L'invective romaine (vituperatio lat.) était le genre rhétorique et littéraire qui visait à blâmer systématiquement et publiquement un ennemi politique pour le mettre à l'écart de toute la communauté et retourner l'auditoire contre lui lors de discours judiciaires, médico-légaux et délibératifs prononcés dans le cadre d'une poursuite judiciaire, au Sénat romain ou à l'assemblée populaire (contio). Par conséquent, l'invective, qui pouvait être exprimée par des discours, des poèmes, des épigrammes, des essais, des pamphlets politiques, etc. est donc étroitement liée à la notion moderne de "salissage" ou "atteinte à la réputation". Aucune des lois romaines existantes n'interdisait l'utilisation de l'invective, et celle-ci devint donc progressivement un élément essentiel de la vie politique romaine. Les motifs légitimes d'attaque pouvaient inclure des références aux habitudes, au physique, à la naissance, aux vêtements et aux défauts moraux perçus d'une personne.
De nombreux discours comportant des invectives étaient des combats verbaux sans limites, si ce n'était l'imagination de l'orateur. Les attaques ad hominem étaient considérées comme un moyen légitime de convaincre l'auditoire et d'atteindre des objectifs politiques. L'invective nuisait à l'adversaire tout en renforçant la position de l'orateur, créant indirectement un modèle idéal jugeant tout ce qui s'en écartait comme nuisible ou menaçant, et agissant ensuite comme régulateur social.
En approuvant les éléments louables et en expulsant les éléments déviants de la société romaine, l'éloge et le blâme façonnèrent l'identité romaine en lui attribuant des vertus et des vices. Le caractère essentiellement cicéronien des témoignages conservés donna naissance à de nombreuses études qui améliorèrent considérablement la compréhension des mécanismes du blâme sous la République romaine. Néanmoins, l'analyse de l'invective romaine s'est souvent limitée au corpus cicéronien et aux discours survivants prononcés en tant qu'attaque directe contre un adversaire, laissant de côté tout autre matériel pertinent. Selon une définition plus large, les invectives pourraient être uniquement des parties d'oraisons, ainsi que des insultes et des calomnies en dehors d'un contexte strictement oratoire.
Cicéron
Cicéron (106-43 avant J.-C.), sénateur, orateur et homme d'État romain, écrivit des traités de rhétorique (De Inventione 2.177-178 et Part. Or. 82) et la Rhetorica ad Herennium (3.10-15), qui codifiaient la vituperatio comme appartenant à l'oraison épidictique (genus demonstratiuum) aux côtés de sa contrepartie, la louange (laus). Ces traités identifiaient trois catégories principales d'invectives :
- les circonstances extérieures (res extraneae) qui comprennent la naissance, l'éducation, la richesse, le pouvoir, les réalisations et la citoyenneté.
- les attributs physiques (res corporis) tels que l'apparence, la santé, la vitesse, la force et la faiblesse.
- les qualités de caractère (res animi) telles que la sagesse, la justice, le courage et la retenue.
Une vue d'ensemble des discours oratoires de Cicéron donne des listes plus précises de loci bien qu'il n'existe pas de liste canonique : origines familiales dégradantes ; parent indigne ; apparence physique dégoûtante ; tenue excentrique ou étrangère ; gloutonnerie ; ivrognerie ; comportement sexuellement déviant ; luxe ; inaptitude oratoire ; avarice ; cupidité ; corruption ; dilapidation du patrimoine ; le pillage des biens privés et publics ; les embarras financiers ; l'hypocrisie ; la lâcheté ; l'arrogance ; l'impiété ; la violence ; la cruauté ; et enfin, mais non des moindres, l'aspiration à la tyrannie à laquelle le locus de la cruauté (crudelitas) est étroitement lié. L'accusation d'aspiration à la tyrannie était l'une des invectives les plus couramment utilisées en raison de l'image sous-jacente des tyrans grecs et des monarques hellénistiques et de la haine profondément enracinée des Romains pour la royauté (odium regni) qui émergea de l'expulsion de Tarquin le Fier en 510/509 avant Jésus-Christ.
Cette dernière invective courante est liée au mécanisme récurrent de la peccatorum comparatio, consistant à assimiler la cible de l'invective à un personnage historique peu recommandable. Elle était très efficace dans une société où l'apprentissage des exempla historiques jouait un rôle important dans l'éducation de ses membres. Ces exempla formaient une anthologie rassemblant les citoyens et les dirigeants romains les plus dignes et les plus illustres du passé, que chaque citoyen, du moins ceux issus des familles aristocratiques romaines, devait connaître. Les violations des traditions de ces prestigieux ancêtres (mos maiorum) étaient considérées comme une menace pour la société. Par conséquent, ces exempla historiques étaient souvent utilisés comme des outils de louange et de blâme.
Sous la République romaine, la vituperatio visait à priver les rivaux politiques de toutes les qualités et valeurs d'élite nécessaires pour être un citoyen digne de ce nom, pour préserver un statut aristocratique et pour atteindre les plus hautes fonctions politiques. C'est la raison pour laquelle les invectives romaines reflétaient les préjugés éthiques et sociaux de l'époque. Ainsi, un examen attentif des invectives peut donner un aperçu des habitudes sociales et politiques romaines. Les qualités mentionnées ci-dessus étaient la virilité romaine (uirtus), la bravoure (fortitudo), le respect des dieux et des ancêtres (pietas), le sérieux et la dignité (gravitas), le sens moral (pudor), un comportement sexuel approprié (pudicitas), des origines familiales prestigieuses (nobilitas), des compétences oratoires et politiques élevées et, surtout, le souci du bien-être de l'État romain et des coutumes, habitudes et institutions traditionnelles des ancêtres (mos maiorum). Pour compléter cette rapide liste, il faut ajouter la dignitas. Ce concept romain, difficilement traduisible, fait référence à la quantité de réputation personnelle, d'influence et de prestige acquis tout au long de l'activité d'un citoyen.
Pendant les troubles politiques et les guerres civiles de la République romaine tardive, la violence politique croissante parmi les élites et les dirigeants romains intensifia l'utilisation de la vituperatio pour blâmer un ennemi, l'accuser de tyrannie et le considérer comme une menace pour la sécurité de la res publica. Dans certains cas, la cible de l'invective pouvait être déclarée ennemie de l'État romain (hostis publicus). Par exemple, Cicéron utilisa le blâme à de nombreuses reprises contre ses rivaux tels que Pison, dans son In Pisonem, Verres dans les Oraisons contre Verres, Catilina dans les Oraisons contre Cataline et Marc Antoine dans les Philippiques. La virulence croissante de l'invective cicéronienne, qui atteignit son apogée dans les Philippiques, annonçait l'utilisation ultérieure de la vituperatio comme outil de propagande par les chefs militaires des dernières guerres civiles romaines, en particulier par Octave et Marc-Antoine après la mort de Jules César en 44 av. J.-C..