L'Empire de Trébizonde (1204-1461) était une émanation de l'Empire byzantin, gouverné par la dynastie des Grands Comnènes, descendants des empereurs Comnènes. L'Empire de Trébizonde a été beaucoup moins étudié que l'Empire byzantin, sans parler de l'Empire romain, c'était pourtant le dernier véritable descendant survivant de ces empires. Célèbre pour son commerce lucratif et ses belles princesses, Trébizonde était à la frontière du monde médiéval, située sur la rive sud de la mer Noire, et entourée de puissants empires.
Origines d'un Empire
Après l’assassinat de l'empereur byzantin Andronic Ier Comnène à Constantinople en 1185, le reste de la famille Comnène fut traqué dans une orgie de sang. Les seuls survivants furent les petits-fils d'Andronic Ier, Alexis et David, qui furent sortis clandestinement de la ville et placés en sécurité chez leur parente, la reine Tamar de Géorgie.
En 1204, les frères, alors âgés d'une vingtaine d'années, décidèrent de profiter du chaos qui régnait à Constantinople et de passer à l'action. L'empereur byzantin Alexis III Ange avait fui Constantinople en 1203, et l'armée de la quatrième croisade qui avait placé Alexis IV Ange sur le trône à sa place campait maintenant devant les portes de la ville, attendant la prime d'or promise par le nouvel empereur. En 1204, Constantinople serait mise à sac pour la première fois de son histoire et l'Empire byzantin serait brisé et banni de la "Reine des villes" pendant près de 60 ans.
Alexis et David marchèrent vers la partie orientale de l’Empire byzantin avec les troupes géorgiennes de la reine Tamar et s’emparèrent de la ville portuaire de Trébizonde sur la mer Noire et de la province environnante de Chaldée. Trébizonde avait une longue histoire en tant que ville byzantine semi-autonome sous la famille Gabras, remontant à la fin du 11ème siècle. C’était le port byzantin le plus important de la côte sud de la mer Noire et une plaque tournante majeure pour le commerce. Dans sa nouvelle capitale de Trébizonde, Alexis se proclama empereur Alexis Ier "Grand" Comnène (Megas Comennos en grec, r. de 1204 à 1222).
Prétentions Impériales
Alexis ne se contenta cependant pas de n’être que seigneur de Trébizonde, il se déclara empereur et autocrate des Romains (c’est-à-dire des Byzantins). Son frère David fit marcher son armée vers l’ouest, s’emparant de territoires le long de la côte de la mer Noire en se rapprochant de Constantinople. La plus grande prise fut la ville portuaire de Sinope, ancienne capitale du royaume antique du Pont. Mais en 1214, l'armée de Trébizonde subit un sérieux revers et fut écrasée par l'Empire de Nicée, l'un des trois États successeurs grecs qui émergèrent après que la quatrième croisade eut saccagé Constantinople. Plus tard, la même année, les Turcs seldjoukides arrachèrent Sinope aux Trapézontins, délimitant ainsi l'étendue la plus à l'ouest de l'empire d'Alexis Ier et de ses descendants.
Alexis et ses successeurs maintinrent leur revendication sur le trône de Constantinople, mais ils étaient géographiquement isolés, et si quelqu'un devait reconquérir Constantinople des Latins qui l'occupaient alors, ce devait être l'Empire de Nicée, beaucoup plus proche, ou le Despotat d'Épire, troisième État successeur grec byzantin. L'Empire de Nicée rétablit l'Empire byzantin avec la reconquête de Constantinople en 1261, et en 1282, Jean II Grand Comnène (r. de 1280 à 1297) renonça formellement à ses prétentions impériales.
Bien que Jean II ait renoncé à ses prétentions impériales byzantines, ses successeurs continuèrent à se faire appeler empereurs jusqu'à la fin de l'empire. Mais contrairement aux empires romain ou byzantin, l'Empire de Trébizonde ne connut pas de grandes périodes d'expansion ou de contraction territoriale. Les frontières de l'État étaient fixées dès 1214. L'Empire comprenait la moitié orientale de la côte anatolienne de la mer Noire, la Chaldée (alias Chaldie) et le Pont, ainsi qu'un contrôle lâche sur les anciens territoires byzantins de Crimée, mais cette relation ne fut jamais très forte. Trébizonde devint une Constantinople en miniature, dotée de sa propre basilique Sainte-Sophie.
