L'art de la civilisation inca du Pérou (vers 1425-1532 ap. JC) a produit certaines des plus belles œuvres jamais réalisées dans les Amériques anciennes. L'art inca se caractérise par le travail du métal hautement poli, la céramique et, surtout, les textiles, qui étaient considérés comme la plus prestigieuse des formes d'art par les Incas eux-mêmes.
Les motifs de l'art inca utilisent souvent des formes géométriques, ils sont standardisés et techniquement accomplis. Les envahisseurs européens ont détruit une grande partie de l'art inca, soit par pur gain monétaire, soit pour des raisons religieuses, mais suffisamment d'exemples subsistent pour témoigner de la magnifique gamme et des compétences des artistes incas.
Influences et conceptions
Bien qu'influencés par l'art et les techniques de la civilisation Chimù, les Incas créèrent leur propre style distinctif qui était un symbole immédiatement reconnaissable de la domination impériale dans leur vaste empire. Les Incas continuèrent à produire des textiles, des céramiques et des sculptures en métal techniquement supérieurs à toute autre culture andine antérieure, et ce malgré la concurrence acharnée des maîtres du travail du métal comme les artisans de la civilisation Moche.
Tout comme les Incas imposèrent une domination politique sur leurs sujets conquis, ils imposèrent aussi des formes et des dessins incas standardisés. L'art en soi n'en souffrit pas pour autant. Comme le dit l'historienne de l'art Rebecca Stone,
La standardisation, bien que puissamment unificatrice, n'a pas nécessairement diminué la qualité de l'art ; techniquement, la tapisserie inca, les récipients en céramique à grande échelle, la maçonnerie sans mortier et les sculptures métalliques miniatures sont inégalées. (Art des Andes, 194)
Le damier est un motif très populaire. L'une des raisons de la répétition des motifs est que la poterie et les textiles étaient souvent produits pour l'État à titre d'impôt, et que les œuvres d'art étaient donc représentatives de communautés spécifiques et de leur patrimoine culturel. Tout comme les pièces de monnaie et les timbres reflètent aujourd'hui l'histoire d'une nation, l’art andin offraient des motifs reconnaissables qui représentaient soit les communautés spécifiques qui les fabriquaient, soit les dessins imposés par la classe dominante inca qui les commandait. Les Incas permirent toutefois aux traditions locales de conserver leurs couleurs et proportions préférées. En outre, des artistes talentueux, comme ceux de Chan Chan ou de la région de Titicaca, et des femmes particulièrement douées pour le tissage furent amenés à Cuzco afin qu'ils puissent produire de belles choses pour les souverains incas.
Il est également notable que la décoration de la poterie et les textiles incas n'incluent pas de représentations d'eux-mêmes, de leurs rituels, de leurs conquêtes militaires, ou d'images andines communes telles que des monstres et des figures mi-humaines, mi-animales. Au contraire, les Incas préféraient presque toujours les dessins géométriques colorés et les motifs abstraits représentant des animaux et des oiseaux.
Céramique
La poterie inca utilisait de l'argile naturelle mais on y ajoutait des matériaux tels que du mica, du sable, de la roche pulvérisée et des coquillages qui empêchaient les fissures pendant le processus de cuisson. Il n'y avait pas de tour de potier dans les Amériques anciennes et les récipients étaient donc fabriqués à la main, en créant d'abord une base, puis en déposant un rouleau d'argile autour de celle-ci jusqu'à ce que le récipient atteigne la taille requise. Les côtés étaient ensuite lissés à l'aide d'une pierre plate. Les récipients de petite et moyenne taille étaient fabriqués à l'aide de moules en argile. Avant la cuisson, un « engobe » d'argile était ajouté et le récipient était peint, incisé (parfois à l'aide de tampons) ou doté de reliefs. Dans des fours, des fosses ou des feux ouverts, le récipient était ensuite cuits par la méthode d'oxydation (en ajoutant de l'oxygène aux flammes) pour créer des poteries de couleur rouge, jaune et crème, ou par la méthode de réduction (en limitant l'apport d'oxygène) pour produire des pièces noires.
La céramique était destinée à un usage plus large, et les formes étaient donc avant tout pratiques. La forme la plus courante était l'urpu, un récipient bulbeux utilisé pour stocker le maïs, avec un long cou, un rebord évasé, deux petites poignées au bas du pot et une base pointue. La pointe à la base s'enfonce dans le sol et stabilise le pot pendant que le maïs y est versé. Il existait des tailles standardisées d'urpu basées sur le volume de leur contenu. Ils étaient décorés de motifs végétaux abstraits et de dessins géométriques, le plus souvent des zigzags et des points. Les exemples de Cuzco sont plus élégants que ceux des autres régions et sont peints d'un noir distinctif sur du rouge.
