La dynastie des Artaxiades (Artašesian) régna sur l’ancienne Arménie entre l’an 200 av. J.-C. et la première décennie du 1er siècle apr. J.-C. Fondée par Artaxias Ier, la dynastie assura à l’Arménie une période durable de prospérité et d’importance régionale. L’un des principaux souverains artaxiades fut Tigrane II le Grand, qui étendit son royaume de manière considérable avant sa défaite finale face aux Romains au milieu du 1er siècle av. J.-C. Par la suite, le royaume deviendrait un pion dans les campagnes politiques et les guerres impliquant Rome et les Parthes.
Déclin de la dynastie des Orontides
Les Orontides régnèrent sur l’ancienne Arménie en tant que satrapes perses à partir du 6e siècle av. J.-C. Ils gouvernèrent ensuite sous la suzeraineté des Macédoniens et de l’empire séleucide après la conquête de la région par Alexandre le Grand dans la seconde moitié du 4e siècle av. J.-C. Le dernier de la dynastie des Orontides à régner en Arménie orientale fut le roi Orontès IV (ou Ervand IV, r. d'environ 212 à 200 av. J.-C.). Ervand, qui s’était donné le titre de roi comme bon nombre de ses prédécesseurs, déplaça la capitale d’Armavir à la nouvelle ville de Ervandashat, qui signifie «la joie de Ervand». Vers 200 av. J.-C., Ervand IV fut assassiné et Artaxias Ier (alias Artašēs Ier), soutenu par le souverain séleucide Antiochos III (r. d'environ 222 à 187 av. J.-C.), devint le satrape de l’empire en Arménie. Contrairement à la vision traditionnelle de plusieurs auteurs de l’antiquité, il semble probable que les souverains Orontides et Artaxiades aient eu des ancêtres communs, comme le révèlent les conventions de noms et les inscriptions récemment découvertes sur des bornes frontières arméniennes.
Artaxias Ier
Antiochos pensait qu’un changement de régime réduirait la tendance croissante de l’indépendance arménienne face à la tutelle séleucide. À cette fin, il créa deux satrapes: Artaxias en Arménie et Zariadris en Sophène au sud-ouest. Cependant, quand Antiochos fut vaincu par les Romains à la bataille de Magnésie en 190 av. J.-C., Artaxias se déclara roi et entreprit d’étendre son royaume, d’abord en épousant la reine Satenik de l’Ibérie asiatique. Artaxias conquit une partie de l’Atropatène au nord de la rivière Araxe, tandis qu’au sud, les régions de Phaunitis et du Siunik arménien, et à l’ouest, le Vaspurakan, furent annexées. Le royaume était unifié comme jamais auparavant, avec une centralisation administrative et des innovations telles que les stèles frontières visant à proclamer les droits de propriété et l’autorité de la couronne. Il n’est donc pas étonnant qu’Artaxias soit devenu l’un des rois arméniens les plus vénérés et qu’il ait fait l’objet de nombreux poèmes et chansons depuis son règne.
Une nouvelle capitale fut établie sur une plaine à neuf collines, à Artaxata (Artaxate), en 176 av. J.-C. Hannibal, le grand général carthaginois, aurait conçu les fortifications de la ville lorsqu’il était au service d’Artaxias après sa défaite face aux Romains. L’historien R. G. Hovannisian décrit ces caractéristiques et d’autres aspects de la ville:
La ville comprenait une citadelle située sur le sommet appelé plus tard Xor Virap (Khor Virap) et était protégée par de vastes fortifications et un fossé. Des fouilles récentes ont révélé un centre urbain important avec des rues pavées, des bâtiments publics, des bains, des boutiques et des ateliers de divers artisans... elle devint rapidement un point de jonction majeur entre la route commerciale le long de la vallée de l’Araxe menant vers la Bactriane et l’Inde et celle allant vers le nord jusqu’à la mer Noire. (49)
Le long règne d’Artaxias s’acheva entre 165 et 160 av. J.-C., mais sa lignée se poursuivit avec ses deux fils, d’abord avec le bref règne d’Artavazde, puis avec celui de Tigrane Ier. Sa date de succession est inconnue, mais il régna jusqu’en 95 av. J.-C. Peu de choses sont connues au sujet de ces deux souverains, si ce n’est quelques pièces de monnaie retrouvées qui corroborent leur existence, laquelle n’avait été suggérée auparavant que par la présence de leurs noms dans quelques textes anciens.
Tigrane II le Grand
Après une période plutôt sombre dans les archives historiques de l’Arménie, on retrouve soudainement une multitude de documents à propos du plus grand des rois artaxiade, ou même de tout autre roi arménien, Tigrane II ou Tigrane le Grand (r. d'environ 95 à 56 av. J.-C.). Il fut placé sur le trône d’Arménie par les Parthes après que son oncle, le roi arménien Artavazde Ier, eut été contraint de leur envoyer Tigrane comme otage. À la mort de son père Tigrane Ier vers 95 av. J.-C., Tigrane fut renvoyé en Arménie pour prendre sa place sur le trône. Le nouveau roi dut céder les «soixante-dix vallées» aux Parthes (un territoire qui s’étendait probablement sur l’Azerbaïdjan moderne), mais il prouva rapidement qu’il était tout sauf un roi-client coopératif.
Tigrane profita du fait que les Parthes étaient distraits par des invasions à leurs frontières orientales pour étendre encore plus son propre royaume. Tout d’abord, il annexa l’autre partie de l’Arménie traditionnelle, le royaume de Sophène, en 94 av. J.-C. Grâce à de formidables engins de siège et à une cavalerie lourdement armée, il reprit les «soixante-dix vallées» et conquit la Cappadoce, l’Adiabène, la Gordyène, la Phénicie et une partie de la Syrie, y compris Antioche. Le roi arménien saccagea même Ecbatane, la résidence d’été de la royauté parthe, en 87 av. J.-C., alors que les Parthes étaient aux prises avec des envahisseurs nomades venant du nord. À son apogée, l’empire arménien de Tigrane le Grand s’étendait de la mer Noire à la Méditerranée. Jamais auparavant ni depuis, les Arméniens n’ont contrôlé une aussi grande partie de l’Asie.
