Hipparque de Nicée (c. 190 - c. 120 av. J.-C.) était un astronome, géographe et mathématicien grec considéré comme le plus grand astronome de l'Antiquité et l'un des plus grands de tous les temps. Il est surtout connu pour sa découverte de la précession des équinoxes et a contribué de manière significative au domaine de l'astronomie à tous les niveaux.
Il vit le jour à Nicée, ville de la région de Bithynie en Asie Mineure (Turquie actuelle), et serait mort à Rhodes; on ne sait rien d'autre de sa vie. La quasi-totalité de ses œuvres a été perdue et ses contributions ne sont connues qu'à travers les œuvres d'écrivains ultérieurs, dont Strabon (64 av. J.-C. - c. 24 de notre ère), Pline l'Ancien (c. 23-79 de notre ère), Claude Ptolémée (100-170 de notre ère), Pappus d'Alexandrie (c. 290-c. 350 de notre ère) et Théon d'Alexandrie (c. 225 - c. 405 de notre ère). L'Almageste de Ptolémée (100-170 de notre ère), largement inspiré des travaux d'Hipparque, devint le texte astronomique de référence pendant près de 2 000 ans. Théon note qu'une partie de son commentaire sur l'œuvre de Ptolémée avait été préparée par sa fille Hypatie d'Alexandrie (c. 370-415 de notre ère).
Hipparque s'inspira des travaux de penseurs grecs antérieurs tels que les philosophes présocratiques, Aristarque de Samos (c. 310 - c. 230 av. J.-C.), Eratosthène (c. 276-195 av. J.-C.) et Archimède de Syracuse (c. 287-212 av. J.-C.), ainsi que de sources babyloniennes et égyptiennes qu'il avait examinées selon sa propre méthodologie rigoureuse afin d'en confirmer l'exactitude. Il examinait régulièrement les conclusions de ses prédécesseurs pour s'assurer qu'elles étaient correctes et semble avoir souvent été un critique sévère.
Il aurait inventé ou développé la trigonométrie, créé la carte stellaire la plus complète de son époque, calculé la position, la taille et l'orbite du Soleil, de la Lune et des planètes, et il est l'un des plus sérieux prétendants à l'honneur d'avoir inventé la machine d'Anticythère, considéré comme le premier ordinateur analogique au monde. Aujourd'hui, il est l'un des astronomes grecs les plus réputés et est considéré par de nombreux spécialistes comme le plus grand de toute l'Antiquité.
Astronomie babylonienne, égyptienne et présocratique
Bien qu'Hipparque soit connu pour s'être inspiré des travaux astronomiques mésopotamiens et égyptiens, il ne fut pas le premier astronome grec à le faire. Les philosophes présocratiques de l'école ionienne auraient eu accès aux textes babyloniens et égyptiens avant environ 585 avant notre ère. Ces penseurs vivaient et travaillaient dans les colonies grecques d'Ionie, sur la côte ouest de l'Asie mineure (l'actuelle Turquie), et Aristote (384-322 av. J.-C.) leur donna le nom collectif d'Ioniens dans son résumé de leurs travaux. Il les répertoria comme suit:
- Thalès de Milet (c. 585 av. J.-C.)
- Anaximandre (c. 610-546 av. J.-C.)
- Anaximène (c. 546 av. J.-C.)
- Héraclite d'Éphèse (c. 500 av. J.-C.)
- Anaxagore (c. 500 - c. 428 av. J.-C.)
- Archélaos (vers le 5e siècle av. J.-C.)
Le philosophe Pythagore (571 - 497 av. J.-C.) est souvent considéré comme un Ionien, car il était originaire de l'île voisine de Samos. Thalès aurait étudié à Babylone et Pythagore aurait voyagé et appris des sages en Égypte. L'expert T.L. Heath commente :
Il est naturel de se demander dans quelle mesure les Grecs étaient redevables des débuts de leur astronomie aux civilisations plus anciennes de Babylone et d'Égypte, sans parler de la Chine... C'est avec les Babyloniens et les Égyptiens que les Grecs ioniens entretenaient des relations directes. (xiii-xiv)
Les Ioniens concentrèrent leurs efforts sur la découverte de la Cause première de l'existence et cette quête les conduisit à l'observation et à la spéculation astronomiques. Dans son Théétète, Platon (428/427-348/347 av. J.-C.) raconte comment Thalès fut raillé par une servante pour être tombé dans un puits alors qu'il regardait les étoiles en l'air, "déclarant qu'il était désireux de connaître les choses du ciel, mais que ce qui était derrière lui et juste à côté de ses pieds lui échappait (174a)". Ses observations et ses calculs lui permirent toutefois de prédire avec précision l'éclipse de soleil du 28 mai 585 avant notre ère.
