Enlil (également connu comme Ellil ou Nunamnir) était le dieu sumérien de l'air dans le panthéon mésopotamien, mais il était plus puissant que toutes les autres divinités élémentaires et fut finalement adoré comme le roi des dieux. Il est présenté dans un certain nombre de textes mésopotamiens importants comme le plus grand des dieux après son père.
Il était le fils du dieu des cieux Anu (ou An) et, avec Anu et Enki (dieu de la sagesse), il formait une triade qui gouvernait les cieux, la terre et le monde souterrain, ou autrementt, l'univers, le ciel et l'atmosphère, et la terre. Après Anu, Enlil était le plus puissant des dieux mésopotamiens, gardien des Tablettes des Destins qui contenaient les destins des dieux et de l'humanité. Il était considéré comme une force imparable dont les décisions ne pouvaient être remises en question.
Le siège central du culte d'Enlil était le temple appelé 'Maison-Montagne', à Nippur, mais il était également honoré à Babylone et dans d'autres villes. Il était le seul dieu ayant un accès direct à Anu, qui contrôlait l'univers et était très respecté pour cette position. Mais en même temps, ses décisions semblaient être définitives, sans référence à Anu, ainsi l'influence d'Anu sur Enlil reste peu claire.
Bien que son nom se traduise par 'Seigneur de l'Air', il était clairement considéré comme bien plus qu'un dieu du ciel. Il est appelé 'Père du peuple aux têtes noires' (les Sumériens) et 'Père des dieux' dans certaines inscriptions. Mais d'autres textes anciens indiquent clairement qu'Enki conçut la création des êtres humains et que les dieux naquirent soit d'Anu et d'Uras (le Ciel et la Terre) soit, selon l'Enuma Elish babylonien, d'Apsu et de Tiamat (l'Eau douce et l'Eau salée) ou de leurs enfants Anshar et Kishar (également Ciel et la Terre). Le Pr. Stephen Bertman tente de clarifier la position d'Enlil, en écrivant :
Si Anu était le président céleste du conseil d'administration, Enlil était le PDG céleste de la société. Son siège social cosmique était basé à Nippur. Son assistant exécutif était son fils Nuska. Enlil/Ellil était un père de famille, marié à Ninlil (appelée aussi Sud), avec laquelle il éleva une progéniture comprenant, entre autres, le dieu de la lune Nanna/Sin, le dieu du soleil Utu-Shamash, le dieu de la météo Ishkur/Adad et la déesse de l'amour Inanna/Ishtar. (118)
Bien que cette explication puisse clarifier quelque peu la situation, Enlil est aussi parfois désigné comme le fils d'Enki et de Ninki (Seigneur et Dame Terre, et non Enki, le dieu de la sagesse). Enki dieu de la sagesse, est établi comme étant le frère jumeau d'Ishkur/Adad, ce qui en ferait un autre fils d'Enlil, ce qu'il n'était pas.
De plus, bien qu'Inanna soit fréquemment décrite comme une fille d'Enki, elle est également mentionnée comme l'enfant d'Enlil. Toutes ces contradictions apparentes proviennent de la longue histoire de la Mésopotamie et des différentes cultures qui adoptèrent les dieux sumériens et se les approprièrent en apportant des ajouts et des modifications à leurs histoires. Parfois, ces changements développent ou poursuivent des histoires plus anciennes, mais souvent, différents scribes à différentes époques réécrivaient simplement les contes pour les adapter à leurs besoins.
Le culte d'Enlil date de la période des dynasties archaïques (vers 2900-2700 av. J.-C.) à Nippur et se maintient fermement depuis l'époque de l'Empire akkadien (2334 - vers 2083 av. J.-C.) jusqu'à ce qu'il soit absorbé et assimilé à celui du dieu Marduk pendant le règne de Hammurabi de Babylone (1792-1750 av. J.-C.). Même après cette période cependant, il continua à être largement honoré dans toute la Mésopotamie. Il n'est donc pas surprenant que différents récits, provenant de différentes régions et de différentes époques, le dépeignent avec des caractéristiques et des détails différents. Son importance en tant que dieu suprême pendant des centaines d'années se reflète dans les rôles qu'il joue dans les mythes mésopotamiens.
Enlil & Ninlil
Dans le mythe ancien connu sous le nom d'Enlil et Ninlil, Enlil est vu comme un jeune dieu vivant dans la ville de Nippur avant la création des êtres humains. Nippur est un centre urbain des dieux dans cette histoire, gouverné par la loi divine. Ninlil (connue aussi comme Sud) est une jeune et belle déesse qui est attirée par Enlil comme il l'est par elle. La mère de Ninlil, Nisaba (déesse de l'écriture et scribe des dieux), la met en garde contre le fait d'aller se baigner dans la rivière et d'encourager les avances du jeune Enlil, l'avertissant du danger de perdre sa virginité. Ninlil ignore cependant ce conseil, se rend à la rivière et se laisse séduire par Enlil. Elle tombe enceinte et donne naissance au dieu de la lune Nanna. Enlil doit alors se rendre chez Nisaba et demander la main de sa fille en mariage.
