Amastris

Définition

Branko van Oppen
de , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 11 juin 2019
Disponible dans ces autres langues: anglais, persan, Turc
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Coin of Amastris (by Heritage Auctions, Copyright)
Pièce d'Amastris
Heritage Auctions (Copyright)

Amastris (c. 340/39-285 av. J.-C.) était une nièce du roi perse Darius III (r. de 336 à 330 av. J.-C.) par son père Oxyathres. Elle fut mariée successivement à Cratère, général d'Alexandre, au tyran Denys d'Héraclée, et enfin à Lysimaque de Thrace. Elle fonda une ville éponyme en Paphlagonie et fut la première reine à émettre des pièces de monnaie à son nom. Amastris, mère de quatre enfants, aurait divorcé pour que Lysimaque puisse épouser Arsinoé II et aurait été assassinée par ses fils pour s'être mêlée de leurs affaires. Malgré leur divorce, Lysimaque vengea sa mort en tuant ses fils. Les chercheurs ont pour la plupart ignoré Amastris et laissé les quelques détails connus de sa vie aussi contradictoires que les sources anciennes les présentent. Pourtant, cette reine peu connue est sans doute la première véritable reine hellénistique, car elle incarne l'enchevêtrement des traditions perses et gréco-macédoniennes.

La dernière princesse achéménide

Fille du prince Oxyathres, frère du dernier roi perse Darius III Codoman, Amastris était en fait la dernière princesse achéménide. Bien que sa mère soit inconnue, la seule femme associée à son père est une concubine égyptienne appelée Timosa. Après la bataille d'Issos (333 av. J.-C.), Alexandre le Grand trouva Amastris parmi les autres femmes royales et nobles laissées par Darius à Damas. Lors de la grande cérémonie de mariage à Suse, près d'une décennie plus tard (324 av. J.-C.), alors que les hauts commandants macédoniens étaient mariés à des femmes perses et médianes, Alexandre donna Amastris à son général Cratère - le seul compagnon, à part Héphaïstos, à épouser une princesse perse. Les historiens affirment que Cratère, célèbre pour son attachement à la tradition macédonienne, répudia Amastris pour épouser Phila, la fille du régent macédonien Antipater. Comme la royauté et la noblesse macédoniennes pratiquaient la polygamie, Cratère n'eut pas besoin de se séparer d'une épouse pour en épouser une autre. Cratère, cependant, allait bientôt tomber au combat (321 av.J.-C.).

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Denys d'Héraclée

L'historien antique Memnon laisse entendre qu'Amastris ne fut pas abandonnée, puisqu'elle s'offrit en mariage au tyran Denys d'Héraclée du Pont (c. 360-305 avant J.-C.) - avec le consentement de Cratère. Elle donnera à Denys trois enfants, nommés Amastris, Cléarque et Oxyathres. Ces prénoms sont significatifs car ils illustrent son haut rang de princesse perse. Amastris était en mesure d'offrir à Denys des informations précieuses sur les rouages de la noblesse perse, elle avait reçu une éducation grecque dans les années précédant la cérémonie de mariage à Suse, et elle avait peut-être acquis une bonne impression des affaires en Macédoine grâce à son premier mari.

Amastris pouvait offrir à Lysimaque son trésor, de nouvelles relations diplomatiques avec la noblesse perse et un lien symbolique avec les Achéménides.

Denys profita de son mariage pour étendre sa sphère d'influence en Bithynie - comme il le faisait depuis la bataille du Granique (334 avant J.-C.) et l'effondrement final du pouvoir perse. En effet, dans le même passage, l'historien antique Memnon écrit que, grâce à son mariage avec Amastris, Denys put accroître considérablement sa fortune, renforcer et étendre son pouvoir, et améliorer le bien-être et la bonne volonté de ses sujets.

