La bataille de la Falaise rouge (également connue sous le nom de bataille de Chi Bi, 208 de notre ère) fut un engagement décisif entre les forces de la Chine du Nord dirigées par le chef de guerre Cao Cao (155-220 de notre ère) et les défenseurs alliés du Sud sous le commandement de Liu Bei (mort en 223 de notre ère) et de Sun Quan (mort 252 de notre ère). La bataille est considérée comme le tournant du conflit entre divers seigneurs de guerre qui avaient pris le contrôle de leurs régions et avaient ensuite étendu leur influence dans les derniers jours de la dynastie Han (202 av. J.-C. - 220 av. J.-C.). Cao Cao fut vaincu par la coalition du sud et repoussé vers le nord, mettant fin à son rêve d'unifier la Chine sous sa domination.
L'engagement nivela le terrain de jeu des antagonistes centraux car, auparavant, Cao Cao était le plus puissant et commandait la plus grande armée. Par la suite, Cao Cao ayant été battu et contraint de battre en retraite après avoir subi de lourdes pertes, Liu Bei et Sun Quan stabilisèrent leurs régions, ce qui conduisit à la période des Trois Royaumes (220-280 de notre ère) après la fin de la dynastie Han; Cao Cao régnait sur le royaume de Cao Wei, Liu Bei sur celui de Shu Han et Sun Quan sur celui de Wu oriental. Les trois royaumes maintinrent une trêve, souvent malaisée, jusqu'à ce qu'ils ne s'unissent en 280 de notre ère sous la dynastie Jin.
Déclin de la dynastie Han et rébellion des Turbans jaunes
La dynastie Han, qui avait libéré la Chine après le règne répressif des Qin (221-206 avant notre ère), était devenue de plus en plus corrompue vers 130 de notre ère. La raison principale invoquée par les historiens chinois ultérieurs est l'évolution du rôle des eunuques du palais dans le gouvernement chinois. À l'origine, les eunuques n'étaient que des gardiens de harem, choisis pour assurer la sécurité et la pureté sexuelle des nombreuses concubines de l'empereur chinois, mais leur proximité avec l'empereur et leur accès facile aux intrigues de la cour en firent des atouts précieux pour la noblesse. Les eunuques pouvaient jouer, et ne manquaient pas de le faire, un rôle important dans l'élévation de certains membres de la noblesse et dans l'élimination d'autres. En outre, ils pouvaient s'interposer entre l'empereur et les différentes parties qui cherchaient à obtenir ses faveurs.
Vers l'an 130 de notre ère, les eunuques étaient le véritable pouvoir derrière le trône, manipulant le gouvernement et faisant passer leurs divers plans d'action. Les postes gouvernementaux pouvaient désormais être achetés aux eunuques et étaient occupés par divers parents non méritants de la classe supérieure qui pouvaient en payer le prix. La bureaucratie des Han, autrefois efficace, déclina à mesure que de plus en plus de membres de la classe supérieure, qui n'avaient aucune formation en administration publique, occupaient les postes, percevaient leur salaire et négligeaient leurs devoirs.
En 142 de notre ère, un mouvement paysan connu sous le nom de "École des cinq boisseaux de riz" fut lancé par un visionnaire taoïste nommé Zhang Daoling, qui fit savoir que lui et sa secte se séparaient de la Chine impériale pour former leur propre État, où ils pourraient mieux s'occuper d'eux-mêmes. Les Han, qui privilégiaient la pensée taoïste, semblent avoir accordé peu d'attention à Zhang et à ses disciples, car rien ne fut fait à leur sujet jusqu'en 215 de notre ère et, même alors, ce ne furent pas les Han qui ramenèrent la région dans le droit chemin, mais Cao Cao qui poursuivait son propre objectif.
Peut-être encouragé par le succès relatif de l'École des Cinq Boisseaux de Riz, un guérisseur taoïste nommé Zhang Jue lança sa propre révolte en 184 de notre ère, la rébellion des turbans jaunes, qui enflamma très vite le peuple et se répandit rapidement dans tout le pays. Zhang condamnait les Han en tant qu'aristocrates égoïstes et égocentriques qui avaient perdu le Mandat du Ciel qui leur donnait le droit de gouverner. Le mandat du ciel, qui remontait à la dynastie Zhou (1046-256 av. J.-C.), était un contrat spirituel entre la maison régnante et les dieux, légitimant une dynastie et témoignant de l'attention portée par la maison régnante au peuple. Le peuple, soulignait Zhang, souffrait alors que la noblesse ne faisait rien pour l'aider.
