
Anaxagore (c. 500 - 428 av. J.-C.) était un philosophe grec présocratique qui affirmait que la cause première de l'existence était l'esprit (noûs) et que toutes les choses étaient constituées de "semences" (ou "matières") indestructibles, à l'origine une seule masse, séparées et arrangées par l'esprit. Tout était donc une partie de tout et avait été mis en mouvement par l'esprit.
Platon (428/427-348/347 av. J.-C.) et Aristote (384 à 322 av. J.-C.) lui reprochèrent de ne pas avoir défini cet esprit ou de ne pas l'avoir beaucoup utilisé dans sa philosophie, mais Anaxagore était très admiré à son époque. Périclès d'Athènes (495 à 429 av. J.-C.) était son élève et son ami proche, et il connaissait et influença également Euripide (c. 484-407 av. J.-C.), Aristophane (c. 460 - c. 380 av. J.-C.) et Démocrite (c. 460 - c. 370 av. J.-C.), parmi d'autres célébrités de l'époque. Il fut également le professeur d'Archélaos (Ve siècle av. J.-C.) qui aurait été le professeur de Socrate (470/469-399 av. J.-C.) et qui est donc considéré comme le dernier philosophe présocratique.
Anaxagore avait été l'élève d'Anaximène (c. 546 av. J.-C.), qui affirmait que la cause première était l'air, mais l'objectif principal d'Anaxagore semble avoir été de répondre aux affirmations de Parménide (c. 485 av. J.-C.) et de Zénon d'Élée (c. 465 av. J.-C.), qui rejetaient le concept de changement, affirmant que toute existence était constituée d'une substance unique, indestructible et inamovible. Anaxagore aurait peut-être également réagi aux enseignements d'Empédocle (c. 484-424 av. J.-C.), bien que cette affirmation soit contestée.
Sa théorie de l'esprit et de la "semence" est considérée comme une tentative, comme celle d'Empédocle, de réconcilier le changement apparent avec la nature immuable de l'existence. On pense qu'il aurait (comme Empédocle) influencé Démocrite et Leucippe (vers le Ve siècle av. J.-C.) dans leur développement de l'univers atomique, ainsi que les philosophies de Platon et d'Aristote, en dépit de leurs critiques ultérieures. Il est le premier philosophe présocratique à avoir enseigné à Athènes, contribuant à faire de la ville un siège de l'enseignement, et il est reconnu aujourd'hui comme l'un des premiers philosophes grecs les plus influents.
Jeunesse et éducation
Comme pour de nombreux philosophes présocratiques (ceux qui ont vécu et écrit avant l'époque de Socrate), l'essentiel de ce que l'on sait de la vie d'Anaxagore provient du travail souvent peu fiable de l'historien Diogène Laërce (c. 180-240 de notre ère). Laërce travaillait à partir de sources qui n'existent plus, mais il ne les a pas citées et présente souvent des ouï-dire ou des légendes comme des faits. Néanmoins, les érudits le citent avec prudence pour les passages qui semblent historiquement exacts.
Selon Laërce, Anaxagore serait né dans une famille aisée de Clazomènes, l'une des colonies grecques ioniennes de la côte ouest de l'Asie mineure (aujourd'hui la Turquie) gouvernée à l'époque par l'Empire perse achéménide. Son père s'appelait soit Hégésibule soit Eubule. Il semble avoir été attiré très tôt par la spéculation philosophique et ne s'intéressait guère aux gains matériels. Laërce écrit:
Sa naissance et ses richesses lui assignaient un rang élevé; mais il se distingue surtout par sa grandeur d’âme qui le porta à abandonner à ses proches l’héritage paternel. Comme ils lui reprochaient un jour de négliger ses biens:" Eh quoi! dit-il, que ne les soignez-vous." Il finit par les abandonner complétement et se livra tout entier à la contemplation de la nature, sans s’occuper jamais des affaires publiques. (III.6)
Des récits similaires d'autres auteurs soutiennent l'affirmation selon laquelle Anaxagore aurait abandonné sa richesse pour se concentrer sur la philosophie, bien que les détails diffèrent. Dans l'un des récits, il rentre d'un voyage et trouve sa maison et ses biens en ruine et la quitte en disant: "Si cela n'avait pas été détruit, je l'aurais été", car il estime que l'attachement aux biens matériels est préjudiciable à la poursuite de la sagesse.
