La Donation de Constantin (Donatio Constantini ou Donatio) est un faux médiéval datant du VIIIe siècle qui prétend être un document original du IVe siècle dans lequel l'empereur romain Constantin le Grand (r. de 306 à 337) accorde le pouvoir temporel et spirituel suprême à l'Église.
Le document prétend que vers 315-317, Constantin aurait été guéri de la lèpre par le pape Sylvestre Ier (315-335) et, en remerciement, aurait cédé son pouvoir et ses terres au pape, qui les lui aurait généreusement rendus, permettant ainsi à l'empereur de régner.
La donation de Constantin fut très probablement rédigée, et presque certainement utilisée, pour contraindre Pépin le Bref, roi des Francs (r. de 751 à 768) à céder à l'Église, sous le pape Étienne II (752-757), les terres qu'il avait conquises sur les Lombards; elle aurait été utilisée à nouveau - cette fois sans effet - avec le fils de Pépin, Charlemagne (742-814), et fit de nombreuses apparitions tout au long des règnes des monarques européens ultérieurs jusqu'à ce que le prêtre et érudit Lorenzo Valla (c. 1407-1457), vers 1439-1440, ne prouve qu'il s'agissait d'une falsification.
Contexte de la donation
On ne sait pas exactement quand la Donation de Constantin fut écrite, mais il est presque certain qu'elle fut rédigée entre 751 et 756, entre le début du règne de Pépin le Bref et la date à laquelle il donna à l'Église la Donation de Pépin, une importante concession de terres sur les territoires qu'il avait conquis sur les Lombards.
La dynastie mérovingienne (c. 450-751) régna sur les Francs du nord de la Gaule, perdant progressivement du pouvoir et de l'autorité jusqu'à ce que, sous le règne du roi Childéric III (r. de 743 à 751), la monarchie n'ait presque plus d'influence et que les décisions ne soient prises par le maire du palais (équivalent du Premier ministre), qui était alors Pépin le Bref. Childéric III vivait dans un monastère depuis environ 747, tandis que Pépin assumait toutes ses responsabilités.
Pépin se lassa d'être le pouvoir derrière le trône mérovingien, d'émettre des dictats dont Childéric III était crédité, et écrivit au pape Zacharie (en poste entre 741 et 752) pour lui expliquer la situation et lui demander s'il était juste qu'un souverain impuissant continue à porter le titre de roi (Hollister, p. 108). Zacharie était alors submergé par divers problèmes qu'il avait du mal à gérer. Les Lombards s'étaient emparés de vastes étendues de terre en Italie, élargissant leurs territoires en prenant ceux autrefois revendiqués par la papauté.
Dans le même temps, l'Église de Rome était menacée par l'Église d'Orient et sa déclaration condamnant les icônes (la première controverse iconoclaste) comme étant de l'idolâtrie païenne. L'Église orientale déclarait que toute représentation du Christ ou des saints dans l'art n'était rien d'autre qu'une continuation des pratiques païennes, était en conflit avec Exode 20 qui interdisait les images taillées, et bannissait toutes ces images de ses églises, demandant à l'Église de Rome de faire de même dans l'intérêt d'une vision chrétienne unie.
L'Église romaine n'avait aucun intérêt à se plier à cette exigence, mais elle était tellement affaiblie à cette époque qu'elle ne semblait pas avoir le choix. La lettre de Pépin dut apparaître comme une véritable aubaine pour Zacharie, qui comprit qu'on lui offrait l'occasion d'élever un noble au rang de roi, qui pourrait être le champion de l'Église contre les Lombards et, avec leur défaite, renforcer la position de l'Église pour repousser les exigences de son homologue oriental.
Pépin, quant à lui, avait besoin de l'Église pour légitimer son règne. Il ne pouvait se contenter de déposer Childéric III en espérant que son peuple - et en particulier les nobles de la cour - l'accepterait comme nouveau monarque. Les intérêts personnels des deux hommes coïncidèrent parfaitement et Childéric III fut déposé par le pape Zacharie qui couronna Pépin roi des Francs en 751.
Origine et première utilisation
Pépin entra presque immédiatement en guerre contre les Lombards, les vainquit en 752 et s'empara de leurs terres. À cette époque, Zacharie était mort et le nouveau pape était Étienne II. En 753, Étienne traversa les Alpes (le premier pape à le faire) et rencontra Pépin à Quierzy-sur-Oise pour discuter de la disposition des terres qu'il avait conquises sur les Lombards. Ces terres constituaient l'ancien exarchat de Ravenne, des territoires qui avaient appartenu à l'Empire byzantin et qu'Étienne revendiquait pour l'Église.
