Kahina (7e siècle) était une reine-guerrière et une voyante berbère (Imazighen) qui mena son peuple contre l'invasion arabe en Afrique du Nord au 7e siècle. Elle est également connue sous les noms de al-Kahina, Dihya al-Kahina, Dahlia, Daya et Dahia-al-Kahina. Bien qu'elle ait été finalement vaincue, sa résistance servit ensuite de modèle à d'autres combattants de la liberté.
Son nom de naissance était Dihya, ou une variante de celui-ci ("la belle gazelle" dans la langue tamazight des Imazighen) tandis que "Kahina" est un titre arabe signifiant "prophétesse" ou "voyante" ou "sorcière". On dit qu'elle avait des pouvoirs surnaturels qui lui permettaient de prédire l'avenir. Bien qu'elle soit une championne du peuple indigène nord-africain des Imazighen, elle est surtout connue sous le titre que lui ont donné ses ennemis arabes: al-Kahina.
Elle était la fille (ou la nièce) du roi berbère Koseïla (mort vers 688), qui était un célèbre combattant de la liberté du peuple Imazighen (également connu sous le nom d'Amazigh, "le peuple libre", le nom indigène des Berbères). On sait peu de choses de sa vie, si ce n'est son conflit avec le chef arabe musulman Hasan ibn al Nu'man (mort vers 710) dont les armées omeyyades faisaient campagne en Afrique du Nord.
Kahina vainquit Hasan plus d'une fois et le chassa de la région. La légende prétend qu'ensuite elle s'engagea dans une politique de terre brûlée pour priver les envahisseurs musulmans de toute marchandise rentable et que cette démarche lui fit perdre le soutien de son peuple. Il se peut cependant que les armées arabes aient elles-mêmes utilisé la tactique de la terre brûlée et que les auteurs arabes ultérieurs aient attribué la destruction des terres à Kahina.
Lors de son dernier engagement contre Hasan, un nombre important de ses anciens alliés se battirent contre elle. À la tête d'une force considérablement réduite contre un nombre écrasant de soldats, Kahina fut vaincue. Soit elle mourut au combat, s'empoisonna pour éviter d'être capturée ou fut capturée et exécutée. Les dates données pour sa mort varient entre 698, 702 et 705, bien que les preuves historiques suggèrent que la date de 698 est trop précoce et que sa bataille finale eut lieu en 702 ou 705.
Vie et légende
La vie de Kahina n'est connue que par les historiens arabes qui ont écrit sur la conquête musulmane de l'Afrique. Ces historiens, ainsi que d'autres légendes, affirment qu'elle était une sorcière juive descendant de la communauté Beta Israel des Juifs éthiopiens. On dit qu'elle était un membre royal de la tribu des Djerawa au sein de la confédération plus large connue sous le nom de tribu Zenata de Maurétanie; une princesse, qui devint ensuite reine et régna sur un État autonome dans la région des montagnes des Aurès, dans l'actuel nord-est de l'Algérie.
Certaines sources affirment cependant que Kahina était chrétienne et qu'elle tirait son pouvoir d'une icône chrétienne. Dans le même temps, il a été affirmé qu'elle pratiquait la religion indigène de Numidie, qui incluait le culte du soleil, de la lune et la vénération des ancêtres. L'affirmation concernant son pouvoir de prophétie est conforme à cette ancienne croyance selon laquelle les dieux, ou les esprits des morts, pouvaient communiquer avec certains membres de la tribu qui avaient le don de prophétie.
Les légendes suggèrent qu'elle pouvait communiquer avec les oiseaux qui étaient capables de l'avertir de l'avancée des armées. Cette histoire est peut-être née pour expliquer ses prétendus dons prophétiques. Les légendes prétendent également qu'elle aurait épousé un tyran qui persécutait son peuple et qu'elle l'aurait assassiné pendant leur nuit de noces.
Bien qu'elle soit communément appelée "reine berbère", les autochtones de la région la connaissent sous le nom d'Imazighen, qui est le terme le plus exact. L'expert Ethan Malveaux commente :
Le mot berbère était un dérivé du mot grec Kapes Bap Bapo`owoi, qui signifiait sauvage (plus tard, les Anglais le compacteront en Barbary) ; les Arabes adoptèrent ce nom pour désigner ces tribus africaines qui étaient autrefois soumises aux anciens Romains et qui avaient (avant la conquête musulmane) arraché une semi-autonomie à l'Empire byzantin. (171-172)
L'un de ces États semi-autonomes était le royaume de la tribu Zenata, qui a peut-être fait partie de coalitions plus importantes d'Imazighens dans la région.
Kahina est généralement décrite comme grande avec "une garnde chevelure", ce qui est généralement interprété comme signifiant qu'elle portait ses cheveux longs et attachés en dreadlocks. Elle est généralement représentée dans la tenue de la royauté de la Numidie antique: une tunique ou une robe ample portée avec des sandales et parfois ceinturée.
