L'Irlande est un pays insulaire situé dans l'Atlantique Nord, délimité par le canal du Nord, la mer d'Irlande et le canal de Saint-Georges. On la connait sous le nom de Eire en langue gaélique, un nom qui vient du vieil irlandais Ériu, le nom d'une des filles de la déesse mère Ernmas des Tuatha Dé Danann, la race mystique pré-celtique d'Irlande. La légende raconte que, lorsque les Milésiens ont envahi l'Irlande pour conquérir les Tuatha Dé Danann, Ériu et ses sœurs, Banba et Fódla, leur ont demandé de donner leur nom à l'île. Ériu devint le nom le plus communément utilisé, tandis que Banba et Fódla étaient utilisés de manière poétique comme on le ferait pour un surnom.
Le nom de Eire dériverait également des Erainns (dont le nom provient de la même racine), la tribu principale de la région de Munster, dans le sud-ouest, mentionnée dans Géographie de l'historien grec Ptolémée (2e siècle ap. JC). Les Erainns sont également appelés Ivernis par Ptolémée, ce qui donnera aux Romains leur nom pour l'Irlande : Hibernia. L'Irlande est la troisième plus grande île d'Europe (après la Grande-Bretagne et l'Islande) et elle est actuellement divisée politiquement entre la République d'Irlande, un État souverain, et l'Irlande du Nord, qui fait partie de la Grande-Bretagne.
La République d'Irlande est généralement désignée par le terme « Irlande ». Eire est généralement traduit par « terre abondante », soit en référence à la déesse qui était censée habiter la région et la bénir de fertilité, soit en référence à la tribu qui, selon Ptolémée, possédait de riches terres.
Les premières habitations humaines
L'Irlande a été inhabitée par l'homme pendant une période beaucoup plus longue que de nombreux autres pays. L'historien Jonathan Bardon commente : « Il est frappant de constater que des êtres humains vivaient en Australie depuis 40 000 ans avant que les premières personnes ne viennent s'installer en Irlande » (1). Bardon et d'autres chercheurs attribuent ce phénomène à la période glaciaire du Midlandien, dont les vastes couches de glace n'ont commencé à fondre en Irlande que vers 15 000 av. JC.
La terre n'abritait alors que des plantes et des animaux qui avaient traversé le continent européen sur des masses terrestres qui furent submergées lors de la fonte des calottes glaciaires. L'Irlande et la Grande-Bretagne ont toutes deux été séparées du continent européen à peu près à cette époque (vers 12 000 av. JC). Les premières personnes sont arrivées en Irlande entre 7 000 et 6 500 av. JC, à Coleraine, dans l'extrême nord. Le site mésolithique du mont Sandel, découvert à Coleraine en 1973, est le plus ancien site archéologique d'Irlande.
Les habitants de l'Irlande mésolithique étaient des chasseurs-cueilleurs qui se déplaçaient en petites bandes d'une région à l'autre, construisant des villages de huttes en bois avec un toit en dôme fait d'écorce et de peaux d'animaux. Ces huttes étaient des logements communautaires pour des familles étendues, avec un seul foyer en forme de bassin au centre et une ouverture ronde dans le toit pour la ventilation de la fumée. Ils utilisaient le silex pour fabriquer des haches, des couteaux, des grattoirs, des lames de harpons et des pointes de flèches.
D'après les preuves archéologiques, il semble qu'ils aient également participé à des rituels impliquant la peinture d'eux-mêmes et des objets cérémoniels. Au fil du temps, ces chasseurs-cueilleurs sont progressivement passés à un mode de vie agraire. Bardon écrit : « À partir de 4000 av. JC environ, une transformation spectaculaire de l'économie irlandaise a commencé. Jusqu'alors, une petite population dispersée avait vécu exclusivement de la chasse, du piégeage et de la recherche de nourriture. Désormais, ils commencèrent à déboiser la terre pour créer des pâturages pour le bétail domestique et du billonnage pour la culture des céréales » (4).
