Totila (né Baduila, ou Badua, r. de 541 à 552) fut le dernier grand roi des Ostrogoths en Italie. Il était le neveu du roi goth Ildibad, auquel succéda Éraric le Ruge (d. 541). Aux yeux des Goths d'Italie, Éraric était un souverain déplorable, qui faisait passer ses propres intérêts avant ceux de son peuple. C'est du reste une opinion généralement admise par les historiens d'aujourd'hui, comme Thomas Hodgkin pour qui 'Éraric n'a régné que cinq mois, au cours desquels il n'a pas accompli une seule action digne d'être mentionnée' (4). Il allait rapidment être détrôné, puis assassiné par des conspirateurs qui souhaitaient voir Totila monter sur le trône.
Une fois installé au pouvoir, Totila se révéla un homme d'État compétent doublé d'un un commandant militaire exceptionnellement doué. Il dirigea les Goths contre les forces de l'Empire romain d'Orient au cours de plusieurs engagements victorieux avant d'être à son tour vaincu et tué lors de la bataille de Taginae en 552. Fréquemment comparé à Théodoric le Grand (r. de 493 à 526), il est souvent considéré comme le dernier des grands rois gothiques. Après la défaite de Totila à Taginae, les Goths continuèrent à s'opposer à la domination romaine avant d'être finalement vaincus. Rome put alors reprendre l'Italie en main, jusqu'à l'invasion des Lombards, en 568.
L'ascension au pouvoir
Après la mort de Théodoric en 526, le pays fut gouverné par une succession de rois incompétents, depuis l'usurpateur Théodat jusqu'à l'égocentrique Éraric en passant par l'inepte Vitigès (r. de 536 à 540). L'Empire romain d'Orient, qui avait soutenu le règne de Théodoric, y trouva également son profit par le biais des impôts. Ces impôts, qui augmentèrent immédiatement après la mort de Théodoric, étaient supervisés et gérés par une classe spéciale de fonctionnaires: les Logothètes. Voici ce qu'Hodgkin écrit à leur propos: 'La justice et les convenances étaient systématiquement ignorées par le nouveau corps des Logothètes, et en particulier par le chef de ce nouveau département' (2). Ce chef était connu sous le nom d'Alexandre 'petits-ciseaux', car il avait la réputation d'être si cupide qu'il était capable de raser à son profit une pièce d'or avant de la rendre au trésor 'encore parfaitement ronde' sans jamais éveiller le moindre soupçon.
Alexandre était avant tout chargé de faire appliquer les lois fiscales et de contrôler l'administration des pensions des anciens combattants. En sa qualité de contrôleur pour les forces armées, il était bien connu pour maintenir les vétérans sur les listes de pension bien après leur mort, ce qui lui permettait de les détourner à son profit. Ses abus n'étaient un secret pour personne, mais dans la mesure où les autres logothètes en profitaient également, aucune mesure ne fut jamais prise pour y remédier.
Outre une charge fiscale écrasante, le peuple se sentait persécuté par son propre gouvernement en raison de la faible rémunération du service militaire, de l'absence de promotion, sauf en cas de faveur spéciale ou de népotisme, et du refus de verser les pensions dues.
Alexandre se mit encore plus à dos les Romains d'Italie en obligeant tous ceux qui avaient eu affaire à Théodoric, à quelque titre financier que ce soit, à produire des reçus et à rendre compte de toutes les transactions monétaires qu'ils avaient effectuées sous le règne de Théodoric. Tout ce que faisait Alexandre semblait n'enrichir que lui et son entourage aux dépens du peuple, tandis que le roi ne faisait rien pour l'arrêter. Hodgkin écrit à ce sujet: 'suite à tous ces événements, les braises de la résistance gothique ne tardèrent pas à se transformer en flammes' (3-4).
