La Dynastie Yuan fut établie par les Mongols et régna sur la Chine de 1271 à 1368. Leur premier empereur fut Kubilaï Khan (r. de 1260 à 1279), qui vainquit finalement la Dynastie Song qui régnait depuis 960. La stabilité et la paix en Chine apportèrent une certaine prospérité économique car Kubilaï et ses successeurs encouragèrent le commerce international, ce qui permit au pays désormais unifié de s'ouvrir au reste du monde. Alors que la paix régnait dans la partie occidentale de l'Empire Mongol, Kubilaï lança deux invasions infructueuses au Japon et plusieurs autres ailleurs en Asie du Sud-Est. Le règne des Mongols en Chine prit finalement fin en raison d'un cocktail mortel de luttes intestines sans fin entre dirigeants, d'un gouvernement inapte et corrompu qui dépensait et imposait trop, et d'inondations et de famines. Des soulèvements paysans éclatèrent tout au long du 14ème siècle, jusqu'à ce que le mouvement des Turbans Rouges ne renverse les Yuan et n'instaure un nouveau régime, la Dynastie Ming (1368-1644).
Kubilaï Khan et les Song
En 1268, Kubilaï Khan s'attacha à renverser définitivement la Dynastie Song et, comme tous les chefs nomades avant lui en avaient rêvé, à s'établir empereur de Chine. Les Mongols avaient déjà mené plusieurs attaques majeures sur le territoire des Song, notamment sous les règnes de Gengis Khan (r. de 1206 à 1227) en 1212-1215, et de Möngke Khan (r. de 1251 à 1259) en 1257-1260. Dotée d'une armée de plus d'un million d'hommes, d'une grosse flotte et d'immenses richesses, la Chine des Song se révéla un adversaire coriace pour la machine militaire mongole, invincible ailleurs. Le succès de la guerre mongole à travers l'Asie reposait sur une cavalerie rapide, mais les Song la contrèrent en adoptant délibérément une stratégie de guerre plus statique et en construisant de grandes fortifications aux villes clés et aux passages de rivières. Pour cette raison, il fallut onze longues années à Kubilaï pour choisir ses cibles une à une et finalement soumettre les Song.
Les Mongols furent aidés par de nombreux généraux Song qui firent défection ou se rendirent avec leurs armées, et aussi par le fait que la cour impériale était en proie à des querelles intestines entre les conseillers du jeune empereur. Finalement, l'impératrice douairière et son jeune fils, l'empereur Gongzong (r. de 1274 à 1275) se rendirent avec leur capitale, Lin'an, le 28 mars 1276. Les membres de la famille royale Song furent emmenés prisonniers dans la nouvelle capitale de Kubilaï à Beijing (Daidu). Des groupes de loyalistes se battirent encore pendant trois années, installant pendant ce temps deux autres jeunes empereurs (Duanzong et Dibing), mais les Mongols balayèrent tout devant eux. Enfin, le 19 mars 1279, une grande bataille navale fut remportée à Yashan, près de l'actuelle Macao, achevant la conquête mongole de la Chine. Ce fut la première fois que le pays fut unifié depuis le 9ème siècle, mais cela n'était pas une grande consolation pour les innombrables morts, pillés et déportés à travers la Chine.
Établissement du Gouvernement
Se faisant lui-même empereur de Chine, Kubilaï se donna le nom de règne Shizu, et en 1271, il donna à sa nouvelle dynastie le nom de ‘Yuan’ (signifiant ‘origine’, ou ‘centre, pivot principal’). Le début de la Dynastie Yuan est daté de diverses façons: en 1260 (campagne de Möngke), 1271 (première utilisation officielle du titre de dynastie ‘Yuan’), 1276 (mort du dernier empereur Song et chute de la capitale Song), ou 1279 (extinction définitive de la résistance Song).