Les Ceide Fields, dans le comté de Mayo, près de Ballycastle, datent de cette époque et ce sont les plus anciens champs agricoles connus au monde (appelés système de champs). Les Ceide Fields ont été découverts par l'instituteur local Patrick Caulfield qui récoltait de la tourbe d'une tourbière pour son foyer. Il a remarqué des configurations de pierres soigneusement placées sous la couche de tourbe, qui semblaient délibérément conçues.
Sa découverte a conduit à la fouille du site plusieurs années plus tard, ce qui a mis à jour une implantation néolithique composée de maisons, de systèmes de champs, de murs et de tombes. Les agriculteurs néolithiques ont défriché de plus en plus de terres, éliminant les forêts et construisant des maisons et des villages plus importants. Bardon note comment, sur la base de preuves archéologiques, il est certain « qu'une dense canopée forestière couvrait [autrefois] l'île de façon si complète qu'un écureuil pouvait se déplacer du point le plus au nord de l'Irlande, Malin Head, à Mizen Head dans le Co. Cork [le point le plus au sud] sans jamais toucher le sol », mais cette situation a radicalement changé avec l'essor des communautés agricoles et le défrichage de nouvelles terres pour les cultures.
Les huttes en bois de l'ère mésolithique ont cédé la place à des maisons en torchis avec des toits de chaume, comme celle trouvée à Ballynagilly, dans le comté de Tyrone, en 1969 ; une maison considérée comme la plus ancienne maison néolithique trouvée en Grande-Bretagne ou en Irlande, datée d'environ 3700 av. JC. Des maisons encore plus élaborées ont été découvertes peu après cette date, dont une dans le comté de Limerick, à Tankardstown, « construite entièrement en planches de chêne avec des poteaux d'angle et des supports de toit extérieurs » (Bardon, 5). L'historien Roger Chauvire écrit : « Au début, l'Irlande était une terre vierge et vide » et elle l'est restée pendant les quelque 3 000 ans où les chasseurs-cueilleurs ont parcouru les forêts, mais cette époque était désormais révolue (20). La terre a été apprivoisée et les gens se sont installés dans des communautés stables.
Les origines mythiques
Si ce récit du passé de l'Irlande est actuellement la première histoire acceptée de l'Irlande, il n'en a pas toujours été ainsi. L'histoire est un mot dont le sens change en fonction des croyances de ceux qui l'écrivent. Pendant des centaines d'années, une série d'événements différents a été acceptée comme histoire, que l'on appelle aujourd'hui « origines mythiques ». Cette histoire a été racontée dans le livre connu sous le nom de Lebor Gabála Érenn (Le Livre des Prises de l'Irlande ou Le Livre des Invasions), écrit à la fin du 11e/au début du 12e siècle ap. JC.
Ce récit raconte que l'histoire de l'Irlande commence avant le grand déluge, lorsque Cessair, fille de l'un des fils de Noé (Bith, qui n'est pas mentionné dans le récit biblique de la Genèse), se voit refuser une place sur l'arche et s'enfuit en Irlande. Elle arrive avec trois hommes et 49 femmes qui sont tous noyés avec elle dans le déluge, à l'exception d'un homme, Fintan, qui se transforme en divers animaux avant de redevenir un homme et de raconter son histoire. Le deuxième groupe d'immigrants était dirigé par Partholon, fils de Sera, fils de Japheth (l'un des fils de Noé dans la Bible), après le grand déluge.
Ils sont venus de quelque part à l'est et ils ont établi une colonie qui a été détruite par la maladie, ils sont tous mort en l'espace d'une semaine. Partholon a été suivi par Nemed, fils d'Agnoman, qui a également retracé son ascendance à travers Japhet jusqu'à Noé. Ils vinrent de Scythie et s'installèrent en Irlande, mais ils furent attaqués par les Fomoires, des pirates marins sauvages, sous la direction de leur roi Balor le Cyclope, et ils ont fuit le pays.
