Cwenthryth de Mercie (également appelée Cwoenthryth, 9e siècle) était la fille du roi Cenwulf (r. de 796 à 821). On sait peu de choses de sa vie réelle, mais elle est devenue tristement célèbre au XIIe siècle grâce à la légende de Saint Kenelm, où elle est présentée comme la sœur intrigante qui a arrangé la mort de son frère Kenelm. Cette légende n'a pas de fondement historique et le fait que Cwenthryth ait été présentée comme une scélérate est très probablement dû à la dispute de la Cwenthryth historique avec Wulfred, archevêque de Canterbury entre 805 et 832, et à la mauvaise opinion d'un scribe ultérieur à propos d'une femme qui ose défier l'autorité de l'Église.
L'intérêt récent pour Cwenthryth a été suscité par le personnage de Kwenthryth dans la série télévisée Vikings, où elle est interprétée par l'actrice américaine Amy Bailey. Le personnage de la série est en fait une combinaison de trois femmes nobles médiévales qui ont toutes été diabolisées par les auteurs ultérieurs à un point tel qu'il ne reste que très peu - ou rien - dans les récits historiques pour contredire la version officielle de leur vie: Cwenthryth de Mercie, Cynethryth de Mercie (morte vers 800, épouse du roi Offa, r. de 757 à 796) et sa fille Eadburh de Mercie (morte vers 802). Le nom du personnage de la télévision est tiré de la Cwenthryth historique; ses aspects manipulateurs proviennent de la légende combinée à des bribes de la vie des deux autres femmes.
La Cwenthryth historique
Le conflit entre la Cwenthryth historique et Wulfred remonte à une époque bien antérieure à sa naissance. Le roi Offa de Mercie avait vaincu Eahlmund du Kent (r. de 784 à 785) lors d'une bataille en 785 et avait pris le contrôle du royaume. Avant cette date, la Mercie et le Kent entretenaient des relations longues et conflictuelles, la Mercie cherchant à prendre le contrôle du royaume et le Kent essayant de conserver son autonomie. Le père d'Eahlmund, Ecgberht II (r. de 765 à c.779), avait déjà vaincu la Mercie en 776 et le Kent avait conservé son indépendance jusqu'à l'offensive d'Offa en 785.
Une fois aux commandes, Offa apporta des changements significatifs à un certain nombre d'institutions et de politiques, notamment en réduisant le prestige et le pouvoir de l'archevêché de Canterbury par la création d'un autre archevêché à Lichfield en 787. D'après les documents qui nous sont parvenus, Offa aurait agi ainsi principalement en raison de son aversion personnelle pour l'archevêque de Canterbury Jaenberht (qui présida de 765 à 792), qui avait soutenu Ecgberht II et son fils. Cette querelle créa un précédent pour les problèmes ultérieurs entre Canterbury et la maison régnante de Mercie.
Le fils d'Offa, Ecgfrith (r. 796) ne régna que quelques mois avant de mourir, probablement assassiné, et Cenwulf, un cousin éloigné, monta sur le trône. Des documents et des lettres datant de son règne montrent que Cenwulf connut de nombreux problèmes avec Wulfred, archevêque de Canterbury, au sujet de terres que Cenwulf possédait dans le diocèse de l'archevêque, à Minster-in-Thanet et Reculver. Wulfred nia la légitimité des prétentions de Cenwulf, et les conteste bien entendu dans des lettres adressées au pape Léon III.
À la mort de Cenwulf, en 821, son testament stipulait que ces terres étaient léguées à sa fille Cwenthryth, abbesse de la paroisse de Minster-in-Thanet. Wulfred réaffirma alors son droit sur ces terres et demanda un loyer à Cwenthryth ainsi que la reconnaissance officielle de sa seigneurie. Cwenthryth refusa et vers 824, Wulfred intenta un procès contre elle pour l'obliger à s'exécuter.
Entre cette date et 827, des conseils furent convoqués pour trancher la question, mais aucune résolution ne fut consignée. En 827, Cwenthryth se serait retirée à l'abbaye de Winchcombe, qui entretenait des relations amicales avec son père, et il n'y eut plus aucune trace d'elle; Wulfred acquit ses propriétés conformément à son second procès. Le récit de sa bataille juridique avec Wulfred et de sa position d'abbesse à Minster-in-Thanet est littéralement tout ce que l'on sait de la vraie princesse Cwenthryth.
Cwenthryth dans la légende
Au XIIe siècle, un scribe de Winchcombe écrivit l'Histoire de saint Kenelm le petit roi, qui allait transformer Cwenthryth en méchante médiévale et ce, pour toujours.
L'histoire raconte que Coenwulf, à sa mort, avait laissé son royaume à son fils Kenelm, âgé de sept ans, tant aimé par les nobles de Mercie et accueillit comme leur roi. Kenelm reçut l'enseignement d'un noble nommé Aesceberht, qui était l'amant de la sœur aînée de Kenelm, Cwenthryth. Cwenthryth suggéra à Aesceberht que, si Kenelm était tué, elle deviendrait reine et il régnerait avec elle.