Établissement & aide Mongole
N'ayant d'empire que de nom, l'empire de Trébizonde avait besoin de s'établir sur la scène mondiale pour survivre. Il était entouré d'États puissants tels que les Turcs seldjoukides et les républiques maritimes italiennes de Gênes et de Venise. Au début, Trébizonde bénéficia énormément de l'aide de la reine Tamar, la plus grande des souveraines géorgiennes médiévales, mais les Mongols écrasèrent ses descendants dans les années 1220. Les Mongols revinrent et écrasèrent les Turcs seldjoukides au début des années 1240, les rayant ainsi de la carte. Au même moment, Manuel Ier Grand Comnène (r. de 1238 à 1263) reprit Sinope en 1254, mais la ville devait être à nouveau perdue à la fin du 13ème siècle.
Grâce à la chance et à la diplomatie, l'Empire de Trébizonde bénéficia énormément de l'arrivée des Mongols dans la région. Bien que ceux-ci aient considérablement affaibli la Géorgie, ils détruisirent les Turcs seldjoukides, et en saccageant Bagdad en 1258, ils détournèrent le terminus de la route de la soie vers Trébizonde. De ce fait, vinrent la richesse et le prestige d'un couloir commercial entre l'Est et l'Ouest. Marco Polo lui aussi passa par la ville à son retour de Chine.
L'Empire mongol fut un précieux mécène de Trébizonde: les richesses de la Route de la Soie affluaient dans la ville. Tout ennemi devait réfléchir à deux fois avant de s'en prendre à l'armée mongole, le mastodonte militaire le plus puissant que le monde ait jamais connu.
Le réalignement de la Route de la Soie rendit Trébizonde extrêmement riche, et elle développa des relations commerciales prospères avec les républiques maritimes italiennes. Cependant, comme pour les empereurs byzantins à Constantinople, les relations avec les Vénitiens et les Génois étaient parfois assez conflictuelles, et ces deux villes établirent de force des colonies commerciales dans la ville.
Divisions Internes
Le 14ème siècle commença bien pour Trébizonde. Alexis II Grand Comnène (r. de 1297 à 1330) réalisa l'expansion la plus méridionale de l'empire de Trébizonde en s'étendant jusqu'à la ville d'Erzurum pendant une courte période, dans les années 1310. Le long règne d'Alexis permit la stabilité nécessaire pour profiter de la richesse apportée par le commerce et pour étendre l'influence de Trébizonde.
Après la mort d'Alexis, l'empire sombra dans une guerre civile de plus d'une décennie. Cette guerre avait toutes les raisons pour elle : des empereurs enfants, des impératrices intrigantes, des fratricides et une succession de sept empereurs entre 1330 et 1349. La véritable guerre civile éclata en 1340, lorsqu'Irène Paléologue (r. de 1340 à 1341), fille illégitime de l'empereur byzantin Andronic III Paléologue (r. de 1328 à 1341), prit le pouvoir après avoir peut-être tué son mari, l’empereur Basile 1er. La famille noble des Amytzantarioi, les mercenaires byzantins et les Génois soutirent Irène. La famille aristocratique des Scholaroi, qui représentait la majeure partie de la noblesse locale de l'empire de Trébizonde, s’opposait à elle.
Irène triompha au début, mais la fille d'Alexis II, Anna Anachoutlou (r. de 1341 à 1342 ), quitta son couvent et gagna le soutien de la population locale, les Lazes, renversant Irène. Cela conduisit à un remaniement des factions: les Amytzantarioi soutinrent Anna et les Scholaroi optèrent plutôt pour une alliance byzantine, faisant venir Jean III Grand Comnène (r. de 1342 à 1344) pour remplacer Anna. Jean fut ensuite remplacé par Michel Ier Grand Comnène (r. de 1344 à 1349), à un moment où les partis s'étaient regoupés en partis nobles grecs (Scholaroi) et Lazes locaux (Amytzantarioi). Le conflit donna lieu à des pertes sanglantes des deux côtés.
