L'Art de la guerre (Sunzi bingfa) est un traité militaire du Ve siècle avant J.-C. écrit par le stratège chinois Sun Tzu (alias Sun Tse, Sun Zi, Souen Tseu ou Sun Wu). Couvrant tous les aspects de la guerre, il cherche à conseiller les commandants sur la façon de se préparer, de se mobiliser, d'attaquer, de se défendre et de traiter les vaincus. L'un des textes les plus influents de l'histoire, il est utilisé par les stratèges militaires depuis plus de 2 000 ans et admiré par des dirigeants allant de Napoléon à Mao Tsé-toung.
Sun Tzu
Les détails biographiques concernant Sun Tzu sont rares. Il aurait vécu aux alentours de 500 avant J.-C., serait né dans l'État de Qi mais aurait agi en tant que commandant dans l'État méridional de Wu. Traditionnellement, on pensait que son célèbre ouvrage, L'art de la guerre, avait été rédigé à la fin de la période des États combattants (481-221 avant notre ère), mais depuis la découverte d'une version plus ancienne du texte écrite sur des bandes de bambou dans une tombe à Yinqueshan, dans le sud du Shandong, la date de composition a été reportée au Ve siècle avant notre ère. Une partie du contenu situe également le texte à cette période, tandis que, dans le même temps, certains experts ont une opinion différente et soulignent la sophistication du langage et d'autres aspects du développement militaire dans le texte comme preuve qu'il a été compilé plus tard. La version traditionnelle du texte a été éditée par le dictateur militaire Cao Cao, du 3e siècle de notre ère. Les traductions anglaises du texte sont souvent incluses dans une anthologie intitulée les Sept Classiques Militaires, qui comprend également des œuvres d'autres auteurs comme les Six Stratégies Secrètes et Wei Liaozi.
Structure et thèmes
L'Art de la guerre est divisé en 13 chapitres ou pian qui couvrent différents aspects de la guerre, de la planification à la diplomatie. L'ouvrage n'hésite pas à recourir à la tromperie, qui est présente dans bon nombre des stratagèmes proposés. L'ouvrage n'est pas pour autant une glorification de la guerre, et un point important soulevé à plusieurs reprises dans l'ouvrage, est que le combat proprement dit ne résulte que de l'échec d'autres stratégies pour vaincre l'ennemi et constitue toujours un gaspillage indésirable d'hommes et de ressources.
Comme la plupart des conseils portent sur le déploiement des troupes avec imagination et audace sur la base d'une bonne connaissance préalable du terrain et de l'ennemi, les retraits et les contre-offensives, et l'importance de la psychologie, L'art de la guerre est souvent cité comme source de référence pour ceux qui s'engagent dans la guérilla. Pour cette raison, les idées de Sun Tzu continuent à être pertinentes pour la conduite de la guerre, quels que soient les développements technologiques ou l'augmentation du pouvoir destructeur des armes. Partout où les soldats sont confrontés à l'ennemi, les idées de Sun-Tzu peuvent être appliquées.
Un concept important dans le texte et dans les traités qui ont suivi est le qi (ou shih), qui est le "souffle" ou l'essence de la vie dans la pensée chinoise. Sa pertinence pour la guerre est que les commandants doivent dynamiser le qi de leurs propres troupes tout en drainant celui de l'ennemi. Ainsi, la psychologie de la guerre est reconnue comme un facteur vital pour le succès global des campagnes.
L'Art de la guerre ne faisait cependant pas l'unanimité. Les adeptes du confucianisme s'offusquaient de l'utilisation de la tromperie qu'ils considéraient comme contraire à un comportement courtois. Un autre critique était Han Fei Tzu, un philosophe influent et conseiller du roi Cheng de l'État Ch'in pendant la période des Royaumes combattants. Fei Tzu pensait que l'ouvrage négligeait la discipline en tant qu'élément important du succès d'une armée et n'était pas convaincu par l'argument selon lequel la limitation des conséquences destructrices de la guerre devait toujours être dans les pensées d'un commandant.
Résumé du texte
Chapitre 1 : De l'évaluation
Le livre s'ouvre sur l'affirmation suivante : "La guerre est la plus grande affaire de l'État, la base de la vie et de la mort, la voie [Tao] de la survie ou de l'extinction. Elle doit être étudiée et analysée en profondeur" (Sawyer, 2007, 157). Ensuite, on nous dit qu'un commandant qui cherche la victoire doit considérer cinq principes ou domaines : La pensée Tao, le yin et le yang, le terrain, les généraux sages et courageux, et les lois de la guerre et de la discipline.
