Odon de Bayeux (mort en 1097) était l'évêque de Bayeux en Normandie et demi-frère de Guillaume le Conquérant (r. 1066-1087). Après la conquête normande de l'Angleterre en 1066, Odon reçut de vastes domaines anglo-saxons et devint, en tant que comte de Kent, le deuxième homme le plus puissant d'Angleterre après le roi. L'évêque-comte faisait souvent office de régent lorsque Guillaume se rendait en Normandie, et il est également le candidat le plus probable en tant que commanditaire de la Tapisserie de Bayeux qui, réalisée entre 1067 et 1079, relate les événements clés de la conquête et présente Odon dans un rôle de premier plan dans le drame. Après la conquête, Odon tomba en disgrâce auprès de Guillaume, peut-être pour s'être porté candidat au poste de pape. Ambitieux et immensément riche, Odon est dépeint comme un souverain talentueux et juste ou comme un pilleur impitoyable de terres et de monastères, selon la source médiévale que l'on privilégie.
Enfance
L'année de naissance d'Odon n'est pas connue, bien que certains historiens suggèrent l'année 1030 environ. Nous savons cependant qu'il était le demi-frère de Guillaume, duc de Normandie, partageant la même mère, Arlette de Falaise, fille d'un riche marchand de Rouen. Le père d'Odon était le noble normand Herluin de Conteville. Guillaume, dans une nomination très inhabituelle, nomma son frère adolescent évêque de Bayeux en 1049. D'après Guillaume de Poitiers (mort vers 1090), un rédacteur plutôt élogieux des agissements des normands :
Cet Odon, évêque de Bayeux, était connu pour exceller dans les affaires tant ecclésiastiques que séculaires. En premier lieu, sa bonté et sa prudence sont attestées par l'église de Bayeux, qu'il mit avec grand zèle en excellent ordre et embellit, car, bien que jeune encore, il était plus mûr en capacité que les hommes plus âgés. Ensuite, il servit toute la Normandie et y ajouta de la distinction. Dans les synodes qui s'occupaient des affaires du Christ, dans les conseils où l'on discutait des affaires profanes, il se distinguait à la fois par son discernement et par son éloquence. Tous s'accordaient à dire qu'en matière de munificence, il n'avait pas d'égal dans toute la France.
(cité dans Allen Brown, 39)
Comte de Kent
Odon se joignit à la force d'invasion de son frère William pour attaquer l'Angleterre en 1066 - en effet, il avait été appelé à fournir 100 navires - et était même présent à la bataille d'Hastings cette année-là. En tant qu'évêque, son rôle officiel était d'offrir des prières pour la victoire et de fournir un soutien moral, mais il est représenté au beau milieu des combats sur la Tapisserie de Bayeux, l'histoire visuelle normande de la conquête créée peu après (voir ci-dessous). En Angleterre, Odon fut également un administrateur compétent, agissant en tant que Justiciar ou agent de justice de Guillaume. Il semble donc qu'Odon ait été un évêque hors du commun, tout aussi intéressé par les affaires du monde que par les affaires ecclésiastiques. Il est intéressant de noter que même son propre sceau reflète cette dualité, représentant sur une moitié un évêque tenant son bâton de fonction et sur l'autre un chevalier avec une épée.
Après la bataille d'Hastings et suivant la politique de Guillaume de redistribuer ses nouvelles terres (autrefois détenues par l'élite anglo-saxonne conquise) aux Normands loyaux, Odon fut nommé comte du Kent, un comté qui comprenait les nouveaux châteaux de Douvres et de Rochester, et il reçut de grandes étendues de terres ailleurs en Angleterre. Pratiquement le deuxième homme le plus puissant du pays après le roi Guillaume, Odon finit par posséder de vastes domaines répartis sur 22 comtés. Cependant, la plupart des terres d'Odon se trouvaient dans le Kent, le Buckinghamshire, le Hertfordshire et le Lincolnshire. Le Domesday Book de 1087 évalue leur valeur à 3 000 livres.
Lorsque William retournait sur ses terres en Normandie, ce qu'il fit fréquemment tout au long de son règne, Odon faisait souvent office de régent avec William FitzOsbern, comte de Hereford. Comme Odon avait acquis de nombreuses terres précédemment détenues par des institutions ecclésiastiques, en particulier des monastères, cela peut expliquer pourquoi les chroniqueurs anglais médiévaux, eux-mêmes attachés à ces institutions, dressèrent souvent un portrait plutôt sombre d'Odon. Il convient toutefois de noter que les documents des abbayes de Saint-Augustin, de Saint-Alban, de Canterbury et de l'évêché de Rochester louent tous le comte pour son soutien et sa protection. Dans l'ambiguïté typique de toute la conquête normande, les documents médiévaux anglo-saxons dépeignent Odon comme un seigneur rapace et les sources normandes le présentent comme un propriétaire terrien désireux de promouvoir la paix et la justice.