L'Ionie fut le berceau de la philosophie grecque, avec Thalès de Milet (c. 585 av. J.-C.), Anaximandre (c. 610 - c. 546 av. J.-C.) et Anaximène, ainsi que les philosophes plus tardifs Xénophane de Colophon (c. 570 - c. 478 av. J.-C.) et Héraclite d'Éphèse (c. 500 av. J.-C.). Pythagore (c. 571 - c. 497 av. J.-C.) était originaire de l'île de Samos, au large de la côte. La région était donc déjà associée à la philosophie au moment de la naissance d'Anaxagore, qui devint l'élève d'Anaximène.
Les premiers philosophes grecs cherchaient à déterminer la cause première de l'existence, c'est-à-dire la forme sous-jacente du fonctionnement des choses. Thalès affirmait qu'il s'agissait de l'eau, tandis qu'Anaximandre pensait qu'il s'agissait d'une force créatrice éternelle qu'il appelait l'apeiron. Anaximène affirmait qu'il devait s'agir de l'air car, lorsque l'air se raréfie ou se condense, il change de forme, devenant un solide (la glace) puis le feu ou d'autres éléments en fonction de la densité.
D'autres philosophes firent valoir leurs propres arguments, notamment Pythagore, qui considérait que la cause première était le nombre, et Xénophane, qui soutenait que tout émanait d'un Dieu unique, rejetant ainsi le modèle polythéiste de son époque. Héraclite soutenait que tout provenait et fonctionnait grâce au feu, à la lutte, et que la vie se définissait par des affrontements constants entre les contraires. Parménide, quant à lui, proposait un modèle complètement différent qui allait inspirer les systèmes de ceux qui viendraient après lui, y compris Anaxagore.
Le défi de Parménide
Parménide enseignait le concept du monisme, selon lequel toute la réalité est constituée d'une substance unique qui n'a jamais été créée et ne peut jamais être détruite, mais qui a toujours existé exactement comme elle existe aujourd'hui. Puisque cette substance est immuable, tout changement observé dans la vie doit être une illusion, car quelque chose ne peut pas venir de rien, et quelque chose ne peut pas non plus venir de ce qu'il n'est pas. Lorsqu'une personne observe ce qu'elle définit comme un "changement", elle laisse ses perceptions sensorielles la convaincre de ce qui ne peut être et interprète "l'apparence" comme "la réalité", car l'essence de la vie n'admet pas le changement. Le spécialiste John Mansley Robinson explique:
En entreprenant de rendre compte de manière cohérente du monde qui les entoure, les Ioniens sont partis de certains postulats. Les sens leur avaient révélé un monde qui, bien qu'il soit à certains égards un, était constitué d'opposés qui, en interagissant les uns avec les autres, produisaient des changements. Parménide avait remis tout cela en question. Il est impossible, selon lui, de soutenir que le monde est à la fois un et multiple. S'il est un, la possibilité même d'une pluralité est exclue, et dans un tel monde, le mouvement et le changement ne peuvent tout simplement pas avoir lieu. Les arguments qui ont permis de parvenir à ces conclusions ont semblé convaincants aux contemporains et aux successeurs immédiats de Parménide, et il était manifestement impossible de poursuivre le programme des Ioniens tant qu'une réponse n'avait pas été apportée à Parménide. Répondre à Parménide devint donc la tâche immédiate de tous ceux qui s'étaient engagés à réaliser ce programme. (151)
La tâche fut compliquée davantage encore par l'élève de Parménide, Zénon d'Élée, qui formula 40 paradoxes logiques prouvant que le mouvement est impossible et que le changement est une illusion. Son paradoxe le plus célèbre, la course, montre clairement qu'entre les points A et Z d'une piste, il faut d'abord courir à mi-chemin, mais qu'entre le point A et le point à mi-chemin, il y a un autre point à mi-chemin et qu'entre le point A et ce point à mi-chemin, il y en a encore un autre. On ne peut donc jamais atteindre le point Z, car pour y parvenir, il faut d'abord parcourir la moitié du chemin, et il y a toujours une autre moitié du chemin.
Empédocle fut le premier à synthétiser tous les systèmes philosophiques antérieurs en réponse, affirmant que les causes profondes (éléments) étaient immuables, mais qu'elles étaient réunies par le principe de l'amour (attraction) et séparées par le conflit (opposition), de sorte que l'on pouvait comprendre l'essence du monde comme étant immuable tout en reconnaissant la réalité du changement.
