Télésille d'Argos était une poétesse lyrique du Ve siècle avant notre ère, citée par Antipater de Thessalonique (c. 15 av. J.-C.) comme l'une des neuf grandes poétesses lyriques de Grèce (avec Praxilla, Moïro, Anytè, Sappho, Érinna, Corinne, Nossis et Myrtis). Elle est à l'origine de l'innovation métrique de la poésie lyrique connue sous le nom de mètre télésilléen. Antipater écrit:
Ce sont les femmes à la langue divine qui ont été élevées
sur les hymnes de l'Hélicon et sur le rocher de Macédoine:
Praxilla, Moiro, Anytè, la Homère au féminin,
Sappho, l'ornement des femmes lesbiennes à la robe claire,
Érinna, la célèbre Télésille, et toi, Corinne,
qui a chanté le bouclier d'Athéna,
Nossis, la jeune fille à la gorge chaude, et Myrtis, la voix douce,
Toutes façonneuses de la page éternelle.
Neuf Muses, le grand Ouranos en a porté neuf, neuf aussi, Gaïa, pour être une joie éternelle pour les mortels (Anthologie Palatine, 9.26).
Dans sa jeunesse, elle était continuellement malade et consulta les dieux pour qu'ils l'aident à retrouver la santé. L'oracle lui répondit qu'elle devait se consacrer aux Muses, et Télésille se consacra donc à l'étude de la poésie et de la musique. Elle fut bientôt guérie et devint une grande poétesse lyrique. De l'œuvre considérable qu'elle produisit, il ne reste que deux vers cités par l'ancien grammairien Héphestion d'Alexandrie dans son Manuel de métrique (c, 96 de notre ère). On trouve cependant des références à elle dans les œuvres de Pausanias (c. 110-180 de notre ère), de Plutarque (45-120 de notre ère), d'Athénée (vers le IIIe siècle de notre ère) et dans l'ouvrage Bibliotheca attribué (à tort) à Apollodore d'Alexandrie (IIe siècle de notre ère), entre autres. Cette artiste extrêmement influente est toujours citée avec respect par d'autres auteurs anciens, quel que soit le sujet abordé.
Télésille et le salut d'Argos
Célèbre de son vivant pour sa poésie, elle fut également respectée par les écrivains ultérieurs pour avoir chassé les forces spartiates de sa ville natale d'Argos en 494/493 avant notre ère. Télésille semble avoir été en train de travailler sur un poème lorsque les hostilités commencèrent. Le roi spartiate Cléomène Ier consulta l'oracle d'Apollon pour savoir ce qui se passerait s'il marchait sur Argos, et on lui assura qu'il s'en emparerait. Il fut accueilli sur le champ de bataille par les Argiens à Sepeia et, par la ruse, prit les troupes par surprise, en massacra un grand nombre et chassa les survivants du champ de bataille. Ces soldats argiens se réfugièrent dans le bosquet sacré d'Argos et demandèrent l'asile au dieu. Cléomène interrogea ses prisonniers argiens pour connaître les noms de ceux qui se cachaient et, une fois qu'il eut ces noms, envoya un héraut pour les appeler personnellement et garantir leur sécurité. Lorsque chaque homme sortait du sanctuaire, Cléomène le faisait tuer. Cela dura jusqu'à ce que l'un des hommes restés dans le bois sacré ne grimpe sur un arbre et ne voie ce qui se passait à l'extérieur du sanctuaire. Par la suite, bien sûr, aucun autre Argien ne répondit à l'appel de Cléomène. Comme il ne parvenait pas à faire sortir d'autres Argiens de leur plein gré, il mit le feu au bosquet et brûla le reste des hommes. Hérodote rapporte que, tandis que les flammes montaient, il demanda à l'un des déserteurs argiens pour quel dieu le bosquet était sacré. Lorsque l'homme répondit qu'il s'agissait du bosquet d'Argos, Cléomène gémit et dit : "Apollon, dieu de la prophétie, tu m'as gravement induit en erreur lorsque tu as prédit que je m'emparerais d'Argos; je pense que ta prédiction s'est maintenant réalisée"(Histoires, VI.80).
