Le Nihon Shoki ("Chronique du Japon", aussi connu sous le nom de Nihongi) est un texte officiel rédigé en 720 par un collège de savants de la Cour et consacré à l'histoire du Japon. Il s'agit d'une compilation de mythes et de légendes relatifs aux divinités shintoïstes et d'événements survenus sous les règnes des premiers empereurs. L'ouvrage s'ouvre sur le récit de la Création et s'achève sur le règne de l'impératrice Jitō en 697. S'appuyant sur des sources plus anciennes provenant du Japon, de Chine et de Corée, pour beaucoup aujourd'hui perdues, le texte offre un précieux aperçu de la mythologie, des coutumes et de la politique du Japon ancien.
Contexte
Le Nihon Shoki constitue en quelque sorte la suite du Kojiki ("Chronique des faits anciens"). Compilé en 712 par le lettré Ono Yasumaro, ce premier ouvrage relatait lui aussi la mythologie des dieux shintoïstes et la création du monde. Le Kojiki, loin d'être un témoignage historique précis, fut avant tout commandé dans le but de mettre en évidence la filiation des empereurs régnants des VIIe et VIIIe siècles avec les dieux shintoïstes et la déesse suprême du soleil, Amaterasu. Le Nihon Shoki fut élaboré afin de pallier certaines incohérences de son prédécesseur et réaffirmer les généalogies de certains clans (uji) délaissés dans le Kojiki, ce dernier ayant grandement privilégié le clan Yamato. Par conséquent, le Nihon Shoki reprend de nombreux mythes du Kojiki, mais en adoptant souvent un point de vue différent et en modifiant certains détails. Comme pour le précédent ouvrage, des chants et poèmes viennent régulièrement ponctuer la prose. Et tout comme le Kojiki, le Nihon Shoki tire son inspiration de textes aujourd'hui disparus (du Japon, de Chine et du royaume de Baekje en Corée) et de récits oraux, si bien qu'il constitue une source inestimable pour connaître les modes de vie et la mythologie du Japon ancien.
L'une des principales différences entre les deux ouvrages réside dans la prose beaucoup plus soignée du Nihon Shoki, dont le style se rapproche davantage des récits chinois contemporains. Le Nihon Shoki présente de multiples versions pour les mêmes mythes et semble se soucier davantage de livrer un récit précis des événements historiques, citant régulièrement des dates aux mois et aux jours près. Ces différences ont conduit certains chercheurs à voir dans le Kojiki un ouvrage destiné au peuple japonais, et dans Nihon Shoki une œuvre destinée à faire rayonner la grande histoire du Japon à l'étranger, en particulier en Chine et en Corée, les deux cultures faces auxquelles la cour japonaise souhaitait se montrer sous son meilleur jour.
L'historien Richard Henry Pitt Mason évoque la portée et l'importance du Nihon Shoki en ces termes :
En tant qu'histoire officielle, le Nihon Shoki tend à se concentrer sur le rôle de la lignée impériale et de ses serviteurs de plus en plus transformés en bureaucrates. Cependant, ses deux principaux thèmes dépassent ce cadre et revêtent une importance plus large encore. Il s'agit, tout d'abord, de la lente unification du pays sous l'hégémonie de la cour de Yamato et, deuxièmement, des liens de plus en plus étroits tissés entre cette cour et les États continentaux de Corée et de Chine... Le récit officiel est particulièrement riche et, pour les années postérieures à 550 de notre ère, il livre essentiellement un récit sur la façon dont quelques hommes transformèrent finalement l'État de Yamato, à l'unité fragile, en un empire centralisé. (Mason, 38)
Le Nihon Shoki, à l'origine commandé par l'empereur Temmu (r. de 672 à 686) fut achevé par son fils, le prince Toneri, en 720. Ce dernier compila les travaux d'un groupe d'érudits de la cour. L'ouvrage, rédigé en chinois, comporte 30 volumes couvrant "l'âge des dieux" et les mythes de la création du Japon, les jours des premiers empereurs héroïques et légendaires, puis ceux des empereurs plus historiques, pour finir sur le règne de l'impératrice Jitō (de 686 à 696). Les plus anciens exemplaires du Nihon Shoki datent de la période Nara (710-794).