Deux cents ans s'écoulèrent pendant lesquels l'Irlande fut inhabitée, puis les Fir Bolg, un groupe de Némédiens venus de Grèce, s'emparèrent des terres et construisirent des maisons et des forts. Ils furent attaqués par les Tuatha Dé Danann (enfants de la déesse Dana), maîtres des arts magiques et adversaires redoutables. Les Fir Bolg furent vaincus par les Tuatha Dé Danann à la bataille de Moytura et forcés de les servir. Un autre fils de Japhet, fils de Noé, Fenius, vint de la Tour de Babel où il combina les meilleurs éléments de toutes les langues du monde qu'il avait entendues pour créer la langue irlandaise. C'est son descendant, Goidil (prononcé « Gaydel ») qui donna son nom aux Gaëls et à leur langue : le gaélique.
La mère de Goidil était Scotta, fille d'un pharaon d'Égypte, qui allait fonder l'Écosse (bien que le fondateur ait pu être une autre femme du même nom, sa sœur), et son petit-fils était Eber Scott qui a conquis toute l'Espagne. Le fils de Scott était Miledh (également connu sous le nom de Milesius), qui a régné après lui. À peu près à l'époque de la naissance d'Alexandre le Grand (un événement déjà célèbre pour ses signes et ses prodiges dans le ciel), Miledh regarda depuis la tour de son château et vit l'Irlande flotter à l'horizon. Il envoya ses trois fils - Meremon, Heber et Ir - depuis l'Espagne et ils conquirent les Tuatha Dé Danann, les conduisant dans un lieu entre les mondes où ils demeurent jusqu'à ce jour.
Les trois filles de la déesse Ernmas des Tuatha Dé Danaan - Eriu, Banba et Fodla - demandèrent aux Milésiens de donner leur nom à la terre, et ce fut le cas. L'invasion des Milésiens est considérée comme la colonisation finale de l'Irlande ; ils ont soumis la terre et établi la civilisation et la culture telles que les auteurs ultérieurs de ces contes les ont connues.
Commentant cette histoire, Roger Chauvire écrit :
Ces contes pour enfants ont plus qu'une valeur folklorique. Ils ont été synchronisés avec le calcul biblique et intégrés dans une histoire dite universelle vers le 12e siècle par les auteurs du Livre des Invasions ; ils ont été acceptés comme vrais tout au long du Moyen Âge, et même plus tard, et c'est là que réside leur importance. Il n'y avait pas de grande maison princière qui n'alléguât, au moyen de quelques jongleries de la part de ses généalogies, qu'elle remontait à l'époque milésienne, et sur laquelle elle fondait ses prétentions [au pouvoir] (20-21).
On ignore comment les habitants du Néolithique voyaient leur histoire ou quelle était leur mythologie, car ils n'ont laissé aucune trace écrite. L'histoire des « origines mythologiques » de l'Irlande a été écrite longtemps après par des scribes chrétiens qui se sont inspirés des récits bibliques pour créer une histoire nationale. À l'époque néolithique, les Irlandais étaient peut-être bien trop occupés à créer des fermes et des villages et à gagner leur vie pour se préoccuper de leur histoire passée, ou peut-être pas. Bien qu'ils n'aient rien écrit, ils ont laissé une histoire derrière eux dans les grandes structures mégalithiques que l'on trouve dans tout le pays, sous des formes plus grandes ou plus modestes, et peu sont aussi spectaculaires que celles du complexe néolithique de Brú na Bóinne dans le comté de Meath.
