L'Homo heidelbergensis est une espèce humaine éteinte qui a été identifiée en Afrique et en Eurasie occidentale à partir d'environ 700 000 ans de cela jusqu'à il y a environ 200 000 ans, ce qui correspond parfaitement au Pléistocène moyen. Nommés d'après un morceau de mâchoire découvert près de Heidelberg, en Allemagne, ces homininés occupent une place intrigante et très discutée dans le fouillis de l'évolution humaine ; on considère généralement qu'ils se sont développés à partir de l'Homo erectus et qu'ils ont donné naissance à l'Homo sapiens en Afrique et à l'homme de Néandertal en Europe. Cependant, la question de savoir comment ou pourquoi (et même si) cela s'est produit fait l'objet de nombreux débats, de même que la définition précise de cette espèce - par exemple, quels fossiles doivent être inclus et lesquels ne doivent pas l'être.
Selon l'opinion générale, cependant, l'Homo heidelbergensis est reconnu comme une espèce distincte qui était un peu plus intelligente et inventive que ses prédécesseurs ; des outils assez complexes lui sont associés, ce qui nous permet d'entrevoir des stratégies de chasse peut-être assez audacieuses impliquant des proies plus grandes, ce qui sous-entend la présence potentielle d'une coopération sociale.
Découverte
En 1907, la sablière de Grafenrain, située sur le site de Mauer, près de Heidelberg, en Allemagne, a fait sensation lorsqu'on y a découvert la mâchoire vigoureuse d'une espèce humaine jusque-là inconnue. Après avoir constaté qu'elle présentait à la fois des caractéristiques plus primitives et des éléments qui lui rappelaient des caractéristiques humaines plus récentes, Otto Schoetensack l'a attribuée l'année suivante à une espèce distincte qu'il a nommée Homo heidelbergensis. La mâchoire a récemment été datée d'environ 600 000 ans, ce qui correspond à la période interglaciaire MIS 15 et indique que son propriétaire n'aurait pas été instantanément congelé en arrivant dans cette région.
A quoi ressemblaient-ils ?
Si l'on faisait un tour dans une grotte du Pléistocène moyen habitée par un groupe moyen d'Homo heidelbergensis , on aurait probablement l'impression qu'il s'agit de versions un peu plus trapues de nous-mêmes, nettement plus robustes que nous, mais dont la taille du cerveau était très proche de la nôtre - peut-être en moyenne autour de 1200 cm3 ou plus, ce qui est nettement plus grand que celui de l'Homo erectus.
Bien que les Heidelbergensis aient conservé le visage large et fortement construit qui rappelle celui de l'Homo erectus, leurs crêtes sourcilières étaient moins prononcées et leur nez était plus vertical, comme le nôtre, au lieu d'être incliné vers l'avant comme celui de l'Erectus. Un crâne provenant de Bodo, en Éthiopie, daté d'environ 600 000 ans, est un bon exemple de ce mélange de caractéristiques, et il peut raisonnablement être regroupé non seulement avec d'autres fossiles d'Afrique, comme ceux de Broken Hill en Zambie, d'Elandsfontein en Afrique du Sud et du lac Ndutu en Tanzanie, mais aussi avec des individus d'Europe, comme ceux de Petralona en Grèce, de la Caune de l'Arago en France, et généralement aussi la mandibule de Mauer, en Allemagne.
Lorsque les archives fossiles du Pléistocène moyen se montreront un peu plus généreuses, nous pourrons peut-être visualiser plus directement l'évolution proposée de Heidelbergensis vers Sapiens en Afrique et vers Néandertal en Europe. Un exemple possible vient du site de Boxgrove en Angleterre, en Europe, qui est généralement attribué à l'Homo heidelbergensis et dont on pense qu'il a environ 500 000 ans. Le tibia qui y a été trouvé montre qu'il était plus robuste que les spécimens moyens de Heidelbergensis et indique des proportions corporelles mieux adaptées au froid, préfigurant celles des Néandertaliens ultérieurs.
Mode de vie
Ces humains étaient des chasseurs-cueilleurs - certains d'entre eux étaient bien adaptés au terrain africain, généralement plus stable et plus chaud, tandis qu'une autre branche était capable d'entrer et de sortir des régions d'Europe en fonction de la croissance et du recul de la calotte glaciaire. Bien entendu, ces groupes n'auraient pas partagé exactement les mêmes coutumes, mais nous pouvons tout de même brosser un tableau général, en y ajoutant quelques touches de couleur régionale.
Une partie de cette image générale implique que les Heidelbergensis rentraient chez eux après une chasse fructueuse et mettaient leur prise du jour sur un beau feu. Les grottes, qui, au cours du Pléistocène moyen, étaient structurées en terme d'espace et étaient parsemées de foyers, étaient les lieux privilégiés. Bien qu'une utilisation plus occasionnelle du feu ait existé depuis au moins 1,8 million d'années, le feu resta rare jusqu'à l'époque de l'Homo heidelbergensis. Au cours de son existence, l'Homo heidelbergensis s'habitua de plus en plus au feu et à son potentiel culinaire ; nous savons qu'il y a au moins 400 000 ans environ, les humains qui parcouraient l'Ancien Monde - y compris le nord plus froid, où il était particulièrement utile - utilisaient clairement le feu de manière habituelle.
Le feu est déjà le signe d'un mode de vie plus avancé, et cette image est encore renforcée par les outils fabriqués et utilisés par Homo heidelbergensis. Leur outillage était plus sophistiqué que celui de l'Homo erectus et appartenait, contrairement à celui de ce dernier, à l'industrie acheuléenne tardive. En général, l'Acheuléen se caractérise par de grands bifaces comme des haches à main, des pics et des fendoirs, tandis que les outils de l'Acheuléen tardif étaient plus fins, plus finement écaillés et plus symétriques.