La Numidie et Rome
La Numidie, en tant que royaume unifié, prospéra entre 202 et 40 avant JC, mais l'histoire et la culture de la région sont bien plus anciennes. Elle est considérée comme le premier État imazighen établi en Afrique du Nord et fut fondée par le roi Masinissa (r. c. 202-148 av. JC) à la suite de la deuxième guerre punique (218-202 av. JC) entre Rome et Carthage.
Les deux principales tribus de la région étaient connues sous le nom de Massæsyles, à l'ouest, et de Massyles, à l'est. Bien que ces peuples soient communément appelés "tribus", il se peut qu'ils aient été une coalition de différentes tribus sous la direction de chefs respectifs. Masinissa réunit ces tribus pour former le royaume de Numidie, qui fut ensuite divisé entre la Maurétanie et Rome à la suite de la guerre dite de Jugurtha (112-105 av. JC) initiée par le petit-fils de Masinissa, Jugurtha (r. 118-105 av. JC), contre Rome.
En tant que province de Rome, les Imazighen furent impliqués dans la guerre civile romaine entre Jules César et Pompée le Grand en 46 av. JC, et la région fut ensuite contrôlée par Auguste César (r. 27 av. JC - 14 après JC) après 31 av. JC. La Numidie resta une province romaine après la chute de l'Empire romain d'Occident en 476. Elle devint la préfecture prétorienne d'Afrique, sous l'Empire romain d'Orient (Byzance), après la défaite des Vandales en Afrique du Nord, vers 534, et fut ensuite connue sous le nom d'Exarchat d'Afrique, restant sous contrôle byzantin.
Sous Rome, les Numides devinrent une culture de traditions religieuses diverses. Le judaïsme, le christianisme et la religion indigène des anciens Imazighen semblent avoir coexistés harmonieusement ou, du moins, il n'existe aucune preuve de troubles religieux dans la région à cette époque. Faisant partie du "grenier à blé de Rome", approvisionnant l'empire en céréales et son armée en cavalerie mercenaire, la région du Maghreb (le monde berbère) prospéra.
L'invasion arabe
Au 7ème siècle, les armées arabes entamèrent des campagnes de conquête suite à l'établissement de la nouvelle religion de l'Islam. Si les spécialistes d'aujourd'hui débattent continuellement de la question de savoir si ces campagnes pouvaient être qualifiées de jihads ("guerres saintes"), destinées à convertir de larges populations par la force, il ne fait aucun doute que tel fut le résultat final.
L'affirmation selon laquelle les Arabes n'étaient pas intéressés par la conversion forcée provient de certains versets du Coran qui la découragent (2:62 ; 2:256 ; 4:93 ; 16:125, entre autres), mais d'autres passages soutiennent et encouragent cette pratique (4:76 ; 9:5 ; 9:29 ; 9:38-39, pour n'en citer que quelques-uns). On a également prétendu que les Arabes musulmans n'avaient aucun motif de conversion forcée parce que les non-croyants étaient obligés de payer une taxe (la jizya) pour vivre parmi les musulmans, ce qui était plus rentable que la conversion forcée. Dans le même temps, cependant, le contrôle des ressources et de la population d'une région pouvait s'avérer bien plus rentable qu'un impôt sur les non-croyants.
En 647, les forces arabes avaient déjà conquis la Mésopotamie et l'Égypte, convertissant la population à l'Islam, lorsqu'elles se dirigèrent vers le Maghreb. L'Empire byzantin contrôlait encore Carthage et le Maghreb à cette époque et le gouverneur byzantin, le comte Grégoire le Patricien, organisa une défense contre l'invasion. Grégoire fut tué à la bataille de Sufetula en 647, au sud de Carthage, et son successeur paya aux forces arabes un tribut important pour qu'ils retournent en Égypte.
Les luttes intestines entre les factions arabes empêchèrent toute autre campagne jusqu'à environ 665. La ville de Kairouan (dans l'actuelle Tunisie) fut établie comme base des opérations militaires arabes vers 670 et c'est de là que le général Uqba ibn Nafi (mort en 683) lança ses campagnes vers la Maurétanie à l'ouest. Le site fut choisi pour sa sécurité relative face aux attaques des Imazighen qui s'étaient déjà mobilisés pour résister aux Arabes par des tactiques de guérilla. Cependant, la résistance allait bientôt changer de stratégie pour passer à la guerre ouverte, sous la direction d'Aksel de Maurétanie.
La résistance de Koseïla
Koseïla monta une défense et tint son royaume contre les envahisseurs, puis passa à l'offensive, les repoussant de ses frontières. Koseïla était un chrétien qui s'était converti volontairement à l'Islam quelque temps auparavant parce que cela semblait plus rentable. Cependant, lorsque l'invasion arabe s'étendit et menaça son autonomie, il abandonna sa foi et revint à la religion indigène des Imazighen.