Les mégalithes
Les preuves d'une culture pré-alphabétisée qui racontait ses histoires à travers le travail de la pierre sont visibles dans toute l'Irlande. La nature exacte de ces histoires reste cependant un mystère. Le grand monument mégalithique connu sous le nom de Newgrange a été construit vers 3200 av. JC, et les tombes mégalithiques de Knowth et de Dowth ont suivi peu après. La tombe à couloir de Loughcrew, également à Meath, date de 3500 à 3300 av. JC. Les tombes à passage de Carrowkeel, dans le comté de Sligo, datent d'environ 3400 av. JC, tandis que les tombes mégalithiques de Carrowmore (également dans le comté de Sligo) sont encore plus anciennes (3700 av. JC), et le dolmen de Poulnabrone (une tombe à passage mégalithique dans le comté de Clare) est toujours plus ancien (4200 av. JC).
Tous ces mégalithes et ces monticules majestueux (tous plus anciens que Stonehenge ou les pyramides de Gizeh) témoignent d'un système de croyances profondément ancré, qui honorait peut-être les ancêtres, les grands exploits, les héros, les chefs et les divinités, mais il est impossible de le savoir car rien n'a été enregistré. Les dessins tourbillonnants et autres gravures sur les pierres de sites comme Newgrange, s'ils signifient quelque chose au-delà de la décoration, n'ont apporté aucune lumière sur le sujet.
Il ne fait aucun doute que Newgrange a été construit dans un but rituel très précis. Chaque année, en décembre, dans les jours qui précèdent et qui suivent le solstice d'hiver, le soleil levant envoie un faisceau unique directement à travers un portail situé au-dessus de l'entrée du passage frontal qui illumine la chambre intérieure, en se concentrant sur une seule niche dans le mur du fond. Comme pour les autres monuments mentionnés, de nombreuses théories ont été avancées quant à l'utilité de Newgrange, mais aucune n'est concluante et ne peut l'être.
Le dolmen de Poulnabrone, avec son énorme dalle de pierre inclinée, semble avoir été construit en angle dans un but précis, peut-être pour faciliter le passage des âmes des défunts vers l’au-delà ou pour éloigner les visiteurs indésirables de l'autre côté, mais personne ne sait vraiment pourquoi la dalle de pierre a été inclinée. Le Dr Carleton Jones, qui a fouillé le site, affirme qu'il s'agissait peut-être d'un « panneau d'affichage préhistorique » aussi bien que d'une tombe, écrivant : « Lorsqu'un voyageur entrait dans le Burren par le nord, la masse impressionnante de Poulnabrone ne laissait aucun doute dans son esprit sur le fait qu'il entrait dans le territoire de la tribu Burren » (1).
Pourtant, cette théorie du « panneau d'affichage » ne semble pas s'appliquer à tous les dolmens du pays. Il existe près de 200 dolmens en Irlande, tous avec des dalles de pierre inclinées, et tous semblent avoir été utilisés en guise de tombes mais pas comme « panneaux d'affichage ». Parmi les plus grands, on trouve le dolmen de Kilclooney dans le comté de Donegal (3500 av. JC environ), qui fait 1,8 mètres de haut avec une dalle de pierre de presque 4 mètres de long et d’un peu plus 6 mètres de large. Tous ces monuments, bien sûr, ont été construits sans ciment, sans grue et sans outils métalliques.
L'âge du bronze et les Celtes
Le travail du métal s'est développé bien après la construction des mégalithes. Il était déjà pratiqué en 2000 av. JC, il a probablement été introduit ou découvert vers 2500 av. JC. Le bronze et le cuivre ont remplacé les ornements et les armes en pierre de l'époque précédente, et les progrès technologiques ont augmenté rapidement. La roue est introduite à peu près en même temps que les techniques de brassage de l'alcool, vers 2200 av. JC. Les outils agricoles sont améliorés et de plus en plus de terres sont défrichées et cultivées.
Le cercle des Géants, un monument en forme de henge situé dans l'actuel Ballynahatty, près de Belfast, a été construit à peu près à la même époque (vers 2700 av. JC) et il était régulièrement utilisé pour des rituels (probablement religieux, et sans doute astronomiques, bien que les détails soient inconnus). Comme en Écosse, à peu près à la même époque (2500 av. JC), une nouvelle vague d'immigrants a introduit des gobelets à fond plat et des poteries en terre cuite sophistiquées. Ces gobelets ont été retrouvés dans toute l'Irlande en si grande quantité que ces immigrants inconnus sont appelés « Beaker People » (« le peuple des gobelets ») par les archéologues (comme en Écosse).
