La Stèle de Mesha (ou Pierre Mohabite) porte une ancienne inscription de Mesha, roi de Moab (fin du 9ème siècle AEC), dont des éléments correspondent à des événements de la Bible hébraïque. L'inscription décrit deux aspects de la façon dont Mesha conduisit le Royaume de Moab à la victoire contre le Royaume d’Israël. Premièrement, il déclare avoir vaincu Israël sur de nombreux fronts, prenant ou récupérant de nombreuses villes et en tuant les habitants. Deuxièmement, Mesha prétend avoir reconstruit ou restauré de nombreuses villes et bâtiments, y compris une forteresse, la résidence du roi et des citernes pour l'eau. Malheureusement, les cinq dernières lignes de l'inscription sont brisées. Ainsi, les chercheurs ne savent pas exactement comment se termine la stèle.
Dans ce qui suit, nous examinerons d'abord comment la stèle fut découverte. Nous présenterons ensuite, un bref résumé de l'inscription, accompagné ensuite d'une traduction complète. Pour comprendre l’objectif du texte, nous examinerons brièvement la fonction de la stèle, puis nous verrons comment elle éclaire plus largement l'histoire de la région. Enfin, deux questions importantes seront abordées: la divinité moabite Kamosh et la représentation de la religion et de la politique d’après la stèle.
La Découverte
La Stèle de Mesha fut découverte en 1868 EC à Dhiban (Jordanie), à une époque où les savants recherchaient des inscriptions et autres preuves de l'historicité de la Bible. Ainsi, lorsque l’orientaliste Charles Clermont-Ganneau apprit que le missionnaire Frederick A. Klein avait découvert une grande pierre portant une inscription à Dhiban, il envoya deux personnes pour plus d'informations. La première fit une copie du texte. Pour des raisons inconnues, le deuxième intermédiaire suscita la colère des villageois, et ceci eut pour conséquence la fracture de la stèle. Après avoir localisé et acheté les différents fragments sur le marché des antiquités, Clermont-Ganneau put reconstituer la pierre entière.
Elle fait 1,15 mètre de haut et 60-68 centimètres de large, on peut y lire 33 lignes. La langue écrite est très probablement le Moabite. La stèle originale est conservée au musée du Louvre à Paris. Une copie est exposée à l'Oriental Institute de l'Université de Chicago.
Résumé de l'Inscription
La stèle est écrite à la 1ère personne, celui qui parle étant Mesha, Roi de Moab (règne à partir d'environ 850 AEC). Moab était situé à l'est d’Israël et de Judée antiques, de l'autre côté de la mer Morte. Au sud de Moab se trouvait Edom et au nord, Ammon.
L'inscription commence en décrivant qui est Mesha. Puis le propos de la pierre est indiqué: "car il m’a sauvé de tous les agresseurs et il m’a fait me réjouir de tous mes ennemis." (traduction du Département des Antiquités orientales du Louvre, Paris). L'adversaire est spécifié comme Israël, car le roi Omri d'Israël avait prit des territoires de Moab. Vers l'époque où Achab, fils d'Omri, était roi (vers 850 AEC), Mesha commença à reprendre le territoire perdu et à reconstruire, tuant des habitants et prenant des esclaves israélites (lignes 7-21). La section suivante du texte décrit diverses choses que Mesha prétend avoir accomplies pour le plus grand bien: reconstruire des villes, construire des citernes pour l'eau, réparer les routes et fournir des terres aux bergers (lignes 22-31). Malheureusement, les cinq dernières lignes du texte ne sont pas claires et sont brisées. Bien que ce soit spéculatif, il est fort probable que ces lignes détaillent davantage les alliances établies par Mesha, ou d'autres campagnes accomplies par lui.
Le Texte de la Stèle de Mesha
C’est moi, Mesha, fils de Kamosh(gad), roi de Moab, le Dibonite. Mon père a régné sur Moab trente ans et moi, j’ai régné après mon père. J’ai construit ce sanctuaire pour Kamosh de Qerihoh, (sanctuaire) de salut car il m’a sauvé de tous les agresseurs et il m’a fait me réjouir de tous mes ennemis.