Avant l'élection de Totila par les Goths, ces derniers n'avaient pas de chef. L'historien Herwig Wolfram fait un commentaire sur le nom de Totila en citant des 'preuves tirées d'inscriptions monétaires et de quelques sources littéraires' et observe que 'nous ne savons pas ce que 'Totila' signifie [mais] son nom original [Baduila, ou Badua] signifie 'le combattant' ou 'le guerrier'' (353). La raison pour laquelle il changea de nom (ou pourquoi il fut changé) demeure inconnue à ce jour. Voici ce qu'en dit Hodgkin:
Le témoignage unanime des pièces de monnaie à l'effigie du nouveau roi prouve que Baduila était le nom par lequel il avait choisi de se faire appeler. Cependant, pour une raison inexpliquée, il était également connu des Goths sous le nom de Totila. Ce nom est par ailleurs le seul qui semble être parvenu aux oreilles des historiens grecs. (5)
Après l'assassinat d'Éraric, Totila fut 'hissé sur le pavois et devint ainsi roi des Goths'. Il régna sur eux pendant les onze années qui suivirent. De l'avis de tous, même de ses ennemis, c'était 'un soldat courageux et un homme d'État compétent' qui redressa les torts causés à son peuple et défendit l'Italie contre les incursions de l'Empire romain d'Orient. Après la mort de Théodoric et le désordre causé par ses successeurs en Italie, l'empereur Justinien voulut faire repasser la région directement sous son contrôle. Bélisaire (505-565), son général, exauça son souhait au delà de toute espérance, ce qui n'empêcha pas Justinien, jaloux sa popularité de promptement le rappeler à Constantinople. Cette décision rendit la région aux Goths qui, désormais sous le règne de Totila, luttaient pour leur indépendance vis-à-vis de l'empire.
Le règne de Totila et ses engagements militaires
La nouvelle de la montée en puissance du jeune roi parvint à Constantinople, et l'empereur Justinien ordonna à ses généraux de Ravenne de marcher contre Totila. Wolfram décrit ainsi le début de la guerre:
Douze mille soldats, toute l'armée d'Italie, quittèrent la région de Ravenne et se mirent en marche vers le nord, en direction de Vérone... Alors que les généraux se partageaient déjà le butin avant même de l'avoir gagné, la campagne s'arrêta d'une manière digne d'un spectacle comique. L'armée impériale se retira dans la région située entre le Reno et Faventia (Faenza), au sud-ouest de Ravenne. Totila convoqua toute son armée de cinq mille hommes et se lança à sa poursuite. (354)
L'aspect 'spectacle comique' de la campagne dont parle Wolfram est dû aux onze généraux qui dirigeaient l'armée et à leur insatiable cupidité. Hodgkin écrit:
Avec la plus petite fraction de capacité militaire, l'importante ville de Vérone aurait maintenant été récupérée pour l'empereur. Mais les onze généraux, partis avec le gros de l'armée au moment prévu, commencèrent, alors qu'ils étaient encore à cinq milles de distance, à se disputer le partage du butin. (6)
Cela donna à Totila, dont les forces étaient beaucoup plus réduites, le temps d'organiser habilement son armée en vue d'un mouvement en tenaille qui encerclerait les forces impériales et se rapprocherait ensuite d'elles. Il envoya 300 hommes disposés en arc de cercle élargi autour des impériaux afin de les prendre à revers, puis il lança un assaut frontal. L'armée impériale était déjà en train de subir d'énormes pertes lorsque les 300 Goths l'attaquèrent par derrière. Persuadés qu'il s'agissait de l'avant-garde d'une autre armée plus nombreuse, les impériaux rompirent les rangs et se lancèrent dans une véritable déroute. Ceux des impériaux qui n'avaient pas été tués furent capturés, de même que tous les étendards de l'armée.
Cette grande victoire obtenue en l'an 542 attira de nombreuses recrues sous la bannière de Totila, ce qui porta ses effectifs à plus de 20 000 hommes, dont beaucoup avaient déjà combattu pour l'empire. À la tête de cette force, il traversa les Apennins et assiégea Florence. Un détachement impérial fut envoyé pour soulager la ville et repoussa les Goths dans la vallée voisine du Mugello. Totila, cependant, connaissait bien la région et positionna son armée sur un point élevé de la vallée, d'où il fondit sur l'armée impériale avec une force telle que ses lignes furent presque immédiatement rompues et que la bataille se transforma en une nouvelle déroute.
