La Cilicie champêtre (Cilicia campestris) était l'un des six districts de la province romaine de Cilicie organisée par Pompée le Grand (c. 106-48 av. J.-C.) en 64 av. J.-C. Le nom se traduit approximativement par "Cilicie des plaines" et correspond au nom antérieur de la région, Cilicie pédicule (Cilicia Pedias), qui signifiait "lisse" ou "plat", par opposition au terrain plus montagneux et difficile de Cilicie Trachée (rebaptisée Cilicia Aspera par Pompée). Les six districts de la Cilicie organisés par Pompée étaient les suivants:
- Cilicie champêtre
- Cilicie rugueuse
- Pamphylie
- Pisidie
- Isaurie
- Lycaonie
La Cilicia Campestris était la plus précieuse d'entre elles en raison de ses plaines fertiles qui produisaient d'abondantes récoltes. Sa capitale était Tarse, une ville antique qui, à l'époque de l'Empire romain, était une métropole riche. Vers 297, sous le règne de Dioclétien (r. de 284 à 305), la Cilicie fut redécoupée. La Cilicia Campestris devint alors Cilicia Prima, la Cilicia Aspera devint la Cilicia Secunda, et un troisième district fut créé sous le nom d'Isauria (Isaurie).
La Cilicie, telle que définie par Dioclétien, resta sous contrôle romain jusqu'à la chute de l'Empire romain d'Occident en 476 de notre ère, date à laquelle elle passa sous la juridiction de l'Empire romain d'Orient (également connu sous le nom d'Empire byzantin), qui la conserva jusqu'en 700 environ, date à laquelle la région fut prise lors de l'invasion musulmane. Le territoire revint ensuite sous contrôle byzantin en 965 jusqu'à la chute de l'Empire byzantin en 1453, après quoi il fut revendiqué par l'Empire ottoman.
La Cilicia Campestris est célèbre en tant que lieu de naissance de Saint Paul de Tarse et le site de ses premières missions évangéliques. Des délégués des communautés chrétiennes de Cilicie participèrent au synode d'Antioche en 268 de notre ère et au concile de Nicée en 325, qui encouragèrent tous deux l'orthodoxie chrétienne dans la région. La Cilicie est aujourd'hui visitée pour l'architecture de ses structures religieuses, mais aussi pour son paysage impressionnant et les résonances de son passé.
Histoire ancienne
Des preuves archéologiques provenant de Cilicie ont permis d'établir que l'habitat humain remonte à environ 9000 ans avant notre ère le long de la côte méridionale, bien qu'il soit probable que des êtres humains aient vécu dans cette région plus tôt. Certains chercheurs (notamment l'archéologue britannique Andrew Colin Renfrew dans son Hypothèse anatolienne) ont suggéré que le proto-indo-européen (l'ancêtre des langues indo-européennes) serait né et se serait répandu en Anatolie, y compris dans la région connue plus tard sous le nom de Cilicie, entre le 7e et le 6e millénaire avant notre ère.
Cette hypothèse est tout à fait probable si l'on considère l'influence des Phéniciens sur la région. Le spécialiste William H. Stiebing Jr. le souligne:
La contribution la plus importante des Phéniciens aux autres cultures a été l'alphabet. Les Phéniciens utilisaient l'alphabet cananéen, descendant direct de l'alphabet proto-cananéen développé au début du deuxième millénaire avant notre ère. Les Phéniciens ont introduit l'alphabet en Cilicie, d'où il s'est peut-être répandu en Anatolie centrale. (253)
L'étendue de la côte de Cilicie sur la Méditerranée aurait été le point de départ de transmissions culturelles telles que l'alphabet par voie maritime, au moment même où des échanges similaires avaient lieu par voie terrestre.
Les peuples Hatti et Louvite habitaient la région vers 2700 avant notre ère, avant et après sa conquête par Sargon d'Akkad (r. de 2334 à 2279 av. J.-C.). Après la chute de l'empire akkadien vers 2083 av. J.-C., les Hatti contrôlaient la région à partir de leur bastion de Hattusa avant l'arrivée des Hittites, qui occupèrent la région de 1700 à 1200 avant notre ère et la connurent sous le nom de Kizzuwatna. Les Assyriens, qui leur succédèrent plus tard, la nommèrent Hilikku, d'où le grec Kilikia et donc Cilicie. Les Assyriens furent suivis par les Perses, Alexandre le Grand, les empires séleucide et lagide, avant l'arrivée de Rome en 103 avant notre ère.
Les pirates ciliciens
Vers la fin de l'empire hittite, les Peuples de la mer firent leur apparition; une alliance de différentes nationalités qui ravagèrent la région vers 1276-1178 avant notre ère et qui sont principalement connus par les inscriptions des pharaons égyptiens Ramsès II (r. de 1279 à 1213 av. J.-C.), Merenptah (r. de 1213 à 1203 av. J.-C.), et Ramsès III (r. de 1186 à 1155 av. J.-C.) qui finirent par les vaincre en 1178 avant notre ère, après quoi ils ne firent plus jamais parler d'eux.
