Toyotomi Hideyoshi (1537-1598) était un chef militaire japonais qui, avec son prédécesseur Oda Nobunaga (1534-1582) et son successeur Tokugawa Ieyasu (1543-1616), unifia le Japon au XVIe siècle. Hideyoshi, issu d'un milieu modeste, devint le chef militaire du pays. Il réorganisa ensuite le système des classes, instaura des réformes fiscales, fit construire des châteaux, restaura des temples et lança deux invasions de la Corée. Les ambitions internationales de Hideyoshi se soldèrent peut-être par un désastre, mais sa restructuration de l'État permit d'établir les normes sociales et politiques qui perdurèrent au Japon jusqu'au XIXe siècle.
Nobunaga et la prise de pouvoir
Hideyoshi, qui s'appelait à l'origine Kinoshita Hiyoshimaru, vit le jour dans une famille de paysans en 1537. Jeune homme, il rejoignit l'armée du chef militaire/seigneur Oda Nobunaga et gravit les échelons jusqu'à devenir général et le plus important commandant militaire dans les efforts de Nobunaga pour conquérir les seigneurs féodaux rivaux et ainsi unifier le Japon. Hideyoshi avait sans doute gagné le respect de son suzerain en tant que commandant, mais son petit gabarit conduisit Nobunaga à lui donner le surnom peu flatteur de Saru, ou "singe".
En 1582, Nobunaga fut trahi par l'un de ses vassaux, Akechi Mitsuhide, et dut se suicider pour éviter d'être livré à ses rivaux. Hideyoshi, qui dans un prenier temps tua Mitsuhide, manœuvra ensuite pour obtenir le soutien des relations de Nobunaga et d'autres daimyo ou seigneurs féodaux importants. Il put ainsi s'imposer en tant que nouveau maître militaire du Japon, qui n'était encore unifié qu'à moitié.
Hideyoshi, à la tête d'une force de quelque 200 000 hommes, combina avec succès les campagnes militaires et la diplomatie auprès des daimyo rivaux pour s'imposer comme le maître de la majeure partie du Japon en 1590. Au cours d'une période de cinq ans débutant en 1585, Hideyoshi attaqua l'ouest du Japon, Kyushu et Shikoku. Les succès se succédèrent, mais il y eut quelques batailles difficiles, notamment le siège de 100 jours nécessaire pour prendre le château d'Odawara, siège de la puissante famille Hojo. Le château finit par tomber en 1590 et constitua le dernier obstacle à la domination de Hideyoshi. D'autres ennemis s'étaient montrés plus enclins à la négociation et se virent offrir la possibilité de conserver certaines de leurs terres. Parmi eux, les Shimazu de Satsuma et les Mori de Choshu.
Comme beaucoup d'autres chefs militaires avant et après lui, Hideyoshi avait beau dominer le champ de bataille, il chercha néanmoins à obtenir la légitimité de la part de la monarchie. Pour s'attirer les faveurs de l'empereur, qui n'avait pas de pouvoir réel, il finança les cérémonies de la cour et reconstruisit le palais de la capitale, Heiankyo (Kyoto). Hideyoshi ajouta une autre revendication, beaucoup plus bizarre, à sa légitimité à régner en déclarant qu'il croyait être le descendant du dieu soleil shintoïste. Il y eut même des représentations de théâtre nô racontant cette histoire, auxquelles Hideyoshi participa en personne. La cerise sur le gâteau fut lorsque Hideyoshi adopta le prestigieux nom de famille de Fujiwara, commença à se faire appeler Toyotomi Hideyoshi et finit par s'attribuer le titre de Taiko ("régent en retraite"), qui était plus élevé que celui de shogun, le titre que ses prédécesseurs militaires avaient pris.
Châteaux et fortifications
Pour sécuriser ses gains et maintenir son emprise sur le pouvoir, Hideyoshi fit construire plusieurs fortifications importantes et ordonna la destruction de tous les châteaux secondaires susceptibles d'être utilisés par un rival. Hideyoshi fit construire la première version du château de Himeji (préfecture de Hyogo) en 1581 qui comprenait un donjon de trois étages. Le célèbre château tel qu'on le voit aujourd'hui fut remodelé par Ikeda Terumasa (1564-1613) dans la première décennie du XVIIe siècle. Un autre château célèbre construit par Hideyoshi est le pittoresque Momoyama ("montagne des pêches") à Heiankyo, qui donna son nom à la période Azuchi-Momoyama (1568/73-1600). La capitale fut également dotée d'un immense mur d'enceinte, l'Odoi ("Grand rempart"), en 1591. D'une longueur totale d'environ 22,5 km, certains tronçons du mur de terre et de bambou mesuraient 6 mètres de haut et 9 mètres d'épaisseur, l'ensemble étant protégé par des douves.