Ceux qui furent faits prisonniers furent bien traités et invités à rejoindre l'armée de Totila. Selon Hodgkin, ceux qui parvinrent à s'échapper 'galopèrent pendant des jours à travers l'Italie, poursuivis par personne, mais portant partout les mêmes rumeurs démoralisantes de déroute et de ruine, et ne se reposèrent que lorsqu'ils se retrouvèrent derrière les murs de quelque forteresse lointaine, où ils pourraient au moins pour un temps se remettre de la terreur que leur inspirait Totila' (7-8). Les généraux impériaux s'attendaient à ce que Totila reprenne le siège de Florence, mais au lieu de cela, il se détourna de Mugello pour marcher vers le sud de l'Italie et s'empara de la ville de Beneventum, puis de Cumes, et ainsi de suite jusqu'à ce que le sud de l'Italie ne soit entièrement sous son contrôle.
Les sièges de Naples et de Rome
Totila mit ensuite le siège devant Naples, qui finit par tomber en 543. Le traitement qu'il réserva à la garnison vaincue et à la population civile fut si chevaleresque et bienveillant que beaucoup d'autres soldats se rallièrent à sa cause. L'armée impériale romaine se disloquait en Italie, car de plus en plus de soldats abandonnaient la bannière impériale pour celle de Totila. Hodgkin écrit: 'Les oppressions des Logothètes avaient révélé à tous les hommes que l'un des principaux motifs de la reconquête impériale de l'Italie était le revenu. Ainsi, Totila, en devançant la visite du collecteur d'impôts, poignarda l'administration de Justinien dans une partie vitale' (8). Et pour cause, les villes conquises ne payaient plus leurs impôts à l'empereur, mais à Totila.
Les soi-disant 'auxiliaires barbares' de l'armée impériale ne pouvaient plus être payés et désertaient en masse au profit de Totila, tout comme de nombreux soldats réguliers des forces impériales. La série de victoires militaires de Totila se poursuivit jusqu'à ce que, en décembre 545, il n'atteigne les murs de Rome et n'assiège la ville. Son succès était dû en partie à ses compétences militaires, en partie à l'incompétence des généraux de l'armée impériale, et en grande partie à ses immenses qualités diplomatiques. Voici ce qu'en dit Wolfram:
Les succès gothiques de 545, qui furent même surpassés par ceux de 546, furent possibles dans une large mesure parce que la diplomatie de Totila avait éliminé la menace franque... La neutralité bienveillante du plus important des rois francs signifiait que l'arrière-garde gothique pouvait dormir sur ses deux oreilles. (355-356)
Le roi franc Theudebert se vit généreusement récompensé par Totila pour sa neutralité dans le conflit et rejeta la demande impériale de laisser ses forces utiliser ses voies terrestres pour attaquer Totila.
Rome tomba lorsque les soldats isauriens qui gardaient les portes invitèrent dans le plus grand secret Totila à s'emparer de la ville. Comme beaucoup de soldats de l'armée impériale, cela faisait des mois qu'ils n'avaient pas été payés. En outre, ils ne trouvaient pas particulièrement raisonnable de risquer leur vie face à un général qui avait jusqu'alors remporté toutes les batailles auxquelles il avait participé. Comme ce fut le cas pour les autres villes conquises, Totila traita les Romains avec la plus grande bienveillance et le plus grand respect. Ayant désormais conquis le siège symbolique du pouvoir romain en Italie, il entama des négociations de paix avec Constantinople.
Cependant, l'empereur ne souhaitait pas s'entretenir avec lui et on lui fit savoir qu'il lui faudrait traiter avec le général Bélisaire, qui venait d'arriver dans le pays pour commander les forces impériales. Totila envoya alors ses ambassadeurs à Bélisaire porteurs du message suivant: si les forces impériales ne se retiraient pas d'Italie et s'il n'était pas reconnu comme roi légitime par l'empire, il détruirait Rome et exécuterait les sénateurs avant de se mettre en marche pour raser les cités encore fidèles à l'empire.
