Le Grand Sphinx de Gizeh est la statue la plus instantanément reconnaissable associée à l'Égypte ancienne et parmi les plus célèbres au monde. La sculpture, d'un lion couché avec la tête d'un roi égyptien, fut sculptée en calcaire sur le plateau de Gizeh probablement sous le règne du roi Khéphren (ou Khafrê 2558-2532 av. JC) pendant la période de l'Ancien Royaume d'Égypte (vers 2613-2181 av. JC), bien que certains experts (notamment Dobrev en 2004) prétendent qu'elle fut créée par Djédefrê (2566-2558 avant JC), le frère de Khéphren qui tenta d'usurper le trône après la mort du roi Khoufou (aka Khéops 2589-2566 avant JC), le créateur de la Grande Pyramide.
D'autres égyptologues, ainsi que des experts, des professeurs et des historiens non spécialistes ont affirmé que le Sphinx est beaucoup plus vieux que la quatrième dynastie, date sur laquelle le courant dominant d'égyptologie continue d'insister. Les revendications de certains de ces écrivains, comme Zacharie Sitchin et Erich von Daniken, ont longtemps été discréditées par les études dans le domaine, et celles des auteurs plus récents sur le sujet sont systématiquement ignorées ou prétendent être impertinentes ou incorrectes.
Les experts restent en désaccord sur le nom de celui qui fit sculpter le Sphinx et quand il fut créé, mais tous s'accordent à dire qu'il s'agit d'une œuvre impressionnante qui, pendant des siècles, a été la plus grande sculpture au monde. Le Sphinx mesure 73 m de long et 20 m de hauteur, orienté sur un axe ouest-est. L'égyptologue Miroslav Verner commente l'importance de la sculpture en écrivant:
Le Grand Sphinx de Gizeh est plus qu'un simple symbole de l'Égypte ancienne et moderne. C'est l'incarnation même de l'antiquité et du mystère lui-même. Au fil des siècles, il a enflammé l'imagination des poètes et des scientifiques, des aventuriers et des voyageurs. Bien qu'il ait souvent été mesuré, décrit, étudié à l'aide des moyens techniques scientifiques les plus modernes et discuté lors de conférences scientifiques, des questions fondamentales restent sans réponse: Qui l'a construit, quand et pourquoi ? (234)
Nombre de théories furent avancées pour tenter de répondre à ces questions, mais peu répondent aux trois questions ou sont acceptées de tous. Cependant, il est communément admis parmi les égyptologues que le Sphinx fut construit sous le règne de Khéphren pendant la 4ème dynastie de l'Ancien Royaume lorsque les maçons qui construisaient son complexe pyramidal tombèrent sur un gros morceau de calcaire et décidèrent - ou furent commandés - d'y tailler le Sphinx. Pourquoi cela fut fait et quel but le Sphinx servit initialement sont des questions continuellement débattues.
Nom
La statue n'a jamais été connue sous le nom de « sphinx » par les anciens Égyptiens. Le mot « sphinx » est grec et fut appliqué à la sculpture égyptienne de Gizeh, selon Verner (et d'autres) par une traduction du nom égyptien shesep-ankh (« image vivante ») par laquelle les Égyptiens se réfèrent à cette pièce ainsi qu'à d'autres représentations de figures royales. Bien que cela puisse être, il est également fort probable que la statue rappelle simplement aux écrivains grecs leur propre sphinx mythique, comme celui célèbre dans l'histoire d'Œdipe, avec le corps d'une bête et la tête d'une femme. Les visiteurs grecs du site, comme Verner affirment, confondirent le nemes (le couvre-tête rayé du roi) avec les cheveux à longueur d'épaule d'une femme.
Pendant le temps du Nouveau Royaume d'Égypte (1570-1069 av. JC), le Sphinx était connu par les Égyptiens en tant que Horemakhet (Horus de l'Horizon) et un culte grandit autour de la statue en l'associant au dieu Horus. Un « culte » en Égypte ancienne devrait être compris dans le sens d'une secte d'un mouvement religieux de nos jours; pas un culte tel qu'un lecteur moderne comprend ce terme. C'était un culte solaire qui vénérait Horus dans son rôle de dieu du ciel. Amenhotep II (1425-1400 av. JC) pourrait avoir parrainé ce culte. Il honora le Sphinx avec un temple louant Khoufou et Khéphren, les représentants d'Horus sur terre comme beaucoup de rois égyptiens l'affirmèrent, mais son choix en nommant ces deux suggère fortement qu'il comprenait l'existence d'un lien entre ces dirigeants de la 4e dynastie et la statue. Les inscriptions d'Amenhotep II suggèrent donc une date probable et des noms de rois associés à sa création.
