Eudes de Francie occidentale (aussi connu sous le nom d’Eudes ler. c. 856-898, r. de 888 à 898) était comte de Paris et le héros du siège de Paris par les Vikings (885-886) qui devait être élu roi de Francie occidentale peu de temps après. Fils aîné de Robert le Fort (c. 830-866), il était aussi comte d'Anjou, duc des Francs, marquis de Neustrie et frère aîné de Robert Ier (r. 922-923) qui remplaça Charles le Simple (r. 893-923) en tant que roi de Francie occidentale. Malgré les nombreuses difficultés qu'il rencontra tout au long de son règne, Eudes est généralement considéré comme un monarque capable. Cependant, il est surtout connu pour le rôle essentiel qu'il joua dans la défense de Paris.
Historiquement, il fut le premier monarque non-carolingien de Francie occidentale et réussit à se maintenir sur le trône pendant dix ans tout en parvenant à tenir à distance les grands du royaume qui soutenaient Charles le Simple. Contraint à céder de plus en plus de pouvoir à Charles et à ses partisans, Eudes réussit néanmoins à conserver sa couronne jusqu’à sa mort, qui survint en 898.
Contexte familial et ascension au pouvoir
Robert le Fort était un membre de la lignée des Robertiens, ancêtres des Capétiens, qui devaient régner sur le Royaume de France à partir de 987. Les Robertiens étaient à l'origine une famille de Francie orientale qui émigra en Francie occidentale peu après le traité de Verdun de 843, qui partagea en trois l'empire Carolingien. Le roi Charles le Chauve de Francie occidentale (r. de 843 à 877) les récompensa pour leur défection de Francie orientale, sur laquelle régnait son frère Louis le Germanique (r. 843-876), en leur accordant terres et titres en Neustrie. La faveur du roi Charles permit ensuite à la famille d'asseoir son rang et d'assurer sa fortune durablement dans la région.
Entre 858 et 861, Robert se rebella contre Charles lorsque le roi donna à son fils Louis le Bègue (r. de 877 à 879) le titre de Roi de Neustrie ; une élévation de son statut qui diminua naturellement celui de Robert. Charles et Robert se réconcilièrent en 861 et Robert fut alors chargé de défendre la Neustrie contre les attaques des Vikings. Robert se battit tour à tour contre Salomon, Duc de Bretagne (r. 857-874) pour des questions de droits fonciers ou à ses côtés contre les incursions des Vikings. Robert fut tué en 866 à la bataille de Brissarthe suite à une soudaine contre-attaque des Vikings, laissant derrière lui deux fils, Eudes et Robert Ier.
On ne sait rien de la vie d'Eudes avant la mort de son père. À la mort de Robert, Eudes n'avait que sept ans et, bien qu'ayant officiellement hérité du titre de marquis de Neustrie de son père, il était trop jeune pour en exercer le pouvoir. Le titre fut alors transféré par Charles le Chauve à Hugues l'Abbé (mort vers 886), le demi-frère aîné d'Eudes, qui devint alors le régent des deux garçons.
Il n'existe aucun document concernant Eudes entre les années 866 et 882/883, date à laquelle il épousa Théodrate de Troyes (c. 868-903) avec qui il aurait eu deux enfants (tous deux morts en bas âge). Vers 882, Carloman II (r. de 879 à 884) lui donna le titre de comte de Paris. Carloman II mourut en 884 sans héritier et les nobles de Francie occidentale invitèrent Charles le Gros de Francie orientale (r. de 884 à 887), le plus jeune fils de Louis le Germanique, à régner. Charles confirma tous les titres octroyés par Carloman II, Eudes resta donc Comte de Paris. Ses responsabilités comprenaient l'administration de la ville et de ses environs ainsi que la défense de son domaine en cas de nécessité, en particulier contre les attaques des Vikings.
