L'Homo naledi est une espèce humaine éteinte, découverte en 2013 dans les grottes de Rising Star, en Afrique du Sud. Ce chantier de fouilles a permis de mettre au jour le plus grand assemblage monospécifique de fossiles connu à ce jour en Afrique – et a révolutionné la paléoanthropologie. Les ossements présentent une inhabituelle mixité de caractéristiques et sont datés d’une période assez récente – entre 236 000 et 335 000 ans avant notre ère. Cette découverte souligne la grande diversité des homininés. Plus de 1 500 fossiles, ayant appartenu à un groupe d’au moins 15 individus, ont été retrouvés dans une des zones les plus inaccessibles de la grotte. Ce projet de recherche, dirigé par le paléontologue Lee Berger, se veut résolument moderne : non seulement les résultats sont présentés en accès libre, mais le monde entier peut aussi suivre le processus de fouille sur les réseaux sociaux et via un blog, hébergé par le National Geographic.
Les Homo naledi étaient trapus, avec un crâne de petites dimensions et un squelette mixte : certaines caractéristiques semblent empruntées aux Australopithèques, tandis que d’autres sont plus proches des humains, comme les mains et les pieds. Tout récemment, les scientifiques ont pu établir une datation précise de leurs ossements – mettant ainsi un terme aux spéculations. En effet, leur mixité même et le caractère inhabituel de leurs ossements suggèrent différentes datations – certaines de leurs caractéristiques les plus archaïques le situent environ 2 MA avant notre ère. Un article publié le 9 mai 2017 par l’équipe en charge des fouilles apportent enfin une réponse à cette question : Homo naledi est bien plus jeune que nous ne le pensions et aurait vécu entre 236 000 et 335 000 ans avant notre ère. Il a donc cohabité en Afrique avec nos ancêtres humains modernes, qui avaient déjà commencé leurs migrations. Cette découverte souligne que l’analyse des seuls fossiles ne suffit pas à établir une datation fiable – surtout lorsqu’il n’en reste que quelques fragments. Il sera donc peut-être nécessaire de reprendre la datation d’autres fossiles des premiers homininés.
La découverte
En août 2013, le paléontologue Lee Berger de l’Université de Witwatersrand, en Afrique du Sud, fait le pari d’envoyer Pedro Boshoff, ancien étudiant et compagnon de spéléologie, en mission d’exploration. Pedro fait alors appel aux spéléologues amateurs Rick Hunter et Steven Tucker, qui plongent dans le réseau des grottes Rising Star et trouvent une cavité à près de 30 m de profondeur. M. Berger et son fils Matthew, alors âgé de 14 ans, découvrent les photos (non sans relâcher quelques jurons dans leur excitation s’il faut en croire l’histoire) avant de se lancer dans une visite guidée des grottes. Matthew, dont la fine stature lui permet de se glisser dans l’étroite cavité, photographie les ossements pour les montrer à son père, qui confirme qu’il s’agit bien de restes humains.
Peu de temps après le début des fouilles, Hunter et Tucker suivent un passage sinueux et en pente vers une autre section de la grotte, située à environ 100 m de la première chambre. Ils y trouvent un nouveau gisement d’ossements. La première chambre porte désormais le nom de « Dinaledi » (étoiles, en sésotho), et la seconde « Lesedi » (lumière, en setswana).
Les astronautes des profondeurs
Après une telle découverte, il aurait été injuste que les os aient été faciles à récupérer. Heureusement, la grotte donna du fil à retordre aux chercheurs.
Pour atteindre la chambre Dinaledi, il faut franchir un parcours d’obstacles digne d’un entraînement militaire. Après l’entrée de la grotte, il faut suivre un long boyau sinueux, se faufiler entre les rochers et descendre une échelle (installée pour les fouilles) pour atteindre un premier goulet d'étranglement. Ce boyau de 7 m est connu sous le nom de «Crawl de Superman», d’après la position requise pour passer : ramper sur le ventre, un bras tendu vers l’avant. Après un passage moins pénible, il faut franchir le terrible Dos du Dragon : une ascension de près de 20 m, marquée par une série de roches dressées en écailles. Après avoir enjambé un vide d’environ 1 m, il faut se glisser dans un puits de 18 cm de large : c’est l’entrée de la cavité, qui se trouve plus de 50 mètres en contrebas.
Pour surmonter ces conditions extrêmes où chaque gramme de masse adipeuse risque de piéger les intrépides explorateurs pour l’éternité entre des tonnes de roches, M. Berger lance un appel à candidatures sur Facebook : il recherche des paléontologues expérimentés, très maigres et non claustrophobes. Les six finalistes sélectionnés pour cette expédition étaient des femmes : Marina Elliott, Lindsay Eaves, Elen Feuerriegel, Alia Gurtov, Hannah Morris et Becca Peixotto, sont passées à la postérité sous l’appellation «astronautes des profondeurs».
Les ossements
Les deux chambres étaient littéralement jonchées d’ossements, qui n’ont probablement pas tous été récupérés à ce jour. Les ossements de la chambre Dinaledi appartenaient à un groupe d’au moins 15 individus. La chambre Lesedi abritait deux adultes et un jeune (encore non datés). Tous sont attribués à l’espèce Homo naledi.