Les autres types de céramiques sont des grands plats de service plats avec des poignées à figures d'animaux, des bols, de grands gobelets qeros (fabriqués par paire et fabriqués également en bois), et la paccha. Cette dernière était un tube creux en forme de charrue à pied, généralement décoré d'ajouts tridimensionnels tels qu'un épi de maïs et un urpu. La paccha (qui signifie « cascade ») était placée dans le sol afin que la bière de maïs puisse y être rituellement versée lors de cérémonies destinées à favoriser une bonne récolte.
Travail du métal
Les objets utilisant des métaux précieux, tels que les disques, les bijoux, les figurines, les couteaux cérémoniels (tumi), les louches à chaux et les objets de la vie quotidienne, étaient fabriqués exclusivement pour les incas nobles. L'or était considéré comme la sueur du soleil, et l'argent comme les larmes de la lune. Le cuivre était un autre matériau populaire, et ces métaux étaient incrustés de pierres précieuses comme des émeraudes, des pierres semi-précieuses polies comme le lapis-lazuli, d'os polis et de coquilles de spondyles. L'or et l'argent étaient également incrustés dans le bronze. Les métaux étaient combinés en alliages, ils étaient coulés, battus, incisés, gaufrés, perlés et utilisés comme dorure. Les bijoux incas fabriqués à partir des métaux précieux comprenaient des boucles d'oreilles, des anneaux d'oreilles, des pendentifs, des bracelets et des épingles à nourrice.
La royauté inca ne buvait que dans des gobelets en or et en argent, et ses chaussures avaient des semelles en argent. Des figurines d'humains et de lamas trouvées dans des sites funéraires ont été réalisées soit par moulage, soit avec jusqu'à 18 feuilles d'or séparées et sculptées avec des détails complexes et réalistes. L'or et l'argent étaient également utilisés pour de nombreuses pièces religieuses, notamment des représentations de phénomènes naturels et de lieux que les Incas considéraient comme sacrés. Ces œuvres représentaient le soleil, la lune, les étoiles, les arcs-en-ciel, les éclairs, les chutes d'eau, etc. Des masques représentant les principaux dieux tels qu'Inti, le dieu du soleil, et Mama Kilya, la déesse de la lune, ainsi que d'autres objets sacrés, étaient ensuite placés dans les temples incas, mais depuis, ils ont été perdus.
La pièce d'art inca perdue la plus célèbre est peut-être une statue en or d'Inti, représentée sous la forme d'un petit garçon assis et connue sous le nom de Punchao, qui était conservée dans le temple du Soleil, dans le complexe sacré de Coricancha (Qorikancha) à Cuzco. Des rayons sortaient de sa tête et il était décoré de bijoux en or. Le ventre de cette figure servait de réceptacle pour les cendres des organes vitaux brûlés des précédents rois incas. Chaque jour, la statue était amenée à l'extérieur du temple pour se prélasser au soleil. Après la conquête espagnole, la statue fut enlevée et cachée, pour ne plus jamais être retrouvée.
Coricancha possédait également un magnifique jardin dédié à Inti. Tout y était fait d'or et d'argent. Un grand champ de maïs et des modèles grandeur nature de bergers, de lamas, de jaguars, de cochons d'Inde, des singes, des oiseaux et même des papillons et des insectes étaient tous fabriqués en métal précieux. De ces merveilles, il ne reste que quelques tiges de maïs dorées, témoignage convaincant, bien que silencieux, des trésors perdus des métallurgistes incas.
Textiles
Bien que très peu d'exemples de textiles incas aient survécu au cœur de l'empire, nous disposons, grâce à la sécheresse de l'environnement andin, de nombreux exemples de textiles provenant des hauts plateaux et des sites funéraires de montagne. En outre, les chroniqueurs espagnols ont souvent réalisé des dessins des motifs textiles et des vêtements, de sorte que nous disposons d'une image raisonnable des variétés utilisées. Par conséquent, nous disposons de beaucoup plus d'exemples de textiles que d'autres produits de l'artisanat tels que la céramique et le travail du métal.