Odo et la Tapisserie de Bayeux
La célèbre tapisserie de Bayeux n'est pas réellement une tapisserie tissée, mais une pièce brodée de lin à bandes multiples fixée sur une toile de fond. Mesurant 68,38 mètres de long (224 pieds) et 50 cm de large (20 pouces), elle présente 58 scènes de la conquête normande de l'Angleterre et les événements qui la précédèrent. Odon est depuis longtemps considéré le possible parrain de la tapisserie ou le destinataire de l'œuvre achevée. En effet, il figure en bonne place dans l'œuvre elle-même. Un deuxième indice est que le lieu le plus probable de production de la tapisserie est Canterbury, en Angleterre. Le lien avec l'Angleterre est suggéré par le style des scènes cousues qui ressemblent à celles que l'on trouve dans les manuscrits anglo-saxons et par le fait que Canterbury possédait à l'époque une célèbre école de broderie. En outre, le texte latin contient souvent des mots orthographiés à la manière anglaise. Odon était, bien sûr, le comte de Kent, le comté auquel appartient Canterbury.
Une fois terminée, la tapisserie était probablement exposée de temps en temps au public à l'intérieur de la cathédrale de Bayeux, bien que la première référence à celle-ci dans un texte n'apparaisse qu'en 1476, lorsqu'elle figure dans l'inventaire de la cathédrale. Il s'agit néanmoins d'un autre lien avec Odon, et certains chercheurs suggèrent même que la tapisserie fut accrochée pour la première fois dans le grand hall de la résidence privée d'Odon, dans le Kent ou en Normandie. Odon apparaît surtout dans la tapisserie lorsqu'elle raconte la période qui suit le premier débarquement de Guillaume le Conquérant dans le sud de l'Angleterre. À côté des scènes de soldats normands en train de piller ou de cuisiner dans leurs camps, on peut voir l'évêque Odon, assis à une table de dîner, qui bénit le repas, le tout ressemblant remarquablement à une illustration d'un manuscrit de Canterbury de la Cène du Christ.
Lorsque la tapisserie en arrive à la bataille d'Hastings, Odon est représenté vêtu d'une armure complète et brandissant une énorme masse ou massue (bien qu'il puisse s'agir simplement d'un bâton de commandement) afin de pouvoir contribuer à la victoire sans faire couler de sang, ce qui était interdit aux évêques. Le texte latin au-dessus de cette scène se traduit par "Odon rallie les Normands tandis que les Anglais défendent farouchement leur terrain". Dans une autre scène, plus tranquille, Odon est assis aux côtés de Guillaume, avec leur frère Robert de Mortain de l'autre côté du trône.
Vie ultérieure et disgrâce
Bien qu'il ait été extrêmement puissant en Angleterre, Odon ne négligea pas pour autant ses autres responsabilités en Normandie. En juillet 1077, la reconstruction de la cathédrale de Bayeux fut enfin achevée et consacrée par Odon en personne lors de l'une de ses nombreuses visites en Normandie après la Conquête. Trois ans plus tard, de retour sur le sol anglais, il participa aux campagnes du nord de l'année 1080, aux côtés de Robert Curthose (un fils de Guillaume le Conquérant), qui s'attaquèrent avec succès aux raids incessants de l'Écosse sur le Northumberland. Selon Siméon de Durham (mort vers 1129), Odon aurait ravagé les terres du nord de l'Angleterre sur son passage, pillant la cathédrale de Durham, volant un bâton d'évêque orné et tuant et mutilant brutalement des innocents.
Toujours plus ambitieux, Odon eut peut-être le désir de devenir le prochain pape et forma même une armée privée de chevaliers afin de promouvoir sa candidature, ayant déjà préparé le terrain en achetant un somptueux palais à Rome et en remplissant les poches des familles influentes de la ville. Selon une autre version des événements, Odon aurait planifié le contraire et aurait eu l'intention de se rendre à Rome pour protéger le pape de la menace du Saint Empire romain germanique. D'autres motifs possibles de sa chute sont les accusations concernant sa gestion impitoyable de grandes parties de l'Angleterre et même un complot visant à usurper le titre de roi à Guillaume. Il se peut aussi que le roi en ait eu assez des ambitions de son frère et du fait qu'il se remplissait les poches avec les fonds de l'Église. Bien que les raisons précises de cette brouille ne soient pas connues, faisant fi de toute loyauté familiale, William arrêta Odon en 1082. L'évêque-comte fut jugé par le roi en Normandie et emprisonné au château de Rouen. Il est intéressant de noter qu'Odon fut autorisé à conserver ses terres et, lorsque son frère fut gravement blessé en tombant de cheval en 1087, il bénéficia du pardon de William sur son lit de mort et fut libéré. Lorsque le fils de Guillaume, Guillaume II Rufus, hérita du trône (r. 1087-1100), le nouveau roi refusa de perdre son temps avec les manigances de son oncle qui s'était rangé du côté de son ancien compagnon d'armes Robert Curthose dans le conflit pour la couronne d'Angleterre. Ainsi, Odon perdit son château de Rochester lors d'un siège; ses terres furent confisquées et il fut définitivement exilé d'Angleterre.
Aventurier jusqu'au bout des ongles, Odon décida de participer à la première croisade (1095-1102), bien qu'il ait probablement déjà largement dépassé la soixantaine. En route vers le Moyen-Orient en janvier 1097, Odon fit escale en Sicile qui était alors sous contrôle normand. Ce serait là la dernière étape de son voyage vers la Terre Sainte, car il mourut de maladie. Ironiquement, pour un homme aussi lié à l'Histoire de la Normandie et de l'Angleterre, Odon sera enterré loin de chez lui, dans la cathédrale de Palerme.