Le djed est un ancien symbole égyptien de stabilité qui figure en bonne place dans l'art et l'architecture égyptiens tout au long de l'histoire du pays. La "stabilité" doit être comprise comme signifiant non seulement un pied ferme, mais aussi l'immuabilité et la permanence. Le symbole est une colonne à large base qui se rétrécit en s'élevant jusqu'à un chapiteau et est traversée par quatre lignes parallèles. La colonne et les lignes sont parfois peintes en couleurs vives, parfois en monochromes. Le djed apparaît pour la première fois à la période prédynastique en Égypte (c. 6000-3150 av. J.-C.) et se poursuit pendant la dynastie ptolémaïque (323-30 av.J.-C.), la dernière dynastie à régner sur l'Égypte avant qu'elle ne devienne une province de l'Empire romain.
Le djed est souvent négligé dans l'art égyptien, et notamment dans l'architecture, simplement parce qu'il est omniprésent; le djed est représenté sur les piliers, les murs des tombes, les architraves (la poutre principale qui repose sur les piliers), les murs des palais, les feuilles de papyrus peintes et surtout les sarcophages. Une fois que l'on est conscient du djed et de son importance dans la culture égyptienne ancienne, il est impossible de le rater. Il s'agit d'un symbole puissant associé au dieu Osiris et à son retour d'entre les morts. Le symbole a été interprété comme représentant différents objets tels que l'épine dorsale du dieu Osiris, le tamaris qui entourait le dieu, quatre piliers s'élevant l'un derrière l'autre et un mât de fertilité dressé lors des fêtes. La "stabilité" semble toutefois avoir été sa signification première et celle à laquelle les anciens Égyptiens attachaient le plus d'importance.
Signification et origines
L'origine précise du djed est inconnue, mais il était associé au dieu Ptah, un dieu créateur de la période prédynastique dont les attributs furent ensuite repris par les divinités Atoum et Osiris. Selon l'historien Clare Gibson, le djed était un phonogramme primitif qui pouvait également servir de pictogramme ou d'idéogramme. Un phonogramme est un symbole représentant un son, un pictogramme le symbole d'un mot ou d'une phrase spécifique, tandis qu'un idéogramme est le symbole d'une chose en soi sans référence à des mots ou à des sons (comme les chiffres où l'on reconnaît le symbole 10 comme représentant une certaine quantité). Le djed symbolisait le concept oral de la stabilité, était le mot écrit de la stabilité et représentait le concept à proprement parler.
À l'époque prédynastique, il s'agissait peut-être à l'origine de la représentation d'un mât de fertilité auquel on suspendait des gerbes de céréales lors des fêtes. Cette perche était peut-être un élément des premiers rituels de fertilité qui finirent par être associés au dieu qui rendait la terre fertile. Le dieu Ptah portait un sceptre qui combinait le djed et l'Ânkh (symbole de la vie) et était désigné comme "le noble djed" dans les inscriptions anciennes. Le festival du pilier djed se tenait chaque année, au cours duquel un véritable pilier djed était construit et élevé par la prêtrise locale le premier jour de la saison des récoltes. L'élévation du pilier symbolisait peut-être à l'origine les grains sortant de terre mais, avec le temps, elle finit par représenter le dieu Osiris revenant d'entre les morts.
Avec l'essor du culte d'Osiris, le djed fut fermement associé à lui et, en particulier, à l'arbre de Byblos qui l'entourait et au pilier fabriqué à partir de cet arbre. Le djed symbolisait également la colonne vertébrale d'Osiris dans la mesure où, tout comme Osiris s'était relevé d'entre les morts, le défunt se releverait de son corps après la mort. De la même manière que la colonne vertébrale humaine permet de s'asseoir, de se tenir debout et de marcher, l'image spirituelle de la colonne vertébrale d'Osiris encourageait l'âme à se lever du corps et à se diriger vers l'au-delà. Le mythe d'Osiris était l'un des plus populaires de l'Égypte ancienne, surtout à l'époque du Nouvel Empire (1570-1069 avant notre ère). L'histoire détaille la mort du dieu, sa ressurection par son épouse Isis et sa descente aux enfers pour régner en tant que Seigneur des morts.
Le mythe d'Osiris
Au début des temps, peu après la création, les dieux Osiris, Isis, Seth, Nepthys et Horus naquirent de l'union entre Geb (terre) et Nout (ciel). Osiris, l'aîné, reçut le règne de la terre et prit sa sœur Isis comme épouse et reine. Seth, jaloux du succès d'Osiris, l'enferma dans un cercueil qu'il jeta ensuite dans le Nil. Le cercueil flotta jusqu'à la ville phénicienne de Byblos où il se logea dans un tamaris près de la rive. L'arbre poussa rapidement autour du cercueil et l'enferma à l'intérieur. Le roi et la reine de Byblos remarquèrent que l'arbre dégageait un doux parfum et le firent donc couper et apporter dans leur palais pour décorer la cour comme un pilier central.