À partir de Kubilaï, les souverains mongols firent quelques tentatives superficielles pour séduire leurs nouveaux sujets chinois en adoptant des traditions telles que la robe d'empereur, les déplacements en chaise à porteurs et en s'entourant de conseillers confucéens. Cependant, le véritable pouvoir restait entre les mains des Mongols, les postes administratifs clés des douze provinces semi-autonomes nouvellement créées en Chine et dans le nord de la Corée (annexée en 1270) étant en grande partie occupés par des Mongols, notamment par les membres de la très nombreuse garde du corps impériale mongole. Les six ministères chinois traditionnels en place depuis la dynastie Tang (618-907), furent maintenus, mais il existait également des institutions mongoles, comme le Shumi Yuan ou Ministère de la Guerre.
Kubilaï abolit les examens de la fonction publique qui auraient favorisé les fonctionnaires chinois du fait de leur éducation confucéenne (ils furent rétablis en 1313, mais les Mongols étaient toujours avantagés). Bien que de nombreux fonctionnaires chinois aient continué à travailler comme avant, ils étaient soumis à des inspections aléatoires et secrètes par des censeurs de confiance mongols. Le fonctionnaire régional mongol, le jarquchi, etait nommé dans les territoires chinois, et ceux-ci et les représentants des différents clans mongols constituaient un gouvernement local pour chaque province. La force de police mongole, le tutqaul, était chargée de veiller à ce que les routes soient exemptes de bandits, et c'étaient des Asiatiques occidentaux, en particulier les musulmans, à qui étaient souvent confiés des rôles dans le domaine financier du gouvernement, tels que ministres des finances et inspecteurs des impôts.
Un Nouvel Ordre Social
Kubilaï veillait à ce que les Mongols soient toujours avantagés en Chine, en les classant officiellement d’un rang supérieur aux Chinois. Les quatre rangs officiels des Yuan, basés sur la loyauté perçue envers les souverains Yuan, étaient les suivants :
- les Mongols
- les Semu – peuples d'Asie centrale et/ou parlant des langues turques.
- les Hanren - Chinois du Nord, Tibétains, Khitans, Jürchen et autres.
- les Nanren - Chinois du sud, officiellement gouvernés par les Song.
L'appartenance à l'une de ces quatre classes avait des répercussions sur le statut fiscal d'un individu, son traitement par le système judiciaire et son éligibilité à des postes dans l'administration de l'état (il y avait un quota plafonné à 25 % pour les Chinois du Sud, par exemple). Parmi les différences de traitement, les Chinois du Nord étaient imposés par foyer, tandis que les Chinois du Sud étaient taxés en fonction de la superficie des terres qu'ils possédaient. Les peines étaient un domaine de différence particulièrement frappant : par exemple, un Mongol reconnu coupable de meurtre ne devait payer qu'une amende, alors qu'un Chinois du Sud coupable d'un simple vol était condamné à une amende, puis tatoué comme criminel. Le nouveau code juridique introduit en 1270 ne comptait cependant que 135 crimes capitaux, soit la moitié de ceux du code des Song.
Il existait également d'autres mesures de discrimination, comme l'interdiction pour les Chinois de prendre des noms mongols, de porter des vêtements mongols ou d'apprendre la langue mongole. Les mariages mixtes étaient découragés. Cependant, plutôt que motivés uniquement par des considérations raciales, Kubilaï et ses successeurs étaient surtout soucieux de contrôler leurs sujets, de faciliter l'identification des uns et des autres et de s'assurer qu'il n'y avait pas de rébellion. Les Chinois n'avaient pas le droit de porter des armes ni de se rassembler en public, par exemple.
Au moins, les religions traditionnelles étaient autorisées à subsister tant qu'elles ne menaçaient pas l'état. Le Bouddhisme était cependant généralement préféré au Confucianisme chinois traditionnel. La préférence des Mongols pour le chamanisme ne montrait pas de changement, bien que Kubilaï lui-même se soit converti au Bouddhisme tibétain (lamaïste). En outre, malgré une discrimination évidente, les habitants du Sud maintinrent leur culture chinoise classique bien vivante à travers des réunions privées et les arts, produisant souvent des peintures, des poèmes et des pièces de théâtre qui véhiculaient de subtiles protestations contre le régime des Yuan. Cette dernière forme d'art, qui comprenait le théâtre de marionnettes ainsi que celui avec acteurs vivants, s’épanouit sous les Yuan en raison de son attrait visuel et de ses histoires marquantes. Les Mongols, incapables de parler chinois, avaient peu de temps pour la prose et la poésie.