Stiebing (entre autres) affirme que les Ciliciens faisaient partie de cette bande de pirates, notant qu'un peuple connu sous le nom de Danuna figure dans les inscriptions anciennes et qu'il était très probablement originaire de la ville cilicienne d'Adana (224). Si c'est le cas, les Peuples de la mer seraient la première mention de la coalition ultérieure et plus célèbre connue sous le nom de pirates ciliciens.
L'activité des pirates ciliciens est généralement datée comme ayant commencé autour du IIe siècle avant notre ère, mais il est probable que la piraterie des Peuples de la mer ait été poursuivie par d'autres dans la région et que les pirates ciliciens aient opéré bien plus tôt. Il convient également de noter que l'expression "pirates ciliciens" est un terme commode pour désigner une coalition multinationale de voleurs, de kidnappeurs et de brigands qui harcelaient la Méditerranée de la même manière que les Peuples de la mer l'avaient fait des siècles plus tôt. La Cilicie, en particulier la région moins hospitalière de Cilicia Aspera, était tout simplement le siège le plus pratique pour les pirates méditerranéens; tous ces pirates n'étaient pas Ciliciens.
La région avait été sous le contrôle des empires séleucide et lagide mais, à partir de 110 avant notre ère, leur emprise sur la Cilicie s'affaiblit et Tigrane le Grand d'Arménie (r. de 95 à 56 av. J.-C. environ) s'empara de la partie orientale de la région. Tigrane encouragea la colonisation arménienne des terres et, dans le même temps, les Ciliciens profitèrent de l'absence de contrôle gouvernemental pour étendre leurs activités. Les Ptolémées et les Séleucides étaient tous deux conscients du problème de la piraterie, mais ils avaient tenté d'ignorer les problèmes qu'elle causait, car leurs économies dépendaient du commerce des esclaves, qui était l'élement principal de l'activité des pirates.
La République romaine et la Cilicie
Rome tenta pour la première fois de s'attaquer au problème des pirates ciliciens en 140 avant notre ère, en envoyant Scipion Émilien pour évaluer la situation et formuler des recommandations. Scipion recommanda de prendre des mesures immédiates, mais Rome choisit de ne pas agir, probablement parce que les Romains, comme les Séleucides et les Ptolémées, dépendaient fortement du commerce des esclaves. En 103 avant notre ère, Marcus Antonius (143-87 av. J.-C., grand-père de Marc Antoine) s'empara de la Cilicia pédicule dans le cadre d'une campagne contre les pirates. Bien qu'il ait établi la présence romaine dans la région et perturbé les initiatives des pirates, il ne réussit pas à les écraser et, en fait, sa propre fille Antonia serait plus tard enlevée par des pirates ciliciens et retenue contre rançon.
La même chose arriverait au jeune Jules César en 75 avant notre ère, qui s'opposerait à la rançon demandée par les pirates, affirmant qu'il valait bien plus. Entre 78 et 74 avant notre ère, le consul Publius Servilius Vatia (en poste depuis 79 av. J.-C.) lança une campagne contre les Isauriens de Cilicie et, à l'instar d'Antonius, remporta la victoire, mais ne parvint pas à mettre un terme à la piraterie en Cilicie. La tâche revint alors à Pompée le Grand qui s'attaqua au problème des pirates en 67 avant notre ère dans le cadre de sa campagne contre Mithridate VI du Pont (r. de 120 à 63 av. J.-C.).
Mithridate VI s'était allié à Tigrane le Grand d'Arménie (r. de 95 à 56 avant J.-C. environ) sur terre mais avait conclu des pactes avec les pirates ciliciens pour harceler les Romains sur la mer. Les pirates ciliciens perturbaient le commerce, attaquaient les villes côtières et enlevaient des Romains libres, des Grecs et toute autre personne qu'ils pouvaient forcer à monter sur leurs navires pour les vendre comme esclaves. Les Romains avaient déjà tenté d'endiguer les pirates sur terre, mais Pompée décida de les combattre en mer.
Il divisa la Méditerranée en treize districts, chacun patrouillant avec sa propre flotte et son propre commandant. Lorsque les pirates de chacun de ces districts étaient vaincus, leurs équipages étaient interrogés pour obtenir des informations sur les ports et les criques cachés des autres, qui étaient ensuite capturés et, s'ils ne se soumettaient pas, étaient tués. En 66 avant notre ère, Pompée avait écrasé les pirates ciliciens, même si la piraterie en Méditerranée allait continuer à poser des problèmes par le biais d'autres agences pendant les siècles à venir.