Isis, pendant ce temps, était partie à la recherche de son mari disparu et finit par arriver à la cour de Byblos. Déguisée en femme âgée, elle s'insinua dans les bonnes grâces de la famille royale en apprenant aux servantes à tresser leurs cheveux et devint la nourrice des jeunes princes. Isis aimait particulièrement le plus jeune des enfants, Dictys, et essaya de le rendre immortel en brûlant sa partie mortelle dans une flamme. Lorsque la reine la surprit en train de faire cela une nuit, elle se mit en colère et Isis jeta son déguisement pour se révéler comme déesse. Le couple royal implora sa pitié pour son affront et lui promit tout ce qu'elle désirait; Isis réclama l'arbre où se trouvait son mari.
Elle libéra le corps d'Osiris de l'arbre et le ramena en Égypte pour le faire revivre mais, alors qu'elle était partie chercher les herbes nécessaires, Seth trouva le corps, le coupa en morceaux et le dispersa à travers le pays. Lorsqu'Isis découvrit que son mari avait été démembré, elle se mit immédiatement à recueillir ses restes avec l'aide de sa sœur Nepthys. Elles retrouvèrent toutes les parties de son corps, à l'exception de son pénis qui avait été mangé par un poisson, et il fut ramené à la vie. Isis se transforma en cerf-volant et invoqua la semence du corps d'Osiris en volant autour de lui, attirant la semence en elle et tombant enceinte d'un fils, Horus. Osiris, n'étant pas complet, ne pouvait plus régner sur les vivants et descendit aux enfers en tant que Seigneur des morts. Horus atteignit la maturité et défia Seth pour régner, le vainquant et rétablissant l'ordre sur la terre. Le mythe illustre l'importance de ma'at (harmonie) et le triomphe de l'ordre sur le chaos.
Le Djed et Osiris
La version la plus connue du mythe (qui provient de l'écrivain grec Plutarque, 45-120 de notre ère) situe le tamaris à Byblos, mais d'autres versions affirment que l'arbre se trouvait sur les rives de la ville de Djedou en Syrie. Cela a conduit certains chercheurs à affirmer qu'Osiris était à l'origine un dieu syrien de la fertilité qui fut introduit en Égypte par le biais du commerce. Selon cette théorie, le djed était le symbole de leur culte qui reposait sur la pratique consistant à décorer un pilier pour qu'il ressemble à un arbre et à le draper d'icônes représentant la fertilité et l'abondance des récoltes. Cette théorie a un certain mérite, principalement en raison du fait que le nom de la ville syrienne se prête au symbole, mais elle ne peut prétendre à une validité fondée sur la rareté des arbres en Égypte et leur abondance en Syrie.
Quelle que soit l'abondance de la forêt en Syrie, les arbres occupent une place importante dans la littérature égyptienne en tant que bénédictions spéciales des dieux et même de leurs maisons. Osiris était peut-être à l'origine une divinité syrienne, mais on ne peut pas fonder cette affirmation sur une pénurie d'arbres en Égypte. Le nom d'Osiris apparaît pour la première fois dans la Cinquième dynastie d'Égypte (2498-2345 av. J.-C.), bien que des images de lui soient antérieures à cette période et que ses origines soient obscures. À l'époque du Nouvel Empire, cependant, il faisait partie des dieux les plus populaires et les plus importants d'Égypte et le symbole djed était lié à son histoire. L'experte Geraldine Pinch commente ce fait en écrivant :
Au Nouvel Empire, le djed est étroitement associé à la mythologie d'Osiris. On pouvait faire allusion au sujet tabou du meurtre d'Osiris en disant que Seth avait "couché le djed sur le côté". Des scènes dans des temples ou des tombes royales montrent le dieu Horus (ou le roi jouant le rôle d'Horus) soulevant la colonne de djed pour aider son père Osiris à se relever d'entre les morts (128).
Le mythe d'Osiris, qui met l'accent sur la résurrection, l'immortalité et l'ordre à partir du chaos, exprime certains des concepts les plus appréciés de la culture égyptienne et Osiris devint l'un des dieux les plus souvent invoqués. Son épouse, Isis, acquit une notoriété encore plus grande pour devenir finalement la seule divinité d'Égypte adorée par tous, indépendamment de leur situation géographique ou de leur devoir envers d'autres dieux. Isis était associée au symbole du tyet (le "nœud") représentant la fertilité et était souvent associée au djed, notamment sur les cercueils égyptiens. L'experte Clare Gibson commente cette association en écrivant :
Il est particulièrement significatif que l'on accorde une telle importance au djed et au tyet, car ces symboles représentent respectivement Osiris et Isis, ou les principes masculin et féminin (et ce n'est probablement pas une coïncidence si l'un est phallique et l'autre, de forme utérine), et ensemble donc le potentiel inné de faire naître une nouvelle vie (159).