Les Beakers People sont peut-être les mystérieux bâtisseurs des forts circulaires situés sur des collines dans toute l'Irlande, comme Mooghaun Hill Fort, dans le comté de Clare, où fut découvert, en 1854, le plus grand trésor d'or jamais trouvé en dehors de la Méditerranée. La « Great Clare Find », comme on l'a appelée, date de 800 av. JC. Sa création est souvent attribuée aux Celtes plutôt qu'aux Beaker People, mais cela est contesté.
L'âge du bronze a fusionné avec l'âge du fer avec l'arrivée des Celtes entre 500 et 300 av. JC, voire plus tôt. Cet afflux était autrefois considéré comme « l'invasion celtique », mais cette théorie est aujourd'hui écartée car il semble beaucoup plus probable que les Celtes et les peuples indigènes d'Irlande se soient livrés à des échanges commerciaux qui ont conduit à une diffusion culturelle et à l'assimilation des Celtes. Bardon écrit :
Quand les Celtes sont-ils arrivés en Irlande ? Une réponse claire ne peut être donnée car ils ne semblent pas avoir formé une race distincte. La civilisation celtique a peut-être été créée par un peuple d'Europe centrale, mais il s'agissait avant tout d'une culture - une langue et un mode de vie - diffusée d'un peuple à l'autre. Les archéologues ont cherché en vain des preuves d'invasions spectaculaires de l'Irlande, et ils préfèrent désormais penser à une infiltration régulière depuis la Grande-Bretagne et le continent européen au cours des siècles (12).
Selon l'historienne Helen Litton, les Celtes sont nés en Europe centrale et orientale au début de l'âge du fer, et « ils semblent représenter un rassemblement de divers groupes, pendant l'âge du bronze, qui ont progressivement développé une culture unique autour de la découverte et de l'utilisation du fer » (19-20). Lorsque les Celtes sont arrivés en Irlande, que ce soit progressivement ou rapidement, ils ont apporté avec eux la connaissance du travail du fer. Ils ont également apporté la conquête en arrivant sur leurs chars de guerre, armés de leurs « épées aussi longues que les javelots des autres peuples et de leurs javelots aux pointes plus longues que les épées », pour reprendre les termes de l'historien grec Diodorus Siculus. Ils ont rapidement soumis et assimilé les habitants du pays pour former la culture gaélique.
Saint Patrick et l'essor de l'alphabétisation
Les Celtes ont organisé leur société en Irlande selon une hiérarchie composée de guerriers et de druides au sommet et de tous les autres en dessous. Ils ont construit de grandes forteresses, se sont parés de broches en or et de longues capes et ils ont raconté des histoires épiques qui n'ont été écrites que des centaines d'années plus tard, comme La Razzia des vaches de Cooley, la grande épopée irlandaise, qui met en scène le héros Cúchulainn et la grande reine Medb (ou Maeve), Le Cycle Fenian, les exploits de grands rois comme Cormac Mac Art, les chevaliers du Cycle de la Branche Rouge et des légendes épiques comme la poursuite de Diarmuid et Gráinne.
L'alphabétisation est arrivée en Irlande avec le missionnaire chrétien Palladius et d'autres comme Ailbe, Declán, Ibar et Ciarán qui l'ont suivi, ainsi qu'avec le plus connu Saint Patrick au 5ème siècle ap. JC. Palladius et les autres ont établi des communautés chrétiennes qui ont mis l'accent sur l'alphabétisation et qui sont devenues des centres d'apprentissage, mais ils n'ont pas eu autant de succès que l'ancien esclave qui s'est échappé de captivité en Irlande pour revenir comme évêque et changer la nation : Saint Patrick.