C'est alors que l'habileté diplomatique de Bélisaire lui permit d'infliger à Totila une grave défaite (sa première) en lui écrivant une simple lettre. Bélisaire lui fit comprendre que l'empire ne pouvait pas le reconnaître comme souverain légitime de l'Italie, car l'Italie appartenait de droit à l'empire et Justinien n'avait aucunement l'intention de s'en défaire. Quant à la menace de Totila de détruire Rome et d'exécuter les sénateurs, Bélisaire fit appel au sens de la chevalerie et de l'honneur de Totila. Il souligna la bonté dont Totila faisait régulièrement preuve à l'égard des prisonniers et insista sur la longue histoire de la ville de Rome et sur l'erreur tragique que commettrait Totila en la détruisant.
Dans sa lettre, Bélisaire écrivait que si Totila détruisait Rome, il n'en sortirait rien de bon. En effet, si Totila gagnait cette guerre, il devrait reconstruire à grands frais la ville qu'il venait de détruire, et s'il perdait, l'empire n'aurait aucune pitié pour quelqu'un qui aurait rasé Rome. En outre, la grande renommée de la ville s'attacherait à jamais au nom de Totila; s'il faisait preuve de clémence et laissait la ville intacte, l'histoire lui rendrait justice, mais dans le cas contraire, son nom serait honni par les générations futures.
Wolfram commente ce qui se passa ensuite de la façon suivante: 'Et maintenant, Totila commit (ou fut-il contraint de commettre ?) l'erreur capitale d'abandonner Rome' (356). Il ne pouvait pas simplement maintenir ses forces à Rome alors qu'il y avait encore une guerre à mener, ni laisser une garnison de ses soldats derrière lui parce qu'il sentait qu'il aurait besoin de chaque homme dans les mois à venir pour vaincre l'empire. Certains historiens ont affirmé que Totila avait tout simplement quitté Rome, tandis que d'autres, citant les mêmes sources, soutiennent qu'il aurait tenté de sécuriser la ville et, suite à cet échec, qu'il la laissa aux Romains. Wolfram, par exemple, écrit:
Il est faux de dire que Totila aurait abandonné la ville par négligence; toutes les tentatives pour la sécuriser et la tenir ont dû échouer en raison de la taille même de Rome... Totila perdit donc sa première 'bataille pour Rome' et, avec elle, une grande partie de son prestige. En 549/550, juste avant sa deuxième prise de la ville, sa demande de main pour l'une des filles d'un roi franc fut rejetée en raison de cette débâcle. (356)
Bélisaire fit entrer ses troupes dans Rome, répara les murs et fortifia la ville contre de futures attaques. Totila, quant à lui, poursuivit la guerre contre l'empire dans toute l'Italie. Il libéra les esclaves de l'élite romaine dans le pays et veilla tout particulièrement à la sécurité des gens du peuple et de leurs terres. Wolfram note que cette tactique a depuis été qualifiée de 'révolutionnaire', mais affirme que 'les actions de Totila n'avaient rien de révolutionnaire; il s'agissait plutôt d'un moyen efficace et savamment calculé de faire la guerre' (356-357). En effet, l'empire disposait de ressources inépuisables, alors que celles de Totila étaient limitées à l'Italie. Il était donc logique de protéger le pays et son peuple autant que possible. Contrairement aux forces impériales, Totila ne pouvait pas s'attendre à recevoir des approvisionnements de l'étranger; il devait par conséquent s'assurer de pouvoir nourrir ses troupes en se limitant aux produits locaux.
Le succès de Totila et l'arrivée de Narsès
Non seulement les paysans nourrissaient volontiers les troupes de Totila, mais nombre d'entre eux se joignirent à son armée. Entre 547 et 548, Totila remporta un certain nombre de victoires, mais subit aussi une série de défaites. Malgré cela, les déserteurs de l'armée impériale continuèrent à grossir ses rangs, ainsi que les paysans et les autres civils qui aspiraient à une nation gothique libre sous le règne de Totila. Au cours de l'été 549, il revint assiéger Rome.