Les pirates qui s'étaient rendus furent réinstallés en Cilicie Champêtre qui, comme on l'a vu, n'était que le district central des six districts créés par Pompée en Cilicie proprement dite, laquelle fut reconnue comme province romaine en 64 avant notre ère, l'île de Chypre ayant été ajoutée au territoire en 58 avant notre ère. La guerre civile entre César et Pompée interrompit toute action romaine dans la région, mais après sa victoire, César réorganisa la province en 47 avant notre ère, en redécoupant et en reliant plus étroitement la Cilicie à la Syrie. En 27 avant notre ère, Auguste (r. de 31 av. J.-C. - 14 ap. J.-C.) unit la Cilicie à la Syrie pour former la province de Syrie-Cilicie-Phénicie, combinant ainsi les deux régions. C'est pour cette raison que les villes ciliciennes, notamment Tarse, sont souvent citées par les historiens de l'Antiquité comme étant syriennes.
La province de l'empire
Auguste consolida son nouvel empire et en élargit les frontières. Ses efforts en Syrie-Cilicie-Phénicie n'étaient qu'un aspect d'une entreprise beaucoup plus vaste, puisqu'il lança des campagnes au-delà du Rhin et étendit les territoires de Rome afin d'établir fermement les frontières et de stabiliser l'intérieur de l'empire. Les provinces étaient définies comme sénatoriales ou impériales: les provinces sénatoriales, celles situées à l'intérieur des frontières, avaient des gouverneurs nommés par le Sénat romain tandis que, dans les provinces impériales situées aux frontières de l'empire (comme la Cilicie), seul l'empereur avait le pouvoir de nommer un gouverneur. Certains de ces gouverneurs servirent avec distinction, mais ce n'était pas toujours le cas. Un gouverneur du Ier siècle de notre ère, Cossutianus Capito, fut accusé par les Ciliciens d'extorsion et de corruption et, après avoir été reconnu coupable, fut déchu de son titre de sénateur, du moins pour un temps.
L'idée de la province impériale était de limiter les nominations à des hommes à la loyauté assurée, plutôt que de céder à la tentation de lever des troupes et de défier l'empereur. C'est précisément ce qui se produisit pendant la crise du IIIe siècle (235-284 de notre ère), lorsque des "empereurs soldats" prirent le pouvoir à Rome de manière systématique. Les frontières étaient également les zones les plus ouvertes à l'innovation et aux croyances religieuses, et c'est là que la plupart des sectes qui fleurirent au 1er siècle de notre ère trouvèrent leurs premiers adeptes. La religion d'État de Rome faisait partie intégrante du foyer et de la vie publique - ce qui n'était pas différent dans les provinces et dans la capitale - mais plus une communauté était éloignée, plus certaines personnes semblaient se sentir libres d'explorer l'expression religieuse.
La religion en Cilicie
En Cilicie, l'une de ces personnes était Saul de Tarse (alias Paul), citoyen romain du fait de sa naissance dans une province romaine, mais juif cilicien dévot. La Cilicie comptait un nombre important de communautés juives qui étaient libres de pratiquer leur culte comme elles l'entendaient, conformément à un édit de Jules César maintenu par Auguste. Le judaïsme interdisait à ses adeptes de sacrifier aux dieux romains, affirmant qu'il n'y avait qu'un seul vrai Dieu, et se séparait en outre des païens par des traditions telles que le régime casher, la circoncision et la confiance dans la révélation scripturaire de la volonté de Dieu. Les non-Juifs (appelés Gentils) de Cilicie étaient attirés par cette religion pour un certain nombre de raisons, notamment son code moral et sa croyance en un dieu unique.
Selon le livre biblique des Actes des Apôtres, Saul, jeune homme, avait été envoyé à Jérusalem pour étudier et était devenu un pharisien, un adepte et un enseignant du judaïsme orthodoxe (Actes 22:3). Il persécutait les membres d'une secte religieuse de Jérusalem appelée les Galiléens et se rendait à Damas pour en savoir plus lorsqu'il vécut une profonde transformation. Il entendit une voix qui s'identifia comme étant celle de Jésus-Christ et qui lui demanda pourquoi Saul le persécutait, puis il tomba à terre, aveuglé (Actes 9:3-9). Contrairement à ce que l'on pense généralement, Saul ne changea pas son nom en Paul. Paul était très probablement son nom romain, comme le suggère Actes 13:9, qui déclare que "Saul était aussi appelé Paul" et qui laisse entendre que cela s'était produit avant sa conversion.