Le siège de Paris
Cela faisait longtemps, depuis 841, date à laquelle le chef viking Asgeir saccagea et brûla Rouen, que les incursions vikings en Francie occidentale déstabilisaient la contrée. En 845, le chef scandinave Reginherus assiégea Paris, prit la ville et Charles le Chauve dut lui payer un tribut pour qu'il abandonne la cité. Ce paiement créa un précédent qui serait reconduit par les rois suivants auprès des chefs des raids vikings. Entre 845 et 876 la Francie occidentale devint ainsi une source de revenus assurés pour les pillards scandinaves, car dès lors, même en cas d'absence de tout butin potentiel, il leur suffisait de harceler la région jusqu’à ce qu'un roi ne les paie pour cesser leurs attaques. Ces incursions se poursuivirent jusqu'au jour où, en 885, une immense flotte de 700 navires vikings apparut soudainement sur la Seine et fonça sur Paris qu'Eudes se mit en devoir de défendre toutes affaires cessantes.
Le moine Abbon de Saint-Germain-des-Prés (IXe siècle) décrit la flotte viking comme étant si vaste que « l'on pouvait se demander avec étonnement dans quelle caverne le fleuve avait été englouti, car il n'était plus visible, puisque les navires couvraient ce fleuve comme s'il était couvert de chênes, d'ormes et d'aulnes » (Somerville & McDonald, 222). La flotte jeta l'ancre sous les hauts murs de Paris et, le deuxième jour, leur chef fut autorisé à entrer pour négocier les termes de la reddition de la cité. Abbon écrit :
Siegfried, qui n'était alors roi que de nom mais qui commandait l'expédition, se rendit au logis de l'illustre évêque. Il s'inclina et lui dit : "Gozlin, ayez pitié de vous-même ainsi que de vos ouailles. Nous vous supplions de nous écouter afin d'échapper à la mort. Accordez-nous seulement libre passage dans la ville. Nous ne ferons de mal à personne et nous nous efforcerons de strictement respecter tout ce qui vous appartient à toi et à Eudes." (Somerville & McDonald, 222).
Eudes semble avoir été présent à cette réunion, bien qu'Abbon n'ait enregistré que la conversation entre l'évêque et le chef viking. L'évêque répondit à Siegfried :
"Paris nous a été confié par l'empereur Charles qui, après Dieu, roi et seigneur des puissants, règne sur presque tout le monde connu. Il nous l'a confié, non pas du tout pour que le royaume soit ruiné par notre inconduite, mais pour qu'on le lui conserve et en assure la paix. Si, comme à nous, on vous avait confié la défense de ces murs, et que vous ayez fait ce que vous nous demandez de faire, quel traitement pensez-vous que vous mériteriez ? " Siegfried lui répondit : " Je mériterais qu'on me coupe la tête et qu'on la jette aux chiens. Néanmoins, si vous n'écoutez pas ma demande, demain, nos machines de guerre vous détruiront de leurs trais empoisonnés. Vous serez en proie à la famine et à la pestilence et ces maux se renouvelleront perpétuellement chaque année. "Ayant ainsi parlé, il s'en alla et rassembla ses compagnons. (Somerville & McDonald, 222).
Quelque temps après le raid de Reginherus en 845, on construisit sur la Seine un pont bas et fortifié afin de prévenir toute future attaque des Vikings, ainsi qu'une haute tour contre les remparts de l'île-Cité de Paris. Après le départ de Siegfried, Eudes prit des dispositions pour la défense de la ville mais il semble qu'il ne se soit pas attendu à ce qu'une attaque ait pris place dès le lendemain matin puisque le récit d'Abbon suggère que la ville fut surprise :
Au matin, les hommes du Nord s'approchèrent de la tour et l'attaquèrent. Ils l'ébranlèrent avec leurs machines de guerre et la criblèrent de leurs flèches. La ville résonna de leurs vociférations, le peuple s'éveilla, les ponts tremblèrent. Tous les habitants se réunirent pour défendre la tour. Eudes, son frère Robert et le comte Ragenar s'y distinguèrent par leur bravoure, ainsi que le vaillant abbé Ebolus, neveu de l'évêque. Une flèche acérée blessa le prélat, tandis qu'à ses côtés, le jeune guerrier Frédéric se vit frappé par une épée. Frédéric mourut, mais le vieil homme, par la grâce de Dieu, survécut. Pour beaucoup, ce fut le dernier moment de leur vie, mais ils infligèrent de rudes coups à de nombreux ennemis. À la fin, l'ennemi se retira, emportant un grand nombre de morts danois. (Somerville & McDonald 222-223).