Le siège dura jusqu'au 16 janvier 550, date à laquelle, comme précédemment, les soldats isauriens qui gardaient les portes, et qui n'avaient pas été payés depuis des mois, ouvrirent la voie aux forces de Totila. Cette fois, cependant, la garnison romaine ne se laissa pas vaincre si facilement et se battit pour sa ville au prix de lourdes pertes humaines. Ceux qui survécurent aux combats de rue furent autorisés à quitter la ville en paix s'ils le souhaitaient; beaucoup parmi eux en profitèrent pour rejoindre les rangs de l'armée de Totila.
Après avoir repris le contrôle de Rome et conquis une encore plus grande portion du pays, Totila envoya à nouveau des ambassadeurs à Constantinople pour demander la paix avec l'empire. Afin de parer à tout refus, il dirigea une partie de son armée vers la Sicile qu'il conquit en 550, privant ainsi l'empire d'une importante source de ravitaillement et de commerce. On pense que Totila avait peut-être estimé que cette victoire améliorerait son pouvoir de négociation avec l'empereur. Cependant, avant même d'avoir entendu parler de la campagne de Sicile, Justinien avait déjà donné sa réponse: les émissaires de Totila se virent refuser l'accès à l'empereur, puis furent arrêtés.
Justinien rappela Bélisaire d'Italie et nomma son cousin Germanus (ou Germain) commandant en chef. Germanus était l'époux de la petite-fille de Théodoric le Grand et jouissait d'une grande estime auprès des Goths. La stratégie de Justinien consistait à récupérer les troupes qui avaient déserté vers Totila en envoyant un membre de la famille de Théodoric à la tête des forces impériales. Germanus, cependant, mourut de maladie au cours de l'été 550 avant d'atteindre l'Italie et fut remplacé par un autre général nommé Narsès (c. 480-573).
Narsès était un eunuque de la cour chargé du trésor, mais il avait auparavant commandé des troupes sous les ordres de Bélisaire. C'était un homme très religieux et très respecté par ses troupes. Il débarqua à Salona au cours de l'été 551 et, presque immédiatement, retourna le cours de la guerre en faveur de l'empire. Le moral des Goths était au plus bas. Les émissaires envoyés à Constantinople furent finalement libérés et revinrent avec un message de Justinien annonçant qu'il n'y aurait pas de paix et que la guerre continuerait au contraire.
L'armée gothique venait de subir une nouvelle défaite et sa flotte nouvellement construite avait été sèchement battue par la marine impériale lors d'un raid sur le continent grec. Totila prit la Sardaigne et la Corse en 551 et, avec l'intérieur de l'Italie sous son contrôle, il estima être en mesure de gagner la guerre, quelles que soient les forces que Justinien enverrait contre lui. L'intérieur de l'Italie lui appartenait entièrement, son alliance avec les Francs était plus solide que jamais et il disposait désormais de la Sicile, de la Sardaigne et de la Corse comme sources importantes de ravitaillement; il allait bientôt contrôler toute l'Italie et Justinien n'aurait plus d'autre choix que de demander la paix.
Il aurait probablement eu raison s'il n'avait pas été confronté à un général aussi redoutable que Narsès. Ce dernier évalua rapidement la situation en Italie, reconnut qu'il était inutile de s'engager dans des batailles de ville à ville en terrain hostile pour atteindre le reste de l'armée impériale à Ravenne, et conçut alors un plan que personne n'aurait pu prévoir. Wolfram décrit la situation de la façon suivante:
'Ni les Francs, ni les Goths n'avaient prêté la moindre attention au littoral dans la mesure où ils l'estimaient impraticable en raison de ses nombreus estuaires et marécages. Or, l'inimaginable se produisit: dirigé par des guides hors pairs, Narsès longea la côte jusqu'à Ravenne à la tête d'une gigantesque armée de près de 30 000 hommes. Les cours d'eau furent franchis à l'aide de pontons improvisés, contournant ainsi toutes les défenses des Goths situées à l'intérieur des terres. (359)
L'historien J.F.C. Fuller ajoute que la flotte impériale suivait les troupes terrestres et 'leur faisait traverser les estuaires des nombreux fleuves et lagunes vénitiens' (323). Tout cela se fit sans que les Goths ne fussent alertés. Narsès entra à Ravenne en juin 552, ravitailla ses troupes, puis marcha en direction de Rome. Il prit facilement Rimini et continua vers Fano, infligeant des défaites à tous les Goths qu'il rencontrait.
