L'Anglo-normand Guillaume le Maréchal (alias Sir William Marshal c. 1146-1219), comte de Pembroke, fut l'un des chevaliers les plus célèbres du Moyen Âge. Réputé pour ses talents de combattant, il resta invaincu dans l'art du tournoi médiéval, épargna la vie de Richard Ier d'Angleterre (r. de 1189 à 1199) au cours d'une bataille et se hissa au rang de maréchal puis de protecteur du royaume - un roi en tout sauf le nom. Peu après la mort de Guillaume, Stephen Langton, l'archevêque de Canterbury, le décrivit comme "le plus grand chevalier qui ait jamais vécu" et ses actes et titres furent tels que cette affirmation semble encore justifiée aujourd'hui.
Jeunesse
Guillaume le Maréchal naquit vers 1146 et connut sa toute première mésaventure à l'âge de six ans, lorsque le château de son père à Newbury fut attaqué par une armée d' Étienne de Blois, roi d'Angleterre (r. de 1135 à 1154). Jean le Maréchal fut contraint de donner son jeune fils Guillaume en otage alors que l'attaque était suspendue afin de régler les conditions d'une reddition. Cependant, Jean avait d'autres idées et profita de ce répit pour réapprovisionner son château en provisions. Cette stratégie semble risquée, car son fils était aux mains de ses ennemis, mais lorsque Guillaume fut menacé d'être exécuté, son père répondit avec désinvolture : " J'ai un marteau et une enclume sur lesquels je peux forger de meilleurs fils que lui " (Phillips, 104). Heureusement pour Guillaume, il échappa à la fois à la mort et à sa famille lorsque Étienne décida de ne pas mettre fin à sa jeune vie en le pendant comme il avait menacé de le faire (ou en le catapultant par-dessus les murs du château comme certains l'avaient proposé) et en fit un pupille royal. Ce fut une issue heureuse pour tout le monde puisque Guillaume, étant le plus jeune de plusieurs frères, n'avait aucune chance d'hériter des domaines de son père et devait de toute façon faire son propre chemin dans le monde. Ce n'était pas un mauvais départ, après tout.
Après avoir surmonté ce qui fut peut-être son plus grand défi, Guillaume se lança dans la carrière habituelle d'un jeune noble. Le cousin de sa mère était Guillaume de Tancarville, le Chambellan de Normandie (à l'époque sous la couronne anglaise) et c'est à sa cour qu'il commença son éducation et sa formation en tant qu'écuyer dans le but de devenir chevalier. Guillaume y acquit la réputation d'être un gros mangeur et se gagna le surnom de gaste-viande (glouton). Cependant, il dut impressionner ses tuteurs et son parrain à d'autres égards, car Guillaume fut fait chevalier en 1166, à l'âge de 20 ans seulement, et il fut ensuite envoyé faire sa propre fortune. L'une des grandes carrières chevaleresques médiévales était sur le point de commencer - après un couac initial, bien sûr.
Début de carrière
Guillaume, le jeune chevalier, fut immédiatement appelé à l'action en 1166 lorsqu'il fut envoyé pour combattre dans la guerre entre Henri II d'Angleterre (r. de 1154 à 1189) et les comtes de Boulogne, de Flandre et de Ponthieu. Stationné au château de Neufchâtel-en-Bray en Normandie, Guillaume se révéla prometteur et plein de bravoure mais après une escarmouche où il perdit son cheval, il fut averti par Guillaume de Tancarville de ne pas être d'une imprudente témérité à la guerre. En guise de punition, le chevalier ne reçut pas de cheval de remplacement et il se retrouva dans une situation difficile car il n'avait pas les moyens d'en acquérir un lui-même. Après avoir vendu ses vêtements pour acheter un nouveau cheval, Guillaume chercha à se frayer un chemin dans cette autre alternative à la gloire que la guerre: le tournoi médiéval.
S'inscrivant au tournoi du Mans en France en 1167, le jeune chevalier dépassa toutes les attentes dans la mêlée, une sorte de simulacre de bataille de cavalerie où les chevaliers devaient se capturer mutuellement contre une rançon convenue avant le match. Guillaume eut un tel succès qu'il possédait désormais quatre chevaux et demi (il avait probablement capturé un adversaire tout aussi fauché que lui et incapable de payer la totalité de la rançon, ou peut-être s'agissait-il d'une capture conjointe). Au cours de l'année suivante, Guillaume continua à faire des tournées et à gagner des tournois, généralement dans le cadre d'un partenariat profitable avec le chevalier flamand Roger de Gaugi. Il y eut des revers occasionnels, comme lorsque le casque de Guillaume fut tellement abîmé par les chevaliers adverses qu'il fallut faire appel à un forgeron pour le retirer, mais en capturant un nombre impressionnant de 103 chevaliers au total, il amassa une fortune en rançon et en prix en espèces. La légende de Guillaume le Maréchal était née et, au cours des 16 années de compétition suivantes, il resta invaincu. Sur son lit de mort, des années plus tard, Guillaume affirma avoir personnellement capturé 500 chevaliers au cours de sa carrière en tournoi.
Nomination à la cour
En 1168, Guillaume était de retour dans une vraie guerre, mais cela se passa aussi mal que sa première expérience. Combattant en Poitou, dans l'ouest de la France, avec l'armée de son oncle, le comte de Salisbury, Guillaume fut blessé et capturé par les forces de Guy de Lusignan. Heureusement, l'habitude de demander des rançons n'était pas exclusive aux tournois et Guillaume pouvait être libéré à un prix correct. Aliénor d'Aquitaine, épouse d'Henri II, apporta la somme nécessaire et Guillaume fut libéré. Reconnaissant en Guillaume un grand talent à ne pas gaspiller, Aliénor employa le chevalier comme précepteur de son fils Henri le Jeune Roi, alors âgé de 15 ans.