Anaxagore semble avoir répondu aux affirmations d'Empédocle en réponse à Parménide par le biais de son système. On ne sait pas exactement quand il développa sa philosophie ni quand il arriva à Athènes et commença à l'enseigner. Certaines sources suggèrent qu'il aurait servi dans l'armée perse lors de l'invasion de la Grèce par Xerxès en 480 avant notre ère (comme de nombreux conscrits ioniens) et qu'il serait ensuite resté, tandis que d'autres indiquent qu'il serait venu de son propre chef plus tard, peut-être en 456 avant notre ère. Il est possible qu'il soit parvenu à ses conclusions avant son arrivée et qu'il ait déjà écrit le seul livre pour lequel il est connu, mais cela n'est pas certain.
Philosophie d'Anaxagore
Son système philosophique affirme que toutes les choses de l'univers partagent la même substance qui, selon Parménide, est immobile, mais que le changement est possible au sein de ce modèle grâce à l'action de "semences" qui sont les causes profondes de la transformation. Rien ne peut venir de rien, reconnaît Anaxagore, et rien ne peut venir de ce qui ne lui ressemble pas. Toutes les choses sont donc constituées à partir du même matériau racine (les semences) et se différencient par la quantité d'une certaine "semence". Les cheveux, par exemple, contiennent plus de "semence de cheveux" que la peau, ce qui fait des cheveux des cheveux et de la peau de la peau. L'esprit a séparé ces graines de la masse unifiée au début des temps, mais le rôle que l'esprit a joué par la suite dans leur fonctionnement n'est pas défini.
Ce qui est clair pour Anaxagore, c'est que le modèle de réalité auquel les gens croyaient était défectueux en ce qu'il présentait un monde dans lequel les hommes et les autres choses venaient à l'existence à partir du néant et disparaissaient dans ce même néant. Il écrit:
Les Grecs ont l'habitude de parler de "naissance" et de "disparition", mais ils se trompent, car rien ne naît ni ne disparaît. Il n'y a qu'un mélange et une séparation de ce qui est. Il serait donc plus juste d'appeler la naissance "mélange" et la disparition "séparation". (DK 59B.17/Robinson, 175)
Puisque rien ne peut venir de rien, tout ce qui est doit venir de quelque chose et ce "quelque chose" était à l'origine une masse unifiée qui a été séparée et organisée par l'esprit. C'est pourquoi Anaxagore affirme que "dans chaque chose, il y a une portion de chaque chose" (DK59B.11/Robinson, 177). Toutes les choses partagent la même substance essentielle. Ce qui différencie une chose d'une autre est la quantité d'une certaine substance. Un rocher prend la forme définie comme "rocher" parce qu'il contient plus de substance rocheuse qu'un mouton. Si le mouton avait plus de substance rocheuse (semence), il serait un rocher.
L'essence de ce qui est existe dans la nourriture que l'on mange et qui, transformée, soutient la vie d'un individu, devenant chair, cheveux et organes, comme le note Anaxagore:
Nous absorbons une nourriture simple et d'une seule sorte, comme le pain et l'eau, et c'est par elle que sont nourris les cheveux, les veines, les artères, la chair, les nerfs, les os et les autres parties du corps. Cela étant, nous devons convenir que toutes les choses existantes sont dans les aliments qui sont absorbés, et que par eux tout s'accroît. Il existe dans la nourriture des "portions" dont certaines produisent du sang, d'autres des tendons, d'autres des os, et ainsi de suite - ces "portions" étant perceptibles à la seule raison. (DK 59A.46/Robinson, 177)
Il est déraisonnable de prétendre qu'un être humain peut générer du muscle en ingérant ce qui n'est pas du muscle puisque le semblable doit provenir du semblable, il doit donc y avoir quelque chose dans la nourriture qui partage une similitude avec le muscle, et c'est la "semence" ou "substance" qui est l'essence de ce qui est. Le seul aspect de l'existence qui n'est pas "mêlé" à quoi que ce soit d'autre est l'esprit qui, à l'origine, a organisé ce qui est en une réalité perceptible:
Les autres choses ont une part de tout, mais l'esprit est infini et autonome et n'est mélangé à rien, il est seul par lui-même. En effet, s'il n'était pas seul, mais mélangé à quoi que ce soit d'autre, il aurait, en vertu de ce mélange, une part de tout, car il y a une part de tout dans tout, comme je l'ai déjà dit. Et les choses qui y seraient mêlées l'entraveraient, de sorte qu'il ne pourrait rien contrôler comme il le fait maintenant, étant seul par lui-même. Car c'est la plus fine de toutes les choses et la plus grande puissance; et sur tout ce qui a une âme, grande ou petite, c'est l'esprit qui domine.