Zhang axa son mouvement sur le principe du jiazhi ("valeur"), la valeur fondamentale et intrinsèque d'un individu et, par extension, des actions de cet individu. Chaque personne a une valeur divine, quelle que soit sa classe sociale ou sa contribution à la société, et cette valeur était ignorée par les fonctionnaires du gouvernement qui gaspillaient les ressources, perdaient du temps et de l'énergie et poursuivaient leurs propres intérêts mesquins, aux dépens des personnes qu'ils étaient censés servir.
La rébellion des Turbans jaunes (ainsi nommée en raison du couvre-chef jaune que portaient les rebelles, symbolisant la terre) ne tarda pas à avoir des enclaves actives dans toute la Chine et Zhang s'employa à armer les paysans en prévision du conflit qui selon lui éclaterait lorsque les Han choisiraient d'agir. Il n'eut pas à attendre longtemps, car les Han n'allaient pas laisser passer ce genre d'agitation comme ils l'avaient fait pour l'École des Cinq Boisseaux de Riz.
Essor des seigneurs de la guerre
L'empereur Lingdi (r. de 168 à 189 de notre ère) avait poursuivi la politique de ses prédécesseurs en élevant les gouverneurs régionaux à des postes militaires afin de protéger les frontières contre les invasions des nomades Xianbei et Xiongnu, et nombre de ses meilleurs généraux se trouvaient donc loin de la capitale. Lingdi envoya ses généraux Huangfu Song (mort en 195 de notre ère), Lu Zhi (mort en 192 de notre ère) et Zhu Jun (mort en 194 de notre ère) contre les rebelles, mais dès qu'une enclave était écrasée, une autre apparaissait ailleurs.
Un fonctionnaire de la cour (également gouverneur régional) nommé Liu Yan (mort en 194 de notre ère) suggéra à l'empereur de donner plus de pouvoir à ses fonctionnaires provinciaux et régionaux en les libérant des diktats impériaux et en leur permettant de gérer la rébellion sur leur propre territoire comme ils l'entendaient. Ce faisant, Lingdi encouragerait la formation d'un certain nombre d'États autonomes au sein de son royaume mais, ne trouvant pas de meilleur plan, il l'accepta. L'un de ces fonctionnaires régionaux, Cao Cao, profita de cette nouvelle liberté pour écraser la rébellion en l'espace d'un an. Zhang Jue fut tué au combat ou exécuté et la révolte fut écrasée à la fin de l'année 184 de notre ère.
D'autres gouverneurs régionaux avaient également bombé le torse, devenant désormais des seigneurs de la guerre et, après la répression de la rébellion, se mirent à administrer leurs provinces comme ils l'entendaient et à revendiquer des terres sans se référer à l'empereur ou à la politique de la cour. Lingdi mourut en 189 de notre ère, laissant le trône à son fils Liu Bian, alors âgé d'environ 12 ans, qui devint l'empereur Shao de Han. Il était cependant trop jeune pour gouverner et un régent - son oncle He Jin - fut placé auprès de lui. Les eunuques voulurent cependant contrôler le nouvel empereur et complotèrent l'assassinat de He Jin au moment même où celui-ci envoyait un message aux seigneurs de guerre périphériques Dong Zhuo (mort en 192 de notre ère) et Yuan Shao (mort en 202 de notre ère) pour qu'ils viennent à Luoyang pour l'aider à se débarrasser des eunuques.
Les eunuques découvrirent le plan de He et l'assassinèrent, mais cela ne leur servit pas à grand-chose car Yuan Shao les massacra tous lorsqu'il arriva dans la ville et trouva He Jin mort. Alors que les eunuques et leurs partisans étaient massacrés, le jeune empereur, son frère Liu Xie et leur famille s'échappaient de la ville et se dirigeaient vers Chang'an lorsqu'ils furent interceptés par Dong Zhuo, qui marchait vers Luoyang. Dong s'empara de l'empereur et de sa suite et, détenteur du sceau impérial, se proclama pouvoir suprême.