Omri fut roi d’Israël et opprima Moab pendant de longs jours, car Kamosh était irrité contre son pays. Son fils lui succéda et lui aussi il dit : « J’opprimerai Moab ». De mes jours, il a parlé (ainsi), mais je me suis réjoui contre lui et contre sa maison. Israël a été ruiné à jamais.
Omri s’était emparé du pays de Madaba et (Israël) y demeura pendant son règne et une partie du règne de ses fils, à savoir quarante ans : mais de mon temps Kamosh l’a habité.
J’ai bâti Ba’al-Me’on et j’y fis le réservoir, et j’ai construit Qiryatan.
L’homme de Gad demeurait dans le pays d’ « Atarot depuis longtemps, et le roi d’Israël avait construit pour soi » Atarot. J’attaquai la ville et je la pris. Je tuai tout le peuple de la ville pour réjouir Kamosh et Moab. J’emportai de là l’autel de Dodoh et je le traînai devant la face de Kamosh à Qeriyot où je fis demeurer l’homme de Saron et celui de Maharot.
Et Kamosh me dit : « Va, prends Neboh sur Israël ». J’allai de nuit et je l’attaquai depuis le lever du jour jusqu’à midi. Je la pris et je tuai tout, à savoir sept mille hommes et garçons, femmes, filles et concubines parce que je les avais voués à « Ashtar-Kamosh ». J’emportai de là les vases de Yahwé et je les traînai devant la face de Kamosh.
Le roi d’Israël avait bâti Yahas et il y demeura lors de sa campagne contre moi. Kamosh le chassa de devant moi. Je pris deux cents hommes de Moab, tous ses chefs, et j’attaquai Yahas et je la pris pour l’annexer à Dibon.
J’ai construit Qerihoh, le mur du parc et celui de l’acropole, j’ai construit ses portes et ses tours. J’ai bâti le palais royal et j’ai fait les murs de revêtement du réservoir pour les eaux, au milieu de la ville. Or, il n’y avait pas de citerne à l’intérieur de la ville, à Qerihoh, et je le dis à tout le peuple : « Faites-vous chacun une citerne dans votre maison ». J’ai fait creuser les fossés (autour) de Qerihoh par les prisonniers d’Israël. J’ai construit Aro’er et j’ai fait la route de l’Arnon.
J’ai construit Bet-Bamot, car elle était détruite. J’ai construit Bosor, car elle était en ruine, avec cinquante hommes de Dibon, car tout Dibon m’était soumis. J’ai régné […] cent avec les villes que j’ai ajoutées au pays. J’ai construit […] Madaba, Bet-Diblatan et Bet-Ba’al-Me’on. J’ai élevé là […] menu bétail (?) du pays. Et Horonan où demeurait […] Et Kamosh me dit : « Descends et combats contre Horonan ». J’allai (et je combattis contre la ville et je la pris ; et) Kamosh y (demeura) sous mon règne […] de là […] C’est moi qui […] »
Traduction du Département des Antiquités orientales du Musée du Louvre
Fonction Historique de la Stèle de Mesha comme Justification Divine
Sur la stèle, Mesha emploie les mêmes stratégies impériales que d'autres anciens rois du Proche-Orient: "Un roi doit convaincre son (ses) dieu(x) et ses sujets que ses actes militaires ont des causes justes afin d'obtenir le soutien divin et public" (Na'aman, 1997). Sur la stèle, Mesha réalise cela en notant qu'Israël avait opprimé Moab. De plus, il mentionne à deux reprises que Kemosh, la principale divinité moabite, lui a ordonné d'aller prendre les villes de Nébo et Horonan. Faisant cela, Mesha fournit une justification divine pour les guerres qu'il mena contre Israël. Une rhétorique similaire est présente dans des textes comme l'inscription de Tel Dan par un roi araméen et celui du combat de David contre les Philistins (1 Samuel 23:2), qui illustrent tous deux comment les rois devaient justifier leurs campagnes militaires devant leurs divinités et leurs sujets. Ainsi, la stèle et son inscription sont essentiellement une forme de propagande de Mesha, destinée à justifier ses actions, à la fois auprès des divinités et du peuple. Malheureusement, des fouilles archéologiques mal planifiées à Dhiban, ainsi que la récupération problématique de la stèle, rendent difficile l'identification de son rôle dans un contexte archéologique élargi.