Talents de chasseurs
Certaines découvertes semblent indiquer que les outils créés par l'Homo heidelbergensis lui permettaient non seulement de transformer sa nourriture et de travailler les matières premières de manière satisfaisante, mais aussi de devenir un habile chasseur qui gravit les échelons de la chaîne alimentaire. Sur le site de Boxgrove, en Angleterre, daté d'environ 500 000 ans, des bifaces en silex, fins et largement écaillés, ont été trouvés avec des restes de chevaux et de rhinocéros. Il est intéressant de noter que les os des animaux portent des marques de découpe, ce qui indique que ces grands animaux semblent avoir été tués et dépecés par Heidelbergensis.
À Schöningen, en Allemagne, les choses deviennent encore plus passionnantes : on a découvert huit lances en bois habilement fabriquées, créées il y a au moins 300 000 ans. Les restes de nombreux chevaux - dont beaucoup d'os sont marqués par des coupes - trouvés dans la même zone, rejoignent ceux de Boxgrove et semblent indiquer que Heidelbergensis chassait systématiquement les grands animaux. Ce n'était pas un exploit facile ; la fabrication des lances montre une planification active, et abattre ces animaux dangereux aurait nécessité une coordination et une communication sophistiquée.
La toile de fond de ces activités laisse donc entrevoir une structure sociale qui aurait pu être plus répandue. Bien que le bois ne résiste généralement pas très bien à l'épreuve du temps, les outils en pierre de l'Heidelbergensis montrent une nature tout aussi avancée sur l'ensemble de son aire de répartition, et à moins que cette région spécifique n'ait été d'une manière ou d'une autre unique dans son développement, les outils en bois auraient pu constituer une part importante des trousses à outils préhistoriques de ces populations. Si tel est le cas, les implications sociales suggérées pour le site de Schöningen sont supposées être valables pour l'ensemble de l'espèce. Il se peut que nous découvrions encore d'autres preuves pour faire la lumière sur cette question.
La place de Heidelbergensis dans l'évolution
Comme il est parfois difficile de classer avec certitude un fossile ambigu (il y en a beaucoup) dans des espèces telles que l'Homo erectus, l'Homo heidelbergensis ou les Néandertaliens, les chercheurs ont imaginé toutes sortes de scénarios décrivant la place de l'Heidelbergensis dans l'évolution. Parfois, Heidelbergensis est complètement abandonné au profit d'une définition plus large de l'Homo erectus; parfois, Heidelbergensis est considéré comme une lignée exclusivement européenne donnant naissance aux Néandertaliens ; et les fossiles les plus tenaces associés à Heidelbergensis semblent avoir du mal à obtenir un quelconque consensus.
Cependant, jusqu'à présent, le scénario le mieux étayé par les preuves anatomiques et génétiques, dont les lignes générales (mais pas toujours les détails) ont la faveur de la grande majorité, est le suivant. Il y a environ 700 000 ans (et peut-être dès 780 000 ans), l'Homo heidelbergensis s'était développé à partir de l'Homo erectus. En Afrique, ils ont fait partie d'une transition graduelle, en mosaïque, vers les premiers Homo sapiens, il y a environ 200 000 ans. Les découvertes faites sur des sites tels que Omo Kibish, en Éthiopie, Irhoud, au Maroc, et Herto, dans la région du Moyen Awash, semblent en témoigner.
Les populations d'Heidelbergensis se répandirent également dans l'ouest de l'Eurasie, apparaissant au nord des grandes montagnes d'Europe quelque temps après 700 000 années de ça. S'adaptant manifestement bien à cet environnement difficile, les conditions froides les amenèrent à développer les traits faciaux et la corpulence plus trapue des Néandertaliens auxquels ils donnèrent naissance et qui apparaissent avec des traits clairs et reconnaissables à partir de 200 000 ans environ. Bien entendu, comme il s'agit d'un processus graduel, la chronologie proposée est sujette à de nombreuses controverses.
Il existe cependant un autre groupe qui dérive également de Heidelbergensis. En 2008, un os de doigt humain a été découvert dans la grotte de Denisova, dans les montagnes de l'Altaï, en Sibérie, qui s'est avéré appartenir à une espèce distincte, les Denisovans. Des preuves génétiques ont depuis révélé qu'ils sont une espèce sœur des Néandertaliens, ces deux groupes ayant divergé à un moment donné après la séparation des lignées Heidelbergensis menant à Sapiens ainsi que des Néandertaliens et des Denisovans.
Ce nouvel ajout ne fait que rendre encore plus claire la complexité de l'histoire évolutive du Pléistocène. Un autre exemple déroutant est celui des fossiles du site de Sima de los Huesos en Espagne. Généralement regroupés au sein de l'Homo heidelbergensis, ces fossiles ont au moins 430 000 ans (et peut-être jusqu'à 530 000 ans environ) et présentent déjà des caractéristiques proches de celles de l'homme de Néandertal, ce qui ouvre le débat pour les considérer comme des proto-néandertaliens : Heidelbergensis en passe de devenir des Néandertaliens. Fait intéressant, en 2014, de l'ADN mitochondrial a été récupéré sur l'un des fossiles de Sima, ce qui a montré qu'il était étroitement lié à la lignée menant aux Denisovans - un groupe frère des Néandertaliens. Il est clair que le Pléistocène fut le théâtre d'une histoire complexe de l'évolution humaine.