Patrick (5e siècle ap. JC environ) était un citoyen romain qui a été capturé par des pirates de la Grande Bretagne romaine et il fut vendu comme esclave en Irlande. Après six ans, il s'est échappé, à la suite d'une vision en rêve dans laquelle Dieu lui ordonnait de partir en bateau. Il est retourné en Grande-Bretagne avec sa famille, mais il a de nouveau été appelé en rêve à quitter son pays et à retourner en Irlande pour prêcher l'Évangile. Patrick a fait bien plus que convertir l'Irlande païenne au christianisme ; il a popularisé la foi, en l'intégrant soigneusement à ce qu'il savait de la mythologie celtique et du folklore irlandais, afin qu'elle soit plus facilement assimilée.
On dit qu'il a annoncé l'arrivée du christianisme dans le pays par un grand feu de joie sur la colline de Slane, juste en face de la colline de Tara, en 432 ou 433 ap. JC, défiant l'édit du haut roi Laoghaire qui avait interdit tout feu cette nuit-là, à l'exception de la flamme sacrée des druides sur Tara pour célébrer la fête d'Ostara. La foi annoncée par Saint Patrick cette nuit-là allait changer l'Irlande à bien des égards, le plus important étant peut-être l'alphabétisation. En diffusant le message chrétien dans le pays, Saint Patrick a semé les graines des communautés chrétiennes, qui sont devenues des lieux d'apprentissage et des centres de savoir.
Les hauts rois et la loi
La colline de Tara, dans le comté de Meath, s'élève à 197 mètres d'altitude et, au sommet, se dresse la Lia Fáil, la pierre du destin où les hauts rois d'Irlande ont été inaugurés. La légende raconte qu'après la défaite des Tuatha Dé Danann par les Milésiens, l'Irlande fut divisée entre les deux frères vainqueurs, Éber et Éremón, Éremón prenant le nord et Éber le sud. Ils vivaient en paix jusqu'à ce que la femme d'Éber désire la plus belle colline du pays, Tara, qui se trouvait sur le territoire d'Éremón et que la femme d'Éremón, Tea, la refuse.
Les deux femmes entraînèrent leurs maris dans la dispute, et ils entrèrent en guerre. Éber fut tué et Éremón prit ses terres. Tea mourut également à cette époque et donna son nom à la colline qu'elle avait défendue et où elle fut enterrée. Une interprétation de « Tara » est une corruption de Tea-Mur, la tombe de Tea. La colline de Tara était désormais considérée avec un grand respect pour cette raison, ainsi que pour la croyance qu'elle était imprégnée de magie par les Tuatha Dé Danann, qui habitaient dans le sol et les creux de la colline et qui avaient apporté la Lia Fáil sur la terre des siècles auparavant.
Ces croyances ont continué à être observées après l'arrivée des Celtes et leurs rois étaient couronnés au Lia Fáil conformément à la coutume. Parmi les premiers rois préhistoriques figurait le légendaire Conn Cetchathatch (Conn des cent batailles) dont le petit-fils était Cormac Mac Art, le législateur. Les lois de Brehon (également connues sous le nom de codes de Brehon et de Fenechas) sont les plus anciennes lois d'Irlande et elles ont été rédigées par Mac Art à un moment donné de son règne (227-266 ap. JC environ). Le nom dérive de Brehon, qui signifie législateur, et ces lois étaient interprétées par les Brithem (les juges). Elles sont considérées comme faisant partie des lois les plus avancées et les plus équitables jamais écrites (y compris les anciens codes de lois tels que le Code d'Ur-Nammu ou le Code d'Hammurabi de l'ancienne Mésopotamie) et, selon l'historienne Loretta Wilson, « elles couvraient presque toutes les relations et toutes les nuances de relations, sociales et morales, entre l'homme et l'homme » (1).