Paul entreprit de convertir le monde antique à la religion de Jésus-Christ telle qu'elle lui avait été révélée après sa conversion, et ses missions commencèrent en Cilicie romaine. Les sympathisants juifs (également appelés sabbatistes parce qu'ils observaient le sabbat juif) furent parmi les premiers convertis de Paul, car la religion qu'il prêchait était fondamentalement un judaïsme sans loi. Ces païens pouvaient adopter la morale, le rituel et le jour de repos qu'ils avaient trouvés si attrayants dans le judaïsme sans se convertir complètement, et comme la religion de Paul était de plus en plus acceptée, la crainte de perdre le contact avec la famille et les amis diminuait considérablement.
Le christianisme s'épanouit en Cilicie Champêtre ainsi que dans la grande Cilicie et, après que Rome eut légitimé la religion au 4e siècle de notre ère, les évêques ciliciens participèrent au synode d'Antioche en 268 de notre ère (qui défendit la divinité de Jésus, entre autres points théologiques) ainsi qu'au célèbre concile de Nicée en 325 de notre ère, qui officialisa le christianisme orthodoxe. Le judaïsme resta populaire en Cilicie et le mithraïsme continua d'être pratiqué, de même que le zoroastrisme et d'autres religions à mystères, dont l'ancienne foi des Hatti qui vénéraient une déesse mère connue à cette époque sous le nom de Cybèle, mais qui aurait pu être la même divinité connue auparavant sous le nom d'Atheh.
La Cilicie byzantine
En 72 de notre ère, Vespasien avait réuni la Cilicie champêtre et les autres districts de Pompée avec la Cilicie rugueuse, une région rude et relativement isolée. La région resta unifiée pendant toute la durée de l'Empire romain d'Occident, et plusieurs empereurs y laissèrent leur empreinte. L'empereur Hadrien (r. de 117 à 138 de notre ère) nomma la province Hadriana, et Dèce (r. de 249 à 251 de notre ère) la rebaptisa Decia. Constance II (r. de 337 à 361 de notre ère) construisit le pont Misis sur la rivière Pyramus (l'actuelle rivière Ceyhan) dans la ville de Mopsuestia. Le pont fut rénové et restauré par Justinien Ier (r. de 527 à 565) et est toujours utilisé de nos jours.
Pendant la période de la République et de l'Empire, la Cilicie se livra au même type de commerce que par le passé, exportant des olives, du vin, des céréales, des grains, des haricots, du poisson, des tentes et du cilicium, une étoffe grossière en poils de chèvre utilisée principalement pour la fabrication des tentes. Sous le nom de"cilice", ce tissu devint populaire parmi les chrétiens qui le portaient en guise de pénitence, soit ouvertement, soit sous leurs vêtements, et il demeura un produit d'exportation important jusqu'au Moyen Âge (c. 476-1500).
Lorsque l'Empire romain d'Occident s'effondra en 476, la Cilicie fut intégrée à l'Empire byzantin d'Orient. Les Byzantins défendirent la région contre les envahisseurs musulmans tout au long du VIIe siècle, mais elle finit par être conquise vers 700. La Cilicie devint un no man's land frontalier entre les forces chrétiennes byzantines et les forces arabo-musulmanes, les musulmans utilisant fréquemment la région comme zone de transit pour lancer des raids sur les terres byzantines à la recherche de butin et d'esclaves.
Les raids étaient orchestrés si rapidement que les Byzantins ne pouvaient pas s'en défendre, jusqu'à ce qu'enfin, au Xe siècle, les Byzantins ripostent sous la direction de leur empereur guerrier Nicéphore II Phocas (r. de 963 à 969). Nicéphore envahit la Cilicie, chassant les forces musulmanes devant lui, et rétablit le contrôle byzantin sur la région en 965, refortifiant la forteresse montagneuse de Sis. La Cilicia Prima et le reste de la région prospérèrent ensuite pendant des siècles, attirant finalement des colons arméniens qui s'allièrent aux Byzantins pour former le royaume arménien de Cilicie (1080-1375), un allié important des Européens lors de la première croisade (1096-1099). Après la chute de l'Empire byzantin en 1453, la région fut rattachée à l'Empire ottoman, qui la conserva jusqu'à la fin de la Première Guerre mondiale, date à laquelle elle fut intégrée à la République de Turquie.
La riche histoire de la Cilicie continue de susciter l'intérêt des gens de nos jours. Outre sa résonance ancienne pour les personnes de différentes confessions dans le monde, elle est également devenue un lieu de pèlerinage, avec d'autres parties de la Cilicie, pour ceux qui ont perdu des membres de leur famille lors du génocide arménien (c. 1914 - vc 1923) de l'Empire ottoman. La région est fréquemment visitée par les touristes pour les impressionnantes églises arméniennes qui n'ont pas été converties en mosquées, les remarquables mosquées elles-mêmes, ainsi que les anciennes ruines de routes, de bâtiments, de portes et de temples romains datant d'une époque antérieure à l'existence même de l'une ou l'autre religion.