En utilisant la religion indigène comme point de ralliement, il put attirer davantage de recrues dans son armée. Il fut capturé par les forces arabes mais fut autorisé à vivre, peut-être en raison de sa connaissance de leur religion ou peut-être parce qu'il prétendait être encore musulman. Sa vie fut épargnée mais on lui ordonna de dissoudre ses troupes et de les convertir à l'islam. Koseïla accepta, fut libéré (ou s'échappa), puis lança son armée contre les Arabes, défaisant les forces d'Uqba ibn Nafi et le tuant en 683.
Koseïla capitalisa sur sa victoire en étendant son territoire et en obtenant plus de recrues, mais il a fut tué dans une bataille avec le chef arabe musulman Hasan ibn al Nu'man en 686 ou 688. À cette époque, sa femme (ou une autre parente) lui a peut-être succédé et régna en tant que reine. Si elle succéda à Koseïla, ce ne fut pas pour longtemps car Kahina était à la tête de l'armée vers 690.
Le règne d'al-Kahina
On pense que Kahina combattit aux côtés de Koseïla dans les années 680 et qu'elle fit ses preuves au combat. Cette affirmation est étayée par l'acceptation par ses troupes de sa compétence en tant que commandant militaire. Elle remporta une victoire précoce contre Hasan (date inconnue) et força sa retraite. Hasan remobilisa ses troupes et prit la ville de Carthage en 698. Tenant désormais les régions du nord-est, il attaqua à nouveau Kahina et fut si sévèrement battu qu'il se retira en Libye ou en Égypte.
Le prétendu don de prophétie de Kahina lui aurait permis de savoir comment son adversaire formerait ses troupes, comment elles seraient renforcées et de quelle direction elles viendraient. Son pouvoir spirituel donna lieu à des comparaisons avec l'héroïne française Jeanne d'Arc (1412-1431) et elle présente également des similitudes avec la voyante et guerrière apache Lozen (vers 1840-1889), qui était capable d'anticiper et de vaincre les troupes de la cavalerie américaine par précognition. On dit qu'en utilisant ses pouvoirs, Kahina aurait remporté une troisième victoire contre Hasan, ou peut-être une armée sous les ordres d'un autre chef pendant que Hasan était en Égypte ou en Libye.
Selon la légende, au cours de cet engagement, elle fut dépassée en nombre par les forces arabes et battit en retraite. Cependant, reconnaissant la direction du vent, elle ordonna à son armée d'allumer des feux que le vent porta ensuite à l'ennemi. L'armée arabe fut contrainte de battre en retraite et le pays fut si gravement brûlé que toute campagne future devrait traverser une terre aride et sans ressources.
À ce stade de son histoire, il existe deux récits possibles. Selon les historiens et légendes arabes, sa victoire par le feu aurait donné à Kahina l'idée d'initier une politique de terre brûlée à grande échelle. Elle aurait cru que les Arabes n'étaient intéressés que par les richesses de la terre et que, si elle les supprimait, ils laisseraient son peuple tranquille. Elle ordonna donc à son armée de démolir les fortifications, de détruire les villes et les villages et de faire fondre l'or et l'argent. Elle ordonna également de couper les vergers, de brûler les champs et même de détruire les jardins privés.
Elle adopta prétendument cette tactique pour sauver son peuple mais, pour ceux qui vivaient dans les villes et dépendaient des champs et des vergers, la politique de Kahina fut désastreuse. Leurs maisons et leurs commerces furent détruits et la seule option qui leur restait était une errance nomade dans une région qui avait été largement détruite par la guerre avant même que Kahina n'y mette le feu. Le ressentiment à l'égard de la reine remplaça l'admiration antérieure et une grande partie de son peuple se retourna contre elle.
L'autre récit possible est que les historiens arabes attribuent à Kahina une tactique connue pour avoir été utilisée par les armées arabes envahissantes ailleurs. En Égypte, en Libye et en Mésopotamie, les envahisseurs arabes musulmans utilisaient régulièrement la tactique de la terre brûlée pour soumettre la population. Il est donc probable qu'ils aient fait de même en Afrique du Nord, les auteurs ultérieurs attribuant la responsabilité de la destruction généralisée à la reine qui avait mené la résistance contre eux.
Il est donc possible que Hasan, ou un autre commandant, ait initié la politique de la terre brûlée en Afrique du Nord pour démoraliser le peuple - tout comme ils l'avaient fait ailleurs - et que cela ait réussi à briser la résistance. Ceux qui avaient auparavant soutenu ouvertement Kahina ne purent peut-être plus se permettre de voir leurs récoltes et leurs maisons détruites. Il est également possible qu'à ce moment-là, le peuple ait simplement considéré la victoire des Arabes musulmans comme inévitable; Kahina elle-même ressentit peut-être la même chose, comme en témoigne la reddition ultérieure de ses fils à Hasan.
