Concile de Clermont

Définition

Mark Cartwright
par , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié sur 22 octobre 2018
Disponible dans d'autres langues: Anglais, L'arabe, Portugais
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Urban II at the Council of Clermont (by Jean Colombe, Public Domain)
Urbain II au Concile de Clermont
Jean Colombe (Public Domain)

Le concile de Clermont, dans le centre de la France, se tint en novembre 1095 et fut témoin de l'appel historique du pape Urbain II (r. 1088-1099) à la première croisade (1095-1102) visant à prendre Jérusalem pour la chrétienté des mains de ses occupants musulmans. Le discours du pape devant la hiérarchie ecclésiastique et la foule de laïcs à Clermont promit à tous les participants la rémission de leurs péchés.

La stratégie d'Urbain II consistant à absoudre les croisés de leurs péchés s'avéra extrêmement populaire parmi la noblesse et les chevaliers d'Europe. Il n'est pas surprenant que ce stratagème ait été copié par les papes suivants pour toutes les croisades ultérieures. Le concile de Clermont déclencha ainsi une série d'événements qui conduisit à la guerre entre l'Est et l'Ouest pendant les deux siècles suivants et plus, un conflit qui eut des répercussions sur tous les États impliqués jusqu'à aujourd'hui.

Prologue: Jérusalem et les Seldjoukides

Lorsque les Seldjoukides musulmans, une tribu turque des steppes, vainquirent de façon spectaculaire une armée de l'Empire byzantin à la bataille de Manzikert, dans l'ancienne Arménie, en août 1071, il s'ensuivit une série d'événements qui allaient conduire à des siècles de guerre Est-Ouest formulée en termes religieux: les croisades. Les Seldjoukides créèrent le sultanat de Roum et conquirent les villes byzantines d'Édesse et d'Antioche en 1078. Ils prirent ensuite Jérusalem à leurs rivaux musulmans, les Fatimides d'Égypte, en 1087 (la ville était aux mains des musulmans depuis le 7e siècle). Alexis Ier Grand Comnène, l'empereur byzantin (r. 1081-1118), se rendit compte que l'expansion des Seldjoukides en Terre Sainte était l'occasion rêvée d'obtenir l'aide des armées occidentales dans sa bataille pour le contrôle de l'Asie Mineure et envoya donc un appel direct au pape Urbain II en mars 1095. Le pape et les chevaliers occidentaux allaient répondre de manière bien plus importante qu'Alexis n'aurait jamais pu l'imaginer.

LE CONCILE DE CLERMONT fut UN RASSEMBLEMENT IMPRESSIONNANT DE 13 ARCHEVÊQUES, 82 ÉVÊQUES, 90 ABBÉS ET UN PAPE.

Le pape Urbain II

Le pape Urbain II était en fonction depuis 1088 et avait déjà acquis une réputation de réformateur et de promoteur actif de l'idée d'étendre la chrétienté par tous les moyens nécessaires. Issu d'une famille noble de Champagne, en France, Urbain II allait s'imposer comme l'un des papes les plus influents de l'histoire. Les papes précédents n'avaient pas reculé devant l'action militaire. En 1053, le pape Léon IX (r. 1049-1054) avait envoyé des armées pour combattre les Normands dans le sud de l'Italie. Le pape Grégoire VII (r. 1073-1085) avait théorisé les vertus de la guerre sainte, et Urbain lui-même avait déjà envoyé des troupes pour aider les Byzantins en 1091 contre les nomades des steppes, les Petchénègues, qui envahissaient la région du Danube au nord de l'empire.

