Samudragupta (r. de 335/350 à 370/380 de notre ère) fut le premier souverain important de la dynastie Gupta. Après avoir accédé au trône, il décida d'étendre les frontières de son empire pour couvrir les multiples royaumes et républiques qui existaient en dehors de celui-ci. Surnommé le "Napoléon de l'Inde" pour ses conquêtes, il était également un homme aux multiples talents et posa des fondations solides pour l'empire. C'est à lui, à ses conquêtes militaires et à sa politique que l'on doit l'essor de l'empire Gupta et le début de sa prospérité.
Succession
Samudragupta succéda à son père Chandragupta I (r. de 319 à 335 de notre ère). Certains historiens affirment cependant qu'il aurait été précédé par Kachagupta ou Kacha, le fils aîné de Chandragupta Ier. L'identité de Kacha n'a pas encore été établie, car seules quelques pièces de monnaie portant son nom ont été retrouvées et aucune autre preuve de son règne n'a été découverte à ce jour. Le fait que Chandragupta Ier ait nommé Samudragupta au trône montre qu'il n'était pas son fils aîné. Il est donc possible que les historiens aient raison de dire que Kacha était le fils aîné qui succéda à son père conformément à l'ancienne coutume indienne de primogéniture masculine (nonobstant les souhaits de son père en la matière). Ainsi, Chandragupta n'aurait pu que nommer son fils cadet sur la base de ses capacités, mais n'aurait pas pu le nommer roi.
On ne sait pas si Samudragupta s'opposa à lui ou si la fin de Kachagupta fut naturelle et que son frère lui succéda parce qu'il n'avait pas d'autre héritier. Quant à savoir pourquoi Samudragupta se serait opposé à Kachagupta, si tant est qu'il l'ait fait, on ne dispose d'aucune information. Ce que l'on sait, c'est qu'il réussit finalement à s'emparer du trône.
Les détails du règne de Kachagupta sont à peine mentionnés dans les témoignages historiques existant pour la période Gupta, et la plupart des historiens placent donc Samudragupta comme le successeur de Chandragupta Ier, affirmant que Kacha n'était autre que Samudragupta lui-même; "Peut-être que Kacha était le nom original ou personnel, et que l'appellation Samudragupta aurait été adoptée en allusion à ses conquêtes" (Tripathi, 240). L'historien R.K. Mukherjee explique à juste titre que le titre de Samudragupta "signifie qu'il était "protégé par la mer" jusqu'à laquelle s'étendait sa domination" (19). En ce qui concerne l'accession de Samudragupta, l'historien H.C. Raychaudhuri affirme que "le prince fut choisi parmi ses fils par Chandra Gupta I comme étant le plus apte à lui succéder". Le nouveau monarque était peut-être également connu sous le nom de Kacha" (447). Cette affirmation s'appuie sur une épithète signifiant "déracineur de tous les rois" utilisée pour Kacha sur ses pièces de monnaie, qui ne fut utilisée que pour Samudragupta, car aucun autre empereur Gupta n'a jamais fait de conquêtes aussi étendues. Si Kacha avait existé avant Samudragupta et avait fait de telles conquêtes, ce dernier n'aurait pas eu besoin de les faire! Kacha aurait donc été inclus dans les documents officiels des Gupta en termes glorifiés, ce qui n'est pas le cas. En ce qui concerne les pièces de Kacha, "Les pièces portant le nom de Kacha pourraient donc être attribuées à Samudra Gupta." (Raychaudhuri, 463).
Bien qu'elle ne soit pas validée par les sources historiques, une autre théorie soutient que Chandragupta Ier aurait réussi à passer outre la loi de primogéniture masculine et aurait couronné roi son favori Samudragupta. Furieux d'avoir été supplanté en tant que fils aîné, Kacha ne se serait jamais réconcilié avec son frère et se serait rebellé contre lui pour obtenir le trône, mais il aurait été vaincu.
Conquêtes: Le "Napoléon des Indes"
Samudragupta est surtout connu pour ses nombreuses campagnes militaires. L'historien britannique Vincent Smith (1848 - 1920) fut le premier à le surnommer le "Napoléon des Indes". Ses nombreuses conquêtes sont évoquées dans l'inscription du pilier d'Allahabad, composée par un haut fonctionnaire nommé Harishena, qui était également un auteur et un poète de talent. Cette inscription est la principale (sinon la seule) source concernant ses campagnes et ses conquêtes, et est donc considérée comme cruciale pour l'étude du règne de Samudragupta, "si l'on en croit l'inscription élogieuse d'Allahabad, il semblerait que Samudragupta n'ait jamais connu de défaite, et qu'en raison de sa bravoure et de ses qualités de général, on l'appelle le Napoléon des Indes" (Sharma, 153).