Les Parisiens passèrent la nuit à réparer la tour avec du bois et parvinrent même à la rendre un peu plus haute qu'elle ne l'était auparavant. Le lendemain matin, les Vikings attaquèrent à nouveau dans un assaut plus précis et mieux coordonné. La tour semblait sur le point de succomber lorsqu'Eudes parvint à rallier ses troupes :
Les guerriers se ruèrent ensemble à la défense de la tour prête à tomber et repoussèrent le féroce assaut. Deux d'entre ces guerriers, un comte et un abbé (Ebolus), surpassaient tous les autres en courage. Le premier était le redoutable Eudes qui n'avait jamais connu la défaite et qui ranimait sans cesse le courage des défenseurs épuisés. Il parcourait les remparts et repoussait l'ennemi. Sur ceux qui se cachaient pour saper la tour, il faisait pleuvoir de l'huile, de la cire et de la poix qui, une fois mélangées et fondues, brûlaient les Danois et leur arrachaient les cheveux. Certains d'entre eux en mouraient, d'autres se précipitaient dans le fleuve pour échapper à cette abominable substance. (Somerville & McDonald, 223)
Les Vikings furent à nouveau refoulés vers leurs navires, mais ils étaient déterminés à prendre la ville et le siège commença. Au fil des mois, Paris souffrit du manque de nourriture et d’une épidémie qui « entraîna la mort de nombreux nobles hommes. À l'intérieur des murs, il n'y avait pas assez de terre pour ensevelir les morts » (Somerville & McDonald, 223). Le peuple choisit Eudes pour se rendre auprès du roi Charles le Gros et lui demander de l'aide. Pour ce faire, Eudes devait s'échapper de la ville, traverser le pont - qui était tenu par les Vikings - et éviter d'être capturé dans le territoire tenu par les Vikings de l'autre côté.
On ne sait pas avec certitude comment Eudes y parvint ni combien de temps dura son absence, mais, en 886, il revint accompagné de l’armée de Charles le Gros. Il se fraya un passage à travers les forces ennemies et entra dans la ville avec ses hommes, serré de près par les Vikings. À peine arrivé, Eudes monta sur-le-champ une vigoureuse contre-offensive et les Danois furent à nouveau repoussés vers leurs navires. Charles le Gros et son armée restèrent l’arme au pied sur l'autre rive du fleuve.
Il est clair qu'Eudes s'attendait désormais à ce que Charles le Gros envoie ses troupes au combat, et pourtant le roi n'en fit rien. Au lieu de cela, il ouvrit des négociations avec les chefs vikings et leur offrit une somme substantielle pour laisser Paris en paix et attaquer la Bourgogne ; une offre que les Vikings acceptèrent. Charles avait ainsi mis fin au siège, ainsi qu'Eudes l'avait espéré, mais d'une façon inacceptable. En 887/888, Charles fut déposé et Eudes, élu roi de Francie occidentale, monta sur le trône en 888.
Le roi Eudes et Charles le Simple
À la mort d’Hugues l'Abbé en 886, le titre de Marquis de Neustrie fut rendu à Eudes qui l'ajouta à son titre de Comte de Paris, puis de Roi de Francie occidentale. Comme nous l'avons vu, Eudes était le premier roi non-carolingien depuis la fondation de la Francie occidentale. Bien qu'il ait été le héros incontesté du siège de Paris, ses services rendus à la ville furent assez vite oubliés par les nobles qui voulaient rétablir la lignée carolingienne à travers le petit-fils de Charles le Chauve, Charles le Simple.
Charles n'avait que six ans en 885, mais en 890, année de ses onze ans, on le considéra suffisamment âgé pour être couronné. Durant la même période, Eudes ne savait où donner de la tête entre les incursions des Vikings et ses tâches administratives. Il n'est donc pas certain qu'il se soit rendu compte que les grands nobles cherchaient à le remplacer par Charles. Il semble qu'il n'en ait pris conscience qu'après 890, et de manière douloureuse, lorsque Charles fut couronné en 893.