Le fils d'Amenhotep II, le prince Thoutmôsis, s'endormit une nuit près du Sphinx et fit un rêve dans lequel la statue lui parlait en se plaignant de son état et de la façon dont le sable se pressait contre lui. Le Sphinx proposa un marché à Thoutmôsis: s'il acceptait de dégager le sable de la statue et de la restaurer, il deviendrait le prochain pharaon d'Égypte. Le jeune prince accepta le marché, restaura le Sphinx, et fit ériger devant elle la célèbre Stèle du Rêve, sculptée en granit rose, pour raconter comment le prince devint Thoutmôsis IV, Pharaon d'Égypte (1400-1390 av. JC). Le culte du Sphinx grandit après le règne de Thoutmôsis IV, probablement en réponse à la Stèle du Rêve qui encourageait les gens à considérer la statue comme une divinité vivante capable d'influencer l'avenir.
Les chrétiens coptes du IVe siècle appelaient la statue Bel-hit (Le Gardien), et ce nom est encore utilisé aujourd'hui. Les Égyptiens d'aujourd'hui ne parlent pas de la statue comme « le Sphinx » à moins qu'ils n'en discutent avec des touristes étrangers. La pièce est connue en arabe égyptien sous le nom d'Abu al-Hawl, « Le Père de la terreur », et est prétendue être une abomination idolâtre par certaines factions extrêmes de l'Islam. En 2012, en effet, les religieux associés aux talibans appelèrent à la destruction du Sphinx et des pyramides de Gizeh pour cette raison.
Construction
Le plateau de Gizeh dans l'Antiquité était très différent en apparence de ce qu'il est aujourd'hui. Les archéologues et les géologues travaillant dans la région ont découvert, à travers des schémas d'érosion, des végétaux et des animaux fossilisés et des artefacts, que la région, il y a environ 8 000 ans, était autrefois assez fertile et luxuriante de végétation. L'eau était abondante et les aquifères souterrains existent encore, comme en témoignent les difficultés que Zahi Hawass et son équipe ont eu à explorer le puits d'Osiris de la Grande Pyramide en 1999, en raison de la hauteur de la nappe phréatique. Les précipitations étaient abondantes dans la région d'environ 15 000 av. J.-C., et bien qu'elles soient devenues moins fortes avec le temps, la région était encore assez fertile à l'époque de la 4e dynastie.
La capitale d'Égypte pendant l'Ancien Royaume était la ville voisine de Memphis; Gizeh fut choisie comme nécropole pour les rois de la 4ème dynastie, les grands bâtisseurs de pyramides, parce qu'elle avait été utilisée par les dirigeants pendant la période dynastique primitive d'Égypte (vers 3150-2613 av. JC) et peut-être même la période Prédynastique (c. 6000-c. 3150 av. JC). Le roi Djoser (vers 2670 av. JC) avait déjà construit sa célèbre pyramide à degrés et son complexe à Saqqarah alors que, à Gizeh, il n'y avait que des tombes mastaba. Le roi Snéfrou (vers 2613-2589 av. JC) perfectionna l'art de la construction pyramidale grâce à ses travaux sur la pyramide de Meïdoum, la pyramide rhomboïdale et la pyramide rouge. Au moment où le roi Khoufou arriva sur le trône en 2589 av. JC, les Égyptiens comprenaient bien comment travailler la pierre et comment créer des monuments à grande échelle. Khoufou choisit probablement Gizeh comme site de sa Grande Pyramide afin de présenter l'œuvre dans le meilleur cadre et loin des créations de son prédécesseur.