Les travaux de Thalès, comme ceux des autres, n'existent qu'à l'état de fragments, mais des auteurs ultérieurs suggèrent qu'ils s'appuyaient largement sur les travaux astronomiques antérieurs de l'Égypte et, surtout, de la Mésopotamie. Dès le deuxième millénaire avant notre ère, on sait que les Babyloniens dressaient des cartes du ciel en prenant Vénus comme point de départ. Les Ioniens travaillaient avec des systèmes d'observation déjà établis, mais, comme le fait remarquer Heath :
Pour autant que nous puissions en juger, les Grecs étaient originaux et indépendants (1) dans leurs spéculations cosmologiques et (2) dans leurs théories astronomiques. (liv)
Les premiers travaux des Ioniens furent ensuite développés par des auteurs ultérieurs tels que Philolaos de Crotone (c. 470 - c. 385 av. J.-C.), Platon et Aristote. Les théories astronomiques d'Aristote devinrent la norme à laquelle toute nouvelle affirmation était mesurée et furent les plus influentes pour orienter, et aussi limiter, les observations d'Hipparque.
Vision d'Aristote
Aristote soutenait que la Terre était le centre de l'univers (modèle géocentrique) autour duquel le soleil, la lune et les planètes tournaient dans un mouvement circulaire. Leurs révolutions, affirmait-il, étaient des cercles parfaits et, puisqu'elles semblaient flotter dans l'air, elles devaient être composées d'un élément plus léger que la terre, mais différent de l'eau, de l'air ou du feu qui, selon lui, ne correspondaient qu'à la terre. Cet autre élément, il le définissait comme étant l'éther (αἰθήρ), qui était immuable et parfait, et ces sphères célestes parfaites, en raison de leur nature, tournaient en cercles absolument parfaits à une vitesse constante.
Un problème auquel les premiers astronomes grecs étaient confrontés était de savoir pourquoi les planètes semblaient se déplacer de manière aléatoire, tantôt en avant, tantôt en arrière, tantôt plus brillantes ou plus sombres, et Aristote résolut le problème en affirmant que cela était dû à leur mouvement circulaire. Une planète était plus lumineuse lorsqu'elle se rapprochait de la Terre et plus faible lorsque son mouvement l'en éloignait. Les arguments d'Aristote semblaient si convaincants que son modèle fut accepté comme une représentation exacte de l'univers et que les autres modèles qui le contredisaient furent rejetés.
L'exemple le plus célèbre est le travail d'Aristarque de Samos qui proposait un modèle héliocentrique dans lequel toutes les planètes, y compris la terre, tournaient autour du soleil. Ce modèle étant en contradiction avec celui d'Aristote, il fut rejeté et lorsque Hipparque de Nicée examina la proposition d'Aristarque, il la rejeta pour cette même raison. Un univers héliocentrique ne correspondait pas au modèle établi de planètes éthérées tournant en cercles parfaits.
Progrès de l'astronomie
Bien qu'il ait travaillé à partir d'un modèle inexact du système solaire, les calculs et les observations d'Hipparque n'en étaient pas moins précis. Il s'inspira des travaux antérieurs des Babyloniens et des Égyptiens, mais testa mathématiquement leurs conclusions pour les confirmer au lieu de les accepter comme une vérité acquise. Il fit de même avec les travaux du mathématicien Archimède et du polymathe Eratosthène et critiqua même sévèrement Eratosthène pour ses observations sur la géographie.