La bataille de Taginae
Fin juin ou début juillet, Narsès se trouva à proximité de l'armée de Totila qui arrivait de Rome à sa rencontre. Il établit son camp quelque part entre Scheggia et Tadino, sur la crête des Apennins, choisissant soigneusement les hauteurs pour pouvoir disposer son armée au-dessus d'une étroite plaine par laquelle les forces de Totila devaient obligatoirement passer pour venir à sa rencontre. Totila, quant à lui, avait établi son campement à une distance de 13 milles de là, dans le village de Taginae. Narsès envoya des messagers pour demander au roi des Goths quand il serait prêt à livrer bataille. Totila répondit qu'il serait prêt sous huit jours, mais il prévoyait en fait d'attaquer les impériaux dès le lendemain.
Narsès prit connaissance de cette réponse, mais ne fut pas dupe du stratagème et devina, avec justesse, les intentions réelles de Totila. Il mit donc son armée en position sur les hauteurs du plateau de Busta Gallorum et attendit l'avancée de son adversaire. Narsès aligna pas moins de huit mille archers dans une formation en forme de croissant bien adaptée au terrain accidenté' (Wolfram, 360). Derrière les archers, il plaça ses fantassins en phalange et sa cavalerie sur les ailes.
Fuller, citant l'écrivain Sir Charles Oman, note que cette formation particulière 'semble avoir été sa propre invention', et que Narsès avait pris soin de placer le centre de sa ligne loin des archers qui la flanquaient 'afin qu'un ennemi avançant contre le centre se retrouve dans un espace vide, à moitié encerclé par les archers et exposé à une pluie de flèches venant des deux côtés' (325-326). Narsès interdit à quiconque de rompre les rangs et ordonna que les repas soient pris sur place, en tenue complète, jusqu'à ce que la bataille ne soit gagnée.
Totila fit avancer son armée depuis Taginae et la disposa de l'autre côté de la plaine. Il plaça sa cavalerie à l'avant, comme il était d'usage, et son infanterie à l'arrière. Fuller note que 'son idée était de gagner la bataille par une charge unique qui briserait le centre de son ennemi'. Selon Procope, il interdit à toute son armée 'd'utiliser les arcs ainsi que toute autre arme... en dehors de la lance'. Si cela est vraiment le cas, force est de se demander ce qu'il comptait faire avec son infanterie'. (324-325). Le fils de Totila, Teias, commandait 2 000 cavaliers, qui étaient séparés de l'armée principale. Par conséquent, Totila avait besoin de gagner du temps.
Il revêtit sa plus belle armure et se rendit à cheval dans la zone située entre les deux armées, où il exécuta le 'djerid', une démonstration de danse à cheval avec une lance, que Procope décrit comme étant admirée aussi bien par ses amis que par ses ennemis. Lorsqu'il eut terminé, il regagna ses lignes, où il constata que Teias était arrivé avec la cavalerie. Il ôta son armure de parade et revêtit son armure de combat afin de passer pour un simple cavalier et de ne pas attirer l'attention sur son identité de roi des Goths.