Aesceberht invita le jeune Kenelm à une partie de chasse au cours de laquelle Kenelm aurait compris les intentions d'Aesceberht mais se serait fié à la volonté de son dieu au sujet de sa vie. Aesceberht conduisit Kenelm de plus en plus loin dans les bois et le tua en lui tranchant la tête; il l'enterra ensuite dans un fourré.
À l'heure de la mort de Kenelm, plusieurs ecclésiastiques dévots priaient dans l'église Saint-Pierre de Rome lorsqu'une colombe blanche entra par une fenêtre et se posa sur l'autel, tenant une lettre dans ses griffes. Les hommes prirent la lettre de l'oiseau mais ne purent la lire car elle n'était pas écrite en latin. L'un d'entre eux, cependant, connaissait la "langue anglaise" et traduisit la lettre pour les autres, puis pour le pape.
La lettre racontait comment le petit roi Kenelm avait été tué et enterré dans les bois. Le pape écrivit alors à tous les rois de Grande-Bretagne pour leur raconter ce qui s'était passé et leur ordonner d'aller chercher le corps du garçon et de lui donner une sépulture convenable. Les rois obéirent, trouvèrent la tombe de Kenelm et transportèrent le corps vers Winchcombe pour l'enterrer "car ils estimaient que Kenelm était un enfant saint et ils savaient qu'il avait été méchamment tué par la ruse de sa sœur Cwenthryth" (Freeman, 88).
Cwenthryth se trouvait à l'abbaye de Winchcombe alors que le cortège entrait en ville avec le corps de Kenelm, quand soudain toutes les cloches se mirent à sonner sans que personne ne s'approche des cordes. Cwenthryth lisait son psautier lorsque cela se produisit et demanda à ses assistants ce que cela signifiait. Lorsqu'on lui dit que le corps de son frère avait été retrouvé et qu'il se dirigeait vers l'abbaye, elle dit : "Si c'est vrai, que mes yeux tombent sur ce livre" et, à ce moment précis, ses yeux tombèrent de sa tête sur les pages du psautier. Peu après, elle et Aesceberht "moururent misérablement", bien qu'aucun détail ne soit donné, et Kenelm reçut un enterrement chrétien. Sur sa tombe, on construisit la chapelle St. Kenelm qui, selon l'histoire, peut être visitée à l'époque où l'auteur mit cette histoire par écrit.
Une autre version de l'histoire fait état d'une vache ou d'une vache blanche qui, après le meurtre de Kenelm, serait venue s'asseoir sur sa tombe jour et nuit pendant des années afin d'attirer l'attention sur le crime. Dans cette version, la colombe blanche prend un peu plus de temps pour s'envoler vers Rome, mais le reste de l'histoire se déroule selon les mêmes principes que le récit de Winchcombe. Commentant les légendes de Kenelm, l'érudit Edward Augustus Freeman écrit:
On voit mal ce qui aurait pu pousser quelqu'un à inventer un tel récit si rien de tel ne s'était jamais produit. Pourtant, il s'agit d'une histoire très improbable. Si Coenwulf n'a laissé qu'une fille et un jeune fils, il est presque certain que son frère Ceolwulf aurait été choisi comme roi (87).
Aussi improbable que ce récit puisse paraître à un public moderne, il était accepté - comme, semble-t-il, tous les récits de la vie et des miracles des saints chrétiens - comme un fait par le public de l'époque où il fut écrit. À l'époque de Geoffrey Chaucer (c. 1343-1400), les pèlerinages sur le site de l'église St. Kenelm le jour de sa fête (le 17 juillet, date à laquelle il aurait été assassiné ou enterré à Winchcombe) étaient immensément populaires. Chaucer fait même allusion à saint Kenelm dans le conte du prêtre de la nonne de ses Contes de Canterbury.
Les chartes attestées par le Kenelm historique montrent qu'il avait au moins 25 ans en 811, année probable de sa mort, et rien n'indique qu'il ait été assassiné dans le cadre d'un complot impliquant sa sœur, Cwenthryth. On sait que Cwenthryth entra à l'abbaye de Minster-in-Thanet après la mort de son père et qu'elle entra en possession de ses terres. L'altercation avec Wulfred commença peu après son arrivée à l'abbaye.
Les gens de l'époque n'avaient cependant pas accès à ces documents et étaient en grande partie illettrés. Ils se faisaient lire des récits tels que l'Histoire de saint Kenelm le petit roi, qu'ils répétaient ensuite à d'autres. Avec le temps, Cwenthryth est devenue la sœur maléfique qui a orchestré la mort de son innocent petit frère, une réputation qui lui colle à la peau depuis lors.
Cwenthryth dans Vikings et autres reines maléfiques
Dans la série télévisée Vikings, Kwenthryth n'est pas tant diabolique qu'abîmée par les mauvais traitements infligés par son oncle, son frère et d'autres hommes de la cour de Mercie. Malgré cela, son personnage s'inspire de la légendaire Cwenthryth ainsi que des deux autres reines mentionnées ci-dessus, Cynethryth et Eadburh de Mercie.