Dans un premier temps, Samudragupta se concentra sur les régions limitrophes de l'empire Gupta existant à l'époque. Selon les lignes 14 à 21 de cette inscription, il attaqua le souverain de la haute vallée du Gange et détruisit de nombreux autres rois, notamment Rudradeva, Matila, Nagadatta, Chandravarman, Ganapatinaga, Nagasena, Achyuta, Nandin et Balavarman. L'identité de certains de ces souverains et les royaumes qu'ils gouvernaient ne sont toujours pas établis. On suppose cependant que la plupart de ces royaumes se trouvaient dans l'État de l'Uttar Pradesh actuel et qu'ils furent annexés à l'empire.
La destruction violente ne fut pas le seul moyen adopté par Samudragupta. Il fit des rois des "États forestiers" (atavika rajya) de l'Inde centrale ses serviteurs. Pour certains autres rois, il suffisait de payer un tribut et d'obéir à l'empereur Gupta. La ligne 22 de l'inscription d'Allahabad donne les détails. Ces rois régnaient sur les régions de Samatata (actuel État du Bengale), Devaka et Kamarupa (actuel État de l'Assam), Nepala (actuel pays du Népal) et Kartripura (parties des actuels États du Pendjab et de l'Uttarakhand).
Les chefs de diverses républiques ont également été ajoutés à cette liste de rois. Ces républiques comprenaient celles des Malavas, des Arjunayanas, des Yaudheyas, des Madrakas, des Abhiras, des Prarjunas, des Sanakanikas, des Kakas et des Kharaparikas. Ceux-ci couvrent de nombreuses régions du nord-ouest de l'Inde, y compris des parties des États actuels du Rajasthan et du Pendjab.
Samudragupta captura et libéra également plusieurs autres rois dont les noms et les royaumes sont indiqués aux lignes 19 et 20. Il s'agit notamment de rois des États actuels du Madhya Pradesh, de l'Odisha, de l'Andhra Pradesh et du Telangana, ainsi que des côtes est et sud-est de l'Inde:
- Mahendra de Kosala
- Vyaghraraja de Mahakantara
- Mantaraja de Kairala ou Kaurala
- Mahendra de Pishtapura
- Svamidatta de Kottura
- Damana d'Erandapalla
- Vishnugopa de Kanchi
- Nilaraja d'Avamukta
- Hastivarman de Vengi
- Ugrasena de Palakka
- Kubera de Devarashtra
- Dhananjaya de Kusthalapura
D'autres rois soumis furent chargés de rendre toutes sortes de services à l'empereur, d'utiliser le sceau officiel des Gupta et de conclure une alliance matrimoniale avec la dynastie impériale s'ils le souhaitaient. Il s'agit notamment des souverains Kushana et des Scythes (Saces et Murundas), ainsi que du roi du Sri Lanka.
Conquêtes: Stratégie
La stratégie de Samudragupta fut guidée par les conditions politiques et économiques qui prévalaient. Il se rendit compte qu'il ne pouvait pas contrôler directement un vaste empire depuis sa capitale et se concentra donc sur l'annexion des royaumes qui se trouvaient à ses frontières. Pour les autres, il suffisait d'accepter la suzeraineté et de laisser leurs propres rois s'occuper des questions de gouvernance et d'administration. En même temps, en tant que subordonnés, ils ne devaient pas poser de problèmes aux Guptas. La situation géographique des rois déterminait donc la catégorie dans laquelle ils seraient placés. Comme l'explique l'historien Raychaudhuri, "dans le nord, il joua le rôle d'un digvijayi ou "conquérant des quartiers", du type du Magadhan primitif. Mais dans le sud, il suivit l'idéal épique et kautilyen d'un dharmavijayi ou "conquérant vertueux", c'est-à-dire qu'il vainquit les rois mais n'annexa pas leur territoire. Il s'était peut-être rendu compte de la futilité d'essayer de maintenir un contrôle efficace sur ces régions éloignées du sud à partir de sa base lointaine du nord-est de l'Inde" (Raychaudhuri, 451).
Par conséquent, contrairement aux Mauryas (du IVe siècle av. J.-C. au IIe siècle av. J.-C.), l'empire Gupta sous Samudragupta ne contrôlait pas directement de nombreux éléments constitutifs de l'empire. Ainsi, malgré ses conquêtes, Samudragupta ne créa pas un empire couvrant toute l'Inde. En utilisant sa puissance militaire, il construisit plutôt la machinerie politique de telle sorte que la suzeraineté et la suprématie des Gupta furent reconnues sur la majeure partie du sous-continent et que de nombreux royaumes et républiques se considéraient comme subordonnés à l'empereur Gupta.