Khéphren succéda à Khoufou et commença son propre complexe pyramidal à côté de celui de son père. Le Sphinx lui est crédité parce que le visage de la créature ressemble au sien tel qu'il apparaît dans les statues et à cause de la façon dont le Sphinx semble avoir été sculpté. Selon la théorie, dans le processus de construction de la pyramide de Khéphren, les ouvriers découvrirent une grande masse de roche jugée inadaptée au complexe pyramidal et y sculptèrent la statue. Les historiens Bob Brier et Hoyt Hobbs commentent:
La pyramide de Khéphren [était confrontée à un] bloc étincelant de calcaire blanc, transporté par des bateaux depuis les carrières le long du Nil [et] posé sur des blocs de calcaire intérieurs extraits des alentours de Gizeh. Probablement au cours de la libération de ces blocs intérieurs, les ouvriers avaient trouvés une veine de roche plus dure qu'ils évitèrent, laissant une petite colline. Khéphren fit sculpter ce rocher en forme de lion couché portant son propre visage - le célèbre Sphinx. (16)
Le Sphinx est directement aligné avec le complexe pyramidal de Khéphren et cela soutient également l'affirmation selon laquelle il en était son créateur. L'emplacement de la statue, cependant, et la façon dont elle s'harmonisait avec le complexe, ont amené certains chercheurs (comme Stadelmann de l'Institut archéologique allemand du Caire) à croire que le Sphinx existait déjà lorsque Khéphren monta sur le trône et que son complexe fut spécialement conçu pour s'aligner sur la sculpture. Le célèbre égyptologue anglais E. Wallis Budge (1857-1934) affirma que le Sphinx était beaucoup plus ancien que l'époque de Khéphren et aurait pu être créé au début de la période dynastique ou même plus tôt. Dobrev, comme indiqué, a affirmé en 2004 que la statue fut complétée par le frère de Khéphren, Djédefrê en l'honneur de son père Khoufou et que le visage de la statue ressemble beaucoup plus à celui de Khoufou que celui de Khéphren. Dobrev est également d'accord avec Stadelmann sur le fait que c'est le complexe de Khéphren qui fut orienté en fonction du Sphinx et non la statue sculptée pendant ou peu de temps après sa construction.
Certains éléments de preuve, cependant, plaide fortement en faveur de la construction sous le règne de Khéphren. Le visage de la créature mis à part, on sait positivement que le calcaire qui constitue le Sphinx est le même que celui utilisé dans la pyramide de Khéphren. Le genre de compétence technique mis en évidence dans la création du Sphinx peut être vu dans les statues de Khéphren et la statuaire des dieux de cette époque dans l'Ancien Royaume. L'orientation du complexe de Khéphren suggère fortement qu'il fut construit en pensant à la pyramide et au complexe de Khoufou, et non à la statue, et que le Sphinx fut créé pendant ou peu de temps après sa pyramide.
Une autre preuve que le Sphinx fut créé après les pyramides vient d'une inscription sur la patte gauche de la statue datant de 166 ap. JC. L'inscription commémore un projet de restauration par les Romains des murs qui entouraient la statue à cette époque. L'inscription fut découverte pour la première fois en 1817 par Caviglia (1770-1845) lors de ses fouilles à Gizeh et fut traduite et publiée par le polymathe et rival occasionnel de Champollion, l'anglais Thomas Young (1773-1829), dans la revue trimestrielle, volume 19 de 1818. Bien que cette inscription ne vérifie pas une date donnée de construction, elle suggère que, pendant la période de l'Égypte romaine, la statue était comprise comme plus récente que les pyramides, car elle indique comment les créateurs du monument «te proposèrent près des pyramides» et comment le but du Sphinx était de veiller sur le «prince bien-aimé» enterré à proximité (Leitch, 200). L'inscription pourrait cependant être interprétée comme signifiant que le Sphinx veillait sur le monarque d'Égypte de 166, l'empereur romain - et la ligne précédente une simple façon poétique de dire que le Sphinx était situé près des pyramides à l'époque. L'inscription peut être lue dans les deux sens et, en plus, il manque quelques lignes près de la fin. Pourtant, ceux qui acceptent la datation orthodoxe de la statue à la 4ème dynastie pointent vers l'inscription comme preuve ultérieure de leur revendication.