Par la suite, alors qu'Enlil se promène dans la ville, il est arrêté par les autres dieux pour impureté rituelle et exilé de la ville vers les enfers. L'accusation portée contre lui ne semble toutefois pas avoir de rapport avec la séduction de Ninlil. Ninlil est également arrêtée et exilée et le suit hors les portes, mais à une certaine distance derrière lui. Enlil parle à chacun des gardiens des portes ou des personnages importants du monde souterrain en leur demandant de ne pas dire à Ninlil où il était allé si elle le demandait.
Il se déguise ensuite en chacun d'eux et, lorsque Ninlil s'approche et demande où Enlil est allé, il dit qu'il ne lui dira rien. Ninlil lui offre des rapports sexuels en échange d'informations, et il accepte, bien qu'à chaque fois, il ne lui dise rien. C'est ainsi qu'ils donnent naissance aux divinités Nergal, Ninazu et Enbilulu, respectivement dieux de la guerre, de la guérison et des canaux. Dans d'autres mythes, cependant, ces trois dieux ont des parents différents, et Ninazu en particulier, est plus connu comme le fils de Gula, déesse de la guérison. Le héros-dieu Ninurta est aussi parfois représenté comme l'un de leurs enfants, bien que, dans les mythes les plus connus, il soit le fils de Ninhursag et d'Enlil.
L'histoire se termine par un éloge d'Enlil pour sa virilité, et l'on pense que le mythe célèbre la fertilité de la terre. Les deux jeunes divinités, défiant les lois qui devaient les séparer, s'unissent pour produire la vie, et même lorsqu'elles sont bannies aux enfers, elles ne peuvent être séparées et poursuivent l'acte créateur. Enlil, en tant que rebelle qui défie les lois des dieux pour poursuivre ses propres désirs, devient dans d'autres mythes l'autorité qui exerce le pouvoir de la loi divine et dont les jugements ne peuvent être remis en question.
Enlil & l'Oiseau Anzu
Dans le Mythe d'Anzu babylonien (début du 2ème millénaire av. J.-C.), Enlil est considéré comme le dieu suprême qui détient les Tablettes des Destins, objets sacrés qui légitimaient le règne d'un dieu suprême et détenaient les destins des dieux et de l'humanité. L'orientaliste E. A. Wallis Budge relate une version du mythe :
L'oiseau Zu [ou Anzu], symbole de la tempête et de l'orage, était un dieu du mal qui fit la guerre à Enlil, le détenteur des 'Tablettes des Destins', grâce auxquelles il gouvernait le ciel et la terre. Zu convoita cette tablette et décida de la prendre et de régner à sa place. Zu guetta l'occasion et, un matin, alors qu'Enlil avait ôté sa couronne, l'avait déposée sur un support, et qu’il se lavait le visage à l'eau claire, Zu lui arracha la tablette et s'envola avec elle dans les montagnes. Anu demanda aux dieux de reprendre la tablette à Zu, mais tous refusèrent et les affaires du ciel et de la terre tombèrent dans le désordre. (111)
Dans cette version particulière du mythe, le héros Lugalbanda récupère les tablettes, tandis que dans d'autres, c'est Ninurta ou Marduk qui sont les champions. Dans chaque version cependant, Enlil est présenté comme le roi légitime des dieux, autorisé à agir par les Tablettes des Destins, et pleinement soutenu par le dieu suprême Anu. Dans cette optique, Enlil était considéré comme l'incarnation de la royauté, agissant comme un médiateur entre les puissances supérieures et le monde des mortels. Malgré tout, Enlil pouvait avoir une mauvaise journée et perdre patience, comme le montre le mythe de la grande inondation connu sous le nom de L'Atrahasis.
L'Atrahasis
Dans L'Atrahasis (vers le 17ème siècle av. J.-C.), les anciens dieux mènent une vie de loisirs tout en forçant les jeunes dieux à faire tout le travail pour maintenir l'univers. Les jeunes dieux n'ont pas de temps pour eux, et Enki leur propose donc de créer des créatures inférieures qui travailleront pour eux. Comme ils ne trouvent aucun matériau approprié pour fabriquer ces nouveaux êtres, le dieu We-ilu (connu aussi sous le nom de Ilawela) se porte volontaire pour être sacrifié et il est tué. La déesse mère Ninhursag pétrit alors sa chair, son sang et son intelligence dans l'argile pour créer 14 êtres humains: sept hommes et sept femmes.
Ces nouvelles créatures sont placées sur la terre. Au début, elles se comportent exactement comme les dieux l'avaient espéré, elles font tout le travail d'entretien de la terre et offrent un culte et des sacrifices aux dieux en remerciement de leur vie. Mais les créatures se révèlent exceptionnellement fertiles, et il y en a bientôt des centaines, puis des milliers, et elles continuent à se multiplier et deviennent de plus en plus bruyantes et causent de plus en plus de problèmes entre elles.