À l'époque, alors que le féodalisme progressait rapidement, c'était probablement la meilleure façon de créer un empire étendu. Le contrôle direct et un système centralisé comme sous les Mauryas n'étaient plus tenables. Dans ces nouvelles circonstances, les Guptas ne pouvaient espérer exercer un contrôle monopolistique sur l'économie et n'auraient donc pas disposé des vastes ressources nécessaires pour gérer un empire bureaucratique doté d'une vaste armée. La meilleure idée était donc de construire une armée suffisamment puissante pour faire plier l'ennemi et le maintenir dans cette position. En s'assurant ainsi la suzeraineté, Samudragupta pensait pouvoir instaurer et maintenir la paix nécessaire à la prospérité de son empire.
Étendue de l'empire
Au moment de sa succession, Samudragupta semble avoir possédé un empire qui comprenait Magadha et ses régions adjacentes depuis les États actuels de l'Uttar Pradesh et du Bengale. Au nord, les frontières de cet empire s'étendaient jusqu'aux contreforts de l'Himalaya. L'annexion des territoires de certains rois vaincus conduiSIt à l'extension des frontières de l'empire Gupta. Ainsi, la vallée du Gange et de la Yamuna, y compris les villes de Mathura à l'est et de Padmavati à l'ouest, furent incluses dans l'empire Gupta.
La majeure partie du nord de l'Inde, à l'exception du Cachemire, l'ouest du Pendjab, la majeure partie du Rajasthan, le Sind (aujourd'hui au Pakistan) et le Gujarat faisaient partie de son empire qui comprenait également les hauts plateaux de l'Inde centrale et de nombreuses régions de la côte orientale. Les frontières de l'empire Gupta étaient ceinturées par des royaumes qui lui étaient subordonnés et reconnaissaient sa primauté. Le roi du Sri Lanka et les rois kushana et scythes reconnaissaient sa suzeraineté. Les rois du sud de l'Inde, bien que ne faisant pas partie directement ou indirectement de l'empire, avaient été humiliés par les conquêtes militaires et étaient donc considérés comme ne constituant pas une menace pour la paix et la prospérité de l'empire.
Guerrier et commandant
Samudragupta et ses princes étaient censés être eux-mêmes des guerriers hors pair, à l'instar de son fils, le prince Chandragupta II. Samudragupta s'intéressait personnellement à toutes ses guerres et campagnes qui n'étaient pas laissées à la discrétion de ses ministres et généraux. Il participa en personne aux batailles, souvent en tant que chef de file. "Toutes ses conquêtes, le roi les réalisa grâce à son leadership personnel et en combattant en première ligne n tant que un soldat (samgrameshu-svabhuja-vijitah)" (Mookerjee, 39). Les inscriptions indiquent qu'il comptait beaucoup sur sa force personnelle et qu'il était un combattant intrépide qui avait mené une centaine de batailles (samarashata) qui avaient laissé sur son corps des cicatrices (vrana) comme marques de décoration (shobha) et de beauté éclatante (kanti), causées par différents types d'armes de guerre.
Mécène des arts
Samudragupta était aussi dévoué aux arts de la paix qu'à ceux de la guerre. Grand musicien, il jouait de la vînâ, un instrument indien à cordes ressemblant à la lyre ou au luth, avec brio. C'était une personne très intellectuelle et un poète accompli. Il a toujours été présenté comme un souverain compétent et compatissant qui se souciait beaucoup du bien-être de ses sujets, en particulier des pauvres et des démunis. Il autorisa le roi du Sri Lanka à construire un monastère bouddhiste et une maison de repos pour les pèlerins sri-lankais à Bodhgaya.
Pièces de monnaie
De nombreuses informations sur Samudragupta, en tant que roi et en tant que personne, ont été fournies par ses pièces d'or. Ses pièces le représentent à la fois comme un guerrier et comme un artiste pacifique, avec des titres appropriés. Elles sont classées en fonction de l'objet ou de l'arme que tient l'empereur, à savoir une hache de guerre, une vînâ ou un arc, ou de l'animal représenté sur la pièce, à savoir un tigre. "Les types de pièces de Samudragupta représentant un archer et une hache de guerre mettent en avant ses prouesses physiques, tandis que le type lyrique, qui le montre jouant de la vînâ, représente un aspect complètement différent de sa personnalité" (Singh, 55).