Et l'esprit contrôlait toute la rotation, de sorte qu'elle tournait au début. Et au début, il a commencé à tourner à partir d'un petit commencement, mais maintenant il tourne sur une grande surface, et il tournera sur une surface encore plus grande. Et l'esprit connaît toutes les choses qui sont mélangées, séparées et distinguées. Et quelles sortes de choses devaient être, et quelles sortes de choses étaient (qui maintenant ne sont plus), et ce qui est maintenant, et quelles sortes de choses seront - tout cela, l'esprit l'a arrangé, et la rotation dans laquelle tournent maintenant les étoiles, le soleil, la lune, l'air et l'éther qui sont en train d'être séparés. (DK 59B.12/Robinson, 181)
Une fois que l'Esprit a séparé l'essence originelle et mis tout en mouvement, il semble qu'il ne fasse qu'augmenter la zone de rotation de la séparation. La réalité continue de fonctionner comme elle le fait grâce au mélange des "semences" de l'essence éternelle, mais l'esprit n'a rien à voir avec cela. Ayant organisé un univers fonctionnel, l'esprit ne participe pas à cet univers mais se contente d'en étendre périodiquement la surface.
La réaction de Platon à Anaxagore
Selon Platon, le concept de l'esprit d'Anaxagore intéressait beaucoup Socrate, jusqu'à ce qu'il ne découvre qu'il n'était pas développé. Dans le Phédon de Platon, Socrate raconte qu'il a entendu quelqu'un (probablement Archélaos) lire un extrait du livre d'Anaxagore et qu'il fut intrigué par la suggestion d'un esprit universel qui "ordonnera et arrangera chaque chose de la meilleure façon possible" (96c). Cependant, lorsque Socrate finit par lire le livre lui-même, il est déçu:
Tous mes beaux espoirs se sont effondrés, mon ami, car en poursuivant ma lecture, j'ai découvert que l'auteur n'utilisait pas du tout l'Esprit et qu'il n'attribuait aucune cause à l'ordre des choses. Ses causes étaient l'air, l'éther, l'eau et bien d'autres choses étranges. (98c)
Platon critique ensuite Anaxagore, notant qu'il attribue une cause à des éléments naturels qui n'ont pas la capacité de donner une cause, tout en laissant l'esprit complètement en dehors de la discussion, alors que l'esprit aurait été le choix le plus judicieux pour développer une cause. Aristote, bien qu'il ait admiré Anaxagore et lui ait très probablement dû son concept de premier moteur (celui qui a commencé toutes choses mais n'y participe pas), émet une critique similaire.
Conclusion
Anaxagore, cependant, semble croire que son concept d'esprit n'a pas besoin d'être développé car son rôle est évident: il met en mouvement la réalité perceptible à partir d'un état d'unité et répond donc à Parménide et à Zénon. L'univers est constitué d'une seule substance, mais le changement et le mouvement sont possibles grâce au "mélange" des substances qui, lorsque leur forme actuelle se brise, se séparent pour prendre une autre forme. L'esprit est l'architecte de cette conception et, une fois celle-ci achevée, n'a plus besoin d'y participer. En réponse à la course de Zénon, il serait donc possible de se déplacer du point A au point Z dans un univers moniste grâce au mélange et à la séparation des essences essentielles qui permettent ce que les gens définissent comme le "mouvement" et le "changement".
Anaxagore continua à enseigner à Athènes jusqu'à ce qu'il ne soit accusé d'impiété, vers 450 avant notre ère, pour avoir nié que le soleil et la lune étaient des divinités, affirmant au contraire qu'il s'agissait de rochers. L'accusation serait peut-être due à son association étroite avec Périclès, dont les ennemis politiques avaient décidé d'attaquer le professeur pour nuire à son élève. Périclès prit la défense d'Anaxagore, qui fut autorisé à payer une amende plutôt que d'être jugé et éventuellement exécuté. Il se retira à Lampsaque, en Troade (Turquie actuelle), où il vécut le reste de sa vie en tant que philosophe et enseignant très respecté.
Lorsque les citoyens de lampsaque lui demandèrent par quel hommage il préférait que l'on se souvienne de lui, il demanda à ce qu'un jour férié soit accordé aux étudiants de la ville le mois de sa mort et, selon Laërce, cette célébration fut observée jusqu'à son époque. Le peuple lui éleva également un monument en l'honneur de son engagement dans la recherche de la vérité sur la nature de l'existence. L'œuvre d'Anaxagore, comme on l'a vu, a continué à exercer une influence considérable sur les philosophes ultérieurs, même sur ceux qui l'ont critiqué.
(Note de l'auteur : le DK dans la citation ci-dessus fait référence au système Diels-Kranz de numérotation des fragments présocratiques inclus dans la plupart des livres sur le sujet).