Histoire
Certains aspects de l'inscription de la Stèle de Mesha concordent avec la seule autre source historique contemporaine (2 Rois 3). Mesha payait tribut à Israël sous Achab (2 Rois 3:4). Puis, "à la mort d'Achab, le roi de Moab se rebella contre le roi d'Israël" (2 Rois 3:5). Par la suite, Joram, fils d'Achab, attaqua Moab: "Quand les Moabites vinrent au camp d'Israël, les Israélites se soulevèrent et les frappèrent. Les Moabites fuirent devant eux. Les Israélites avancèrent dans le pays, massacrant les Moabites" (2 Rois 3:24). En résumé, les Moabites furent opprimés par Israël pendant les règnes d'Omri (vers 885-874 AEC), Achab (874-853 AEC) et Joram (854-841 AEC).
La Stèle de Mesha mentionne la même chronologie: "Omri fut roi d’Israël et opprima Moab pendant de longs jours, car Kamosh était irrité contre son pays. Son fils lui succéda et lui aussi il dit : « J’opprimerai Moab »". Bien que le fils ne soit pas mentionné par son nom, il est probablement la progéniture d'Omri, à savoir Joram. C'est un point cohérent entre l’inscription de la stèle et le récit du Livre des Rois. Cependant, la stèle ne mentionne pas comment Omri, Achab et Joram ont mené des campagnes contre les Moabites. De même, le récit de Rois ne détaille pas comment Mesha s'est emparé du territoire israélite.
De plus, le deuxième livre des Rois commente encore sur les Moabites: "Elisée mourut, et on l'enterra. Et des bandes de Moabites envahirent le pays au printemps de cette année-là" (Rois 13:20). Si Elisée mourut vers le début du 8ème siècle AEC, cela suggère que Mesha annexa avec succès certaines régions d'Israël pendant son règne, quelque part entre 840 et 800 AEC. Cependant, les incursions moabites en territoire israélite après le règne de Mesha étaient de moindre ampleur (c'était des groupes de Moabites opposés à l’entité politique moabite).
Les incursions des Moabites en tant que petits groupes plutôt que comme une seule entité politique unifiée à la fin du 9ème siècle AEC peuvent être corroborées par des preuves archéologiques. Celles-ci suggèrent que Dhiban "montre peu d’évidences archéologiques pour être un établissement royal" au 9ème siècle AEC (Dever, 2016). En d'autres termes, Mesha semble avoir tenté de faire de Moab une entité politique plus forte pendant son règne. Bien que les souverains moabites soient mentionnés dans les documents néo-assyriens aux 8ème et 7ème siècles AEC, après le règne de Mesha, l'entité politique forte et indépendante présentée sur la Stèle de Mesha ne s'est néanmoins pas matérialisée. Il est important de noter que cette interprétation peut être sujette à changement, car les études sur l'archéologie moabite ancienne sont problématiques et peu nombreuses.
Il est donc nécessaire d'aborder de manière critique la Stèle de Mesha, et le texte de Rois aussi, car cela concerne l'histoire. On doit confronter la stèle avec d'autres textes historiques, inscriptions et données archéologiques afin d'identifier dans quelle mesure elle reflète des conflits régionaux plus larges, et aussi des préjugés personnels.