Politique Étrangère et Commerce
Kubilaï Khan était particulièrement intéressé à rétablir le système du tribut chinois qui avait été négligé pendant la dernière partie du règne des Song. Les états devaient payer un tribut symbolique et matériel à la position dominante de la Chine en tant que centre du monde connu, l‘Empire du Milieu’. Non seulement c'était un moyen de légitimer davantage sa position en tant qu'empereur chinois, mais cela pouvait également apporter des biens matériels utiles et aider à développer le commerce international. En outre, les souverains mongols légitimaient leur position par la conquête et la distribution de butins à leurs partisans afin de s'assurer de leur loyauté et de leur fidélité. Kubilaï se lança donc dans une série de campagnes visant à ramener les voisins de la Chine à leur ancienne position de soumission à l'empereur.
Le Japon fut envahi à deux reprises (1274 et 1281), mais à chaque fois une résistance acharnée et des tempêtes fortuites, les kamikaze ou ‘vents divins’, avaient contraint à la retraite. Comme le Japon, l'Asie du Sud-Est fut attaquée dans le cadre de diverses campagnes terrestres et navales, mais elle se révéla également être une proie insaisissable. Les invasions du Vietnam (1281 et 1286), de la Birmanie (1277 et 1287) et de Java (1292) n'aboutirent qu'à des succès limités, mais elles permirent au moins d'obtenir un tribut régulier du royaume païen de Birmanie et des royaumes de Champa et du Dai Viêt au Vietnam. Il semblait que la conduite d'une guerre navale à l'étranger et le climat peu familier de l'Asie du Sud-Est étaient des obstacles insurmontables à l'expansion des Yuan. Kubilaï n'abandonna cependant jamais le Japon et continua d'y envoyer des missions diplomatiques cependant infructueuses, pour persuader le pays de rejoindre le système de tribut chinois.
Dans d'autres parties de l'Asie, à l'ouest, régnait une paix relative, la ‘Pax Mongolica’, bien qu'il y eut une rébellion majeure au Tibet au début des années 1290, et que les autres descendants de Gengis Khan, notamment les Ögödei, aient continué à grignoter les frontières occidentales de la Chine. Néanmoins, les Mongols en tant que groupe, en forgeant un empire de la Mer Noire à la péninsule coréenne (même s'il était désormais divisé en grands khanats dirigés par les descendants de Gengis Khan), avaient réussi à exposer la Chine à un monde plus vaste. C'était particulièrement le cas en ce qui concernait l'ouest, avec des contacts à travers la Perse et, grâce à des missionnaires, des ambassadeurs et des voyageurs comme Marco Polo (1254-1324), avec l'Europe. Marco Polo servit Kubilaï Khan entre 1275 et 1292, apparemment en tant qu'ambassadeur/reporter itinérant dans les régions les plus reculées de l'Empire Mongol. De retour chez lui, Marco relata ses expériences dans Le Livre des Merveilles, ou Le Devisement du Monde, diffusé pour la première fois vers 1298. Ses descriptions figurent parmi nos meilleures sources concernant la Dynastie Yuan, et l'empereur en particulier.
Les Yuan encouragèrent également le commerce international, ce qui s'avéra plus concrètement bénéfique pour les Mongols et les Chinois que la renommée mondiale. Les artisans bénéficièrent d'un statut plus élevé qu'auparavant, et d'exemptions fiscales. Les marchands, qui n'étaient pas des producteurs mais des ‘échangeurs’, avaient fait l'objet de discriminations sous les Song; eux aussi bénéficièrent désormais de mesures fiscales plus favorables, de prêts à faible taux, et de la fin de règlements somptuaires. Les marchands furent encouragés à utiliser le papier-monnaie, les échanges monétaires furent mieux réglementés et le transport des marchandises facilité par la construction de routes, de canaux (dont le Grand Canal qui relie le sud et le nord de la Chine) et par l'utilisation de navires de haute mer. Ces politiques eurent pour effet de créer un boom de l'artisanat et du commerce, en particulier de la soie et de la porcelaine fine, ce dernier produit étant désormais supervisé par une agence gouvernementale spécifique, ce qui ouvrit plus tard la voie aux potiers Ming, leur permettant d'acquérir eux-mêmes une renommée mondiale. Le commerce permit également d'intensifier les échanges d'idées et de technologies. Ainsi, l'expertise perse en matière d'observations astronomiques, de cartes, de tissage de textiles de luxe et d'irrigation parvint en Chine, tandis que les armes à poudre, l'imprimerie, la boussole de marin et la monnaie de papier se répandirent à l'ouest. L'Islam s'étendit également vers l'est, avec les marchands sillonnant l'Asie.