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Peu avant sa mort, Denys suivit Antigone Ier Monophthalme (382-301 avant J.-C.) et les autres successeurs en revendiquant le titre de basileus ("roi" ; vers 306/5 av. J.-C.). La nature de sa mort était apparemment une mise en garde populaire contre le luxe et la gloutonnerie, car l'histoire est conservée dans Athénée, Élien et Photios (ces trois récits remontent probablement à Nymphis d'Héraclée, qui était le proche contemporain de Denys). On dit que Denys mourut à l'âge de 55 ans d'asphyxie à cause de son énorme obésité après que ses médecins aient essayé de le maintenir en vie en le perçant avec de grandes aiguilles. Avant sa mort (vers 305 av. J.-C.), Denys avait installé Amastris comme régente pour leurs fils mineurs Cléarque et Oxyathres. Dans un premier temps, elle gouverna avec le soutien d'Antigone, jusqu'à ce que celui-ci ne soit fortement distrait par la grande coalition formée contre lui par les diadoques Cassandre (c. 355-297 avant J.-C.), Ptolémée Ier (366-282 avant J.-C.), Séleucos Ier Nicator (358-281 avant J.-C.) et Lysimaque (vers 355-281 avant J.-C.).

Lysimaque de Thrace

Amastris resta au pouvoir à Héraclée pendant trois ans. Entre-temps, Lysimaque avait été affecté à la Thrace après la mort d'Alexandre (323 av. J.-C.) ; il revendiqua la royauté comme les autres successeurs (vers 305 avant J.-C.) et chercha ensuite à étendre sa domination. Il franchit ainsi l'Hellespont et envahit l'Asie Mineure en 302 avant notre ère. A la fin de la campagne, raconte l'historien antique Diodore de Sicile:

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Lysimaque avait établi son quartier d'hiver dans la plaine de Salmonia; il fit venir des vivres d'Héraclée, dont les habitants lui étaient attachés depuis le mariage qu'il avait contracté parmi eux: il avait épousé Amastris, fille d'Oxyathres et nièce du roi Darius; elle avait été donnée par Alexandre en premières noces à Cratère, et régnait souverainement sur Héraclée. Tel était l'état des affaires en Asie. (Diod. 20.109.6-7.)

De toute évidence, leur mariage était politique, car tous deux avaient à gagner de leur alliance matrimoniale. Pour Amastris, l'avantage de passer d'Antigone à Lysimaque était avant tout d'assurer sa propre position et celle de ses enfants en évitant l'annexion d'Héraclée.

Lysimaque, quant à lui, avait besoin de soutien contre Antigone. Le mariage permettait d'éviter une confrontation militaire et la nécessité d'avoir des garnisons dans la région. Amastris pouvait également lui offrir son trésor, sans parler des relations diplomatiques supplémentaires avec la noblesse perse et d'un lien symbolique avec les Achéménides, dont Lysimaque pourrait éventuellement avoir besoin pour renforcer sa position contre Séleucos. Héraclée offrait également à Lysimaque un port sur la mer Noire et le contrôle des voies d'accès de l'est et de l'ouest. Certes, Lysimaque était déjà marié - et il était explicitement reconnu comme étant polygame. Comme les autres Macédoniens, Lysimaque, un ami proche d'Alexandre et l'un des plus hauts commandants de l'armée, avait dû recevoir une épouse lors de la cérémonie de mariage de Suse ; il épousa ensuite Nicée, la fille cadette d'Antipater, à l'époque de la colonie de Triparadis (320/19 av. J.-C.).

Coin of Lysimachus
Monnaie de Lysimaque
Classical Numismatic Group (Copyright)

Après la bataille d'Ipsos (301 avant J.-C.), au cours de laquelle Antigone fut tué, Lysimaque convoqua Amastris dans la capitale lydienne, Sardes. Son fils Cléarque fut établi comme souverain d'Héraclée du Pont à la suite de son père et partagerait plus tard le pouvoir avec son jeune frère Oxyathres. La mesure dans laquelle ils purent conserver une certaine autonomie vis-à-vis de Lysimaque est discutable. On pourrait supposer qu'Amastris rejoindrait Lysimaque à sa cour en Thrace, bien qu'il n'y ait aucune preuve à l'appui. Bientôt (vers 300/299 avant J.-C.), il épouserait en outre Arsinoé, une fille de Ptolémée Ier d'Égypte. La plupart des spécialistes soutiennent que Lysimaque était monogame en série et qu'il avait donc divorcé d'Amastris. Il est vrai qu'Amastris finit par retourner à Héraclée, on peut donc en déduire qu'elle s'était séparée de son troisième mari.