Alliance et Conflit
Les autres seigneurs de la guerre, dont Cao Cao, s'opposèrent à cette décision et formèrent une alliance pour renverser Dong, connue sous le nom de Coalition du Guandong (vers 190-192 de notre ère). Les 26 seigneurs de la guerre encerclèrent Luoyang avec leurs armées, mais Dong s'échappa, mit le feu à la ville et rassembla la population, y compris l'empereur, vers Chang'an, qu'il fortifia. Les seigneurs de la guerre prétendaient se battre pour la restauration de la dynastie Han et pour sauver l'empereur, tandis que Dong affirmait que l'empereur était son invité et qu'il n'était pas en danger. En fait, Dong favorisait le jeune frère de l'empereur, Liu Xie, pour gouverner et, en 190 de notre ère, il fit exécuter l'empereur Shao et Liu Xie devint l'empereur Xian.
Les seigneurs de la guerre tentèrent à nouveau de renverser Dong, mais celui-ci était trop bien protégé. Il finit par être tué par son confident et garde du corps Lu Bu et, après sa mort, la coalition se déchira et tous se retournèrent les uns contre les autres. L'empereur Xian fut alors retenu à Chang'an, sous l'influence du seigneur de guerre le plus puissant du moment, jusqu'à ce qu'il ne s'échappe en 195 de notre ère et ne s'enfuie vers le nord, trouvant finalement refuge auprès de Cao Cao.
Cao Cao détenait désormais la clé d'un gouvernement légitime avec l'empereur et le sceau impérial à l'intérieur de ses frontières. Si l'alliance s'était réellement souciée de restaurer le pouvoir des Han, c'est à ce moment qu'elle aurait pu le faire savoir et sauver l'empereur ou le restaurer au pouvoir. Au lieu de cela, Cao Cao et les autres poursuivirent la lutte pour le pouvoir, en s'entretuant et en absorbant des terres, tandis que l'empereur restait sous la "protection" de Cao Cao et ne pouvait rien faire.
Cao Cao vainquit tous ses adversaires, élargissant régulièrement son territoire jusqu'à ce qu'il ne détienne la totalité de la plaine de Chine du Nord. Il battit Yuan Shao, l'un de ses plus anciens amis et compagnons d'armes, à la bataille de Guandu en 200 de notre ère, consolidant ainsi son emprise sur d'autres territoires et étendant ses armées. Entre 200 et 207 de notre ère, Cao Cao poursuivait ses campagnes, bâtissant une formidable armée, jusqu'à ce qu'il ne lui reste plus qu'à marcher vers le sud et à joindre ces territoires aux siens afin d'unifier la Chine sous son règne.
Falaise rouge
Cao Cao se mit en route à la fin de l'été 208 de notre ère avec une armée (selon ses propres estimations) de près de 800 000 guerriers. Les spécialistes modernes et même les contemporains de Cao Cao affirment qu'il s'agit là d'une exagération flagrante et qu'il avait probablement plus près de 250 000 hommes, mais même ainsi, il s'agissait d'une armée incroyablement nombreuse, surtout si l'on considère que ses adversaires ne pouvaient aligner que 10 000 à 50 000 hommes.
Le premier objectif était de s'emparer de la ville portuaire de Jiangling sur le fleuve Yangtze, ce qui permettrait à Cao Cao de contrôler le commerce et d'approvisionner rapidement les troupes dans tout le sud. Il ne rencontra aucune résistance dans sa marche vers Jiangling, mais il savait que les autres seigneurs de la guerre l'attendraient une fois qu'il aurait atteint la ville.
Pendant que Cao Cao était en marche, une nouvelle coalition s'était formée contre lui, dirigée par Liu Bei de Han et Sun Quan de Wu, mais comprenant un certain nombre de généraux notables tels que le grand Guan Yu (mort en 220 de notre ère), si célèbre pour ses compétences martiales et son honneur personnel qu'il fut plus tard divinisé sous le nom de Guan Gong (également connu sous le nom de Guandi), dieu de la guerre et de la protection, et le brillant stratège Zhou Yu (mort en 210 de notre ère). Guan Yu était chargé du passage des troupes par voie fluviale, tandis que Liu Bei, qu'il servait, avançait par voie terrestre.
La première escarmouche survint lorsque Cao Cao attaqua les colonnes de Liu Bei, les dispersant, et que Guan Yu sauva les troupes et les ramena en aval. Cao Cao aurait probablement gagné à ce stade, mais ses hommes étaient fatigués par la longue marche et, peu habitués au climat et au terrain du sud, ils étaient désorientés et beaucoup d'entre eux étaient malades. Guan Yu put facilement sauver les troupes de Liu Bei alors que, par le passé, Cao Cao s'était révélé être un stratège minutieux qui avait prévu toutes les éventualités et n'aurait jamais laissé une telle situation se produire.