Les différents titres utilisés par le monarque sont connus grâce aux pièces de monnaie. Ainsi, parakramanka ("marqué par la prouesse") figure au revers des pièces de type standard, apratiratha ("guerrier de char sans pareil" ou "grand guerrier") sur les pièces de type archer, kritantiparashu ("hache de la mort") sur les pièces de type hache de guerre et vyaghra-parakrama ("comme un tigre dans sa force") sur les pièces de type tigre. Il est également représenté comme ayant effectué le sacrifice ashvamedha, traditionnellement pratiqué par les anciens rois indiens pour montrer leurs prouesses et leurs conquêtes, et donc leur suprématie sur les autres rois.
L'avers du type standard témoigne de ses vastes conquêtes par la légende samara-shata-vitata-vijayo jita-aripuranto-divam-jayati ou "Le conquérant des forteresses invaincues de ses ennemis, dont la victoire s'est étalée sur des centaines de batailles, conquiert le ciel".
Réorganisation de l'armée gupta
L'armée ayant joué un rôle considérable sous le règne de Samudragupta, il est fort probable que l'empereur ait pris des mesures vigoureuses pour en augmenter la taille et l'efficacité. Les contacts accrus avec les Scythes (Saces et Kouchans) en Inde conduisirent les Guptas à adopter nombre de leurs équipements et vêtements militaires; "c'est l'armée kouchane, bien vêtue et équipée, qui devint le prototype sur lequel le nouvel uniforme militaire des Guptas fut basé" (Alkazi, 99). Sur ses pièces de monnaie, Samudragupta porte un costume de type scythe.
Les soldats avaient pour la plupart abandonné le turban complexe qui était généralement porté auparavant et portaient leurs cheveux lâchés ou attachés avec un bonnet et des turbans simples, avec des tuniques, des ceintures croisées sur la poitrine nue ou un chemisier court et ajusté. Cette tenue était accompagnée d'un vêtement inférieur ample typiquement indien, drapé ou d'un pantalon d'inspiration scythe, avec des bottes hautes, des casques et des bonnets.
Il existait même une sorte de tenue de camouflage fabriquée en appliquant des techniques de teinture sur tissu. Les cavaliers portaient des manteaux et des pantalons souvent très colorés et décorés. Les guerriers sur éléphants étaient vêtus de tuniques décorées et de pantalons rayés. Les élites qui commandaient l'armée ou d'autres fonctionnaires portaient, en plus des manteaux et des pantalons, des armures (surtout en métal). Les autres classes de troupes de fissures étaient également bien équipées.
Les boucliers, rectangulaires ou courbes, étaient souvent fabriqués en peau de rhinocéros, avec des motifs à carreaux. De nombreux types d'armes tels que les épées courbes, les arcs et les flèches, les javelots, les lances, les haches, les piques, les gourdins et les masses étaient utilisés.
Dans l'Inde ancienne, l'armée était initialement quadruple (chaturanga), composée d'infanterie, de cavalerie, d'éléphants et de chars. À l'époque des Guptas, les chars tombèrent en désuétude et la charge incombait aux trois autres armes. Chaque arme avait son propre chef (ou commandant). Le chef de l'armée était appelé baladhikarananika ou baladhikarana. Le chef de l'infanterie et de la cavalerie était le bhatashvapati. Le chef des éléphants était appelé mahapilupati. L'armée se composait de l'armée permanente de l'État (maula), de mercenaires (bhrita), de forces alliées (mitra) et de celles fournies par les guildes corporatives (shreni).
Héritage
Grâce à sa stratégie de conquête soigneusement guidée, Samudragupta créa un modèle de conquête et de gouvernance bien adapté à l'évolution des conditions politiques et économiques de l'Inde ancienne au IVe siècle de notre ère. Le grand nombre de pièces d'or qu'il émit témoigne de la prospérité de l'empire Gupta à son époque. "En tant que souverain, il était connu pour son gouvernement vigoureux et résolu" (Mookerjee, 38). Malgré ses guerres et ses conquêtes, Samudragupta ne négligea donc aucun autre aspect de la gouvernance.
D'après les pièces de monnaie, son fils Ramagupta, faible et immoral, lui succéda et fut déposé (et peut-être tué) par son frère, qui devint célèbre sous le nom de Chandragupta II Vikramaditya (avant 381- 413-14 de notre ère). Il s'avéra être un souverain et un conquérant compétent et fut le prochain souverain bien connu de la dynastie, avec de nombreuses réalisations à son actif. Il perpétua l'héritage de Samudragupta; non seulement lui, mais l'empire Gupta tout entier était redevable aux efforts de Samudragupta dans la construction et le maintien d'un empire étendu qui sut se tailler une place impressionnante dans l'histoire.