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De la Bithynie à la Paphlagonie

Normalement, les reines ne quittaient pas la cour du roi ; les épouses étaient censées rester auprès de leurs maris. Amastris, cependant, avait au moins initialement résidé à Sardes, et Arsinoé II fut ensuite installée par Lysimaque comme sa représentante royale à Éphèse. En fait, il aurait été dans l'intérêt de Lysimaque de conserver Amastris, et on pourrait suggérer que (comme Arsinoé plus tard à Éphèse) Amastris était établie sur la côte pontique pour gouverner au nom de son mari. De plus, son fils Cléarque se joignit à la campagne de Lysimaque contre les Gètes (tribus thraces situées le long du Bas-Danube ; vers 293/2 avant notre ère). Une telle alliance semble peu probable si Lysimaque avait répudié la mère de Cléarque plusieurs années auparavant.

Amastris fonda une nouvelle ville (l'actuelle Amasra) et émit une monnaie d'argent à son nom.

Le retour d'Amastris à Héraclée bouleversa la position de ses fils car sa présence signifia qu'elle reprit le contrôle de la ville. Elle aurait difficilement pu le faire sans le consentement de Lysimaque. On dit en effet qu'elle redonna vie à la cité dès son arrivée. Elle fonda alors une nouvelle ville à son nom (l'actuelle Amasra) au-delà de la rivière Parthenios (Bartın Çayı) sur la côte paphlagonienne entre Héraclée et Sinope. De plus, Amastris émit une monnaie d'argent à son nom avec la légende inversée "Basilissês Amastrios." Bien que le mot basillisa désigne plus largement " femme royale ", il ne peut signifier ici que "reine".

Si Phila, l'épouse de Démétrios Ier de Macédoine (c. 336 - c. 282 avant J.-C.), fut la première femme à recevoir le titre de basilissa (vers 305/4 av. J.-C.), ces pièces sont les premières à être émises au nom d'une reine ou d'une femme vivante et doivent donc être interprétées comme une affirmation audacieuse de l'autorité féminine. Il serait pour le moins remarquable que la Perse Amastris ait régné de manière indépendante, c'est-à-dire en tant que souveraine et non en tant qu'épouse d'un roi. Elle était royale de naissance, Denys avait revendiqué la royauté peu avant sa mort, et Lysimaque avait également revendiqué la royauté. Il semble donc que Lysimaque ait fait en sorte qu'Amastris règne en tant que reine sur la côte paphlagonienne.

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L'avers des statères d'argent d'Amastris présente une tête jeune et vigoureuse, coiffée d'un bonnet de type phrygien ou perse, ornée d'une couronne de laurier et, sur les émissions posthumes, d'une étoile à huit rayons ; sur certaines des émissions les plus anciennes, on peut voir un arc et un carquois derrière la nuque. Le portrait a été diversement attribué à Attis, Men, Mithra, Persée, Amastris en personne ou son homonyme amazonienne.

Le revers présente une figure féminine voilée, vêtue d'un vêtement plissé, assise sur un trône à coussin et tenant un sceptre floral à sa gauche. Dans la paume de sa main droite tendue, elle tient soit un petit Eros ailé, soit une Niké. La figurine d'Éros offrirait un ruban à une tête rayonnante d'Hélios au-dessus ; la figurine de Niké offrirait une couronne à la femme. La femme sur le trône a été identifiée comme étant Aphrodite, Anaïtis (Anahita), Inanna (Ishtar), et à nouveau comme étant la reine en personne. Ces revers correspondent en fait à l'Athéna Nikephoros assise de la monnaie de Lysimaque frappée après la bataille d'Ipsos. Amastris adopta donc l'imagerie de son mari et l'adapta à son propre contexte.

Coin Portrait of Pharnabazus, Satrap of Ionia
Pièce avec le portrait de Pharnabaze, satrape d'Ionie
Classical Numismatic Group (Copyright)

La coiffe sur le portrait de la jeune femme représente un bonnet perse plutôt que le type phrygien. Cette coiffe apparaît régulièrement sur la monnaie satrapale de l'Empire achéménide. L'avers de la monnaie d'Amastris exprime donc le droit de la reine à régner en tant que représentante du roi, mais le fait en termes persans et proclame ainsi fièrement son héritage royal. La femme trônant sur les revers porte un voile - qui n'est pas un attribut courant d'Aphrodite, mais un symbole de chasteté et de statut maternel, de sorte qu'une assimilation avec Anaïtis est probable. Dans l'idéologie perse et hellénistique, le bandeau qu'Éros offre à Hélios est un attribut qui dénote la prérogative royale de régner. La tête rayonnante du dieu du soleil pourrait alors être interprétée comme une assimilation à Mithra. En bref, dans le style hellénistique, Amastris annonçait sa prétention à la royauté, en tant que représentante du roi, en tant que dernière descendante survivante de la maison royale perse, et en tant qu'intermédiaire des dieux Hélios-Mithra et Aphrodite-Anaïtis.