Pépin était analphabète et n'aurait pas pu savoir ce que contenait un document qu'Étienne lui aurait présenté, et encore moins s'il était authentique ou non. Aucun document de la réunion de Quierzy-sur-Oise n'a survécu, bien que des auteurs ultérieurs semblent citer un document aujourd'hui perdu, mais la Donation de Constantin - qui n'avait jamais été mentionnée dans aucun document auparavant - semble avoir fait sa première apparition à ce moment-là. L'utilisation de la Donation lors de cette rencontre avec Pépin n'a jamais été prouvée mais est considérée comme probable dans la mesure où, lorsqu'elle réapparut sous le règne de Charlemagne, elle lui sembla familière.
Étienne oignit Pépin patrice des Romains en 754, le liant ainsi à Constantin le Grand et, à la demande de Pépin, oignit également les jeunes fils et successeurs de Pépin, Charlemagne et Carloman (751-771). Pépin obligea les Lombards à céder leurs terres, qu'il céda ensuite à la papauté par le biais de la Donation de Pépin, qui fit des terres conquises la propriété de l'Église et forma les États pontificaux d'Italie.
Contenu de la donation de Constantin
Le document commence par un long prologue sur la bonté de Dieu, la sainteté de l'Église et la légitimité de la papauté. Il affirme ensuite que Dieu est trois en un, incarné dans la Sainte Trinité du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et que Jésus-Christ est le fils unique de Dieu, avant d'aborder l'histoire du monde, de la Création à la Chute de l'homme, telle qu'elle est décrite dans la Bible.
Les efforts des prêtres païens pour subvertir la vérité chrétienne sont ensuite abordés avant que l'auteur (prétendument Constantin en personne) ne raconte comment il reçut une révélation de cette vérité dans un rêve qu'il n'avait pas compris et pose ses questions au pape Sylvestre Ier, demandant qui étaient ces "dieux" qui portaient les noms de Pierre et Paul, qu'il avait tous deux vus dans son rêve. Sylvestre lui explique qu'ils n'étaient pas des dieux mais des apôtres de Jésus-Christ et l'auteur lui demande s'il avait des images d'eux. Sylvestre produit des peintures des deux hommes que l'auteur reconnait comme les mêmes figures de son rêve.
L'auteur se soumet alors à la pénitence pour ses péchés, reçoit l'absolution et le baptême de Sylvestre, et est purifié de la lèpre et rempli du Saint-Esprit. À ce stade, le document décrète la suprématie de la papauté sur les dirigeants temporels, accordant à la fonction de pape le pouvoir d'accorder le pouvoir aux monarques et de le leur retirer si nécessaire, le pouvoir sur tous les prêtres et toutes les églises du monde, stipulant que le roi servira de palefrenier au pape lors des processions, et accordant au pape et à l'Église de Rome d'autres privilèges et pouvoirs. La dernière partie du document se lit comme suit:
Nous ordonnons et décrétons que [le pape] aura la suprématie sur les quatre sièges principaux, Antioche, Alexandrie, Constantinople et Jérusalem, ainsi que sur toutes les églises de Dieu dans le monde entier. Celui qui, à ce moment, sera pontife de la sainte Église romaine sera plus élevé que tous les prêtres du monde entier et en sera le chef, et il administrera, selon son jugement, tout ce qui doit être prévu pour le service de Dieu ou la stabilité de la foi des chrétiens.
Et nous décrétons, en ce qui concerne les très révérends hommes, le clergé qui sert, dans les différents ordres, cette même sainte Église romaine, qu'ils auront le même avantage, la même distinction, le même pouvoir et la même excellence par la gloire dont notre très illustre sénat est orné, c'est-à-dire qu'ils seront faits patriciens et consuls, nous ordonnons qu'ils soient également décorés des autres dignités impériales. De même que la soldatesque impériale, nous décrétons que le clergé de la sainte Église romaine sera orné.
Nous avons aussi décrété que ce même vénérable, notre père Sylvestre, souverain pontife, et tous les pontifes qui lui succéderont, utiliseront et porteront sur leur tête, à la louange de Dieu et pour l'honneur de saint Pierre, le diadème, c'est-à-dire la couronne que nous lui avons donnée de notre propre tête, en or le plus pur et en pierres précieuses. Mais lui, le très saint pape, n'a pas du tout permis que cette couronne d'or soit utilisée sur la couronne cléricale qu'il porte à la gloire de saint Pierre; mais nous avons placé sur sa très sainte tête, de nos propres mains, un diadème d'une splendeur étincelante représentant la glorieuse résurrection de notre Seigneur. Et, tenant la bride de son cheval, par respect pour saint Pierre, nous avons accompli pour lui le devoir de palefrenier, décrétant que tous les pontifes, ses successeurs, et eux seuls, pourront utiliser cette tiare dans les processions.