Les lois garantissaient la justice pour tous, quel que soit le statut social de chacun, et elles préservaient l'indépendance et la dignité des femmes, ce qui était observé depuis longtemps en Irlande. L'historien Lloyd Duhaime, écrivant sur les lois de Brehon, note que « les femmes étaient placées sur un pied d'égalité avec les hommes et elles pouvaient accéder aux professions les plus élevées, y compris celles de guerrières, de prêtresses et de juges... Au moment du mariage, les femmes étaient partenaires de leurs maris et elles n'étaient pas la propriété de ces derniers » (2). Cormac Mac Art fut considéré comme l'un des plus grands, si ce n'est le plus grand roi de l'ancienne Irlande et, en plus d'être connu pour ses lois, il fut à l'origine de projets de construction aussi grands que les halls et les forts de Tara et aussi modestes que les moulins au bord des rivières. Ses lois Brehon seront plus tard révisées et codifiées par Saint Patrick, qui en conservera l'aspect humain et défendra les droits des femmes dans la société.
Les réalisations de Saint Patrick et de Cormac Mac Art, comme une grande partie de l'histoire de l'Irlande ancienne, sont mêlées à des mythes, et il en va de même pour les descendants de Mac Art, les Uí Néill, la dynastie la plus importante d'Irlande pendant des siècles. Les Uí Néill descendent de Niall Noigiallach (plus connu sous le nom de Niall aux neuf otages) qui, comme son nom l'indique, était un roi suffisamment puissant pour avoir retenu un otage de chacune des cinq provinces d'Irlande et un otage des Britanniques, des Francs, des Saxons et des Écossais. Le plus ancien monument de la colline de Tara est le tumulus des otages, une tombe à couloir datant d'environ 3000 av. JC. Le nom vient de la pratique ultérieure des rois et des chefs qui échangeaient des otages sur le site. Plus le nombre d'otages détenus pour garantir le bon comportement des rivaux potentiels était élevé, plus le souverain était puissant et sûr.
L'ère viking en Irlande
Comme les légendaires Éber et Éremón, les Uí Néill se partageaient le pays entre les Uí Néill du nord et les Uí Néill du sud. Ils défendirent le pays contre les raids vikings toujours plus nombreux le long des côtes, construisirent des forts et des tours, et développèrent le territoire. L'ère viking en Irlande a commencé avec le premier raid enregistré en 795 ap. JC au large de la côte d'Antrim et il s'est terminée en 1014 ap. JC avec la défaite des Vikings face au grand haut roi d'Irlande Brian Boru (941-1014 ap. JC) à la bataille de Clontarf. Bien que Boru soit connu comme le roi qui a chassé les Vikings d'Irlande, il n'en est rien. Les Vikings avaient établi un certain nombre de colonies permanentes, notamment à Dublin, et ils ont continué à jouer un rôle dans l'histoire de l'Irlande après Clontarf.
La légende de Boru chassant les Vikings du pays trouve son origine dans sa victoire sur les forces combinées des Vikings et des ennemis irlandais de Boru à Clontarf, après quoi le pouvoir des Vikings fut brisé et les monarchies irlandaises, comme les Uí Néill , gagnèrent en puissance. Ils avaient régné avant l'arrivée de Boru au pouvoir et, après sa mort à la bataille de Clontarf, les Uí Néill ont repris le contrôle du pays, mais leur pouvoir a diminué. Après l'invasion normande de 1169 ap. JC et la domination de l'Irlande par le roi d'Angleterre Henri II en 1171 ap. JC, leur pouvoir, comme celui des autres nobles d'Irlande, s'est encore affaibli.
La domination anglaise en Irlande est devenue de plus en plus oppressive au fil des décennies, voire des années, et en 1368, les lois Brehon ont été interdites par le Statut de Kilkenny. Les clans autrefois prestigieux comme les Uí Néill ont tenu bon tant bien que mal jusqu'à ce qu'ils soient en grande partie éliminés au 17e siècle par la politique anglaise connue sous le nom des plantations de l'Ulster.