Peu après midi, la bataille commença par une escarmouche au cours de laquelle 50 soldats impériaux prirent et tinrent une colline voisine et repoussèrent les forces des Goths vers leurs lignes. Totila espérait pouvoir charger à l'improviste à travers la plaine et surprendre les hommes de Narsès au moment du déjeuner, mais il n'eut pas cette chance. Fuller donne un compte-rendu de la bataille basé sur la description de Procope:
Les Goths ne prirent pas garde aux ailes composées d'archers de la ligne de bataille de leur ennemi et foncèrent droit sur la phalange des barbares démontés [au centre], avec le résultat inévitable que, tandis que leurs escadrons centraux se brisaient sur une haie de lances hérissées, ceux qui se trouvaient sur les flancs étaient se voyaient décimés par les archers romains. Des centaines de Goths durent tomber immédiatement et des dizaines de chevaux sans cavalier partirent au galop, ruant et caracolant sur le champ de bataille pour ajouter à la confusion des escadrons centraux qui, eux, étaient vraisemblablement hors de portée d'un arc. Il semblerait que la charge initiale ait été la seule à avoir été organisée, et que toutes celles qui suivirent furent improvisées par des chefs à titre individuel, car il n'est pas fait mention du fait que la cavalerie gothique se soit retirée derrière son infanterie afin de se réorganiser. Vers le soir, les Romains commencèrent à avancer et la cavalerie gothique, n'étant plus en mesure d'offrir une résistance, céda du terrain et finit par se replier sur son infanterie, non pas, comme l'écrit Procope, 'dans le but de reprendre son souffle et de renouveler le combat avec son aide, comme il est d'usage, mais pour s'enfuir'. Par conséquent, l'infanterie n'a pas ouvert d'intervalles pour les accueillir ni tenu bon pour les secourir, mais ils ont tous commencé à fuir précipitamment avec la cavalerie, et dans la confusion de la déroute, ils s'entretuaient comme dans une bataille de nuit". (326-327)
Totila fut mortellement blessé au cours de la bataille, soit au début, soit plus tard (il existe deux récits différents) et fut transporté par ses hommes à Caprae (Caprara), où il mourut et fut rapidement enterré. Selon Procope, il fut soit tué au début de la bataille par une pluie de flèches, soit frappé par une lance alors qu'il fuyait le champ de bataille après l'échec de la première charge. Quoi qu'il en soit, Procope note que 'sa mort ne fut pas digne de ses actions passées' (7.40.9).
Procope, qui présente Totila comme un homme, un général et un roi admirable tout au long de son œuvre, semble déçu par sa conduite à Taginae et note qu'il n'y avait aucune raison de mener son armée contre un ennemi si bien fortifié et positionné, et qu'il n'était pas non plus logique de les limiter à l'utilisation de la lance dans la bataille alors qu'ils avaient des archers compétents dans leurs rangs. Six mille Goths trouvèrent la mort au cours de la bataille, et bien d'autres encore succombèrent à leurs blessures par la suite. Les pertes de l'armée impériale furent si légères qu'elles ne furent pas enregistrées. La bataille de Taginae et la mort de Totila mirent fin à tout espoir de victoire des Goths sur les forces impériales de l'empereur Justinien.
Conséquences et Postérité
Les Goths couronnèrent immédiatement Teias en tant que roi et s'enfuirent à Sarno, tandis que Narsès, après avoir payé ses mercenaires et les avoir renvoyés chez eux, occupa Rome. Après avoir ravitaillé ses troupes, il poursuivit Teias à Sarno. Ce dernier se retira sur le Mont Lactarius, où se déroula la dernière grande bataille de la guerre des Goths, en octobre 552. Teias perdit la vie au cours de cette bataille et le reste de l'armée gothique se rendit. On leur permit de rassembler les richesses et les biens qui leur appartenaient et de quitter le pays.
Certains commandants goths continuèrent la résistance et luttèrent jusqu'en 555 avec l'aide des Francs. Narsès, cependant, ne pouvait tolérer une telle situation et détruisit l'armée franque à Capoue en 554 en utilisant la même tactique que celle employée à Taginae. Il traqua ensuite les derniers chefs goths de la résistance et les fit exécuter. L'Italie était à nouveau sous la domination de l'Empire romain d'Orient, et les Logothètes revinrent s'en prendre à la population jusqu'à l'invasion des Lombards en 568.
Malgré la perte de la bataille de Taginae, de la guerre et de sa vie, Totila reste dans les mémoires en tant que dernier grand roi des Ostrogoths. Celui qui tenta de libérer le pays des Goths de l'emprise de Rome. Procope le qualifie constamment d''honorable', de 'juste', de 'compatissant' et de 'courageux', même s'il écrit d'un point de vue romain et qu'en règle générale, les écrivains romains ne mettent pas en valeur le caractère des ennemis de l'État. Les historiens estiment que si Totila avait vécu, il aurait probablement été un souverain encore plus grand que Théodoric. En tout état de cause, on se souvient de lui comme d'un noble champion de son peuple, qui s'est battu et a donné sa vie pour lui.