Polémique et désaccords
Malgré cela, le Sphinx défie quiconque de le placer aussi facilement dans le temps. Les êtres humains, tous proclament le contraire, ne peuvent tolérer le mystère. Les mystères ne sont intrigants que s'ils se concluent avec une solution tranchée; le Sphinx, lui, n'offre pas de conclusion aussi claire.
En 1858, l'archéologue Auguste Mariette (1821-1881 JC) découvrit les inscriptions maintenant connues sous le nom de Stèle de l'inventaire près de la pyramide de Khoufou. Cette stèle énumère 22 statues du Temple d'Isis à Gizeh et indique très clairement que Khoufou avait érigé un monument près du Sphinx; par conséquent, la statue devait avoir existé avant la domination de Khoufou et donc bien avant Khéphren. Si la stèle de l'inventaire datait de la 4ème dynastie, ce serait en effet une preuve convaincante que le Sphinx avait préexisté les règnes de Khoufou et de Khéphren; mais ce n'est pas le cas. La stèle d'inventaire a été positivement datée de la 26e dynastie de la troisième période intermédiaire d'Égypte (vers 1069-525 av. JC.). À cette époque, les Égyptiens invoquaient régulièrement les noms des rois antérieurs, en particulier des bâtisseurs de pyramides, dans le but de rappeler la gloire du passé. Il semble clair que celui qui sculpta la stèle de l'inventaire essayait délibérément d'élever le statut du Temple d'Isis en le faisant paraître plus vieux qu'il ne l'était en fait à l'époque du grand Khoufou. En fait, les ruines du temple d'Isis à Gizeh datent du Moyen Empire (2040-1782 av. JC) longtemps après le règne de Khoufou.
Un argument plus significatif en faveur de la construction antérieure du monument est que, bien que les archéologues aient trouvé des inscriptions et des preuves relatives à la construction des pyramides de Gizeh dans la 4ème dynastie, comment les ouvriers étaient logés, ce qu'ils mangeaient, comment ils étaient payés, il n'y a jamais aucune mention du Sphinx. Ce fait est particulièrement significatif quand on pense au soin avec lequel les Égyptiens documentaient tout projet de construction. Même si l'on revendiquait - comme certains l'ont fait - que de telles preuves n'ont tout simplement pas encore été révélées, il semble toujours étrange qu'une structure aussi grande et clairement significative ne soit mentionnée nulle part par qui que ce soit au moment où elle est censée avoir été construite.
Un autre argument contre le fait que le Sphinx aurait été construit par Khéphren est que le visage n'est pas le sien. Dobrev a affirmé en 2004 que le visage n'était pas celui de Khéphren, mais le géologue Dr Robert M. Schoch avait déjà affirmé que non seulement le visage n'était pas celui de Khéphren, mais que le Sphinx lui-même était beaucoup plus ancien que le règne de Khéphren. Schoch et l'égyptologue John Anthony West invitèrent le spécialiste médico-légal Frank Domingo, qui avait plus de vingt ans d'expérience dans le département de police de New York en esquisse de suspects et en création de reconstructions faciales, à examiner le Sphinx et la statue de Khéphren et déterminer s'ils avaient le même visage. La conclusion de Domingo, après une étude exhaustive des deux œuvres, est qu'elles représentaient deux personnes différentes. Schoch affirme en outre que le visage actuel n'est pas celui d'un homme mais d'une femme.
Schoch et West affirment tous deux que le Sphinx est plus vieux de plusieurs siècles que ne le prétend l'égyptologie traditionnelle. Schoch, géologue de l'Université de Boston, est connu pour avoir noté que les marques d'érosion sur le Sphinx suggèrent de fortes pluies sur une très longue période. Ce genre de configuration météorologique n'était pas évidente à l'époque de la 4ème dynastie d'Égypte, et donc la statue est évidemment plus ancienne que cette période. En réponse au défi lancé par le courant dominant d'égyptologie de prouver l'existence d'une culture antérieure à la civilisation égyptienne traditionellement acceptée et qui aurait pu créer un monument tel que le Sphinx, Schoch et West pointent vers l'ancien site de Gobekli Tepe en Turquie moderne qui remonte à 10.000 années et n'est attribuée à aucune civilisation connue. La sculpture trouvée à Gobekli Tepe est aussi sophistiquée que celle du Sphinx et parfois plus.