Un troisième grand château attribué à la manie de construire de Hideyoshi est le château d'Osaka, construit en 1586 au bord de la rivière Kiso et doté d'un donjon de sept étages et de murs défensifs massifs en pierre. Enfin, un quatrième château fut construit à Fushimi, à l'extérieur de la capitale, en 1594, mais il fut détruit par un tremblement de terre à peine deux ans plus tard, mais il fut reconstruit. Fushimi était si richement décoré qu'il fut surnommé le "palais d'or". La version moderne reconstruite de ce château, construite en 1964, abrite aujourd'hui un musée entièrement consacré à Hideyoshi.
Politiques gouvernementales
Hideyoshi est connu pour sa politique et ses réformes lorsqu'il gouvernait le Japon. Pour financer l'État, il préleva des impôts sur la paysannerie et les activités commerciales d'Osaka et de Sakai. Les seigneurs féodaux régionaux devaient construire leurs propres fortifications et rassembler leurs guerriers pour le service national en cas de besoin. Pour éviter qu'un seigneur de guerre rival ne devienne trop puissant, Hideyoshi déplaça les domaines de certains d'entre eux pour les éloigner de la capitale et leur imposa certaines restrictions telles que l'interdiction des mariages d'alliance et la collecte d'otages qui devaient être gardés à Heiankyo.
Entre 1582 et 1598, Hideyoshi, poursuivant la politique de son prédécesseur, entreprit un vaste recensement des terres et compila des statistiques sur les quantités de riz produites et les lieux de production afin de déterminer avec plus de précision les impôts à payer par chacun. Il encouragea également une plus grande utilisation des transports pour stimuler l'économie.
En 1591, Hideyoshi mit au point un système de classes rigide avec différents niveaux pour les guerriers (shi), les fermiers (no), les artisans (ko) et les marchands (sho), le système souvent appelé shi-no-ko-sho. Chaque classe se voyait attribuer une importance basée sur sa valeur de production, et aucun mouvement entre les niveaux n'était autorisé, ce qui signifie, par exemple, que seul un jeune homme né dans une famille de samouraïs pouvait devenir samouraï. Le revers de la médaille est que les samouraïs ne pouvaient pas non plus quitter la profession. Autre conséquence: les samouraïs ne pouvaient plus être à la fois guerriers et agriculteurs à temps partiel, comme ils l'avaient été par le passé, et devaient donc choisir un mode de vie plutôt qu'un autre, ce qui les rendait entièrement dépendants de leur seigneur pour leur salaire s'ils choisissaient de servir en tant que samouraïs. Ce système, bien qu'un peu confus dans la pratique et certainement pas imposé partout de manière rigide, resterait en place pendant toute la période Edo (1603-1868).
En 1587, Hideyoshi adopta un édit visant à expulser tous les missionnaires chrétiens du Japon, mais il ne fut appliqué qu'à moitié. Préoccupés par le fait que les Jésuites encourageaient la persécution des croyants bouddhistes et shintoïstes et que les commerçants portugais vendaient des Japonais comme esclaves, un autre édit fut adopté en 1597. Cette fois, l'intention était plus sérieuse: 26 chrétiens furent mutilés et exécutés par crucifixion à Nagasaki, dont des prêtres qui avaient défié le premier édit. Pourtant, après ce début brutal, la campagne visant à débarrasser le Japon de cette religion étrangère fut largement abandonnée car elle n'était pas pratique et, de toute façon, Hideyoshi ne voulait pas compromettre le commerce lucratif de la soie contre de l'argent avec Macao, sous contrôle portugais. La préoccupation du dirigeant japonais pour le commerce est mise en évidence par sa campagne déterminée pour éliminer les pirates wako qui sévissaient dans les mers d'Asie de l'Est. Hideyoshi autorisa les navires pirates à commercer légitimement, à condition qu'ils portent son sceau rouge personnel, d'où leur nom commun de shuin-sen ou "navires à sceau rouge".
Outre les croyances religieuses traditionnelles japonaises, Hideyoshi était également un promoteur et un grand mécène des arts, même si c'était surtout pour meubler son impressionnante collection de châteaux et de palais. Le Taiko trouva même le temps et l'argent nécessaires pour aider certains sites religieux, notamment en ajoutant la salle d'assemblée Senjokaku, le plus grand bâtiment du sanctuaire d'Itsukushima dans la préfecture d'Hiroshima, et en restaurant le temple bouddhiste Daigoji à Heiankyo.