La méthodologie et les conclusions d'Hipparque, bien qu'appliquées à un modèle défectueux, lui valurent d'être considéré comme le plus grand astronome de son temps et, plus tard, d'être estimé comme le plus grand de l'Antiquité. Heath décrit brièvement les avancées astronomiques attribuées à Hipparque:
Bien que, dans un sens, les débuts de la trigonométrie remontent à Archimède (Mesure d'un cercle), il est possible de prouver qu'Hipparque fut la première personne à avoir utilisé la trigonométrie de manière systématique. Hipparque, le plus grand astronome de l'Antiquité, dont les observations furent effectuées entre 161 et 126 avant notre ère, découvrit la précession des équinoxes, calcula le mois lunaire moyen à 29 jours, 12 heures, 44 minutes et 2 ½ secondes (ce qui diffère de moins d'une seconde du chiffre actuellement accepté !), fit des estimations plus correctes des tailles et des distances du soleil et de la lune, introduisit de grandes améliorations dans les instruments utilisés pour les observations, et compila un catalogue de quelque 850 étoiles; il semble avoir été le premier à indiquer la position de ces étoiles en termes de latitude et de longitude (par rapport à l'écliptique). Il écrivit un traité en douze livres sur les cordes dans un cercle, équivalent à une table des sinus trigonométriques. Pour calculer des arcs en astronomie à partir d'autres arcs donnés au moyen de tables, il utilisa des propositions de trigonométrie sphérique. (Livingstone, 132)
Nombre de ses conclusions sont encore aujourd'hui reconnues comme solides, en particulier la découverte pour laquelle il est le plus célèbre, la précession des équinoxes. Ce terme désigne la précession axiale, c'est-à-dire le changement de l'axe de rotation d'un corps céleste, appliquée à la Terre. En mesurant la longitude de certaines étoiles connues et en comparant ces mesures avec celles d'astronomes antérieurs, puis en comparant le temps nécessaire au Soleil pour revenir à un équinoxe et à une étoile identifiable, Hipparque conclut que la vitesse de précession était d'environ un degré par siècle et qu'un cycle complet s'effectuait donc en 36 000 ans environ.
Sa découverte lui permit de mieux cartographier les cieux et de prédire quand les différents événements astronomiques étaient susceptibles de se produire. L'établissement de la précession des équinoxes rendit l'univers plus accessible et plus compréhensible. Les planètes ne se déplacent pas au hasard, mais selon leur nature, qui peut être calculée mathématiquement. En dressant la carte du ciel, il mit au point divers instruments pour l'aider, dont l'un pourrait être la célèbre machine d'Anticythère.
Globe céleste et machine d'Anticythère
Hipparque aurait inventé ou amélioré un certain nombre d'instruments astronomiques, dont son globe céleste. Selon Ptolémée, le globe reposait sur un plan plat et était entouré d'une échelle à partir de laquelle une grille le divisait en lignes de 24 heures. On pense qu'il utilisa le globe pour calculer la précession des équinoxes et déterminer les mouvements planétaires, ainsi que pour calculer la durée d'une année (avec une précision de 6,5 minutes). Ses conclusions l'amenèrent à critiquer les travaux d'astronomes antérieurs dans son seul ouvrage conservé, le Commentaire, qui n'inclut malheureusement pas ses calculs.
On pense également qu'il aurait inventé la machine d'Anticythère, ainsi nommé parce qu'elle fut découverte en 1901 au large de l'île grecque d'Anticythère. L'appareil repose sur des principes astronomiques babyloniens et égyptiens et utilise divers cycles astronomiques d'une durée de 19 ans pour calculer la position du soleil, de la lune et des planètes, ainsi que le moment où une éclipse est la plus probable. L'appareil fonctionnait en tournant une manivelle sur le côté, ce qui entraînait le déplacement d'une série d'engrenages et d'un pointeur sur les positions que l'on essayait de calculer. Il suffisait de connaître l'année en cours pour pouvoir prédire avec précision les événements célestes à venir.
Le projet de recherche sur la machine d'Anticythère affirme que le dispositif aurait très probablement été fabriqué par Hipparque, car "on lui attribue l'invention ou l'amélioration de plusieurs instruments astronomiques" et il est donc "très tentant d'associer Hipparque au fabricant du mécanisme, d'autant plus qu'il était contemporain de la date de fabrication du mécanisme, entre 150 et 100 av. J.-C." (1). L'autre choix d'inventeur le plus populaire est celui d'Archimède, dont la réputation d'ingénieur et d'inventeur de génie est largement reconnue. On dit également qu'Archimède aurait amélioré ou inventé des instruments astronomiques et, jusqu'à ce que d'autres informations soient disponibles, la question continue d'être débattue par les spécialistes.
Mathématiques et géographie
Qu'Hipparque ait inventé ou développé la trigonométrie ou non, il est reconnu comme le premier à avoir largement utilisé ses principes pour créer des modèles astronomiques. Il est possible qu'il ait utilisé la trigonométrie pour inventer l'astrolabe, un modèle de l'univers utilisé pour calculer les mouvements planétaires et les éclipses. Bien qu'il ait rejeté le modèle héliocentrique d'Aristarque, il reconnut la valeur de ses estimations de la taille et de la distance du Soleil et de la Lune par rapport à la Terre et les améliora grâce à des calculs mathématiques plus précis.