Schoch et West affirment donc que le visage n'est pas celui de Khéphren, que la datation de la sculpture est complètement fausse, et toutes les affirmations fondées sur une telle datation doivent être révisées. Ils sont contrés par des égyptologues comme Mark Lehner qui soulignent les similitudes entre le visage du Sphinx et la statuaire de Khéphren et comment les motifs d'érosion sur la statue n'ont rien à voir avec son âge; si une telle érosion avait eu lieu sur le plateau de Gizeh, elle ne serait pas limitée à un seul monument. Ce débat précis au sujet du Sphinx est toujours en cours.
Les écrivains Robert et Olivia Temple affirment que non seulement le visage du Sphinx n'est pas celui de Khéphren, mais même pas le visage original de la statue. La tête du Sphinx est notablement disproportionnée par rapport au reste du corps; elle est significativement plus petite. Les Temple soutiennent que c'est parce que le Sphinx ne fut sculpté pendant la 4ème dynastie sous Khéphren mais des siècles plus tôt et n'était pas à l'origine un lion mais le dieu chacal Anubis. Selon cette théorie, la grande statue était Anubis qui gardait traditionnellement une nécropole et une telle statue correspondrait certainement à l'emplacement que le Sphinx occupe à Gizeh.
Au IVe siècle, selon les Temple, la statue fut resculptée pour représenter un lion avec une tête de roi parce que le lion était une figure populaire dans la zoolâtrie (le culte des animaux) à l'époque. Le genre d'anthropomorphisme que le Sphinx représente était fermement instauré pendant la 4ème dynastie, mais on ne sait pas à quel point il fut observé dans la civilisation égyptienne ou comment il se développa. L'égyptologue Rosalie David note qu' «il n'existe aucune source littéraire existante qui jette la lumière sur la pratique prédynastique de zoolâtrie ou d'anthropomorphisme qui eut lieu vers 3000-c. 2800 av. JC. Nous ne pouvons que spéculer sur les raisons de ces développements» (53). David commente plus loin les représentations des dieux en général et du Sphinx en particulier, en écrivant :
Les formes et les vêtements des dieux étaient toujours montrés de manière assez uniforme, ne donnant aucune indication sur la date historique de la personne; l'individualité ou la fonction particulière du dieu était représentée par son couvre-chef distinctif ou sa tête d'animal. Un exemple inversé du mélange de caractéristiques animales et humaines se produisit dans les périodes ultérieures, sous la forme du sphinx, où une tête humaine est placée sur un corps animal. Chaque fois que des caractéristiques animales et humaines étaient réunies en un seul corps, tous les détails qui pouvaient paraître saugrenus ou grotesques, tels que l'endroit où la tête et le corps se joignaient, étaient masqués: dans ce cas, la zone du cou était cachée avec les pans de la coiffe (53).
Les Temple ne seraient pas d'accord avec cette évaluation car ils prétendent que la tête du Sphinx fut resculptée et diminuée par rapport à la tête plus grande d'Anubis. Les pans de la coiffe n'auraient alors pas été utilisés pour dissimuler la zone du cou, mais simplement pour utiliser la pierre de la tête originale et aussi, bien sûr, pour rester en accord avec la représentation d'un roi égyptien de l'époque. Robert Temple affirme également que le visage n'est pas celui de Khéphren, mais celui d'Amenemhat II (vers 1929-1895 av. JC.) basé sur le style des rayures sur la coiffe du Sphinx qui, selon lui, sont caractéristiques de la 12e dynastie du Moyen Empire. Parmi les raisons pour lesquelles les experts traditionnels rejettent ces affirmations, c'est qu'elles sont largement spéculatives. Il n'y a aucune preuve, sous quelque forme que ce soit, que le Sphinx avait une tête différente et la différence de proportion entre la tête et le corps du Sphinx peut s'expliquer facilement par la quantité de pierre avec laquelle les carriers devaient travailler et leur procédé: le corps du Sphinx fut sculpté en premier et la tête en dernier. La tête fut réduite soit parce qu'il n'y avait pas assez de pierre, soit pour une plus grande stabilité.