À l'imitation de notre propre pouvoir, afin que le pontificat suprême ne se dégrade pas, mais qu'il soit au contraire orné de puissance et de gloire, plus encore que ne l'est la dignité d'un règne terrestre, voici que nous remettons au très bienheureux pontife déjà mentionné, notre père Sylvestre, le pape universel, aussi bien notre palais, comme on l'a dit, que la ville de Rome et toutes les provinces, districts et villes de l'Italie ou des régions de l'ouest; et les abandonnant, par notre don inviolable, au pouvoir et à l'emprise de lui-même ou des pontifes ses successeurs, nous décrétons, par notre charte divine et notre constitution impériale, qu'il en sera ainsi, et nous concédons qu'ils (les palais, les provinces, etc.) demeureront légalement auprès du saint pape.) demeureront légalement dans la sainte Église romaine. (Donation, 5-6)
Impact de la Donation
La Donation de Constantin non seulement résolut les problèmes de la papauté avec les Lombards et donna à l'Église le territoire qu'elle recherchait, mais elle tenta également de résoudre les problèmes avec l'Église orientale en montrant comment les images des apôtres Pierre et Paul avaient sauvé l'âme de Constantin en lui révélant le message du salut dans son rêve. Les icônes étaient donc manifestement approuvées par Dieu et l'Église orientale avait tort de condamner l'iconographie chrétienne comme une pratique païenne. Cependant, rien ne prouve que la donation ait été utilisée pour résoudre la controverse iconoclaste dans sa première phase, qui s'acheva en 787 lors du septième concile œcuménique de Nicée, au cours duquel les évêques catholiques déclarèrent que les icônes étaient des expressions légitimes de la foi chrétienne orthodoxe.
En fait, la Donation n'eut aucun impact sur les affirmations doctrinales, car la primauté de la papauté avait été légitimement reconnue au 4e siècle, comme l'établit l'historien de l'Église Eusèbe (263-339 de notre ère). La fonction du pape était comprise comme la tête de l'Église, mais pas comme une autorité temporelle. C'est là l'importance majeure de la Donation de Constantin, qui confère au pape le pouvoir de s'engager dans les affaires temporelles, civiles. Les papes ultérieurs qui utilisèrent la Donation - en particulier Léon IX (1049-1054) - croyaient qu'il s'agissait d'un document authentique et l'utilisèrent pour justifier l'ingérence ecclésiastique dans les affaires temporelles.
L'insistance de Léon IX sur la légitimité de la Donation fut l'un des principaux facteurs du Grand Schisme de 1054 qui divisa l'Église orthodoxe orientale de l'Église catholique romaine à l'ouest. L'Église occidentale insistait sur sa supériorité par rapport à l'Église orientale, car Pierre avait fondé l'Église de Rome et l'Église romaine avait donc été établie par le bras droit de Jésus-Christ en personne, tandis que l'Église orientale s'était développée plus tard. La Donation contenait la même affirmation et Léon IX s'y référait pour soutenir que l'Église orientale devait céder son autorité, et ses très lucratives propriétés foncières, à l'Église de Rome. L'Église orthodoxe d'Orient nia ces affirmations et coupa les ponts avec l'Occident.
Lorsque le pape Adrien Ier (772-795) tenta d'utiliser la donation avec Charlemagne en 778, ce dernier l'ignora tout simplement, mais Charlemagne était exceptionnel. La vision de Charlemagne coïncidait parfaitement avec les intérêts de l'Église et il n'y avait donc aucune raison d'essayer de le contraindre avec le faux document - il donnait régulièrement des terres à l'Église sans que personne ne le lui demande - mais les monarques carolingiens ultérieurs auraient pu subir des pressions du fait de l'utilisation du document, même s'il est difficile de déterminer l'influence qu'il eut sur leur règne, s'il y en eut une. La Donation semble avoir été largement oubliée jusqu'à son utilisation spectaculaire par Léon IX.
Elle eut un impact bien plus important sur l'encouragement des sectes dites hérétiques, en particulier les vaudois du 12ème siècle. Les vaudois furent fondés en 1173 par Pierre Waldo (c. 1140 - c. 1205), un riche marchand français qui trouvait que le gain matériel interférait avec une démarche de foi chrétienne sincère et qui donna toutes ses richesses et ses possessions pour mieux servir Dieu. Les vaudois condamnaient la donation de Constantin et l'acceptation par l'Église de cette donation, affirmant qu'elle contredisait les vertus d'humilité et de pauvreté qui faisaient partie intégrante de la vie spirituelle d'un véritable disciple du Christ. Pour les vaudois, l'Église s'était compromise en acceptant la donation de Constantin - qu'ils considéraient comme légitime - et devait la rejeter et se réformer en laissant les pouvoirs temporels s'occuper d'objectifs temporels tandis que l'Église devait se concentrer uniquement sur les questions spirituelles.