En 1588, Hideyoshi encouragea une paix durable en interdisant le port d'armes à toute personne autre que les membres de la classe guerrière, une stratégie utilisée par ses prédécesseurs. Des "chasses au sabre" permirent de s'assurer que personne en dehors de son armée ne possédait de sabres, d'arcs, de lances ou de mousquets. Les armes confisquées furent fondues et transformées en un bouddha géant pour Heiankyo et en plusieurs cloches pour orner les temples. Malgré ces mesures et en raison du système rigide de classes de samouraïs et de la militarisation générale du Japon, Hideyoshi pouvait toujours faire appel à une armée impressionnante en cas de besoin, et celle-ci était équipée de mousquets et de canons. La question était de savoir ce qu'il fallait en faire.
Les campagnes de Corée
En 1592 et 1597, Hideyoshi tenta à deux reprises de conquérir la Corée (et, de là, de pénétrer en territoire chinois), mais aucune de ces tentatives ne fut couronnée de succès. Hideyoshi amassa une énorme force de combat composée de 158 000 samouraïs et d'une marine de 9 200 marins. En réserve, il disposait de 100 000 hommes armés supplémentaires. Cette armée fut envoyée en Corée, mais Hideyoshi, lui, resta au Japon.
Au début, les choses se passaient bien pour les Japonais qui rencontrèrent une armée coréenne totalement impréparée. Ils s'emparèrent de Pyongyang et arrivèrent à 20 jours de Séoul, mais la logistique devint décisive et les réserves s'amenuisèrent. Finalement, les défenseurs se rallièrent et la marine coréenne, grâce à son amiral talentueux Yi Sun-sin, remporta plusieurs engagements importants. Les envahisseurs en furent réduits à défendre une ligne de forts côtiers (wajo), mais même ceux-ci furent abandonnés après la mort de Hideyoshi.
Les échecs en Corée rendirent impossibles les relations commerciales mutuellement bénéfiques entre les deux pays. La dynastie chinoise des Ming (1368-1644) avait envoyé une aide militaire aux Coréens, ce qui joua un rôle décisif dans l'issue de l'invasion, car elle voyait sans doute la menace à plus long terme qui pesait sur ses propres frontières. L'empereur Wanli (r. de 1573 à 1620) avait cependant bien trop investit dans la campagne, ce qui allait contribuer à la chute du régime Ming au milieu du XVIIe siècle, d'abord lorsqu'une armée rebelle s'empara de Pékin, puis lorsque les Mandchous établirent la dynastie Qing (1644-1911). Les guerres ne favorisèrent pas non plus l'agriculture coréenne, dont les niveaux de production mettraient deux siècles à se rétablir. Cette débâcle eut cependant un effet secondaire bénéfique: Hideyoshi déplaça de force les potiers coréens dans la région de Kyushu, au Japon. Les Coréens étaient des experts en céramique de classe mondiale, et ce transfert de connaissances contribua à lancer l'industrie japonaise de la porcelaine à partir du XVIIe siècle.
Outre l'industrie de la céramique, Hideyoshi contribua également à développer la forme définitive de la cérémonie du thé japonaise. Pour ce faire, il nomma Sen no Rikyu (1522-1591) maître de thé officiel, et c'est lui qui donna le ton et le cadre de la cérémonie qui suivit par la suite. Malheureusement pour Rikyu, il tomba en disgrâce auprès de Hideyoshi pour des raisons inconnues et fut contraint de se suicider. Hideyoshi lui-même avait deux maisons de thé pour la cérémonie, ce qui illustre peut-être la complexité de l'homme - l'une était une maison rustique traditionnelle avec des matériaux simples et l'autre un monument doré de bling-bling et de mauvais goût dans le château de Fushimi.
Décès
Hideyoshi mourut de causes naturelles le 18 septembre 1598, mais sans héritier opérationnel, son fils n'ayant que 5 ans à l'époque. Avant la naissance de son fils, Hideyoshi avait choisi son neveu, Hidetsugu, comme héritier officiel, mais à la nouvelle de la naissance de son fils, le neveu avait été écarté. Symptôme peut-être de la paranoïa croissante du chef âgé, qui craignait que ses rivaux ne conspirent contre lui, Hidetsugu avait été contraint de commettre un suicide rituel et sa femme, ses trois jeunes enfants et ses serviteurs furent tous exécutés.
Hideyoshi avait fait en sorte que cinq ministres de haut rang (tairo) se partagent le rôle de régent pour son jeune fils, mais en fin de compte, ces hommes ne firent que se battre entre eux pour la suprématie. Le nouveau maître du Japon serait Tokugawa Ieyasu (r. de 1603 à 1605), qui remporta la bataille de Skeigahara contre les généraux qui soutenaient le fils de Hideyoshi. Ieyasu établit ainsi le shogunat Tokugawa, qui vit finalement l'unification complète du Japon et qui connut ensuite quelque 250 années de paix. Comme le dit le vieux dicton japonais, "Nobunaga a préparé le gâteau, Hideyoshi l'a fait cuire et Ieyasu l'a mangé" (Beasley, 117).
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