Urbain II était à nouveau disposé à apporter une aide militaire aux Byzantins pour diverses raisons. Une croisade visant à ramener la Terre Sainte sous le contrôle des chrétiens était une fin en soi - quel meilleur moyen de protéger des sites aussi importants que le tombeau de Jésus-Christ, le Saint-Sépulcre à Jérusalem. Les chrétiens qui y vivaient ou qui s'y rendaient en pèlerinage devaient également être protégés. En outre, il y avait des avantages supplémentaires très utiles. Une croisade augmenterait le prestige de la papauté, puisqu'elle serait à la tête d'une armée occidentale combinée, et consoliderait sa position en Italie même, après avoir subi de sérieuses menaces de la part des Saint-Empereurs romains au siècle précédent, qui avaient même contraint les papes à s'éloigner de Rome. Urbain II espérait également se placer à la tête d'une église chrétienne occidentale (catholique) et orientale (orthodoxe) unie, au-dessus du patriarche de Constantinople. Les deux églises étaient divisées depuis 1054 en raison de désaccords sur la doctrine et les pratiques liturgiques. Pour annoncer ses projets, Urbain II convoqua un concile des anciens de l'Église en novembre 1095 ; le lieu: Clermont, dans le centre de la France.

Pope Urban II
Le Pape Urbain II
Muskiprozz (CC BY-SA)

L'Appel de Clermont

Le concile de Clermont, du 18 au 28 novembre, fut un rassemblement impressionnant de 13 archevêques, 82 évêques et 90 abbés, présidé par le pape lui-même et tenu dans la cathédrale de la ville. De toute évidence, quelque chose d'important était sur le point de se produire. Après neuf jours de discussions et de débats ecclésiastiques, 32 canons furent émis, comme la réaffirmation de l'interdiction du mariage clérical, et l'autorité du siège de Lyon fut formellement placée au-dessus de celle de Sens et de Reims. Il y eut également l'excommunication de l'évêque de Cambrai et du roi Philippe Ier de France (r. 1059-1108), le premier pour avoir vendu des privilèges ecclésiastiques et le second pour adultère. Toutes ces questions étaient assez banales pour l'Église médiévale, mais c'est le canon numéro 33, le dernier à être émis, qui allait ébranler le monde.

LE PAPE URBAIN II RÉUSSIt À TOUCHER UNE CORDE SENSIBLE EN EUROPE AVEC UNE IDÉE PUISSANTE QUI tissait ensemble LES GRANDS THÈMES DE L'ÉPOQUE.

Le 27 novembre, toute la crème du clergé français et une foule de laïcs se réunirent dans un champ aux abords de Clermont pour la cérémonie finale du concile. C'est là qu'Urbain II prononça son désormais célèbre discours dans une scène manifestement préparée à l'avance. Le message, connu sous le nom d'Appel de Clermont, s'adressait en particulier aux nobles et chevaliers chrétiens de toute l'Europe. Urbain II promit que tous ceux qui souhaitaient défendre la chrétienté et prendre Jérusalem s'embarqueraient pour un pèlerinage; tous leurs péchés seraient lavés et leurs âmes récolteraient des récompenses inestimables dans l'au-delà. Au cas où certains seraient inquiets, un groupe d'érudits ecclésiastiques se mit ensuite au travail et émit l'idée qu'une campagne de violence pouvait être justifiée en se référant à des passages particuliers de la Bible et aux œuvres de Saint Augustin d'Hippone (354-430). Une autre justification de la guerre consistait à souligner qu'il s'agissait là d'une lutte de libération, et non d'une attaque, et que les objectifs étaient justes et équitables. Urbain II avait réussi à toucher un nerf collectif en Europe avec une idée puissante qui tissait ensemble les grands thèmes de l'époque: la ferveur religieuse, la profonde préoccupation pour l'au-delà, l'amour du pèlerinage et la soif d'aventure martiale de la noblesse. La même combinaison gagnante sera utilisée à maintes reprises par les successeurs d'Urbain pour obtenir un large soutien aux nombreuses croisades qui suivront au cours des deux siècles suivants.

Malheureusement, il n'existe aucun document de l'époque décrivant le contenu précis du discours d'Urbain II à Clermont, si ce n'est le court extrait suivant, un décret du Conseil :

À tous ceux qui y partiront et qui mourront en route, que ce soit sur terre ou sur mer, ou qui perdront la vie en combattant les païens, la rémission de leurs péchés sera accordée.