Bataille finale et mort
Les sources diffèrent quant à savoir si le général arabe qui vainquit Kahina était Hasan ou Moussa Ibn Noçaïr (mort vers 716). Moussa remplaça Hasan comme gouverneur en Afrique du Nord, mais on ne sait pas exactement quand. En outre, Moussa est traditionnellement crédité d'avoir achevé la conquête de l'Afrique du Nord que Hasan avait commencée et d'avoir recruté des guerriers Imazighen pour sa conquête de l'Ibérie, et ce après la mort de Kahina.
Il semble donc que ce soit Hasan qui, après avoir reformé son armée suite à la victoire de Kahina, soit revenu la rencontrer une dernière fois. Cependant, il était maintenant confronté à un adversaire très différent de celui qui l'avait chassé d'Afrique du Nord. De nombreux anciens alliés de Kahina étaient passés du côté de Hasan, que ce soit en raison de la tactique de la terre brûlée qui les avait démoralisés ou de la corruption. L'un des fils de Kahina fit défection ou fut capturé et on dit qu'il les informa des plans de bataille de sa mère.
En 702 ou 705, Kahina rencontra Hasan au combat. Avant que les armées ne s'engagent, elle aurait envoyé ses deux autres fils dans le camp ennemi pour qu'ils soient élevés par Hasan comme des guerriers musulmans. La bataille se déroula en défaveur de Kahina dès le début, car elle était très inférieure en nombre, mais son armée se battit vaillamment et gagna l'admiration de l'ennemi.
Les récits varient quant à sa mort; elle fut peut-être capturée puis exécutée ou s'empoisonna, mais le récit le plus communément admis est qu'elle mourut au combat avec ses troupes, serrant toujours son épée. Sa tête fut ensuite coupée et apportée à Hasan comme trophée.
Au dire de tous, Hasan respectait Kahina en tant qu'adversaire et ses fils, qui se convertirent à l'islam, furent bien soignés et dirigèrent ensuite leurs propres armées contre d'autres qui résistaient à l'agression arabe. Le peuple de Kahina, en revanche, ne s'en sortit pas aussi bien puisque 30 000 à 60 000 d'entre eux furent vendus comme esclaves par les conquérants et expédiés hors de leur terre natale. De petites poches de résistance subsistaient encore - et on dit que de nombreuses épouses de chefs numides se suicidèrent plutôt que d'être prises par les Arabes - mais entre 705 et 750, l'Afrique du Nord fut entièrement conquise et les populations converties à l'Islam.
Conclusion
Kahina elle-même survécut grâce aux travaux des historiens arabes, notamment le grand Ibn Khaldoun (1332-1406), qui travaillèrent à partir de sources antérieures. Sa réputation de "sorcière juive" vient principalement d'Ibn Khaldoun. Elle resta une figure obscure jusqu'à ce que les Français ne s'emparent d'elle au 19e siècle pour soutenir leur initiative militaire en Algérie: un combattant de la liberté luttant contre l'agression arabe. À la même époque, les Imazighen réaffirmèrent qu'elle était leur héroïne, tandis que les nationalistes arabes de la région réussirent à faire valoir qu'elle était la leur.
Le professeur Cynthia Becker de l'université de Boston commente :
Depuis le IXe siècle, les récits de [Kahina] ont été adoptés, transformés et réécrits par divers groupes sociaux et politiques afin de faire avancer des causes aussi diverses que le nationalisme arabe, les droits ethniques berbères, le sionisme et le féminisme. Tout au long de l'histoire, Arabes, Berbères, Musulmans, Juifs et écrivains coloniaux français, de l'historien médiéval Ibn Khaldūn à l'écrivain algérien moderne Kateb Yacine, ont réécrit la légende de la Kahina et, ce faisant, ont exprimé leur propre vision de l'histoire de l'Afrique du Nord. (1)
En 2001, une statue de Kahina a été érigée dans le Parc de Bercy, à Paris, dans le cadre d'une exposition intitulée "Les Enfants du Monde". Cette exposition célèbre la diversité du monde et l'unité de l'expérience humaine et la statue fut conçue par l'artiste Rachid Khimoune pour représenter l'Algérie. En Algérie même, une statue a été érigée en 2003, peut-être en réponse à l'œuvre parisienne, dans la ville de Baghai, province de Khenchela, en l'honneur de Kahina. À mesure que son nom devient plus connu, Dihya al-Kahina des Imazighen inspire non seulement son propre peuple, mais aussi ceux qui, partout, honorent sa mémoire et son sacrifice pour la cause de la liberté.