Marcus Gavius Apicius, un homme riche et éduqué faisant partie de l'élite romaine ayant vécu sous le règne de l'empereur Tibère (14-37 ap. JC), est célèbre pour son amour de la cuisine et pour son livre de recettes intitulé De Re Coquinaria (L'art de la cuisine). C'était un gourmand modèle qui organisait et tenait des dîners extravagants, et les chercheurs ont suggéré que le gouvernement romain lui donnait de l'argent pour nourrir et divertir les dignitaires étrangers. Ces réceptions élaborées donnaient à Apicius et au gouvernement l'occasion de présenter le meilleure de la cuisine romaine.
Décrit par Tertullien comme « le saint patron des cuisiniers » (Sur l'âme, 33), Apicius aurait écrit deux livres de cuisine : l'un contenant des recettes générales, l'autre un livre sur les sauces. Aucun de ces livres n'a survécu. Il créa une école de cuisine et il servit d'inspiration à toute une série d'écoles de cuisine ultérieures. Sa vie passée à étudier, acquérir et consommer de la nourriture créa une partie de son héritage qui est maintenant associé à tous ceux qui aiment une nourriture de très bonne qualité et coûteuse. Cependant, ses extravagances alimentaires finirent par épuiser les revenus de son ménage, mettant ainsi en péril sa capacité à maintenir son luxueux style de vie culinaire et provoquant le désarroi d'Apicius qui se suicida.
La période
Dans la société romaine antique, la nourriture consommée par les élites était préparée par des cuisiniers qui étaient des esclaves. Bien qu'il n'ait pas été cuisinier, Apicius acquit sa réputation de gourmand non seulement pour ses somptueux festins, mais aussi pour sa connaissance des aliments. Ses compétences se concentraient sur les domaines de l'élevage, des cultures et de la production de fruits et de légumes. Il connaissait les meilleurs aliments, les plus extravagants, mais aussi l'endroit où se trouvaient les ingrédients désirés. L'étendue de l'Empire romain permettait à Apicius de disposer d'un large éventail d'aliments et de goûts.
Le dîner (cena) était un événement plus formel, composé de trois plats, sans limite quant au nombre de mets proposés pour chaque plat. L’entrée (gustatio) consistait en des amuse-bouches, notamment ceux contenant des œufs. Le plat principal (mensae primae) comprenait des plats de viande, de poisson et des ragoûts. Le dessert (mensae secundae) proposait des fruits, des noix et des gâteaux. Ce sont ces recettes de cena qui furent rassemblées et publiées dans le De Re Coquinaria d'Apicius.
La volonté des Romains d'adopter et d'intégrer des coutumes alimentaires étrangères donna naissance à la première cuisine véritablement internationale. Cependant, le luxe croissant des recettes et des repas romains servit d'indicateur précoce de la décadence morale de l'empire, remettant en cause la « ...croyance largement répandue selon laquelle la grandeur de Rome s'était construite sur une frugalité austère », selon Roy Strong (Feast, 19). Malgré l'extravagance croissante de Rome en matière d'aliments de meilleure qualité, le petit-déjeuner et le déjeuner romains typiques restaient assez simples et se composaient principalement d'eau, de pain, de fromage, de fruits et des restes. Le dîner était une autre affaire et c'est pour ce repas qu'Apicius démontrait ses goûts de gourmet.
Le livre
On attribue à Apicius la rédaction du seul livre de cuisine du monde gréco-romain qui ait survécu, bien que certains chercheurs affirment qu'il n'y a guère de lien entre Apicius et le livre de cuisine. Les chercheurs s'accordent à penser que les recettes proviennent des cuisiniers de sa maison. De Re Coquinaria contient près de 500 recettes ; la question de savoir combien de ces recettes peuvent être directement liées à Apicius reste ouverte. L'ensemble de l'ouvrage se compose de dix livres individuels disposés selon le type d'aliment à préparer. Les plus anciennes éditions du livre de cuisine remontent au 9e siècle ap. JC et elles sont conservées au Vatican et à l'Académie de médecine de New York.
Les recettes dans De Re Coquinaria ne sont pas écrites pour le cuisinier amateur, mais plutôt pour des chefs expérimentés. Les recettes représentent 90% de l'ensemble de l'ouvrage, mais contrairement aux recettes modernes, ces instructions anciennes ne fournissent aucune quantité et peu d'instructions sur la façon de préparer réellement les plats.
Le manque d'instructions dans les recettes est mis en évidence par la recette suivante de sanglier rôti :
Le sanglier se cuisine comme suit : épongez-le et saupoudrez-le de sel et de cumin rôti. Laissez reposer. Le lendemain, faites-le rôtir au four. Quand il est cuit, saupoudrez de poivre moulu et versez dessus le jus du sanglier, du miel, du liquamen, du caroenum et du passum. (330).
Les 10% restants du livre de cuisine mettent en avant les techniques de présentation ainsi que - ironiquement - les remèdes aux maux d'estomac.
Si toutes les recettes ne donnent pas lieu à un plat exotique, beaucoup le font. Les recettes montrent l'inclusion d'ingrédients locaux mais surtout d'ingrédients provenant de lieux lointains, dont beaucoup étaient assez chers et somptueux: oiseaux (autruche, paon, grue), animaux (sanglier, chèvre, lièvre), divers organes internes (cervelle, poumons, estomac), beaucoup de légumes, de fruits et de noix dominent les listes d'ingrédients. Par exemple, voici une recette de flamant rose dans une sauce épicée aux dattes :
Ébouillanter le flamant rose, le laver et l’assaisonner, le mettre dans une marmite, ajouter de l'eau, du sel, de l'aneth et un peu de vinaigre pour l'étuver. Terminer la cuisson avec une botte de poireaux et de coriandre, et ajouter un peu de moût réduit [jus de raisin] pour lui donner de la couleur. Dans le mortier, écraser le poivre, le cumin, la coriandre, la racine de silphium, la menthe, la rue, mouiller avec le vinaigre, ajouter les dattes, et le fond [jus de cuisson] de l’oiseau braisé, épaissir, filtrer, couvrir l’oiseau de la sauce et servir. (6.231).
De multiples assaisonnements, parfois jusqu'à dix par plat, mélangés à une variété d'ingrédients principaux donnent souvent un produit fini semblable au ragoût moderne. Presque toutes les recettes comprennent un type de sauce, principalement pour masquer les saveurs des ingrédients. Le garum, une sauce à base de poisson, extrêmement salée et piquante, était utilisé dans toutes les recettes d'Apicius. Quel que soit le résultat final, les recettes reflètent des saveurs méditerranéennes provenant de régions telles que l'Italie, la Grèce, la Turquie, la péninsule ibérique et l'Afrique du Nord. Regardez ici et ici pour d'autres recettes romaines, dont certaines d'Apicius.
L'ensemble de l'ouvrage reflète l'empire romain à son apogée : l'extravagance et le luxe d'une société et d'une culture profitant, littéralement, des fruits de la conquête. La nourriture et la cuisine, en particulier chez les Romains les plus riches, leur permettaient d'afficher leur richesse réelle ainsi que le statut de leurs amis et de leurs connaissances dont ils appréciaient la compagnie lors de banquets et de repas luxueux. La consommation ostentatoire, présentée ici par Apicius, caractérisait la société romaine de la classe supérieure, et ses viandes coûteuses, le recours à des cuisiniers esclaves et les variétés d'ingrédients étrangers démontraient les différences de classe de la Rome antique.