À partir de 85 av. J.-C., Tigrane se proclama «roi des rois», et autorisa les rois des territoires conquis à régner en tant que vassaux. Ceux-ci étaient obligés de payer un tribut et leurs populations étaient déplacées afin de réduire les dissensions et d’accroître leur loyauté. Tigrane était considéré comme un admirateur de la culture grecque et la capitale qu’il fonda en 83 av. J.-C., Tigranocerte (alias Tigranakert, dont la localisation est incertaine), était célèbre pour son architecture hellénistique. Le grec était probablement utilisé, avec le persan et l’araméen, comme langue de la noblesse et de l’administration, tandis que le reste de la population parlait l’arménien. Les éléments perses continuèrent également à jouer un rôle important dans le mélange culturel arménien, en particulier dans le domaine de la religion.
Tigrane commit alors sa plus grande erreur politique et s’allia à Mithridate VI, roi du Pont (r. de 120 à 63 av. J.-C.) et grand ennemi de Rome. Certes, Tigrane était marié à Cléopâtre, la fille de Mithridate, et, en réalité, il semblait que, quel que soit le camp choisi par l’Arménie — Rome ou les Parthes —, le petit royaume coincé entre ces grands empires serait toujours relégué au second plan.
La République romaine, voyant le danger d’une telle alliance entre les deux puissances régionales, réagit en attaquant le Pont et, lorsque Mithridate s’enfuit à la cour de Tigrane en 70 av. J.-C., les Romains envahirent l’Arménie. Tigrane fut vaincu par une armée romaine commandée par le général Licinius Lucullus. Tigranocerte futt capturée en 69 av. J.-C. et le roi arménien fut contraint d’abandonner ses conquêtes. À la suite d’une nouvelle attaque romaine vers 66 av. J.-C., menée cette fois par Pompée le Grand, l’Arménie devint un protectorat romain. Par la suite, la région devint une pomme de discorde entre Rome et les Parthes (et leur successeur, la perse sassanide), mais Tigrane continua à gouverner la majeure partie de l’Arménie en tant que vassal de l’Empire romain, territoire qui servait de zone tampon aux Parthes, jusqu’à sa mort vers 56 av. J.-C., à l’âge de 85 ans.
Rome, les Parthes, et déclin des Artaxiades
Artavazde II (r. d'environ 56 à 34 av. J.-C.), fils de Tigrane II, était connu en tant que roi philosophe en raison de ses œuvres littéraires grec, dont aucune n’a malheureusement survécu. L’Arménie continua d’occuper une position précaire entre l’Empire romain à l’ouest et la Perse à l’est. Le général romain Marcus Licinius Crassus obligea Artavazde à soutenir sa campagne contre les Parthes en 53 av. J.-C. Cependant, à la suite de l’échec spectaculaire de cette campagne, au cours de laquelle le Romain le plus riche de l’histoire perdit à la fois son armée et sa tête, une alliance se reforma entre l’Arménie et les Parthes. Cette alliance fut cimentée par le fait qu’Artavazde avait fiancé sa sœur au fils aîné du roi parthe Orodès II (r. 57 à 37 av. J.-C.).
Cependant, en 36 av. J.-C., la région fut à nouveau déstabilisée par le passage d’un autre général romain, cette fois Marc-Antoine, et les Arméniens furent à nouveau sollicités pour fournir des troupes. Une fois de plus, les Romains furent vaincus par leur ennemi juré, les Parthes. En 34 av. J.-C., Antoine s’attaqua aux Artaxiades, emmenant Artavazde à Alexandrie, où le flamboyant triumvir célébra de manière controversée un triomphe officieux pour ses victoires en Arménie. Artavazde serait plus tard exécuté par la reine Cléopâtre.
Entre-temps, les Parthes avaient nommé Artaxias II (Ardachès II) II, l’un des fils d’Artavazde, en tant que roi d’Arménie vers 30 av. J.-C. Puis, en 20 av. J.-C., Rome réaffirma ses prétentions sur la région lorsque l’empereur Auguste envoya Tibère réinstaller un roi d’Arménie plus loyal envers la Rome impériale: Tigrane III. Dans un jeu de trônes musicaux, les Parthes installèrent Tigrane IV en 8 av. J.-C., qui fut ensuite brièvement remplacé par Artavazde III, soutenu par les Romains, en 5 av. J.-C., avant de retrouver son siège en 2 av. J.-C., bien qu’il ait dû cette fois le partager avec sa sœur Érato. Trois autres changements interviendraient au cours de la décennie suivante, mais la musique était sur le point de s’arrêter pour de bon.
La réalité politique instable de la région à cette époque se reflète dans la brièveté des règnes et le changement fréquent des rois subséquents: neuf souverains jusqu’à la première décennie du 1er siècle apr. J.-C. Le déclin des Artaxiades fut également dû en partie aux factions internes créées par la noblesse qui s'était divisée en factions pro-romaines ou pro-parthes. Dans des circonstances peu claires, la dynastie suivante à dominer les affaires arméniennes, la dynastie des Arsacides, succéda aux Artaxiades lorsque leur fondateur, Vonon Ier (Vononès), monta sur le trône en l'an 12 ap. J.-C..
This article was made possible with generous support from the National Association for Armenian Studies and Research and the Knights of Vartan Fund for Armenian Studies.