Comme il l'avait fait pour les travaux babyloniens et égyptiens, il fit de même avec ceux de ses prédécesseurs et, pour la plupart, les critiqua. Il recalcula le mouvement de la Lune et ce qu'il interpréta comme le mouvement du Soleil et établit que les éclipses lunaires étaient possibles tous les cinq mois et les éclipses solaires tous les sept mois. Ses compétences mathématiques lui permirent également de créer sa carte des étoiles, qui lui permit ensuite d'évaluer la magnitude des étoiles sur une échelle allant de la plus faible (la plus éloignée) à la plus brillante (la plus proche). Sa carte des étoiles fut l'une des sources utilisées par Ptolémée dans son Almageste, considéré comme une source fiable en matière d'astronomie jusqu'à la Renaissance européenne.
Appliquant ses principes mathématiques à la géographie, il s'attaqua aux travaux d'Ératosthène dans un manuscrit en trois volumes, intitulé Contre la géographie d'Ératosthène, perdu mais largement conservé par le géographe Strabon (64 av. J.-C. - v. 24 av. J.-C.) dans sa Géographie. Ératosthène avait écrit un ouvrage de géographie en trois volumes dans lequel il tentait de dresser une carte du monde et indiquait les distances entre différents points. Selon Strabon, Hipparque critiqua l'ouvrage pour un certain nombre de défauts, dont l'imprécision des mesures. Strabon était tour à tour d'accord avec la critique d'Hipparque ou la rejetait comme étant trop sévère et peu convaincante. Plusieurs de ses commentaires suggèrent qu'Hipparque avait peut-être une réputation d'arrogance et qu'il ne tolérait guère l'imprécision des travaux d'autrui:
Dans tous ces arguments, Hipparque parle en tant que géomètre, bien que son test d'Ératosthène ne soit pas convaincant. Et bien qu'il se soit imposé les principes de la géométrie, il s'en absout en disant que, si le test montrait des erreurs ne représentant que de petites distances, il pourrait les négliger ; mais comme les erreurs d'Ératosthène représentent clairement des milliers de stades, elles ne peuvent pas être négligées. (II.i.35)
Strabon critique ensuite Hipparque pour la même imprécision qu'il condamne, affirmant qu'Hipparque ne cite pas directement Ératosthène dans sa critique, mais se contente de paraphraser ses affirmations ou même de les "inventer" pour les rendre plus faciles à réfuter (II.1.22). Bien que Strabon approuve l'objectif d'Hipparque qui tente de corriger les erreurs antérieures, il note comment "il montre sa propension à trouver des fautes", ce qui suggère qu'il aurait attaqué d'autres auteurs de la même manière (II.1.36). Ceci est corroboré par le texte d'Hipparque (Commentaire) qui a survécu et qui critique Aratus et Eudoxe.
Conclusion
Hipparque semble en fait avoir suivi cette voie avec bon nombre de ses prédécesseurs, corrigeant ce qu'il considérait comme leurs erreurs en établissant un modèle de la Terre et de l'univers qui, une fois adopté par Ptolémée, allait permettre aux hommes de comprendre ces deux éléments pendant près de 2 000 ans. Tout comme Aristote, Hipparque créa une norme selon laquelle les futures affirmations astronomiques seraient acceptées ou rejetées.
L'Almageste de Ptolémée, largement inspiré des travaux d'Hipparque (comme nous l'avons vu), ne fut pas contesté jusqu'à ce que Nicolas Copernic (1473-1543) publie son ouvrage Sur la révolution des sphères célestes, suggérant le modèle héliocentrique de l'univers proposé plus tôt par Aristarque de Samos. Les travaux de Copernic déclenchèrent la révolution scientifique et inspira d'autres chercheurs, dont Tycho Brahe (1546-1601), Johannes Kepler (1571-1630) et Galileo Galilei (1564-1642), qui jetèrent les bases sur lesquelles Sir Isaac Newton (1642-1727) s'appuya pour prouver mathématiquement que le modèle héliocentrique était correct.
Bien que, comme nous l'avons vu, Hipparque travaillait à partir d'un modèle erroné, ses calculs dans ce cadre étaient remarquablement précis et il aurait sans aucun doute fait des progrès encore plus importants s'il n'avait pas été limité par le modèle aristotélicien qu'il ne put rejeter. Même en tenant compte de ce handicap, ses contributions à l'astronomie sont encore reconnues comme les plus impressionnantes de l'Antiquité et continuent d'être très appréciées aujourd'hui. En 2004, il a été admis à l'International Space Hall of Fame au New Mexico Museum of Space History à Alamogordo, au Nouveau-Mexique, aux États-Unis, et un cratère lunaire a été nommé en son honneur.