Entre deux fonctions à la cour, Guillaume continua à participer aux tournois et à gagner de grosses sommes d'argent. Il était désormais assez riche pour employer son propre entourage de chevaliers. Puis, en 1182, la roue de la fortune tourna à nouveau, mais c'est Guillaume qui la fit bouger. Accusé d'avoir entretenu une liaison avec l'épouse d'Henri le Jeune Roi, Marguerite de France ou, tout au moins, d'avoir commis une quelconque offense à la famille royale, le célèbre chevalier fut banni de la cour.
Les indiscrétions de Guillaume n'étaient peut-être que des ragots colportés par ses ennemis, car il revint à la cour l'année suivante et se réconcilia avec Henri. Malheureusement, Henri mourut de dysenterie en juin 1183, peu après s'être promis de partir en croisade et de reprendre Jérusalem aux Arabes. Au lieu de cela, comme le veut la légende, sur son lit de mort, Henri fit promettre à Guillaume qu'il prendrait la cause de la chrétienté à sa place et il donna même au chevalier son manteau pour qu'il l'emporte à Jérusalem. Il semble que Guillaume se soit rendu en Terre Sainte, mais ses exploits sont une page blanche dans les pages de l'histoire, et on ne le retrouve que deux ans plus tard, lors de son retour en Angleterre.
Richard I et la Régence
En 1186, William était de retour à la cour après ses voyages et servait à nouveau le roi Henri II, notamment lors des campagnes de 1188-9 contre Philippe II de France (r. de 1180 à 1223) qui s'était allié aux deux fils rebelles du roi anglais, Jean et Richard (le futur Richard Cœur de Lion). Lors d'une bataille ou de ses suites, Guillaume se retrouva face à face avec Richard et, alors que le prince fut à sa merci, il lui épargna la vie, ne tuant que son cheval à la place. Le grand chevalier ajouta désormais la chevalerie (sinon l'amour des animaux) à sa réputation martiale déjà formidable.
À la mort d'Henri II, en 1189, Richard devint roi et il n'oublia pas la générosité de Guillaume. Comme promis par le vieux monarque, le chevalier reçut d'abord une épouse, Isabelle de Clare, âgée de 17 ans, fille de l'immensément riche 2e comte de Pembroke et, comme elle était l'héritière, cela donna à Guillaume prestige, richesse et châteaux. Parmi ces châteaux figuraient Pembroke et Chepstow, tous deux situés au Pays de Galles. C'est à Guillaume que l'on doit la transformation du premier, qui passa d'une structure en bois à une imposante structure en pierre, et l'amélioration du second par l'ajout d'un donjon et d'une immense salle.
Guillaume était désormais un membre indispensable de la cour de Richard et pendant que le roi s'occupait de la troisième croisade (1189-1192), Guillaume siégeait au conseil de régence. Il fut ensuite nommé maréchal d'Angleterre. Lorsque le roi Jean d'Angleterre (alias Jean sans Terre, r. de 1199 à 1216) reprit le trône après la mort de son frère Richard en 1199, Guillaume continua à occuper de hautes fonctions. Lorsque le règne impopulaire du roi conduisit à une rébellion des barons, Guillaume, bien que fidèle au roi, soutint les barons par principe et devint l'un des créateurs et signataires de la Grande Charte (Magna Carta) en 1215, une charte qui limitait les pouvoirs du monarque et sur laquelle une constitution fut fondée. Sous le nouveau roi Henri III d'Angleterre (1216-1272), qui n'était encore qu'un enfant, Guillaume fut nommé protecteur du royaume - en fait, régent d'Angleterre.
Mort et héritage
Après avoir servi quatre monarques anglais et s'être élevé au plus haut niveau du royaume, le temps du grand chevalier était presque terminé. Il y eut un dernier tour de piste à la bataille de Lincoln en 1217, lorsque, âgé de 70 ans, il prit la tête de l'armée anglaise et remporta la victoire contre les barons anglais encore mécontents et leur allié français, le futur roi Louis VIII de France (r. de 1223 à 1226). Juste avant la bataille, à la tête de son armée, Guillaume prononça un discours enflammé devant ses troupes de première ligne, déclarant que l'ennemi avait positionné ses forces de telle sorte que lui, Guillaume, gagnerait la bataille parce qu'il pourrait attaquer avec toute son armée une seule section de l'opposition ; et c'est ce qui se passa.
Guillaume mourut deux ans plus tard, le 14 mai 1219. Fidèle à son entourage, comme toujours, il refusa de vendre ses robes et ses fourrures pour payer l'aumône, préférant qu'elles soient données à ses chevaliers de maison. Comme Guillaume l'avait promis lorsqu'il se trouvait en Terre Sainte des années auparavant, il fut investi Templier et enterré à Temple Church à Londres (l'église du temple) où son gisant repose toujours.
Stephen Langton, l'archevêque de Canterbury (1207-1228) décrivit Guillaume le Maréchal comme "le plus grand chevalier qui ait jamais vécu". Les exploits de ce chevalier légendaire, sa longue liste d'honneurs, de titres et de fonctions publiques, ainsi que son record d'invincibilité dans les tournois, ont tous été cimentés dans la mémoire publique par le poème biographique de 19 000 lignes L'Histoire du Guillaume le Maréchal, écrit entre 1225 et 1229 par son fils Guillaume le Maréchal II et l'ancien écuyer et exécuteur testamentaire du grand homme, John D'Earley. Rare biographie médiévale d'une personne, et non d'un monarque, elle offre un aperçu inestimable de la politique, des affaires sociales et de la vie d'un chevalier au Moyen Âge.