La réputation de Cynethryth a été ternie tout autant que celle de Cwenthryth, car les scribes ultérieurs l'ont qualifiée d'intrigante, de manipulatrice et de meurtrière. Selon un récit, sa fille Alfrida tomba amoureuse du beau prince Ethelbert d'East Anglia et demanda à son père d'arranger un mariage. Offa s'exécuta, mais Cynethryth devint jalouse du bonheur de sa fille et convainquit Offa qu'Ethelbert complotait contre lui. Offa invita Ethelbert dans son palais et, la nuit précédant le mariage, le fit tuer dans la grande salle.
Lorsque les hommes d'Offa tentèrent d'enterrer le corps, des lumières angéliques apparurent pour révéler le crime et ils durent essayer à nouveau de trouver un endroit moins visible pour l'enterrement. Finalement, ils parvinrent à enterrer Ethelbert à Hereford, où une source merveilleuse jaillit du sol, comme dans le conte de Kenelm et bien d'autres. Cynethryth, après une vie de tromperie et de meurtre, se retira de manière improbable dans une abbaye après la mort de son mari afin de contempler le divin.
Cependant, bien avant sa retraite, Cynethryth aurait enseigné sa fourberie à sa fille Eadburh, mariée à Beorhtric de Wessex (r. de 786 à 802). Eadburh est décrite par le scribe Asser (+ 909) comme une "tyranne" qui convainquit son mari de faire tuer plusieurs personnes ou qui le fit elle-même en les empoisonnant. Il est dit qu'elle empoisonna son mari par accident en tentant de tuer l'un de ses conseillers de cour préférés et qu'elle fuit le Wessex pour le royaume des Francs par la suite.
Une fois sur place, dans un moment historique célèbre, et presque certainement fictif, Charlemagne lui demanda qui elle choisirait en mariage, lui ou son fils.. Lorsque Eadburh choisit le plus jeune, Charlemagne l'informa que si elle l'avait choisi, elle aurait eu les deux, mais que comme elle avait choisi son fils, elle n'aurait ni l'un ni l'autre. Elle fut alors expulsée de son château mais devint abbesse d'un couvent. On dit alors qu'elle viola tous les codes de sainteté en ayant des relations sexuelles avec un homme et qu'elle fut jetée dehors pour passer le reste de ses jours à mendier dans les rues.
Les documents et les lettres de l'époque suggèrent cependant que ces femmes n'avaient rien à voir avec la représentation qu'en ont donné les scribes qui ont tissé leurs légendes. Cynethryth est louée par le célèbre érudit et ecclésiastique Alcuin (c. 735-804) pour sa piété et l'attention qu'elle porta à l'église, et il n'existe aucun récit fiable sur ses prétendues tendances meurtrières. Il existe cependant des preuves que, comme Cwenthryth, Cynethryth contesta l'autorité de l'archevêque de Canterbury au sujet de droits fonciers et que, comme dans ce dernier cas, l'Église gagna.
Dans le cas d'Eadburh, il est facile de comprendre d'où vient le ressentiment des scribes postérieurs (comme Asser): Eadburh était le moyen par lequel la Mercie contrôlait le Wessex. Asser se plaint, à un moment donné, que "dès qu'elle eut gagné l'amitié du roi et le pouvoir dans presque tout le royaume, elle commença à se comporter comme un tyran à la manière de son père" (Keynes & Lapidge, 71). Le mariage d'Eadburh aurait été arrangé dans le but exprès de permettre aux Merciens de contrôler les régions méridionales. Beorhtric avait besoin du soutien des Merciens pour ravir le trône du Wessex à son adversaire (le futur Egbert de Wessex, r. de 802 à 839). Offa lui apporta ce soutien et, en échange, Beorhtric épousa Eadburh qui contribua alors à façonner la politique et les décisions du Wessex à l'égard de la Mercie. Il n'est donc pas surprenant que les scribes wessexiens ultérieurs l'aient présentée sous un jour négatif.
Dans Vikings, Kwenthryth se voit promettre le soutien du roi Ecbert de Wessex, qui envoie son fils Aethelwulf et les mercenaires vikings sous les ordres de Ragnar Lothbrok pour vaincre l'oncle et le frère de Kwenthryth et la rétablir sur le trône de Mercie. Une fois cette mission accomplie, Kwenthryth empoisonne son frère Burgred lors d'une fête et monte sur le trône de Mercie. Ecbert finit par trahir Kwenthryth et la tue avec l'aide de sa maîtresse (qui est aussi sa belle-fille) Judith. Aucun de ces événements n'est historique, mais ils se rapportent à une vérité historique.
Dans la série télévisée, Kwenthryth est dépeinte comme une femme forte et déterminée, bien qu'abîmée, qui se bat pour obtenir la même reconnaissance et les mêmes droits que les hommes et qui, à la fin, est trahie; on peut en dire autant des personnages historiques qui ont inspiré le personnage. Cynethryth, Eadburh et Cwenthryth étaient toutes des femmes qui défièrent l'autorité patriarcale de l'église ou de la couronne et qui furent trahies par les scribes qui ensuite mirent ces récits les concernant par écrit, qui ont fini par être considérés comme des faits historiques.