Chapitre 2 : De l'engagement
L'importance de l'approvisionnement et de la logistique pour une armée est exprimée. Les armes s'émoussent, la nourriture vient à manquer et les soldats se fatiguent, de sorte que "aucun pays n'a jamais profité d'une guerre prolongée" (ibid, 159). Si possible, les provisions doivent être acquises auprès de l'ennemi. Les soldats capturés doivent être bien traités et encouragés à rejoindre l'armée de leurs vainqueurs.
Chapitre 3 : Des propositions de la victoire et de la défaite
Un commandant doit limiter les destructions infligées à l'ennemi: "La plus haute réalisation de la guerre est d'attaquer les plans de l'ennemi ; ensuite, d'attaquer ses alliances ; ensuite, d'attaquer son armée ; et la plus basse, d'attaquer ses villes fortifiées" (ibid., 161). La guerre de siège est coûteuse et prend du temps, elle doit donc être un dernier recours. Cinq facteurs influenceront la victoire : savoir quand combattre ou battre en retraite, savoir déployer des armées petites et grandes, savoir motiver les troupes à tous les niveaux, être prêt (même pour l'inattendu) et avoir un dirigeant qui n'interfère pas avec un commandant talentueux. L'importance de connaître son ennemi est soulignée.
Chapitre 4 : De la mesure dans la disposition des moyens
La planification et la préparation sont à nouveau soulignées. Les commandants doivent savoir quand attaquer et quand se défendre. Ils doivent toujours mesurer, estimer, calculer et peser la force de leur ennemi, alors la victoire sera assurée.
Chapitre 5 : De la contenance
Sun-Tzu aborde ici la nécessité de gérer ses troupes dans toutes les situations :
...dans la bataille, on s'engage avec les orthodoxes et on remporte la victoire grâce aux non-orthodoxes... Celui qui utilise la puissance stratégique[shih] commande les hommes dans la bataille comme s'il faisait rouler des bûches et des pierres... Ainsi, la puissance stratégique[shih] de celui qui excelle à employer des hommes dans la guerre est comparable au fait de faire rouler des roches rondes sur une montagne de mille brasses.(ibid, 165)
Chapitre 6 : Du plein et du vide
L'ennemi doit être forcé à réagir ou être provoqué à réagir, toujours à la suite de l'initiative du vainqueur ultime. Il faut d'abord occuper le champ de bataille, se familiariser avec lui et avec les dispositions de l'ennemi. Un commandant ne doit pas rendre évident l'endroit où il attaque, mais sonder et trouver la faiblesse de l'ennemi en surveillant et en évaluant sa capacité à répondre à des attaques en divers endroits : "Ainsi, l'apogée du déploiement militaire s'approche de l'informe. S'il est sans forme, alors même l'espion le plus profond ne peut le discerner ni le sage faire des plans à son égard" (ibid., 168).
Chapitre 7 : De l'affrontement direct et indirect
Sur les difficultés de déplacer une armée sur le terrain et de s'assurer que les troupes restent ensemble et ne sont pas séparées les unes des autres ou de leur approvisionnement :
Ainsi l'armée est établie par la tromperie, se déplace pour avoir l'avantage et change en se segmentant et en se réunissant. Ainsi sa vitesse est comme le vent, sa lenteur comme la forêt; son invasion et son pillage comme un feu; immobile, elle est comme les montagnes. Il est aussi difficile à connaître que les ténèbres ; en mouvement, il est comme le tonnerre. (ibid, 169)
L'armée peut être rendue plus cohésive en s'assurant que tous sont motivés pour se battre et recevront leurs récompenses. Elle peut également être mieux gérée en tant qu'unité sur le champ de bataille par l'utilisation de feux, de drapeaux et de tambours.
Chapitre 8 : Des neuf changements
Sun-Tzu identifie neuf points d'action qu'un commandant doit suivre, notamment utiliser le terrain à son avantage, ne pas presser l'ennemi ou attaquer ses villes dans toutes les situations. Le commandant doit toujours peser les avantages du gain et les dangers des pertes dans chaque action qu'il entreprend.