Les grands du royaume firent pression sur Eudes pour qu'il abdique en faveur de Charles le Simple, mais il refusa. Il en appela au roi Arnulf de Francie orientale (r. de 887 à 899), auquel il avait prêté hommage lors de son accession à la royauté pour qu'il soutienne sa cause. Eudes était en droit d'attendre qu'Arnulf se range de son côté. Arnulf avait renversé Charles le Gros en 887 après le retour de Charles qui avait mis un terme au siège de Paris. En outre, Eudes et lui semblaient partager la même opinion au sujet de Charles et de ses méthodes de gouvernement. Qui plus est, Eudes avait soutenu Arnulf lors de sa prise de pouvoir et entretenu de bonnes relations avec lui par la suite. Arnulf, cependant, fut persuadé par les nobles de Francie occidentale de se prononcer en faveur de Charles le Simple au motif que Charles était le roi légitime et qu'Eudes n'était rien de plus qu'un pis-aller en attendant que le jeune prince soit en âge de régner.
Eudes résista aux grands de 893 jusqu'à sa mort, en 898. Toutefois, il perdit graduellement son emprise sur le pouvoir en Francie occidentale, mais refusa de renoncer à une couronne qu'il estimait devoir lui revenir de droit après l’avoir conquise de haute lutte. Bien que Charles ait été roi depuis 893, il n’avait détenu aucun pouvoir réel avant la mort d'Eudes, et monta une bonne fois pour toutes sur le trône à l'âge de 19 ans. Charles hérita à son tour du fléau viking et, tout comme Eudes, il dut le combattre pendant les 13 années suivantes de son règne jusqu'à ce qu'il ne trouve enfin la solution définitive : il offrit au chef viking Rollon des terres en Francie occidentale ainsi que la main de sa fille Gisèle en échange de son allégeance et de sa protection contre les futures incursions des Vikings. Rollon accepta l'offre sans se faire prier et devint ainsi le fondateur de la Normandie (le pays des hommes du Nord) en l'an 911.
Eudes dans Vikings et son héritage
Dans la série télévisée Vikings, le rôle d'Eudes est interprété par l'acteur Owen Roe dans les saisons 3 et 4. Toutefois, Eudes n'est représenté fidèlement que dans son rôle de défenseur de Paris. En effet, rien ne prouve qu'il ait eu une relation sexuelle torride avec une femme noble nommée Thérèse, ni qu'une telle femme (ou son frère dans la série, Roland) ait réellement existé. Le plan qu'Eudes révèle à Thérèse dans la saison 4 pour tuer le roi Charles et s'emparer du trône est totalement fictif mais reflète la tension historique entre Eudes et les partisans de Charles le Simple au cours des années 893-898. Selon les récits historiques mentionnant Eudes, comme celui d'Abbon, c'était un homme courageux et honorable qui fit de son mieux pour servir sa ville et, plus tard, son pays.
Le règne de Charles le Simple fut contesté par le frère cadet d'Eudes, Robert Ier, vers 922, et il fut destitué après la bataille de Soissons en 923. Robert trouva la mort au cours de la bataille et le trône de Francie occidentale revint à son gendre Rodolphe, comte de Bourgogne et de Troyes, auquel succédèrent d'autres rois jusqu'au règne d'Hugues Capet (r. de 987 à 996), fondateur du Royaume de France. De ce royaume naîtra plus tard la nation moderne dont la capitale est Paris.
Bien que personne ne soit en mesure de dire avec précision quel aurait été le sort de Paris si les Vikings avaient remporté le siège de l'année 885-886, il est néanmoins certain que son développement aurait suivi un cours bien différent. En effet, les précédents historiques de destruction par les Vikings des villes conquises - et surtout de celles qui leur avaient résisté - abondent, notamment (en ce qui concerne la Francie occidentale) la ville de Rouen, pillée et incendiée en 841 par Asgeir. Il est indéniable que le Comte Eudes ait sauvé Paris par sa défense acharnée de la ville, et bien que les nobles de son époque semblent l'avoir vite oublié, c'est de loin son héritage plus important.