La Divinité Moabite: Kamosh
En tant que divinité chtonienne (du monde souterrain), Kamosh apparaît dans les textes dès la fin du 3e millénaire AEC à Ebla, en Syrie. Il apparaît plus tard dans les textes d'Ougarit vers le 13ème siècle AEC. Il apparaît également comme une divinité chthonienne dans les textes néo-assyriens (vers 8ème siècle AEC). Dans le texte de la Stèle de Mesha, il est mentionné dix fois comme la principale divinité moabite. Ainsi, bien que Kamosh soit particulièrement important pour Moab au 9ème siècle AEC, il a fonctionné dans de nombreuses cultures à travers le Levant avant Moab.
Au-delà de la Stèle de Mesha, les chercheurs savent que Kamosh était important pour les Moabites à partir d'autres sites archéologiques et des noms royaux moabites dans les textes néo-assyriens. Une autre inscription moabite, par exemple, est une brève inscription dédicatoire, dans laquelle Mesha prétend avoir construit et dédié un temple à Kamosh. Construire des temples aux divinités comme moyen de montrer son engagement envers la divinité et d'obtenir la faveur divine était courant dans tout le Proche-Orient ancien.
Religion et Politique dans la Stèle de Mesha
Dans tout le Proche-Orient ancien, religion et politique étaient inséparables. Il en est de même pour la Stèle de Mesha. Premièrement, la principale divinité de Moab, à savoir Kamosh, aurait été la cause de l'oppression de Moab et du succès d'Israël dans la guerre et la politique: "Omri, roi d'Israël, avait longtemps opprimé Moab, car Kamosh était en colère contre sa terre" (Gibson, 1971). Mesha prétend donc être devenu le remède et le moyen pour récupérer le territoire selon la volonté de Kamosh. Des sentiments similaires sont exprimés dans la Bible hébraïque, les inscriptions assyriennes et les inscriptions babyloniennes.
Deuxièmement, l'un des moyens par lesquels Mesha établit son règne politique sur l'ancien Israël était d'employer des actions symboliques et religieuses. Ainsi, après avoir vaincu la ville israélite d'Ataroth, il déclara avoir "J’emportai de là l’autel de Dodoh et je le traînai devant la face de Kamosh à Qeriyot". Na'aman suggère que l’autel du dieu Dodoh appartenait à l'origine à Moab, et qu'un roi d'Israël avait précédemment saisi (Na'aman, 1997). Ainsi, cela montre à quel point le retour des matériels religieux à leur place était un moyen de démontrer la puissance politique.
Troisièmement, Mesha fit la démonstration de son succès dans la région en subordonnant les divinités et les matériels religieux étrangers à Moab devant Kamosh: "J’emportai de là les vases de Yahwé et je les traînai devant la face de Kamosh". Plutôt que de simplement vaincre une nation en récupérant ses villes et en tuant des habitants, Mesha confirmait son succès en apportant les objets religieux de Yahweh devant Kamosh. Faisant cela, il subordonnait rituellement Yahweh à Kamosh. Une telle action illustre comment sa tentative d'établir une domination politique sur l'ancien Israël a été accomplie, en subordonnant la divinité principale de l'ancien Israël à la divinité principale de Moab.
Conclusion
Bien que n'étant qu'une parmi des milliers d'inscriptions anciennes, celle de la Stèle de Mesha est l'une des plus longues. Ainsi, elle peut être extrêmement utile pour reconstruire l'histoire. Néanmoins, nous devons veiller à reconnaître que même les inscriptions ont des préjugés à la fois implicites et explicites. Ces préjugés peuvent entraîner une compréhension faussée de l'histoire. Ainsi, la stèle doit, comme pour toute inscription, être confrontée à d'autres données. De plus, nos lectures de telles inscriptions anciennes doivent veiller à ne pas faire de distinction forte entre "politique" et "religion". Il a été démontré que ces catégories étaient plus imbriquées dans le monde antique qu'elles ne le sont dans notre monde d’aujourd’hui.