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Mort et retombées

On ignore combien d'années se sont écoulées après qu'Amastris soit revenue de la cour de Lysimaque, qu'elle ait pris le contrôle d'Héraclée, fondé une nouvelle ville et émis des pièces de monnaie d'au moins dix sous-types qui proclamaient son autorité (bien qu'une période comprise entre cinq et dix ans semble probable). Ses fils, Cléarque et Oxyathres, ne semblent pas avoir été en mesure de parvenir à un accord avec elle et Lysimaque. Peut-être dans le but de proclamer leur indépendance, les frères assassinèrent leur mère en la noyant en mer. À la mort d'Amastris (vers 285 av. J.-C.), Lysimaque arriva à Héraclée comme pour approuver la succession de Cléarque et d'Oxyathres, faisant preuve de son habituelle "amitié" et "affection paternelle". Il vengea ensuite la mort d'Amastris en faisant tuer les matricides. Lysimaque remplaça la tyrannie d'Héraclée par un gouvernement démocratique et plaça la ville sous sa protection directe. Il emporta les trésors des tyrans et retourna en Thrace.

Les relations conjugales au niveau dynastique dont il est question ici servaient des objectifs pragmatiques, diplomatiques et politiques, plutôt que personnels, malgré les affirmations contraires répétées des sources antiques. Alexandre et ses successeurs ne s'étaient pas mariés par amour, même si l'affection ou l'attirance purent jouer un rôle. La croyance en la romance entrave gravement notre compréhension des pratiques dynastiques hellénistiques. La notion ancienne et moderne de la supposée monogamie sérielle des rois est, en outre, gravement erronée.

Tout comme les autres diadoques, Lysimaque s'employa à propager sa gloire dynastique en parsemant le paysage de son royaume de colonies portant son nom et celui de ses épouses. Parmi ces villes figurent Lysimacheia en Thrace (l'actuelle Gallipoli), Nicée en Bithynie et Arsinoé sur le site d'Ephèse, en plus de la ville d'Amastris. Les fondations de villes servaient des objectifs symboliques et idéologiques, en plus des fonctions économiques et militaires. Fonder des villes à travers le royaume et faire circuler des pièces de monnaie au nom de ses épouses était une politique dynastique visant à rehausser la gloire de sa famille royale. Cette politique visait à accroître la présence de son pouvoir et à augmenter l'apparence de l'influence de ses épouses.

En résumé, Amastris accéda au pouvoir au début du IIIe siècle avant J.-C. et fut, à proprement parler, la première reine hellénistique. D'autres femmes royales ont peut-être reçu le titre de basilissa avant elle - notamment Phila et Apama - mais aucune autre reine hellénistique n'avait fondé de villes ou émis des pièces de monnaie avant elle, et aucune n'était de descendance royale perse. L'examen des preuves qui subsistent, bien que contradictoires, a permis de réévaluer la vie d'Amastris. Plutôt qu'un pion dans les jeux matrimoniaux dynastiques, sa carrière remarquable et les circonstances de sa mort la présentent comme un agent redoutable qui fut d'une valeur inestimable pour les hommes qu'elle épousa. Lysimaque, dont le but royal était certainement d'agrandir son royaume autant que possible, employa ses reines comme représentantes de son pouvoir. Amastris, par ailleurs, semble avoir promu son héritage perse avec fierté.

La version originale de cet article a été publiée sur AncientWorldMagazine.com.

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Bibliographie

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Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Auteur

Branko van Oppen
Branko van Oppen est commissaire d'exposition et chercheur indépendant, spécialisé dans la royauté ptolémaïque et dans l'art et l'idéologie hellénistiques.

Citer cette ressource

Style APA

Oppen, B. v. (2019, juin 11). Amastris [Amastris]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-18304/amastris/

Style Chicago

Oppen, Branko van. "Amastris." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le juin 11, 2019. https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-18304/amastris/.

Style MLA

Oppen, Branko van. "Amastris." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 11 juin 2019. Web. 20 nov. 2024.

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