Le géologue Colin Reader réfute cet argument en notant que les anciens Égyptiens étaient maîtres en maçonnerie et ne pouvaient pas avoir mal calculé la sculpture du Sphinx et n'auraient pas non plus rétréci la tête hors de proportion avec le corps pour des raisons de stabilité. Il y a beaucoup d'autres monuments, nota-t-il, en parfaite proportion, qui ont résisté à l'épreuve du temps. Reader soutient, tout comme les Temple, que le Sphinx avait à l'origine une tête différente mais prétend qu'il s'agissait d'une lionne, pas d'Anubis. Il soutient son affirmation, en partie, par le biais d'une statue de sphinx au Musée du Caire qu'il interprète comme ayant été auparavant celle d'une lionne dont les oreilles furent tranchées et le visage resculpté. Le principal argument de Reader, comme celui de bien d'autres, est qu'il n'y a pas d'autre explication satisfaisante pour l'érosion du sphinx ni pour la proportion de la tête que le fait qu'il précède la 4ème dynastie et était autrefois un monument différent.
L'égyptologie traditionnelle refuse de considérer ces allégations sérieusement - souvent pour de très bonnes raisons - et les rejette comme étant issues de « pseudoscience ». Néanmoins, les allégations continuent d'être avancées et les preuves présentées par différents auteurs n'ont pas toujours été réfutées, seulement ignorées ou ridiculisées. L'historien et égyptologue Antoine Gigal défend ces revendications « marginales » et affirme en outre que non seulement le Sphinx est plus vieux que la date acceptée, mais qu'il y en avait autrefois deux. Gigal cite la Stèle du Rêve de Thoutmôsis IV - qui montre clairement deux sphinx - et la stèle de l'inventaire qui semble indiquer un second sphinx détruit par une tempête.
Ce second sphinx se serait trouvé de l'autre côté du Nil de celui de Gizeh. Deux sphinx auraient certainement été en accord avec l'art et l'architecture égyptiennes en ce que les anciens Égyptiens appréciaient grandement l'équilibre et observaient ce concept dans tous les aspects de leur civilisation, doublant souvent les bâtiments municipaux et les monuments (comme la pratique de toujours élever deux obélisques). Gigal affirme également qu'il y avait des tunnels sous ces sphinx qui pouvaient les avoir reliés. Des tunnels ont, en fait, été situés sous le Grand Sphinx, bien qu'il ait été déterminé qu'ils ne mènent nulle part.
L'égyptologie traditionnelle fonde ses conclusions sur des précédents et des preuves; ceux qui ne font pas partie de la vision acceptée fondent les leurs sur les mêmes préceptes mais n'ont pas le genre de formation qui permet aux égyptologues d'interpréter les artefacts dans le cadre du contexte culturel. Les autres opinions sont régulièrement rejetées si elles ne semblent pas suivre de solides principes pour arriver à leurs revendications ou semblent perturber le récit établi sans preuve suffisante. Dans le cas du Sphinx, cependant, laes précautions nécessaires sont souvent observée par certains de ceux qui revendiquent l'histoire alternative de la statue et leurs revendications ont toujours été rejetées.
Mystères et mythes du Sphinx
Le Grand Sphinx de Gizeh est tellement connu aujourd'hui qu'on pourrait supposer qu'il était aussi célèbre dans l'antiquité, mais ce n'est pas le cas. Il y a peu de mention de la statue dans les inscriptions égyptiennes. Aucun des matériaux découverts à Gizeh ou ailleurs en Égypte ne mentionne la construction de la statue; elle est mentionnée comme si elle avait toujours existé si par chance on en parle. Hérodote est silencieux au sujet du Sphinx comme le sont les autres premiers écrivains grecs. Pline l'Ancien (23-79 av. JC) mentionne la statue dans son ouvrage sur l'histoire naturelle et affirme qu'elle était vénérée comme un dieu et servait également de tombeau; aucun autre écrivain ancien ne confirme ou ne contredit cette affirmation.