Les ennemis de Trébizonde profitèrent naturellement de ces troubles internes. Gênes s'empara de la ville de Kerasus (Kérasonte) et les Turcs conquirent une partie de territoire frontalier et assiégèrent même Trébizonde. De plus, la Peste noire ravagea la population de la région. À la fin de l'année 1349, Michel fut déposé et commença alors le long règne d'Alexis III Grand Comnène (r. de 1349 à 1390).
L'Âge d'Or de Trébizonde
Malgré les ravages de la décennie précédente, Trébizonde rebondit sous le règne d'Alexis III. Elle conserva sa position de centre de commerce majeur et la richesse qui en découlait. L'empire de Trébizonde acquit également sa réputation de diplomatie brillante durant cette période. Les diplomates de l'empire entretenaient des relations étroites avec les Byzantins et les Moutons blancs turcomans, une importante confédération nomade turque limitrophe. Dans le même temps, ils montaient les Génois et les Vénitiens les uns contre les autres.
C'est également sous le règne d'Alexis III que l'Empire de Trébizonde devint célèbre pour sa pratique consistant à marier les princesses impériales, qui étaient réputées pour leur beauté, à ses voisins; ceci avec des dots conséquentes. Leurs mains calmaient le courroux des ennemis, de Constantinople à la Perse.
Même la montée de l'Empire ottoman ne semblait pas avoir arrêté l'empire. En diplomate toujours rusé, l'Empire de Trébizonde s'allia au seigneur de guerre turco-mongol Tamerlan, lequel écrasa les Ottomans à la bataille d'Ankara en 1402 et captura le sultan ottoman Bayezid Ier (r. de 1389 à 1402), le gardant captif dans une cage dorée.
Des Jours Comptés
Mais l'Empire ottoman ne tomba pas. Une fois Tamerlan parti, les Ottomans se regroupèrent et établirent un État tout aussi puissant que celui qui existait avant la bataille d'Ankara. Trébizonde continua ses alliances matrimoniales, mariant des princesses impériales aux puissantes confédérations turcomanes des Moutons Blancs et des Moutons Noirs et à l'Empire byzantin. Ils incluèrent également les royaumes turcs de Sinope et de Karamanie, ainsi que la Géorgie, dans une vaste coalition contre les Ottomans.
Malgré ces tentatives pour contrecarrer l'avancée ottomane, il devint bientôt évident que la conquête serait inévitable. Les Ottomans assiégèrent Trébizonde en 1442 et à nouveau en 1456, la forçant à payer un tribut. Ils absorbèrent dans le même temps les autres vestiges de l'autrefois glorieux Empire byzantin. Constantinople tomba en 1453, et le Péloponnèse indépendant, en Grèce continentale, en 1460.
Le bouquet pour le sultan ottoman Mehmed II (r. de 1451 à 1481) fut David II Grand Comnène (r. de 1460 à 1461) qui intrigua auprès des puissances européennes pour envahir l'Empire ottoman dans le cadre d'une croisade. En un mois seulement, les Ottomans conquirent Trébizonde et mirent fin au dernier véritable descendant de l'Empire byzantin. La branche de Trébizonde en Crimée devait survivre encore jusqu'en 1475, date à laquelle elle fut finalement conquise aussi par les Ottomans.
Héritage de Trébizonde
Trébizonde n'était pas le plus grand ni le plus puissant des États successeurs byzantins, mais c'est celui qui dura le plus longtemps. Il survécut à l’Épire, au Péloponnèse et même à l'Empire byzantin restauré. Les Seldjoukides, les Mongols et des dizaines d'États turcs s'élevèrent et tombèrent autour de lui au fil des décennies.
L'Empire de Trébizonde fut un centre culturel et économique pendant plus de deux siècles et son héritage survit encore aujourd'hui dans la ville turque moderne de Trabzon. La basilique Sainte-Sophie est toujours debout. Elle fut transformée en mosquée après la conquête de la ville par Mehmed II, mais certaines de ses mosaïques ont été aujourd'hui restaurées. D'autres églises de l'époque des Grands Comnènes subsistent également. Les remparts construits sous les empereurs de Trébizonde sont toujours aussi impressionnants actuellement qu'ils l'étaient il y a des siècles.
En termes de population, l'existence de l'Empire de Trébizonde contribua à préserver l'identité grecque dans la région du Pont jusqu'au 20ème siècle. Le peuple local des Lazes a également traversé les siècles et vit encore aujourd'hui dans le nord-est de la Turquie.