Dans la Chine ancienne, la guerre était pour une région le moyen de prendre l'ascendant sur une autre et pour un État de s'agrandir et de protéger ses frontières. Pour un usurpateur, c'était aussi le moyen idéal de remplacer une dynastie régnante. Avec des armées comptant des dizaines de milliers d'hommes au cours du premier millénaire av. J.-C. pour des centaines de milliers au premier siècle ap. J.-C., l'art de la guerre devint de plus en plus destructeur et avancé technologiquement parlant. Les chars de guerre cédèrent le pas à la cavalerie, l'arc à l'arbalète et enfin, l'artillerie mécanique à l'artillerie à poudre. L'élite intellectuelle chinoise affectait de mépriser la guerre et ceux qui la faisaient, et il y eut par conséquent de nombreuses périodes de paix relative, mais pour le menu peuple, il était fort difficile d'échapper aux dures exigences de la guerre. Il fallait soit combattre, soit périr, servir dans l'armée ou être réduit en esclavage, s'emparer des biens d'autrui ou risquer de perdre tous les siens.
Attitudes par rapport à la guerre
L'âge du bronze chinois connut un grand nombre de confrontations militaires entre princes de cités-états bien déterminés à s'emparer des richesses de leurs voisins. C'est sans aucun doute le degré de réussite atteint au cours de ces opérations qui permettait de légitimer les règnes et d'accroître le niveau de bien-être des vainqueurs et de leur peuple. Ceux qui ne se battaient pas étaient dépouillés de leurs biens, voyaient leurs habitations détruites et ils étaient généralement réduits à l'esclavage, quand ils n'étaient pas tout simplement exterminés. Il est vrai qu'une grande partie de l'histoire de la Chine serait par la suite parsemée de guerres entre certains États, mais il est également vrai que la guerre était peut-être un peu moins glorifiée dans la Chine ancienne qu'elle ne l'était dans d'autres sociétés du monde antique.
L'absence de glorification de la guerre en Chine s'explique en grande partie par la philosophie confucéenne et sa littérature, qui soulignaient l'importance d'autres aspects de la vie publique. Certes, il existait bien des traités militaires, mais les récits palpitants de combats héroïques et les thèmes martiaux en général sont plus rares dans la mythologie, la littérature et l'art chinois que dans les cultures occidentales contemporaines, par exemple. Au point même que le célébrissime Art de la guerre de Sun-Tzu (Ve siècle av. J.-C.) nous met en garde: 'Il n'existe pas d'exemple d'une nation qui aurait tiré profit d'une longue guerre' (Sawyer, 2007, 159). S'il est un fait avéré que les généraux et les officiers les plus ambitieux étudiaient et mémorisaient les textes stratégiques sur la manière de remporter les guerres, il n'en reste pas moins qu'au plus haut niveau, à commencer par l'empereur, la guerre n'était souvent qu'un pis-aller. La dynastie Han (206 av. J.-C. - 220 ap. J.-C.) s'est distinguée par son degré d'expansion, tout comme certains empereurs de la dynastie Tang (618-907 ap. J.-C.) mais, dans l'ensemble, l'on considérait que la meilleure façon de défendre les frontières de la Chine impériale était de soudoyer les États voisins en leur versant de vastes tributs d'argent et de soie, tout en exportant parallèlement une culture 'civilisatrice'. Si par la suite, la guerre s'avérait inévitable, il était préférable de recruter des troupes étrangères pour la faire.
Les fonctionnaires, qui n'éprouvaient que mépris pour les militaires incultes, partageaient aussi l'avis des intellectuels qui désapprouvaient toute forme d'action militaire. Il ne fait du reste aucun doute que la grande majorité de la paysannerie chinoise voyait également la guerre d'un mauvais œil, car c'est elle qui devait subir la conscription, les lourds impôts en nature pour financer des campagnes ruineuses, et qui voyait ses exploitations envahies et pillées.
Dans la mesure où les empereurs, la noblesse foncière, les intellectuels et les paysans étaient tous conscients de ce qu'ils risquaient de perdre en cas de guerre, il était quelque peu décevant pour eux de constater que la Chine, en tout état de cause, connaissait autant de conflits que n'importe quel autre pays du monde à certaines époques. On ne saurait ignorer la multiplication des fortifications à l'âge du bronze, particulièrement au cours de siècles aussi chaotiques que la période des Printemps et Automnes (722-481 av. J.-C.) et sa centaine d'États rivaux, la Période des Royaumes Combattants (481-221 av. J.-C.) et son nombre incroyable de 358 conflits distincts, ou encore la chute des Han qui vit la guerre redevenir incessante entre les États chinois rivaux. Les frontières de la Chine faisaient également l'objet d'attaques incessantes de la part des tribus des steppes du Nord. En outre, les empereurs n'hésitaient pas à se lancer dans d'occasionnelles folies étrangères, telles que l'invasion de la Corée antique.