Enlil ne peut finalement plus tolérer le bruit et décide de diminuer leur population. Il envoie une sécheresse, une peste et une famine sur le peuple, mais à chaque fois, ils demandent de l'aide à leur créateur Enki qui les informe secrètement de ce qu'ils doivent faire pour se sauver et ramener l'équilibre sur la terre. Enlil ne comprend pas ce qui se passe, car tout ce qu'il envoie contre les créatures semble simplement les aider à se multiplier plus abondamment, et il décide donc de les détruire toutes dans un grand déluge.
Il convainc les autres dieux de la nécessité de son plan et le met en marche. Enki n'est pas d'accord mais ne peut rien faire pour changer le décret d'Enlil une fois qu'il a été pris. Enki se rend sur terre pour chuchoter au sage Atrahasis ce qui se prépare et lui dit de construire une arche et d'y charger deux animaux de chaque espèce pour les sauver, ainsi que lui-même. Atrahasis fait ce qu'on lui dit, le déluge arrive et la vie sur terre est détruite.
Enlil regrette presque instantanément sa décision, et les dieux pleurent la disparition de leurs créatures, mais aucun d'entre eux ne peut faire quoi que ce soit pour remédier à la situation. Enki dit alors à Atrahasis d'ouvrir l'arche et de faire un sacrifice aux dieux, ce qu'il fait. Le doux parfum du sacrifice atteint les cieux, et Enlil, bien qu'à peine bouleversé par son inondation, est furieux qu'un humain ait pu survivre. Il se retourne contre Enki qui s'explique et invite les dieux à se joindre à lui pour accepter le sacrifice.
Pendant qu'ils mangent, Enki propose un nouveau plan par lequel ils créeront de nouvelles créatures qui seront moins fertiles et auront une durée de vie plus courte, et Enlil accepte. Les êtres humains sont créés pour faire l'expérience de l'infertilité, de la mortalité et des menaces quotidiennes à leur existence. Bien qu'Enki soit considéré comme le créateur, puisque l'humanité était son idée, rien ne pouvait avancer sans le consentement d'Enlil, et il était ainsi considéré comme le véritable père des hommes et des femmes.
Adoration & Assimilation avec Marduk
Enlil continua à être vénéré jusqu'au règne de Hammurabi, lorsque le dieu babylonien Marduk, fils d'Enki, devenint dieu suprême. Marduk, héros de l'Enuma Elish, était représenté comme vainquant les forces du chaos, créé les êtres humains et la terre sur laquelle ils vivaient, et établi la loi et l'agriculture. Les qualités les plus importantes d'Enlil (et certaines de celles d'Enki) furent absorbées par Marduk, qui devint alors le roi des dieux non seulement pour les Babyloniens mais, en tant que fils d'Assur, aussi pour les Assyriens.
Depuis le début de la période dynastique jusqu'au règne d'Hammourabi, Enlil était vénéré dans son temple de Nippur, site religieux le plus important du sud de la Mésopotamie après Eridu (associé à Enki). Selon l'historien Jeremy A. Black, Enlil était si puissant et inspirant la crainte que "les autres dieux ne pouvaient même pas regarder sa splendeur" (76). De Nippur, son culte se répandit au nord vers Akkad et dans tout Sumer, avec des temples à Kish, Lagash, Babylone et d'autres villes. Le culte d'Enlil, comme celui des autres dieux mésopotamiens, se concentrait sur le temple et son complexe qui servait de multiples objectifs pour la communauté.
Il n'y avait pas de services religieux au sens où on l'entend aujourd'hui, mais le temple faisait toujours partie intégrante de toute ville. Les gens vénéraient Enlil en apportant des offrandes avec des prières ou en remerciement de cadeaux donnés, et la statue du dieu et le sanctuaire intérieur étaient entretenus par le grand prêtre. Comme c'était la coutume en Mésopotamie et en Égypte, seul le grand prêtre pouvait entrer en présence du dieu ou communier avec lui dans le temple, la plupart des interactions des gens avec leurs divinités se faisaient à travers des rituels privés à la maison ou de festivités publiques.
Une fois Enlil absorbé par Marduk, son culte déclina mais il était encore honoré dans les sanctuaires de nombreuses villes, et même à Babylone, il était entendu qu'Enlil et Anu avaient volontairement conféré leur pouvoir et leurs bénédictions à Marduk. Les temples d'Enlil étaient encore actifs à l'époque de l'Empire néo-assyrien (912-612 av. J.-C.), lorsque les dieux Assur, Marduk et Nabu étaient considérés comme les divinités suprêmes. Selon le chercheur Adam Stone, "le pouvoir d'Enlil était clairement rappelé car même [ces dieux] étaient désignés comme l''Enlil assyrien' ou l''Enlil des dieux' (2).
Après la chute de l'empire assyrien en 612 av. J.-C., Enlil subit le sort de nombreux dieux mésopotamiens associés à la domination assyrienne: ses statues furent détruites et ses temples saccagés. Les dieux qui avaient réussi à transcender leur association avec l'Assyrie dans l'esprit du peuple, comme Marduk, survécurent. En transférant les qualités d'Enlil au jeune dieu, Enlil survécut sous ce nom jusque vers 141 av. J.-C., date à laquelle la vénération de Marduk déclina et Enlil fut oublié.