(Histoires, VI.80)
Même si l'oracle semblait indiquer qu'il ne conquerrait que le sanctuaire d'Argos, il quitta le bosquet et marcha sur la ville. Télésille apprit ce qui était arrivé aux hommes de l'armée et mobilisa les femmes, les jeunes et les anciens d'Argos pour la défense de la ville. Plutarque écrit:
Aucune action menée par des femmes pour le bien commun n'est plus célèbre que le conflit contre Cléomène par les femmes d'Argos, qu'elles ont mené à l'instigation de la poétesse Télésille. Lorsque Cléomène, roi de Sparte, eut tué de nombreux Argiens (mais pas, comme certains l'ont imaginé, sept mille sept cent soixante-dix-sept) et qu'il marcha sur la ville, un courage impulsif, divinement inspiré, poussa les jeunes femmes à défendre leur pays contre l'ennemi. Avec Télésille comme général, elles prirent les armes et firent leur défense en gardant les murs autour de la ville, et l'ennemi fut stupéfait. Elles repoussèrent Cléomène après lui avoir infligé de nombreuses pertes. Ils repoussèrent également l'autre roi spartiate, Démarate, qui, selon l'historien argien Socrate, parvint à pénétrer dans la ville et à s'emparer du Pamphylacium. Après avoir sauvé la ville, elles enterrèrent les femmes tombées au combat sur la route des Argiens et, en souvenir des exploits des femmes épargnées, elles consacrèrent un temple à Arès Enyalius ... Jusqu'à aujourd'hui, ils célèbrent la fête de l'impudence (Hybristika) le jour anniversaire [de la bataille] en mettant aux femmes des tuniques et des manteaux d'hommes et aux hommes des robes et des couvre-chefs de femmes. (Moralia 245c-f).
Les actions de Télésille furent interprétées par d'autres auteurs comme l'accomplissement d'une prophétie de l'oracle, mentionnée par Hérodote, concernant Argos. Pausanias écrit:
Au-dessus du théâtre [d'Argos] se trouve un temple d'Aphrodite et, devant la statue assise de la déesse, une stèle gravée à l'effigie de Télésille, l'auteure de poèmes. Ces derniers sont comme jetés à ses pieds et elle-même regarde un casque qu'elle tient à la main et qu'elle s'apprête à mettre sur sa tête. Télésille était célèbre parmi les femmes pour ses poèmes, mais elle l'était encore plus pour l'exploit suivant.
Ses concitoyens avaient subi un désastre indescriptible aux mains des Spartiates de Cléomène, fils d'Anaxandridas. Certains étaient tombés au combat et d'autres, qui s'étaient réfugiés dans le bosquet d'Argos, s'étaient d'abord aventurés dans le cadre d'une trêve, avant d'être brûlés à mort lorsque Cléomène avait mis le feu au bosquet. C'est ainsi que Cléomène, se rendant à Argos, mena ses Lacédémoniens contre une ville de femmes.
Mais Télésille prit tous les esclaves et tous les citoyens mâles qui, par leur jeunesse ou leur âge, n'avaient pu porter les armes, les fit garder les murs et, rassemblant toutes les armes de guerre qui avaient été laissées dans les maisons ou suspendues dans les temples, elle arma les femmes les plus jeunes et les rassembla à un endroit qu'elle savait être le passage de l'ennemi. Là, sans se laisser décourager par le cri de guerre, les femmes tinrent bon et combattirent avec la plus grande détermination, jusqu'à ce que les Spartiates, estimant que le massacre d'une armée de femmes serait une victoire équivoque et qu'une défaite de leur part serait un déshonneur autant qu'un désastre, ne déposent les armes. Cette bataille avait été prédite par la prêtresse pythique, et Hérodote [VI. 77], qu'il l'ait compris ou non, cite l'oracle comme suit:Quand le mâle par la femelle est mis en fuite
Et que le nom d'Argos est honoré
Beaucoup d'épouses argiennes se montreront
Les deux joues marquées par les cicatrices du malheur.Telle est la partie de l'oracle qui se réfère aux femmes.
Débat historique sur la bataille
Les historiens ont mis en doute la validité de l'histoire de Télésille et des Spartiates pendant des siècles, notant le fait qu'Hérodote, dans le livre VI de ses Histoires, raconte l'assaut de Cléomène sur Argos et le massacre des Argiens, et fait même référence à l'oracle, mais ne mentionne pas Télésille. Comme Hérodote était toujours désireux d'inclure une bonne histoire dans ses Histoires, il aurait inclus les exploits de Télésille s'ils s'étaient réellement produits. Il a également été noté qu'Hérodote se donne beaucoup de mal pour admirer les exploits d'Artémise Ire de Carie à la bataille de Salamine en 480 avant notre ère et qu'il n'aurait donc eu aucun scrupule à inclure l'héroïsme d'une femme dans son œuvre. Parmi les autres aspects de l'histoire remis en question, il y a l'improbabilité que les femmes aient tenu les murs de la ville contre une force d'invasion, en particulier une force aussi redoutable que les Spartiates.