Un Long Déclin
Temür Öljeitü, petit-fils de Kubilaï, lui succéda en tant que khan et empereur de Chine (r. de 1295 à 1308). En conservant les mêmes institutions et nombre des fonctionnaires nommés par son père, il jouit d'un règne paisible et fructueux. S'ensuivit une longue lignée de souverains au règne court qui s'efforçaient d'équilibrer les rivalités entre les traditionalistes pro-chinois et pro-mongols qui divisaient le gouvernement à tous les niveaux. Cette rivalité dégénérait parfois en violence, tantôt un empereur étant assassiné, tantôt un autre étant chassé à la suite d'un coup d'état. En outre, de nombreux Chinois du Sud, en particulier de la classe intellectuelle, s'accrochaient à leurs traditions, certains refusant même de reconnaître l'existence de leurs maîtres mongols et se retirant pour se consacrer aux arts.
Effondrement et Dynastie Ming
Au milieu du 14ème siècle, les souverains Yuan furent frappés par une combinaison dévastatrice d'hivers exceptionnellement froids, de famines, de pestes et de crues du Fleuve Jaune, qui provoqua une hyperinflation lorsque le gouvernement tenta de résoudre les problèmes d'infrastructures endommagées en imprimant trop de papier-monnaie. Il s'ensuivit un banditisme généralisé et des soulèvements de la part d'une paysannerie surtaxée. Pire encore, certaines élites locales et certains administrateurs provinciaux du sud de la Chine s'entendirent avec les bandits, les contrebandiers et même les chefs religieux pour prendre le contrôle de villes entières. La Chine des Yuan se désintégrait de l'intérieur.
Les souverains Yuan ne s’aidaient pas eux-mêmes en se disputant le pouvoir, en créant une bureaucratie pléthorique et en gaspillant les revenus et les ressources foncières au profit de quelques princes et généraux privilégiés. Plus important encore, ils ne réussirent pas à réprimer de nombreuses rébellions, dont celle perpétrée par un groupe connu sous le nom de ‘Mouvement des Turbans Rouges’, ramification du ‘Mouvement du Lotus Blanc’ bouddhiste, dirigé par un paysan du nom de Zhu Yuanzhang (1328-1398). Zhu remplaça l'objectif politique traditionnel des Turban Rouges, qui était de rétablir l'ancienne Dynastie Song, par ses ambitions personnelles de régner. Il gagna un soutien plus large en abandonnant les politiques anti-confucéennes qui avaient aliéné les classes éduquées chinoises. Seul parmi les nombreux chefs rebelles de l'époque, Zhu comprit que pour établir un gouvernement stable, il avait besoin d'administrateurs et pas seulement de guerriers en quête de butin.
Le premier coup majeur de Zhu Yuanzhang fut la prise de Nanjing en 1356. Les succès de Zhu se poursuivirent et il vainquit ses deux principaux chefs rivaux rebelles et leurs armées, d'abord Chen Youliang à la bataille du Lac Poyang (1363), puis Zhang Shicheng en 1367. Zhu resta le chef le plus puissant de Chine et, après avoir pris Pékin, le dernier empereur Yuan de la Chine unifiée. Toghon Temür (r. de 1333 à 1368), s'enfuit en Mongolie et à l'ancienne capitale Karakorum, désormais largement abandonnée. Les Yuan continueraient donc à régner en Mongolie sous le nouveau nom de Dynastie des Yuan du Nord (1368-1635). Entre temps, Zhu se déclara souverain de la Chine en janvier 1368, avec le nom d'empereur Hongwu (‘très martial’), et celui de la dynastie qu'il fonda, Ming (brillant’ ou ‘lumière’).