L'armement
L'arc fut de loin l'arme la plus utilisée par les Chinois tout au long de leur histoire. Comme il s'agissait de l'arme la plus couramment répandue dans l'armée chinoise, la maîtrise de son maniement était fort appréciée. Utilisé depuis le néolithique, c'est sous la dynastie Shang (c. 1600-1046 av. J.-C.) que sa version composite apparut. Il devenait du même coup un élément beaucoup plus utile et puissant de la stratégie d'attaque d'une armée. En bataille les archers provoquaient souvent le début des hostilités en tirant des volées massives sur l'ennemi, puis protégeaient les flancs de l'infanterie lorsqu'elle avançait ou ses arrières lorsqu'elle reculait. Les archers étaient également montés sur des chars et l'arc constituait l'armement principal de la cavalerie.
Cependant, l'arme la plus caractéristique et la plus symbolique de l'art militaire chinois reste sans doute l'arbalète. Introduite pendant la période des Royaumes combattants, elle permit à la Chine de se distinguer en tant que nation capable d'innovations technologiques autant que de fournir l'entraînement nécessaire à une utilisation efficace. Les Han surent l'utiliser avec efficacité contre les tribus 'barbares' pour étendre leur empire, leur corps discipliné d'arbalétriers parvenant même à repousser les unités de cavalerie adverses. Comme les archers, les arbalétriers étaient généralement postés sur les flancs des unités d'infanterie. Au fil des siècles, de nouvelles évolutions technologiques rendirent l'arbalète plus légère, ce qui permettait de l'armer d'une seule main. Elle pouvait ainsi tirer plusieurs carreaux en rapide succession tout en les projetant plus loin, avec davantage de précision et de puissance qu'auparavant. On en fit même des versions d'artillerie montées sur base pivotante. En dehors de son utilisation en tant qu'arme offensive, l'arbalète devint également un moyen très prisé de défense des cités puissamment fortifiées.
L'épée ne fit son apparition que relativement tard sur les champs de bataille chinois, probablement vers 500 av. J.-C., et ne concurrença jamais vraiment l'arc ou l'arbalète en tant qu'arme de prédilection des armées chinoises. Développée à partir de poignard à longue lame et de pointes de lance utilisées principalement pour frapper d'estoc, la première épée véritable fut d'abord fabriquée en bronze, puis, plus tard, en fer. Au cours de la période Han, elle devint plus efficace grâce à l'amélioration des techniques de travail du métal, ce qui permit d'obtenir des lames plus résistantes et des tranchants plus acérés. En dehors de l'épée, l'infanterie chinoise utilisait également la hallebarde (croisement de lance et de hache), la lance, le javelot, le poignard et la hache d'arme.
C'est au cours de la période Han que l'artillerie fit son apparition en Chine avec la première baliste. Il est probable que son usage se soit limité à la guerre de siège, mais qu'elles aient servi aussi bien aux assaillants qu'aux défenseurs. La catapulte à contrepoids, ou trébuchet, plus puissante, ne fut utilisée en Chine qu'à partir du XIIIe siècle. L'artillerie permettait de tirer des pierres, des projectiles métalliques ou en terre cuite, des bombes incendiaires utilisant de l'huile de naphte ou 'feu grégeois' (à partir du Xe siècle) et, à partir de la dynastie Sung (960-1279), des boulets creux contenant de la poudre à canon. Le premier écrit où il est fait référence à de la poudre à canon date de 1044, tandis qu'une bannière en soie décrivait déjà son utilisation au IXe siècle (si sa datation est exacte). La poudre à canon ne jamais fut pleinement exploitée dans la Chine ancienne et les engins qui l'utilisaient se limitaient à des projectiles faits d'une enveloppe souple de bambou ou de papier, conçus pour déclencher des incendies à l'impact. La véritable bombe, qui dispersait des éclats mortels lors de l'explosion, n'apparut qu'au XIIIe siècle.
Les armures
Dans la mesure où les flèches et les carreaux d'arbalète devenaient de plus en plus meurtriers, il n'est guère surprenant que la qualité des armures se soit améliorée de façon spectaculaire afin de mieux protéger les guerriers. Les premières armures étaient sans aucun doute les plus impressionnantes - les peaux de tigre, par exemple - mais aussi les moins efficaces. Durant la dynastie Shang, du cuir durci recouvrait la poitrine et le dos des soldats, dans un effort plus sérieux pour amortir et dévier les coups. La dynastie Zhou (1046-256 av. J.-C.) vit l'apparition de tuniques-armures plus souples, composées de rectangles de cuir tanné et laqué et de plaques de bronze maintenus entre eux par des liens de chanvre ou des rivets. C'est ce type d'armure que l'on observe portée par chez les guerriers Qin de l'armée de terre cuite du IIIe siècle av. J.-C. À partir de la période Han, le fer fut de plus en plus utilisé dans la fabrication des armures.