Falsification dévoilée
La légitimité de la donation resta incontestée jusqu'à ce que l'empereur romain Otton III (r. de 996 à 1002) ne remette en question son authenticité. Ces doutes n'avaient évidemment jamais été pris au sérieux depuis que Léon IX avait utilisé la Donation en 1054. Le théologien, philosophe et écrivain Nicolas de Cuse (1401-1464), surtout connu pour son ouvrage Le laïc sur la sagesse et l'esprit, semble avoir été le premier à mettre sérieusement en doute la validité du document et à déclarer qu'il s'agissait d'un faux. Cette affirmation fut prouvée par le prêtre et érudit Lorenzo Valla vers 1439-1440.
Valla travaillait comme traducteur pour Alphonse V d'Aragon (1396-1458), un mécène qui s'intéressait à la littérature classique et qui était impliqué dans un conflit avec le pape Eugène IV (1431-1447) et avait besoin que la Donation soit discréditée. Valla lui-même s'opposait à la Donation pour des raisons religieuses et politiques et ne fut sans doute que trop heureux d'appliquer ses considérables compétences critiques à l'analyse du texte.
Il le proclama faux en concluant que le latin était trop pauvre pour un texte romain du IVe siècle, qu'il n'existait aucune preuve d'un quelconque changement dans l'administration de l'Empire romain d'Occident entre l'époque de Constantin et sa chute qui puisse être attribuée à un tel document, que certaines parties du texte étaient un plagiat flagrant d'un texte du Ve siècle sur la vie du pape Sylvestre, et que l'empereur de Rome n'avait aucun droit légal de céder son pouvoir à un quelconque pape. Valla releva également des anachronismes tels que l'utilisation du mot " satrape" et certaines références qui s'opposaient clairement à la datation du document au IVe siècle.
Bien que la Donation n'ait plus été utilisée de manière significative depuis Léon IX, l'Église ignora le travail de Valla et la Donation continua à être considérée comme authentique jusqu'à ce que le cardinal Cesare Baronio (1538-1607) n'admette qu'il s'agissait d'un faux dans ses Annales ecclésiastiques (écrites entre 1588-1607). Les érudits ne s'entendent toujours pas sur la question de savoir si l'Église savait depuis le début qu'il s'agissait d'un faux, et certains ont avancé l'excuse que les personnes impliquées n'avaient fait que réécrire un document dont ils étaient sûrs qu'il avait existé une fois et qu'il avait été perdu.
Cette allégation souligne qu'au Moyen Âge, des documents tels que des concessions de terres étaient souvent réécrits lorsque l'original avait disparu, consignant par écrit l'accord tel qu'il avait été compris par les deux parties à l'origine, de sorte que le nouveau document transmettait toujours les détails de la transaction et était donc authentique. Le problème de cette affirmation est que, dans le cas de la Donation, une seule partie de la "transaction" prétendait qu'elle avait eu lieu. Pépin le Bref ne savait pas si Constantin avait pu légalement remettre son pouvoir au pape, ce que cela aurait signifié dans la Rome antique, ou si Constantin avait déjà eu la lèpre et avait été guéri, mais il n'aurait pas remis en question la déclaration d'Étienne parce qu'il avait besoin de l'approbation papale pour légitimer son règne.
La donation de Constantin devint un point de convergence pour les premiers réformateurs comme Martin Luther (1483-1546) qui, à l'instar des premiers vaudois qu'il admirait, invoqua ce document pour prouver que l'Église s'était compromise et était tombée dans le péché et la corruption. Tout au long de la Réforme protestante, la Donation apparut dans divers traités pour souligner ce même point, et elle continua d'être mentionnée, débattue et discutée jusqu'à la période des Lumières au XVIIIe siècle, après quoi elle tomba largement dans l'oubli.
L'Église catholique plaça l'œuvre de Valla à l'index des livres interdits pendant des siècles et semble avoir fait de son mieux pour essayer d'enterrer l'embarras de La Donation de Constantin. Le document fut toutefois remis à l'honneur dans les années 1920 et, en 1929, l'Église admit publiquement qu'il s'agissait d'un faux et restitua les États pontificaux à l'Italie.