Avec la grande mixité de ses caractéristiques, l'Homo naledi chamboule complètement notre vision des homininés. Il s’agit d’humains de petite taille – le corps d’un des adultes est estimé à environ 146 cm : ils sont donc plus grands que les Australopithèques, mais plus petits que les Homo erectus. Leur poids moyen se situe entre 40 et 56 kg. Compris entre 560 et 465 cm3, leur volume crânien est assez faible – même si le crâne de l’individu mis au jour dans la chambre Lesedi est légèrement plus grand (610 cm3). Ce volume reste faible, même en rapport avec leur petite stature, ce qui rappelle le crâne des Australopithèques. La forme de son crâne – y compris la mâchoire et la dentition – rapproche toutefois Homo naledi des premières espèces du genre Homo, comme Erectus, Habilis ou Rudolfensis. Cette similarité avec l’espèce humaine est confirmée par leurs mains (agiles et aux doigts particulièrement courbés), leurs poignets, leur colonne vertébrale, leurs mollets et leurs pieds. Pourtant, certaines caractéristiques sont déroutantes : le bassin très ouvert, la large cage thoracique et les épaules d’Homo naledi le rapprochent des Australopithèques.
Finalement, différentes caractéristiques attestent un mode de vie qui le placent dans la lignée humaine plutôt que dans le genre Australopithecus : l'Homo naledi marche manifestement debout, ses mains sont suffisamment agiles pour fabriquer des outils (malgré l’absence de toute trace d’outils dans la grotte), leur dentition est plutôt petite et la forme de leur crâne correspond.
Comprendre les fossiles
Mais d’où vient l'Homo naledi ? D’après Berger, l’embranchement de cet homininé aurait eu lieu au moins 900 000 ans avant notre ère, probablement même encore plus tôt. Berger et son équipe avancent trois hypothèses sur ses origines. Tout d’abord, il descend peut-être du groupe encore mal défini dont sont issus Homo habilis, Homo rudolfensis, Homo floresiensis et Australopithecus sediba. Ensuite, il pourrait aussi être apparenté à Homo erectus et aux autres espèces du genre Homo dont le crâne est volumineux – dont nous, les Sapiens, faisons partie. Troisièmement, il a peut-être un lien de parenté avec le groupe auquel appartiennent aussi Homo sapiens, Homo antecessor et d’autres espèces humaines précoces. Cette anatomie en mosaïque d’Homo naledi pourrait être le résultat d’un croisement entre un Australopithèque qui aurait survécu bien plus longtemps que ses congénères et un groupe plus humain. Après cette ancienne hybridation, l’espèce Homo naledi s’est installée durablement dans le paysage humain.
D’après ses ossements, Homo naledi menait une vie très classique pour son époque et avait lancé des migrations similaires à celles de Sapiens et Erectus. Tout récemment, une étude a révélé la présence de petits éclats dans les dents de Naledi : il pourrait avoir mâché des aliments durs, où se serait peut-être glissée de la poussière de roche. Les grottes de Rising Star n’ont livré aucun outil, mais les mains d’Homo naledi laissent à penser qu’il était capable d’en fabriquer et de les utiliser. La révélation choc de sa datation – des ossements aussi récents que 236 000 à 335 000 ans avant notre ère – fait même de lui le seul humain connu à ce jour dont la présence en Afrique du Sud est attestée pour la période de fabrication des outils du Middle Stone Age, au Paléolithique.
Ces ossements nous offrent une dernière énigme : comment se sont-ils retrouvés dans une partie aussi étrangement inaccessible des grottes ? Les recherches ont déterminé que l’accès à la chambre Dinaledi était alors très probablement tout aussi difficile qu’aujourd’hui. D’autre part, le sol ne présente aucune trace de puits caché, qui aurait pu expliquer d’éventuelles chutes involontaires dans une grotte dont ils n’auraient pas réussi à ressortir. Les sédiments de la grotte ne contiennent aucun indice de la présence d’eau, qui aurait pu déplacer les ossements. Les analyses n’ont révélé aucune trace de morsure sur les os, qui auraient indiqué que des prédateurs, ou même d’autres humains, auraient pu les traîner jusque dans la grotte. Les fossiles retrouvés dans la chambre Lesedi présentent les mêmes caractéristiques. La seule explication plausible serait donc que ces personnes ont été volontairement enterrées là. Ces enterrements restent encore largement inexpliqués et pouvaient avoir plusieurs motivations : prévenir la curiosité des prédateurs, comme le lion des cavernes, ce qui contribuait à sécuriser le lieu de vie, ou encore des motivations plus sociales et rituelles.
Incidence sur notre vision des homininés
La jeunesse de l’Homo naledi est désormais attestée : elle bouleverse notre récit de l’évolution humaine à cette époque. Elle renverse la théorie, jusqu’alors très répandue, selon laquelle les espèces humaines avec des caractéristiques aussi primitives se seraient éteintes bien plus tôt – et explique l’existence même de l’espèce Homo floresiensis, qui semble anachronique (et était d’ailleurs aussi de petite taille). D’autre part, cette découverte souligne qu’il est impossible de dater véritablement une espèce à partir d’un squelette incomplet : dans le cas de l’Homo naledi, les caractéristiques du genre Homo seraient passées totalement inaperçues si les scientifiques n’avaient retrouvé que les épaules et la cage thoracique. Il serait donc pertinent de reprendre l’analyse des précédents fossiles, éventuellement sujets à ce même doute. Nous savons désormais avec certitude que plusieurs groupes humains bien distincts vivaient alors en Afrique tropicale et subéquatoriale, et que des humains physiquement très différents se sont côtoyés. Le terme de «diversité» est donc essentiel dans le parcours évolutif du genre Homo.