La Reconquista (reconquête) ou Croisades Ibériques étaient des campagnes militaires menées en grande partie entre le 11e et le 13e siècle pour libérer les territoires du sud du Portugal et de l'Espagne, alors connus sous le nom d'al-Andalus, des mains des Maures musulmans qui les avaient conquis et occupés depuis le 8e siècle. Soutenues par les papes et attirant des chevaliers chrétiens de toute l'Europe, y compris les principaux ordres militaires, ces campagnes couronnées de succès prirent fin à la fin du 13e siècle, lorsque seule Grenade, lourdement fortifiée, restait aux mains des musulmans.
L'Ibérie médiévale
Les Maures musulmans, basés en Afrique du Nord, avaient conquis la majeure partie de la péninsule ibérique, alors contrôlée par les Wisigoths, au début du 8e siècle. À partir du 11e siècle, les royaumes chrétiens du nord de l'Espagne étaient suffisamment forts pour tenter de reprendre certains des territoires perdus, une ambition largement favorisée par les guerres civiles au sein du califat de Cordoue en 1031. Les cinq États espagnols concernés étaient l'Aragon, la Catalogne, la Castille, le Léon et la Navarre, tandis que le Portugal était un État indépendant depuis les années 1140. Alors que ces États se battaient contre les musulmans et, parfois, les uns contre les autres, l'Espagne devint un réseau complexe de petits royaumes, y compris ceux fondés par des aventuriers indépendants qui profitèrent de cette agitation politique à leurs propres fins. Le plus célèbre de ces personnages fut Rodrigo Diaz de Vivar, El Cid (c.1043-1099), qui finit par établir son propre royaume éphémère basé à Valence en 1094. Ce creuset s'épaissit avec l'arrivée d'un nouveau groupe du côté musulman, les Almoravides, une secte puritaine basée au Maroc qui commença à s'intéresser à l'Espagne dans les années 1080 (Tyerman, 13).
Le processus de conquête allait être connu sous le nom de Reconquista - une prétention quelque peu fallacieuse de "reconquérir" ce que les Wisigoths avaient perdu 400 ans auparavant - et il connut son premier grand succès lorsque le roi Alphonse VI de Léon et Castille s'empara de Tolède, autrefois capitale de l'Espagne chrétienne, en 1085. Le pape Urbain II (r. 1088-1099) était également un fervent partisan de l'idée de reconquête, comme le note ici l'historien J. Phillips: "Des récompenses spirituelles furent offertes pour la péninsule ibérique en 1096 et la pleine égalité avec la Terre sainte apparut probablement en 1114 ou, au plus tard, en 1123" (203). Néanmoins, il est peut-être important de noter que la Reconquista était différente des croisades en Terre Sainte sur un aspect crucial, comme l'exprime ici l'historien C. Tyreman:
En Espagne et dans les pays baltes, l'expansion politique et la colonisation furent le moteur des croisades, et non pas, comme au Proche-Orient, l'inverse... En Espagne, les conflits entre musulmans et souverains chrétiens précédèrent de longtemps l'arrivée des indulgences des croisades (652).
Pour cette raison, la question de savoir quand exactement les conflits sur le territoire ibérique se transformèrent en croisades à motivation religieuse reste un sujet de débat entre historiens. En outre, les récompenses en espèces sous forme de butin et de tribut forcé (parias) constituaient souvent une motivation bien plus grande que les motivations célestes, en particulier sous la forme d'or, que les musulmans eux-mêmes acquéraient en énormes quantités sur la Côte d'Or africaine.
Toutes les campagnes en Espagne n'étaient pas forcément des croisades, mais celles qui étaient soutenues par les papes bénéficiaient de tous les moyens possibles et imaginables: prédication de masse pour trouver des recrues, levée de taxes ecclésiastiques pour financer les armées, port de la croix sur le champ de bataille et promesse d'une route directe vers le ciel pour ceux qui donnaient leur vie à la cause.
Les ordres militaires
Alphonse Ier d'Aragon (r. 1104-1134) donna d'immenses domaines (en fait la majeure partie de son royaume car il n'avait pas d'héritier) aux Chevaliers Hospitaliers et aux Templiers, deux ordres militaires composés de moines guerriers professionnels qui allaient se rendre indispensables à la défense des États croisés au Moyen-Orient. L'attrait, bien que réduit par la suite par les nobles espagnols, finit par fonctionner, et les deux ordres engageront des chevaliers dans la Reconquista; les Templiers en 1143 et les Hospitaliers en 1148. En outre, la péninsule ibérique vit la formation de ses propres ordres militaires locaux, à commencer par l'ordre de Calatrava en 1158, dont les chevaliers portaient une armure noire. Les années 1170 se sont avérées être une décennie plus active pour les nouveaux ordres militaires avec la formation de l'ordre de Santiago (1170), de Montjoie en Aragon (1173), d'Alcántara (1176) et, au Portugal, de l'ordre d'Évora (vers 1178). Le grand avantage de ces ordres locaux était qu'ils n'avaient pas besoin d'envoyer un tiers de leurs revenus à un quartier général au Moyen-Orient comme les Templiers et les Hospitaliers. Les richesses offertes par le sud de l'Espagne attiraient les aventuriers professionnels venus d'autres régions d'Europe, notamment du nord de la France et de Sicile normande, et de nombreux autres guerriers allaient bientôt venir aider les souverains espagnols chrétiens.