L'historienne Jane McIntosh Snyder cite l'érudit Lisi qui affirme que c'est la poésie martiale de Télésille qui incita la ville d'Argos à résister aux Spartiates et non un acte physique réel de sa part ou de la part des femmes qui l'auraient suivie. Lisi cite l'écrivain du IIe siècle de notre ère, Maxime de Tyr, qui écrivit que "les Spartiates furent réveillés par les poèmes de Tyrtée, les Argiens par les chants de Télésille" (62). Snyder, cependant, écarte cette possibilité en citant le fait qu'il n'existe aucune trace de Télésille composant de la poésie martiale et que "son domaine principal était la poésie religieuse plutôt que les chants de guerre" (62). Snyder souligne en outre que Maxime de Tyr ne dit jamais que Télésille avait composé de la poésie martiale, mais seulement que les Argiens avaient été inspirés par ses chants. Il est également intéressant de noter pourquoi Maxime de Tyr mentionnerait quel poète aurait inspiré quel camp dans le conflit si ce conflit n'avait jamais eu lieu. L'historien Marcel Pierat est d'accord avec Snyder, écrivant que l'histoire de Télésille et de sa victoire contre les Spartiates:
...ne manque pas de parallèles réalistes. Sur le bouclier d'Achille, les femmes, les jeunes enfants et les vieillards se tenaient sur les remparts et les défendaient tandis que les hommes partaient combattre hors des murs. Les textes historiques mentionnent plus d'un combat mené du haut des toits par des femmes qui jetaient des tuiles et des pierres sur les assaillants. Le fait qu'elles [les femmes d'Argos] soient présentes sur les remparts constitue en soi moins un exploit que le fait de revêtir l'armure des hommes et de prendre leur place après l'anéantissement de l'infanterie argienne (Hérodote et son monde, 278-279).
Snyder conclut qu'il n'y a "rien d'intrinsèquement improbable dans le récit de Pausanias" (62) et souligne qu'"au deuxième siècle de notre ère, ses poèmes étaient encore en circulation quelque sept cents ans après sa mort" (59). Le fait que son nom ait été célèbre à la fois pour ses écrits et pour ses exploits à Argos contre les Spartiates suggère fortement que le récit de Télésille menant les femmes de la ville au combat est basé sur un événement historique.
Suites de la bataille et héritage de Télésille
Plutarque note qu'après la bataille:
Pour rétablir l'équilibre des sexes dans la ville, ils ne marièrent pas les femmes à des esclaves (contrairement à ce qu'affirme Hérodote), mais aux meilleurs hommes des villes environnantes, qu'ils firent citoyens d'Argos. Les femmes semblaient ne pas respecter leurs maris et les méprisaient lorsqu'elles couchaient avec eux, comme s'ils étaient inférieures. Ils adoptèrent donc une loi stipulant que les femmes à barbe devaient passer la nuit avec leurs maris.
La référence aux "femmes à barbe" est censée désigner les femmes qui s'étaient battues pour la ville comme si elles étaient des hommes. Les vétéranes semblent avoir refusé de revenir à leur ancien statut de soumission aux souhaits de leur mari, et des lois durent donc être promulguées pour ramener la communauté aux mœurs traditionnelles qui existaient avant la bataille et la montée en puissance des femmes dans la défense d'Argos. Marcel Pierat souligne qu'après la bataille, "les rôles sexuels et les rôles des classes sociales furent échangés" (282), et le chaos qui avait menacé l'ordre social aurait dû être corrigé par une sorte d'édit.
On ne sait pas ce qu'il advint de Télésille après son engagement contre les Spartiates, mais elle continua à servir de modèle d'héroïsme pendant des siècles. Clément d'Alexandrie (c. 150-215 de notre ère) conservait un ancien poème sur son héroïsme, qui contient les vers suivants: "On dit que les femmes d'Argos, sous la conduite de la poétesse Télésille, par leur simple apparence, ont mis en fuite les Spartiates, forts à la guerre, et se sont montrées intrépides face à la mort". Sa réputation de courage était telle que, près de 700 ans après l'événement, on continue à se souvenir d'elle et à l'honorer.