Les boucliers offraient une protection supplémentaire. Les plus anciens étaient fabriqués uniquement en bambou ou en cuir, puis, comme les armures corporelles, ils commencèrent à incorporer des éléments métalliques. Les casques suivirent la même évolution en termes de matériaux et protégeaient généralement les oreilles et la nuque. Les casques et les armures étaient parfois décorés de panaches, de gravures et de peintures représentant des créatures redoutables ou embellis par des ajouts en métal précieux ou en ivoire. Des armures spécialisées se développèrent pour les guerriers combattant sur des chars qui, n'ayant pas besoin d'une aussi grande liberté de mouvement que les fantassins, pouvaient porter des cottes de mailles de plus grande longueur. Il existait également une cavalerie lourde dont les jambes du cavalier et le cheval tout entier étaient protégés.
Charrerie et cavalerie
Le char de combat fit son apparition dans les guerres chinoises vers 1250 av. J.-C., mais c'est entre le VIIIe et le Ve siècle av. J.-C. qu'on en observa le plus grand nombre. D'abord utilisé pour indiquer le statut du commandant, puis comme une arme de choc efficace, le char de guerre transportait généralement un pilote, un archer et un lanceur de javelot. Ils étaient très souvent déployés en groupes de cinq. Tiré par deux, trois ou quatre chevaux, il existait en différentes versions; léger et rapides pour permettre le déplacement des troupes sur le champ de bataille; lourd blindé de bronze pour perforer les rangs ennemis, parfois converti de façon à pouvoir emporter des arbalètes lourdes fixes, ou encore en version surélevée pour permettre aux commandants de mieux suivre le déroulement des batailles. Le corps de chars pouvait également avoir pour mission de poursuivre une armée en déroute. Cependant, les chars nécessitaient une large zone de manœuvre et un terrain plat afin de pouvoir fonctionner de façon optimale. Ces limites furent cause de leur remplacement par la cavalerie à partir du IVe siècle av. J.-C.
La cavalerie fut probablement une innovation issue des tribus des steppes du nord; les Chinois comprirent très vite qu'elle offrait une vitesse et une mobilité bien supérieures à celles des chars de combat. Le problème était d'acquérir les compétences nécessaires non seulement pour monter à cheval, mais aussi pour manier des armes en même temps, alors que la selle n'était guère plus qu'une couverture et que l'étrier n'avait pas encore été inventé. C'est pour ces raisons que la cavalerie ne put devenir une composante essentielle d'une armée de campagne avant la période Han. Les cavaliers étaient armés d'un arc, d'une lance, d'une épée ou d'une hallebarde. Comme les chars, la cavalerie était utilisée pour protéger les flancs et l'arrière des formations d'infanterie, en tant qu'arme de choc et moyen de harceler un ennemi en mouvement ou de mener des attaques éclair.
Les fortifications
Le fait d'entourer un village d'un fossé protecteur (parfois inondé pour former une douve) remonte au VIIe siècle en Chine tandis que la construction de murailles d'enceintes à l'aide de terre séchée remonte à la fin de la période néolithique. La guerre de siège n'était cependant pas courante en Chine jusqu'à la dynastie Zhou, où la guerre impliquait la destruction totale de l'ennemi et pas seulement de son armée. Au cours de la dynastie Han, les remparts des villes atteignaient communément des hauteurs de six mètres et étaient constitués de terre compactée. Des créneaux, des tours et des portes monumentales venaient compléter la défense de la ville. Les remparts étaient également plus résistants aux intempéries, les parties inférieures étant recouvertes de pierre afin de mieux les prémunir contre les détournements de cours d'eau locaux par une force assaillante dans le but de les ébranler. Pour renforcer les murs, une autre technique consistait à mélanger à la terre des tessons de poterie, du matériel végétal, des branches et du sable. De plus, afin de s'assurer qu'une ville puisse résister à une attaque suffisamment longtemps pour permettre à des renforts d'arriver de l'extérieur, des fossés d'une largeur pouvant atteindre 50 mètres, souvent remplis d'eau, et même un double mur d'enceinte, furent mis en place.