Extraits du Nihon Shoki
Sur la création de la première île :
Izanagai no Mikoto et Izanami ni Mikoto, debout sur le Pont flottant du Ciel, tenaient conseil et disaient : "N'y a-t-il donc aucune contrée en dessous ?" Ils y enfoncèrent alors la Lance Céleste et, tâtonnant, découvrirent l'océan. L'eau salée, en dégoulinant de la pointe de l'arme, se solidifia pour former une île qui reçut le nom d'Ono-goro-jima. (Scott Littleton, 44)
Sur la mort du prince Shōtoku :
Les princes et les dignitaires, et en vérité toute la population du royaume, furent si affligés que les rues furent remplies de leur lamentation ; les anciens pleurèrent comme pour la mort d'un enfant chéri, et les mets perdirent pour eux toute saveur, tandis que les plus jeunes pleuraient comme s'ils eussent perdu un parent bien-aimé. Le paysan qui cultivait ses champs laissa choir sa charrue, et la femme qui pilait son riz reposa son pilon. Tous disaient : - "Le soleil et la lune ont perdu leur éclat ; le Ciel et la Terre ne tarderont pas à s'effondrer - en qui placerons-nous désormais notre confiance ?". (Keene, 70)
Sur la politique de l'Empereur Temmu :
L'Empereur délivra aux officiels un édit déclarant : " Si quiconque connaît un moyen d'aider l'État ou de contribuer au bien-être du peuple, qu'il se présente devant la Cour et y expose ses idées en personne. Si ce qu'il déclare s'avère raisonnable, ses propositions seront adoptées et inscrites dans les lois." (Mason, 59)
Sur les talents du prince Otsu, fils de Temmu :
Le Prince Impérial Otsu était le troisième fils de l'Empereur Temmu. Sa physionomie était remarquable et ses paroles claires, et l'Empereur Tenji l'aimait. En grandissant, il développa un don pour l'étude et affectionna particulièrement la calligraphie. La poésie commença à s'épanouir sous l'impulsion d'Otsu. (Parchemin n°30, nihonshoki.wikidot.com)
Sur les tribus Emishi du nord :
J'ai entendu dire que les étrangers de l'Est sont par nature farouches et sauvages, et que leur principal intérêt réside dans les attaques violentes. Leurs villages et communautés n'ont pas de chefs. À la recherche de territoires, ils se pillent les uns les autres. Il y a, en outre, des divinités maléfiques dans les montagnes et des esprits malveillants dans les plaines. Ils barrent le chemin aux carrefours et bloquent les routes, causant de grandes afflictions aux habitants.
Les plus féroces de ces étrangers de l'Est sont les Emishi. Hommes et femmes se mêlent entre eux, et il n'y a point de distinction entre le père et le fils. En hiver, ils se réfugient dans des terriers, en été dans des nids. Ils s’habillent de peaux et boivent du sang ; frères aînés et cadets se méfient les uns des autres... Jamais, depuis les temps anciens, ils n'ont été soumis à la bienfaisante influence royale. (Whitney Hall, 29)
L'impératrice Jito fixe le code vestimentaire des dignitaires :
La couleur des vêtements de cour sera pourpre foncé pour les grades de Jodai-ichi à Ko-ni et pourpre rouge pour les grades de Jodai-san à Ko-shi. Les membres des rangs Jiki porteront du rouge, ceux des huit rangs Kon du vert foncé, ceux des huit rangs Mu du vert clair, ceux des huit rangs Tsui du bleu marine foncé et ceux des huit rangs Shin du bleu clair.
Par ailleurs, les personnes de rang supérieur à celui de Joko-ni disposeront d'une bande de soie damassée, tandis que ceux de rang Jodai-san jusqu'au Jikiko-shi en auront deux. En outre, tout individu, quel que soit son rang, devra porter une ceinture de soie fine ainsi qu'un pantalon blanc. (Parchemin 30, nihonshoki.wikidot.com)
Héritage
Contrairement au Kojiki, dont la popularité déclina de manière inexplicable dans les siècles qui suivirent sa publication, le Nihon Shoki a de tout temps été considéré comme étant d'une grande importance au Japon. Durant la période Heian (794-1185), six séries de conférences sur le Nihon Shoki furent organisées et présentées à la cour impériale japonaise. Jusqu'au XVIe siècle, le Nihon Shoki était considéré comme la référence absolue sur l'histoire du Japon. Ce n'est qu'au cours des deux derniers siècles que le Kojiki le supplanta, très certainement en raison de sa dimension plus divertissante et moins académique.
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