La deuxième croisade et le siège de Lisbonne
La deuxième croisade (1147-1149) avait pour objectif principal la reprise d'Édesse en Haute-Mésopotamie, mais elle avait aussi des objectifs supplémentaires en Ibérie et dans la Baltique, ces deux campagnes étant également soutenues par le pape Eugène III (r. 1145-1153). La papauté avait déjà soutenu des croisades en péninsule ibérique en 1113-14, 1117-18 et 1123. La campagne de 1147 devait être encore bien plus importante. Les croisés de la deuxième croisade qui devaient naviguer d'Europe vers le Moyen-Orient durent retarder leur départ pour permettre aux armées qui s'y rendaient par voie terrestre de progresser lentement vers le Levant. La voie maritime était beaucoup plus rapide, et il était donc avantageux de mettre ces soldats au service de la chrétienté pendant ce temps-là. Une flotte de 160 à 200 navires génois remplis de croisés fit voile vers Lisbonne pour aider le roi Alfonso Henriques du Portugal (r. 1139-1185) à capturer cette ville des mains des musulmans. À leur arrivée, un cas d'école de siège militaire commença le 28 juin 1147 et, grâce aux tours de siège massives et aux catapultes qui auraient tiré jusqu'à 500 pierres par heure, il fut finalement couronné de succès, la ville capitula le 24 octobre 1147.
Certains croisés poursuivirent avec succès la guerre contre les musulmans en Ibérie, notamment en s'emparant d'Almeria dans le sud de l'Espagne (17 octobre 1147), guidés par le roi Alphonse VII de León et Castille (r. 1126-1157) et aidés par les Génois à qui l'on avait promis un tiers de la ville. Tortosa, dans l'est de l'Espagne, tomba ensuite le 30 décembre 1148, cette fois sous la direction du comte de Barcelone, mais à nouveau avec l'aide des Génois (pour le même pourcentage de récompense). L'attaque de Jaén, dans le sud de l'Espagne, en 1148, fut un échec.
La victoire des chrétiens
Lorsque l'idée de libérer la péninsule ibérique reçut le soutien du pape Innocent III (r. 1198-1216) en 1212, ce fut un coup de pouce opportun pour les rois espagnols qui avaient subi une lourde défaite à la bataille d'Alarcos en 1195. Les chrétiens d'Espagne souffraient également d'un manque d'unité. Le roi Alphonse IX de Léon (r. 1188-1230) avait conclu une alliance avec les musulmans, mais sa stratégie lui avait valu l'excommunication du pape Célestin III (r. 1191-1198), et la mesure encore plus inhabituelle d'accorder la rémission des péchés à tout chrétien qui combattrait le roi. En conséquence, les chrétiens se battaient désormais contre leurs coreligionnaires. En fait, il existait une longue tradition d'alliances entre les petits États musulmans et chrétiens d'Espagne, le commerce et l'économie l'emportant souvent sur les différences de religion, et il n'y eut certainement pas de diabolisation généralisée de l'ennemi musulman comme ce fut le cas au Moyen-Orient.
La victoire à la bataille de Las Navas de Tolosa en 1212 par une coalition de trois rois espagnols leur porta un coup dont ils ne se remirent pas. Il s'ensuivit une série d'autres victoires, comme la prise de Cordoue en 1236, de Valence en 1238 et de Séville après un long siège en 1248. Au milieu du 13e siècle, seule Grenade restait aux mains des musulmans, l'émirat étant contraint de payer un tribut pour continuer à exister (jusqu'en 1492). Aucune tentative sérieuse ne fut faite pour envahir le territoire musulman en Afrique du Nord, de sorte que la Reconquista ne se transforma jamais en conquête, bien qu'il y ait eu plus tard des attaques sporadiques sur la côte africaine, notamment à Tanger en 1437 et à Arzila en 1471.
Héritage
Peu de musulmans furent convertis au christianisme dans les territoires ibériques reconquis, et la plupart furent autorisés à rester et à pratiquer leur religion en tant que minorité protégée, inversant ainsi le statut des musulmans et des chrétiens des siècles précédents. Les chrétiens, eux, furent encouragés à migrer vers le sud, les noms de lieux arabes furent remplacés et de nombreuses mosquées furent naturellement converties en églises, mais certaines restèrent telles quelles et les appels à la prière des musulmans pouvaient être entendus dans de nombreuses villes espagnoles par la suite. Les États chrétiens d'Espagne se méfiaient des intentions des uns des autres, chacun craignant que le royaume dominant de Castille ne cherche à s'emparer de ses rivaux. Il ne fut pas facile non plus pour les nouveaux États de contrôler leurs nouveaux domaines et surtout la nouvelle classe de seigneurs qui y prospérait. Cela peut expliquer pourquoi de nombreux ordres militaires locaux furent nationalisés par la couronne castillane dans la seconde moitié du 15e siècle.
Parmi les effets à plus long terme des croisades en péninsule ibérique, on peut citer le développement de l'image des chrétiens comme étant particulièrement aptes à gouverner. Cette idée persistera pendant de nombreux siècles dans les institutions du gouvernement du pays et alimentera l'intolérance religieuse qui marquera la région aux 15e et 16e siècles. L'idéologie de la Reconquista et de la propagation du christianisme par la violence sera également appliquée aux conquêtes espagnoles et portugaises du Nouveau Monde après le voyage de Christophe Colomb en 1492.