Les villes, mais aussi les frontières des États, étaient protégées par de hauts remparts et des tours de guet. Les plus anciens furent peut-être construits dans le nord à partir du VIIIe siècle, mais cette pratique devint courante pendant la période des Royaumes combattants, lorsque de nombreux États puissants se disputaient le contrôle de la Chine. La plupart de ces structures furent démantelées par l'État vainqueur, qui allait devenir la dynastie Qin à partir de 221 av. J.-C., mais l'un des remparts fut considérablement agrandi et devint la Grande Muraille de Chine. Agrandie à nouveau par les dynasties suivantes, la muraille devait finalement s'étendre sur quelque 5 000 km, depuis la province de Gansu à l'est jusqu'à la péninsule de Liaodong. La structure n'était pas continue, mais elle permit, pendant plusieurs siècles, de protéger la frontière septentrionale de la Chine contre les invasions des tribus nomades des steppes.
Organisation et stratégie
L'histoire de la Chine est extrêmement longue et chaque période ainsi que chaque dynastie connut ses propres pratiques et innovations en matière de guerre. Néanmoins, certains thèmes se retrouvent fréquemment dans l'histoire de la guerre en Chine. Les officiers étaient souvent des professionnels (bien qu'ils aient souvent hérité de leur statut), les troupes ordinaires étaient composées de conscrits ou de soldats capturés; les condamnés de droit commun pouvaient également être incorporés à l'armée. Il y avait également des volontaires, généralement des jeunes hommes issus de familles nobles qui s'engageaient comme cavaliers à la recherche d'aventure et de gloire. L'organisation d'une armée en campagne en trois divisions était une tradition établie de longue date. Il en allait de même pour l'unité de cinq hommes, généralement appliquée à l'infanterie, où les escouades étaient composées de deux archers et de trois guerriers. À l'époque des Royaumes combattants, une armée était généralement divisée en cinq divisions, chacune représentée par un drapeau qui indiquait sa fonction:
- Oiseau rouge - avant-garde
- Dragon vert - aile gauche
- Tigre blanc - aile droite
- Tortue noire - arrière-garde
- Constellation de la Grande Ourse - commandant et garde du corps
Une fois l'usage de l'arbalète devenu plus répandu au sein de l'armée, les troupes maîtrisant cette arme se virent souvent groupées sous forme de corps d'élite et d'autres unités spécifiques furent utilisées comme troupes de choc pour prêter main forte là où nécessaire ou pour semer la confusion chez l'ennemi. Comme indiqué précédemment, les archers et la cavalerie protégeaient les flancs d'une infanterie plus lourde et les chars, lorsqu'ils étaient utilisés, pouvaient remplir la même fonction ou composer l'arrière-garde. Ces positions, qualifiées d'idéales dans les traités militaires, sont confirmées par l'armée de terre cuite de Shi Huangdi. Pour mieux pouvoir organiser les troupes et les déployer de la manière désirée par le commandant sur le champ de bataille, des drapeaux, on utilisait des bannières d'unités, des tambours et des cloches.
Les soldats étaient soutenus par des officiers spécialisés chargés de la logistique et de l'approvisionnement de l'armée en vivres (millet, blé et riz), en eau, en bois de chauffage, en fourrage, en équipement et en abris dont ils avaient besoin pendant les campagnes. Le matériel était transporté par voie fluviale dans la mesure du possible et, dans le cas contraire, sur des chars à bœufs, des chevaux et même des brouettes à partir de la dynastie Han. À partir de la période des Royaumes combattants, et plus particulièrement de la dynastie Han, des sections de l'armée furent chargées de cultiver des terres afin d'acquérir les éléments vitaux nécessaires que la recherche de nourriture, les requisitions auprès de la population locale ou prises de guerre trouvées chez l'ennemi ne permettaient pas de fournir. L'établissement de garnisons disposant de leur propre source de ravitaillement et l'amélioration des routes et des canaux d'approvisionnement étaient autant d'éléments qui permettaient d'allonger la durée pendant laquelle une armée pouvait effectivement se maintenir sur le terrain.
Les batailles rangées d'infanterie, les escarmouches de cavalerie, les missions de reconnaissance, l'espionnage, les subterfuges et les embuscades étaient tous des aspects importants de l'art de la guerre en Chine. Il a souvent été fait référence à un code de chevalerie pendant les périodes Shang et Zhou, mais il s'agit probablement d'une invention d'auteurs ultérieurs ou, au mieux, d'une exagération. Il est certain que lorsque la guerre devint plus mobile et les enjeux plus importants à partir du IVe siècle av. J.-C., on attendait d'un commandant qu'il remporte la victoire par tous les moyens à sa disposition.
Un dernier thème récurrent dans l'histoire de la Chine est le recours à des devins spécialisés dans l'étude des présages, l'observation du mouvement et de la position des corps célestes, l'évaluation de la signification des phénomènes naturels et dans la consultation des calendriers afin de déterminer le moment et l'endroit les plus propices pour entreprendre une guerre. Sans prise en compte de ses éléments, croyait-on, posséder les meilleures armes, les meilleurs hommes et les meilleures tactiques ne suffirait pas à apporter la victoire finale.