attaqua en premier, tranchant le bras de Spithridatès, sauvant ainsi la vie d'Alexandre. Avec la perte d'un certain nombre de leurs chefs, les Perses furent désorganisés et, leur moral détruit, ils battirent en retraite.
Alors que les Perses se repliaient, Alexandre, au lieu de poursuivre les Perses en retraite, tourna son attention vers les mercenaires grecs qui, à leur tour, imploraient leur pitié. Parménion et les Thessaliens encerclèrent les Grecs à leur gauche tandis qu'Alexandre et ses compagnons se positionnèrent à leur droite. Plutarque parle de cette rencontre en disant :
excepté les mercenaires grecs, qui s’étaient retirés sur une colline, et demandaient qu’Alexandre les reçût à composition. Alexandre, emporté par la colère bien plus que par la raison, se jette le premier au milieu d’eux : il eut son cheval tué sous lui d’un coup d’épée dans le flanc ; mais c’était un autre que Bucéphale. Ce fut presque dans ce seul endroit qu’il eut des morts et des blessés, parce qu’on avait affaire à des hommes désespérés et pleins de bravoure.
Suites de la bataille
Sur les 5 000 mercenaires grecs, seuls 2 000 survécurent et furent envoyés en Macédoine pour aller travailler dans les mines ; les autres furent massacrés. Pourquoi Alexandre ignora-t-il les supplications des mercenaires? Certains pensent qu'il voulait leur faire remarquer qu'ils avaient pris l'argent des Perses, tandis que d'autres disent que c'est surtout la colère et l'expérience de mort imminente qui l'avaient provoqué.
Le butin de guerre - de l'or et de riches tissus - fut envoyé à la mère d'Alexandre, Olympias. Pour honorer tous ceux qui étaient morts au combat, Alexandre enterra aussi bien les Grecs que les Perses (bien que les Perses brûlaient normalement leurs morts). Selon des récits modernes ajustés, les Perses perdirent 10 à 20 % de leurs forces et deux tiers de leurs commandants. Les sources concernant Alexandre sont variées - 25-30 compagnons - peut-être 120 au total. De retour chez eux, des statues honorant les 25 compagnons tombés au combat furent érigées dans le sanctuaire de Zeus à Dion, près du mont Olympe. 300 armures perses furent envoyées à Athènes pour rappeler aux Grecs que le Granique n'était qu'une étape dans la guerre de vengeance contre les Perses.
Après le Granique, Alexandre et ses forces ne rencontrèrent que peu de résistance. Cependant, il allait bientôt rencontrer le roi de Perse en personne. En novembre 333 avant Jésus-Christ, Alexandre et Darius s'affronteraient à Issos.