Osiris, bien que n'étant plus le maître du monde, avait donné la vie au peuple et, par l'intermédiaire de son fils, apporté l'harmonie à la terre. Dans son rôle de Seigneur des Morts, Osiris était le juge juste qui présidait au destin de l'âme dans la Salle de la Vérité. Il n'est donc pas surprenant que son symbole se retrouve sur les murs des tombes, dans les textes des pyramides et sur les cercueils. Les Égyptiens croyaient que leur voyage terrestre n'était qu'un aspect d'un voyage éternel et que la mort n'était qu'un autre royaume à parcourir. Le symbole djed, comme les textes des pyramides eux-mêmes, aurait été inscrit là où l'âme pouvait le voir afin d'aider à libérer l'aspect éternel de l'individu du corps physique après la mort.
Le Djed dans l'art et l'architecture
Comme nous l'avons vu plus haut, il y a tellement d'exemples du djed dans les œuvres d'art et les projets de construction des Égyptiens qu'il est impossible d'ignorer le symbole une fois qu'on en a pris conscience. Une utilisation notable du Djed au début de la période dynastique (vers 3150-2613) est le complexe du temple de la pyramide à degrés de Djéser à Saqqarah. Les piliers de l'intérieur du temple T, dans la cour Heb Sed, sont décorés de symboles djed. Le djed est également représenté de manière très intéressante dans la tombe sud du complexe, où une série de cobras s'élèvent en pierre depuis la façade. Les espaces entre ces cobras sont en forme de djed.
L'élévation du pilier djed était une partie importante de la fête connue sous le nom de Heb Sed qui était observée pour restaurer le pouvoir du roi. Geraldine Pinch note comment, lors de ce festival, "l'élévation du djed était précédée d'un combat fictif entre des personnes représentant les forces opposées de l'ordre et du chaos" (128). Une fois l'ordre rétabli, le pilier djed était élevé comme un symbole de triomphe et de stabilité. Le roi était renouvelé par son association avec Osiris qui revenait de la mort à la vie. Les piliers djed du temple T et les autres symboles djed du complexe de Saqqarah invoquaient non seulement Osiris et sa résurrection, mais représentaient aussi la stabilité, car ils étaient soigneusement placés pour ressembler à des piliers soutenant le ciel. Il existe de nombreux sites dans toute l'Égypte où l'on voit des symboles djed répétés sur les linteaux et les arches des bâtiments. Si l'on ne reconnaît pas le djed, on a l'impression qu'il s'agit d'une simple ornementation, mais si on le reconnaît, les symboles djed sont clairement des piliers qui soutiennent la voûte céleste.
Dans l'Ancien Empire, le djed figure en bonne place sur les tombes, comme c'est encore le cas dans le Nouvel Empire. Le Livre des Morts est illustré par tant de symboles djed qu'ils se fondent parfois dans une sorte de papier peint derrière les images de l'âme qui s'élève et des dieux qui l'accompagnent. La tombe du scribe Ani du Nouvel Empire, datée d'environ 1250 avant J.-C., porte une page du Livre des morts personnalisée pour parler directement à l'âme d'Ani. Comme pour toutes les inscriptions funéraires de ce type, l'objectif était d'orienter l'âme vers l'au-delà et de l'aider à quitter son corps et les choses de la terre. La tombe d'Ani montre son âme quittant sa femme, sa vie et son corps pour se diriger vers Osiris dans la salle de la vérité. Gibson commente ce fait en écrivant :
Les vignettes qui illustrent les passages du texte reproduit ici sont toutes imprégnées d'une profonde signification concernant ce que les anciens Égyptiens espéraient pieusement voir se produire après leur mort, les scénarios présentés invoquant l'aide et la protection des dieux Osiris, Anubis et Nepthys, et accordant une place prépondérante à des symboles amulettes tels que le pilier djed et les plantes de lotus et de papyrus (173).
Le pilier djed ne symbolisait pas seulement la stabilité dans la vie et après la mort, mais aussi la présence durable des dieux dans la vie d'une personne. Le symbole assurait aux anciens Égyptiens que les dieux les accompagnaient à chaque étape de leurs voyages terrestres et qu'ils continueraient à les accompagner après la mort. Le symbole djed promettait aux êtres humains que, comme Osiris, ils passeraient de la mort à la vie et continueraient à vivre éternellement dans le Champ des roseaux. La vie après la mort des Égyptiens était une image miroir de la vie sur terre, mais avec une félicité éternelle sans perte, déception ou mort. L'immuabilité de l'âme et la promesse de cette vie éternelle étaient représentées par le djed. Si ce symbole apparaît si régulièrement tout au long de l'histoire de l'Égypte, c'est parce qu'il rappelait au peuple la véritable nature de la vie, que la mort n'était pas la fin, et que les dieux étaient toujours proches.