Chapitre 9 : De la distribution des moyens
Un commandant doit occuper un terrain élevé lorsqu'il le peut et il ne doit pas rester près des rivières, des gorges, des forêts ou des marécages. Ces endroits sont des lieux privilégiés pour les embuscades. Suit une liste de points sur la façon de repérer ce que l'ennemi prépare, depuis les mouvements de troupes jusqu'à leur niveau de faim.
Chapitre 10 : De la topologie
Sun-Tzu identifie les formes les plus courantes de terrain: accessible (permettant la liberté de mouvement des troupes), suspendu (où la retraite est difficile), bloqué (où le mouvement des deux côtés n'apporte aucun avantage particulier), restreint (les troupes doivent occuper tout le terrain afin de le défendre), précipité (la hauteur doit être occupée pour réussir), et expansif (où l'engagement n'est pas souhaitable pour les deux côtés). Les faiblesses des armées sont identifiées, comme les officiers militairement faibles, les généraux qui n'appliquent pas la discipline et les officiers subalternes insubordonnés.
Un commandant doit très bien connaître son armée et ses capacités. En outre,
Dans quelque espèce de terrain que vous soyez, vous devez regarder vos troupes comme des enfants qui ignorent tout et qui ne sauraient faire un pas ; il faut qu'elles soient conduites ; vous devez les regarder, dis-je, comme vos propres enfants ; il faut les conduire vous-même. Ainsi, s'il s'agit d'affronter les hasards, que vos gens ne les affrontent pas seuls, et qu'ils ne les affrontent qu'à votre suite. S'il s'agit de mourir, qu'ils meurent, mais mourez avec eux.(ibid, 177)
Chapitre 11 : Des neuf sortes de terrains
Neuf autres types de terrain sont identifiés qui détermineront les actions d'un général : dispersif (lorsque les seigneurs féodaux sont sur leur propre terrain), léger (lorsqu'un commandant ne pénètre que brièvement en territoire ennemi), litigieux (où l'un ou l'autre camp peut prendre l'avantage), traversable (les deux camps peuvent facilement manœuvrer), focal (terrain bordé d'alliés potentiels), lourd (où l'on peut attaquer profondément en territoire ennemi), piégeux (terrain présentant des difficultés comme des marécages et des ravins), encerclé (terrain avec un point d'accès limité) et fatal (où une victoire ou une défaite décisive peut se produire).
Chapitre 12 : De l'art d'attaquer par le feu
Sun-Tzu identifie les différentes cibles des attaques incendiaires: hommes, provisions, trains de ravitaillement, armureries et formations. Là encore, la préparation, le moment et les conditions météorologiques doivent être pris en compte pour maximiser l'efficacité de l'attaque.
Chapitre 13 : De l'emploi des espions
Les effets négatifs de la guerre sur la population locale sont pris en compte. L'importance de connaître l'ennemi est répétée, ce qui peut être acquis par l'utilisation d'espions. Plusieurs types d'espions peuvent être utilement employés : les locaux, les remplaçables, ceux qui occupent une position élevée dans le gouvernement ennemi, les agents doubles et ceux qui reviennent après avoir accompli leur mission. Les espions doivent être récompensés généreusement, il faut se méfier et être prêt à être espionné soi-même, et un bon commandant peut utiliser les espions pour désinformer l'ennemi.
Ayez des espions partout, soyez instruit de tout, ne négligez rien de ce que vous pourrez apprendre ; mais, quand vous aurez appris quelque chose, ne la confiez pas indiscrètement à tous ceux qui vous approchent. (ibid, 186)
Héritage
L'Art de la guerre a influencé non seulement d'autres ouvrages chinois similaires sur la stratégie militaire pendant la période des Royaumes combattants, lorsque de tels manuels étaient devenus courants et que les officiers pouvaient en réciter des passages par cœur, mais aussi des écrivains et des commandants ultérieurs. Les commandants du Japon médiéval le consultaient, Napoléon aurait utilisé de nombreux principes exposés dans le livre, et le dirigeant chinois Mao Tsé-toung était un grand fan de l'ouvrage et l'a cité comme un facteur contribuant à sa victoire sur Tchang Kaï-chek lors de la guerre civile du milieu du 20e siècle. Ho Chi Minh a également utilisé de nombreux principes de Sun Tzu pendant la guerre du Vietnam, plus tard au cours du même siècle. Ce traité militaire, le plus célèbre de l'histoire de l'Asie, est toujours aussi populaire et fait souvent partie des lectures essentielles des programmes de cours d'histoire et de sciences politiques du monde entier.