Comme on l'a noté, l'origine du Grand Sphinx est essentiellement inconnue, et comme on l'a noté, les êtres humains sont mal à l'aise avec les mystères. Il n'est pas surprenant que l'égyptologie traditionnelle refuse d'envisager des théories alternatives à l'origine et à la construction du monument, car cela détruirait la chronologie de l'histoire égyptienne qui fut créée et construite depuis le milieu du XIXe siècle. Napoléon est régulièrement crédité de l'observation suivante: «l'histoire est la fable sur laquelle la majorité est d'accord», et cela est aussi vrai pour le Sphinx que pour tout autre artefact ou événement du passé. L'histoire est composée d'histoires racontées par des écrivains qui essaient d'interpréter et de comprendre soit des événements observés en personne soit des artefacts qui suggèrent un certain récit. Une fois qu'un certain fil de l'histoire d'une civilisation sera accepté, une fois que le mystère de cette civilisation sera «résolu», pour ainsi dire, les revendications qui menacent la validité de cette histoire seront naturellement rejetées.
Ce même paradigme peut être observé dans les mythes concernant le Grand Sphinx soutenus par des écrivains dits du « Nouvel Âge ». Ces auteurs soutiennent que la statue a des pouvoirs surnaturels, qu'il y a des tunnels en dessous qui se connectent à un réseau souterrain (comme on l'a noté, il y a des tunnels sous le Sphinx, mais ils ne mènent nulle part) et de nombreuses autres théories « marginales », souvent impliquant des extraterrestres, qui sont régulièrement écartées par les universitaires traditionnels. Même s'il ne semble pas y avoir de preuves formelles ou même de faibles preuves à l'appui de ces affirmations, les individus continuent de maintenir le récit du « Nouvel Âge » parce qu'il soutient et encourage leurs croyances sur le monde et l'univers en général. Une fois qu'un individu devient à l'aise avec un certain système de croyance - que ce soit l'orthodoxie de son champ d'études ou quoi que ce soit d'autre - il est peu probable que l'on échange cette croyance contre un autre. Ce paradigme s'étend également aux théories concernant la destruction du nez du Sphinx.
Les écrivains répètent régulièrement la fausseté absolue que les troupes de Napoléon tirèrent sur le nez lors de leur campagne en Égypte en 1798-1801. Le dessin du Sphinx de 1737 de l'artiste français Frédéric Luis Norden montre le nez du Sphinx déjà détruit et le dessinateur Dominique Vivant Denon (1747-1825) qui accompagnait Napoléon dans sa campagne montre la même chose. Le nez aurait pu être endommagé lors de l'invasion arabe du VIIe siècle, comme certains l'ont affirmé, ou par un clerc musulman du XIVe siècle, qui était furieux de trouver des paysans égyptiens vénérant encore la statue en tant que divinité. Bien que ces possibilités soient régulièrement citées, l'histoire des troupes de Napoléon utilisant le Sphinx pour l'entraînement au tir sur cible continue d'apparaître dans des livres, des documentaires et des articles sans être critiquée parce qu'elle fait désormais partie du récit de l'histoire du Sphinx: une force d'invasion, incapable d'apprécier la grandeur d'un monument ancien, le vandalise. En réalité, Napoléon admirait les œuvres anciennes de l'Égypte et amena des scientifiques, des artistes et des ingénieurs avec lui pour étudier et enregistrer les monuments, pas les détruire.
Quelles que soient ses origines et son but originel, Verner a raison lorsqu'il dit que le Grand Sphinx de Gizeh est «l'incarnation même de l'antiquité et du mystère» (234). Un lion géant couché avec la tête d'un homme assis au milieu d'un ancien plateau exhorte à ce qu'on lui donne une raison d'être et une histoire à la mesure de la fascination qu'il a inspirée au cours des siècles. Le Sphinx tient son nom en ce sens qu'il s'agit d'une énigme dont la présence même contrecarre les tentatives de donner une réponse satisfaisante. Même si toutes les histoires alternatives du monument étaient acceptées, il y en aurait encore d'autres qui proposeraient des alternatives à ces alternatives. Comme pour toute grande œuvre d'art, le Sphinx se laisse sujet à l'interprétation, mais contrairement à la plupart, cet affrontement dans l'interprétation va au-delà de l'œuvre elle-même et, à moins d'accepter le point de vue conventionnel, conduit à plus de questions que de réponses.