Il existe cependant de nombreuses sources secondaires médiévales qui font référence au discours et à son contenu, même si elles doivent être traitées avec prudence car elles datent d'après la conclusion de la croisade. Plusieurs de ces sources furent écrites par des témoins oculaires à Clermont, et si l'on compare et examine attentivement les objectifs initiaux des auteurs en documentant les événements, ainsi que les lettres survivantes écrites par Urbain II, certaines caractéristiques communes ressortent. Le pape indiqua clairement que:

  • Jérusalem était l'objectif premier, la défense de l'Empire byzantin étant le second objectif.
  • la souffrance des chrétiens et la profanation des lieux saints dans cette ville (bien qu'exagérée pour l'effet) rendaient le moment impératif.
  • ceux qui combattaient seraient récompensés dans cette vie par des récompenses matérielles et, dans l'autre vie, par des récompenses spirituelles.
  • la Croisade nécessiterait la fin des diverses guerres dommageables entre les nobles d'Europe.
  • seuls les combattants en état de se battre devraient répondre à cet appel, et leurs biens seraient sauvegardés en leur absence.

Voici un extrait d'un tel récit, rédigé vers 1110 par Robert de Reims :

... Des confins de Jérusalem et de la ville de Constantinople nous sont parvenus de tristes récits souvent déjà nos oreilles en avaient été frappées ; des peuples du royaume des Persans, nation maudite, nation entièrement étrangère à Dieu, race qui n'a point tourné son coeur vers lui, et n'a point confié son esprit au Seigneur, a envahi en ces contrées les terres des Chrétiens, les a dévastées par le fer, le pillage, l'incendie, a emmené une partie d'entre eux captifs dans son pays, en a mis d'autres misérablement à mort, a renversé de fond en comble les églises de Dieu, ou les a fait servir aux cérémonies de son culte ... A qui donc appartient-il de les punir et de leur arracher ce qu'ils ont envahi, si ce n'est à vous, à qui le Seigneur a accordé par dessus toutes les autres nations l'insigne gloire des armes, la grandeur de l'âme, l'agilité du corps et la force d'abaisser la tête de ceux qui vous résistent ?

... éteignez donc entre vous toute haine, que les querelles se taisent, que les guerres s'apaisent, et que toute l'aigreur de vos dissensions s'assoupisse. Prenez la route du saint sépulcre, arrachez ce pays des mains de ces peuples abominables, et soumettez-le à votre puissance. Dieu a donné à Israël en propriété cette terre dont l'écriture dit qu'il y coule du lait et du miel [Nombres, ch. 13, v. 28.]; Jérusalem en est le centre;

... Nous n'ordonnons ni ne conseillons ce voyage ni aux vieillards, ni aux faibles, ni à ceux qui ne sont pas propres aux armes; que cette route ne soit point prise par les femmes sans leurs maris, ou sans leurs frères ou sans leurs garants légitimes, car de telles personnes sont un embarras plutôt qu'un secours, et deviennent plus à charge qu'utiles.

(Première Croisade par Robert de Moine)

Dans un autre extrait, tiré du récit écrit par Guibert de Nogent avant 1108, il est précisé que la récompense de la rémission des péchés n'était auparavant accessible qu'à ceux qui adoptaient une vie monastique:

Dieu a, à notre époque, institué la guerre sainte afin que les porteurs d'armes... trouvent un nouveau moyen d'obtenir le salut ; afin qu'ils ne soient pas obligés de quitter complètement le monde, comme c'était le cas autrefois, en adoptant le mode de vie monastique ou toute forme de vocation professée, mais qu'ils puissent atteindre une certaine mesure de la grâce de Dieu tout en jouissant de leur liberté et de leur habillement habituels.

Enfin, dans cet extrait du récit de Baldric de Bourgueil (vers 1105), on trouve des mots de réconfort pour ceux qui sont touchés par les supplications du Pape et qui sont inspirés pour relever le défi dangereux de la guerre dans une terre inconnue et lointaine :

Ne vous inquiétez pas pour le voyage à venir : rappelez-vous que rien n'est impossible à ceux qui craignent Dieu, ni à ceux qui l'aiment vraiment... Ceignez votre épée, chacun de vous, sur votre cuisse, ô vous le plus puissant. Ceignez votre épée, chacun de vous, et agissez comme des fils puissants, car il vaut mieux pour vous mourir au combat que de tolérer l'abus de votre race et de vos Lieux Saints.