Dans le cadre de cette politique, un demi-million d'acres (environ 202 300 hectares) d’une partie des meilleures terres a été prise aux chefs catholiques gaéliques et à leurs familles après la défaite de Hugh O'Neill à la bataille de Kinsale en 1601 et la fuite des comtes en 1607. La politique des plantations visait à remplacer les catholiques irlandais sur les terres par des protestants anglais, et elle a réussi. Avec les autres règles, les lois et les restrictions imposées aux Irlandais, ce n'est qu'après 1921 que le peuple irlandais a retrouvé une partie de la liberté et de l'autonomie qu'il avait connues avant l'invasion normande.
L'héritage de l'Irlande
En dépit de la sévérité des mesures anglaises, les Irlandais ont continué à résister et à prospérer au cours des siècles. Ils ont trouvé des moyens de préserver leur langue, leur droit et leur culture, qui avaient été mis hors la loi et poussés dans la clandestinité, et ils devaient ce succès aux fondations posées des siècles auparavant par Saint Patrick et les premiers missionnaires chrétiens.
L'alphabétisation s'est épanouie dans les centres monastiques d'Irlande, qui ont fini par produire des chefs-d'œuvre d'art sacré, comme le manuscrit enluminé du Livre de Kells, vers 800 ap. JC. De grands monastères et des communautés, tels que Clanmacnoise et Glendalough, ont été établis au milieu du 6e siècle ap. JC, un peu plus de cent ans seulement après l'arrivée de Saint Patrick. Les monastères d'Irlande allaient faire plus qu'encourager l'alphabétisation dans le pays ; ils allaient sauver l'héritage de la civilisation occidentale.
L'Empire romain d'Occident est tombé le 4 septembre 476 ap. JC, lorsque l'empereur Romulus Augustus a été déposé par le roi germanique Odoacer. L'empire était en proie à des troubles, à des degrés divers, depuis la crise du 3e siècle (235-284 ap. JC) et il avait été divisé en deux empires, l'un oriental et l'autre occidental, en 285 ap. JC. La stabilité que Rome avait offerte pendant des siècles avait disparu et les factions religieuses s'ajoutaient au chaos des invasions barbares pour menacer les grandes bibliothèques du monde antique. On pense que Saint Patrick a commencé son travail de missionnaire en Irlande vers 432 ap. JC et, peu de temps après, les moines copiaient tous les livres qu'ils pouvaient trouver. Thomas Cahill, auteur de « How The Irish Saved Civilization », écrit :
Les Irlandais, qui venaient d'apprendre à lire et à écrire, se sont attelés au grand travail de copie de toute la littérature occidentale - tout ce sur quoi ils pouvaient mettre la main. Ces scribes ont ensuite servi de canaux par lesquels les cultures gréco-romaine et judéo-chrétienne ont été transmises aux tribus d'Europe, nouvellement installées au milieu des décombres et des vignobles en ruine de la civilisation qu'elles avaient écrasée. Sans ce service des scribes, tout ce qui s'est passé par la suite aurait été impensable. Sans la mission des moines irlandais, qui ont refondé à eux seuls la civilisation européenne sur tout le continent dans les baies et les vallées de leur exil, le monde qui leur a succédé aurait été entièrement différent - un monde sans livres (4).
L'affirmation selon laquelle les moines irlandais ont sauvé la civilisation peut sembler exagérée, mais les archives historiques prouvent le contraire. Bien qu'Agricola ait projeté d'envahir l'Irlande et que des découvertes archéologiques aient mis au jour des traces d'habitation romaine (pièces de monnaie, tombes et outils romains), l'invasion n'a jamais eu lieu. L'Irlande a été laissée tranquille par l'empire et n'a pratiquement pas été affectée par sa chute. Dans la sécurité de l'île, entre les murs de leurs communautés, les moines ont rassemblé et sauvegardé les livres qui avaient été négligés ou détruits sur le continent, préservant ainsi le passé pour l'avenir.