Pour les Incas, les textiles finement travaillés et très décoratifs symbolisaient à la fois la richesse et le statut. Le tissu fin pouvait servir à la fois d'impôt et de monnaie, et les meilleurs textiles sont devenus l'un des biens les plus précieux, plus précieux encore que l'or ou l'argent. Les tisserands incas étaient techniquement les plus accomplis que les Amériques aient jamais vus et, avec jusqu'à 120 trames par centimètre, les meilleurs tissus étaient considérés comme les cadeaux les plus précieux de tous. C'est pourquoi, lorsque les Espagnols arrivèrent au début du 16e siècle, ce sont des textiles et non des objets en métal qui furent offerts en guise de bienvenue à ces visiteurs venus d'un autre monde.
Il semble que les hommes aussi bien que les femmes créaient des textiles, mais on attendait des femmes de toutes les classes qu'elles soient compétentes dans ce domaine. À Cuzco, la capitale, les tissus les plus fins étaient fabriqués par des spécialistes masculins appelés qumpicamayocs ou « gardiens du tissu fin ». L'équipement principal était le métier à dos pour les petites pièces et soit le métier horizontal à une seule lisse, soit le métier vertical à quatre pôles pour les pièces plus grandes. Le filage se faisait avec un fuseau à chute, généralement en céramique ou en bois. Les textiles incas étaient fabriqués en coton (surtout sur la côte et dans les plaines orientales) ou en laine de lama, d'alpaga et de vigogne (plus courante dans les hautes terres), qui peut être exceptionnellement fine. Les produits fabriqués à partir de la laine super douce de vigogne étaient limités et seul le souverain inca pouvait posséder des troupeaux de vigogne. Des textiles plus grossiers étaient également fabriqués à partir de fibres de maguey.
Les principales couleurs utilisées dans les textiles incas étaient le noir, le blanc, le vert, le jaune, l'orange, le violet et le rouge. Ces couleurs provenaient de teintures naturelles extraites de plantes, de minéraux, d'insectes et de mollusques. Les couleurs avaient également des associations spécifiques. Par exemple, le rouge était associé à la conquête, à la domination et au sang. On le voit très bien dans le Mascaypacha, l'insigne de l'État inca, où chaque fil de son gland rouge symbolisait un peuple conquis. Le vert représente les forêts tropicales, les peuples qui les habitent, les ancêtres, la pluie et la croissance agricole qui en découle, la coca et le tabac. Le noir signifiait la création et la mort, tandis que le jaune pouvait signaler le maïs ou l'or. Le violet était, comme dans l'arc-en-ciel, considéré comme la première couleur et associé à Mama Oclla, la mère fondatrice de la race inca.
Outre l'utilisation de fils teints pour tisser des motifs, les autres techniques comprenaient la broderie, la tapisserie, le mélange de différentes couches de tissu et la peinture - à la main ou à l'aide de tampons en bois. Les Incas privilégiaient les dessins géométriques abstraits, notamment les motifs en damier, qui répétaient des motifs (tocapus) sur la surface du tissu. Certains motifs peuvent également avoir été des idéogrammes. Les sujets non géométriques, souvent rendus sous forme abstraite, comprenaient les félins (surtout les jaguars et les pumas), les lamas, les serpents, les oiseaux, les créatures marines et les plantes. Les vêtements étaient simplement ornés de motifs, généralement des motifs carrés à la taille et des franges et un triangle marquant le cou. L'un de ces motifs était la tunique militaire standard qui consistait en un damier noir et blanc avec un triangle rouge inversé au niveau du cou.
Des décorations supplémentaires pouvaient être ajoutées aux articles textiles sous forme de glands, de brocart, de plumes et de perles de métal précieux ou de coquillages. Des fils de métal précieux pouvaient également être tissés dans le tissu lui-même. Comme les plumes provenaient généralement d'oiseaux tropicaux rares et de condors, ces vêtements étaient réservés à la famille royale et à la noblesse.
Conclusion
Les envahisseurs européens du 16e siècle non seulement firent fondre ou disparaître sans pitié tous les biens incas précieux qu'ils trouvèrent, mais ils tentèrent également de réprimer certains éléments de l'art inca, allant jusqu'à interdire des objets aussi triviaux que les gobelets qeros dans le but de réduire les habitudes de consommation. Les motifs textiles incas distinctifs, tels que ceux liés au pouvoir royal, furent également découragés mais, en dépit de cela, de nombreux peuples indigènes poursuivirent leurs traditions artistiques. Grâce à cette persévérance et à cette continuité, et malgré une évolution où les motifs furent mélangés à des éléments de l'art colonial, de nombreux dessins et motifs traditionnels incas survivent à ce jour et sont célébrés comme tels dans la céramique, la métallurgie et les textiles du Pérou moderne.