Le discours, quelle que soit sa formulation précise, fut accueilli avec un enthousiasme immédiat. Une partie de l'auditoire suivit la réaction de l'évêque du Puy, Adhémar de Monteil, en criant "Dieu le veut". L'évêque monta alors sur l'estrade et reçut d'Urbain II sa croix, symbole du vœu du croisé, comme cela avait été très certainement préprogrammé. Le choix de la croix comme bannière de la campagne était un puissant rappel visuel non seulement de la crucifixion qui, après tout, avait eu lieu à l'objectif de la croisade, Jérusalem, mais aussi de ce qui aurait alors été le commandement bien connu de Jésus enregistré dans le livre de Matthieu du Nouveau Testament (16:24) :

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Map of the First Crusade Routes
Carte des itinéraires de la première croisade
University of Edinburgh School of Divinity (CC BY-NC-SA)

Bien plus important que l'effet sur l'auditoire immédiat à Clermont, l'Indulgence, une fois son message diffusé, électrisa toute l'Europe médiévale et suscita une réponse écrasante avec des milliers de personnes " prenant la croix " et jurant de partir en croisade au nom de la chrétienté. En effet, le discours était presque trop beau et, sans tenir compte des conseils du pape, une bande d'hommes non entraînés, dirigée par Pierre l'Hermite, un évangéliste autoproclamé, fut le premier groupe à se rendre en Terre sainte via Constantinople, les croisades populaires. Ce groupe, qui ne contenait pratiquement aucun chevalier professionnel, fut, sans surprise, anéanti en Asie mineure en octobre 1096 par une armée seldjoukide.

Répercussions

Après le concile, Urbain II rédigea de nombreuses lettres d'appel et entreprit une tournée de prédication en France en 1095-96 pour recruter des croisés avec un message pimenté de récits exagérés sur la façon dont, à ce moment précis, les monuments chrétiens étaient souillés et les croyants chrétiens persécutés et torturés en toute impunité. Des ambassades et des lettres furent envoyées dans toutes les parties de la chrétienté. De grandes églises, comme celles de Limoges, Angers et Tours, servirent de centres de recrutement où le discours de Clermont était répété. De nombreuses églises et monastères ruraux recueillirent également des fonds et des recrues. Dans toute l'Europe, des guerriers, animés par des notions de ferveur religieuse, de salut personnel, de pèlerinage, d'aventure et de désir de richesse matérielle, se rassemblèrent tout au long de l'année 1096, prêts à s'embarquer pour Jérusalem. La date de départ fut fixée au 15 août de cette année-là. Environ 60 000 croisés, dont environ 6 000 chevaliers, participeraient aux premières vagues.

La croisade fut un succès remarquable. En 1097, Nicée fut capturée et une grande victoire fut remportée à Dorylée. En juin 1098, Antioche tomba après un long siège et une armée de secours musulmane fut vaincue. Puis, la grande prise et l'objectif de la campagne, Jérusalem, fut capturé le 15 juillet 1099. Une autre armée de secours musulmane fut vaincue à Ascalon en août de la même année; Césarée et Acre furent prises en 1101. La Terre sainte était enfin aux mains des chrétiens et le concile de Clermont avait atteint son objectif, même si Urbain II mourut le 29 juillet 1099 sans connaître son succès. Il s'agissait maintenant de conserver ces acquis, une tâche qui, malgré de vastes ressources et le soutien des rois, s'avérera finalement trop lourde pour les maisons royales d'Europe.

À propos du traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

A propos de l'auteur

Mark Cartwright
Mark est un auteur, chercheur, historien et éditeur à plein temps. Il s'intéresse particulièrement à l'art, à l'architecture et à la découverte des idées que toutes les civilisations peuvent nous offrir. Il est titulaire d'un Master en Philosophie politique et est le Directeur de Publication de WHE.

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Cartwright, M. (2018, octobre 22). Concile de Clermont [Council of Clermont]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Récupéré de https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-17488/concile-de-clermont/

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Cartwright, Mark. "Concile de Clermont." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. Dernière modification octobre 22, 2018. https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-17488/concile-de-clermont/.

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Cartwright, Mark. "Concile de Clermont." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 22 oct. 2018. Web. 20 nov. 2024.

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