Parmi les nombreux problèmes que lui posait la campagne méridionale figurait le transport de troupes terrestres par voie d'eau. Cao Cao avait obtenu un nombre important de navires grâce à ses victoires précédentes et prévoyait de les utiliser pour soumettre le sud le long du fleuve Yangtze. Ses hommes, habitués aux batailles terrestres, avaient le mal de mer et, probablement en réponse à cela, Cao Cao fit attacher les bateaux les uns aux autres pour éviter qu'ils ne tanguent, de sorte que la flotte formait un bloc entier de navires plutôt que des bateaux séparés capables de manœuvrer.
Après avoir positionné son armée sur la rive sud du Yangtsé, Cao Cao amarra sa forteresse flottante à proximité, ce qui inspira à l'un des généraux de la coalition, Huang Gai (mort en 210 de notre ère), un plan pour vaincre Cao Cao. Huang Gai, commandant de division disposant d'un certain nombre de navires, contacta Cao Cao en affirmant qu'il souhaitait faire défection et emmener sa flotte avec lui. Cao Cao accepta volontiers son offre et attendit son arrivée. Huang Gai remplit alors les bateaux de matériaux inflammables et d'huile et demanda à un équipage réduit de les faire naviguer sur le fleuve. Lorsqu'ils furent à mi-chemin, les vents les faisant avancer régulièrement, les marins mirent le feu aux bateaux et se glissèrent sur des embarcations plus petites. Les navires arrivaient trop vite et étaient trop proches pour que Cao Cao ne puisse faire quoi que ce soit pour les arrêter; ils percutèrent sa flotte et y mirent le feu.
Alors que les navires s'enflammaient, Zhou Yu fit irruption dans le campement de Cao Cao avec un contingent terrestre, tuant et dispersant les hommes de Cao Cao. Cao Cao comprit que la journée était complètement perdue et sonna la retraite générale vers le nord avec Zhou Yu, Liu Bei et les forces de Sun Quan à leur poursuite. Le chemin que l'armée en retraite devait emprunter, la route de Huarong, était boueux, ce qui ralentissait la progression. De nombreux hommes étaient malades, tous très probablement démoralisés, et il y eut plus de morts lors de la retraite vers le nord que lors de la brève bataille de la Falaise Rouge.
Conclusion
Une fois Cao Cao de retour à Wei, il se résigna à sa défaite, se proclama roi de ses territoires et établit le royaume de Cao Wei. Liu Bei lui emboîta le pas dans le sud en fondant le royaume de Shu Han et Sun Quan fit de même avec son royaume de Wu oriental. La Chine était désormais divisée en trois (époque dite des trois royaumes) chaque monarque revendiquant le mandat du ciel pour régner sur l'ensemble de la Chine mais n'ayant pas la force de soumettre les deux autres.
La dynastie Han régnait encore techniquement sur la Chine, car l'empereur Xian vivait encore à la cour de Cao Cao. À la mort de Cao Cao en 220 de notre ère, son fils Cao Pi obligea l'empereur à abdiquer et fonda la dynastie Wei (221-265 de notre ère), à laquelle répondirent les autres États de Shu Han et de Wu oriental, qui se considéraient tous deux comme les héritiers légitimes des Han, et Liu Bei et Sun Quan se proclamèrent tous deux empereurs. La Chine resterait divisée de la sorte jusqu'à son unification par la dynastie Jin en 280 de notre ère.
La bataille de la Falaise rouge et la période des Trois Royaumes constituent l'un des engagements et l'une des époques les plus connus et les plus romancés de l'histoire chinoise, grâce au roman à succès du XIVe siècle de notre ère, Les Trois Royaumes, de Luo Guanzhong. Ce roman, qui est une œuvre de fiction historique, est à l'origine de la sinistre réputation de Cao Cao en tant que méchant impitoyable, des personnages tels que Liu Bei et Sun Quan en tant que héros, et des événements magiques - tels que l'invocation des vents pour faire avancer les brûlots vers la flotte de Cao Cao - qui font partie du développement de l'intrigue. Le roman connut un succès incroyable et est encore lu de nos jours. En 2008, le réalisateur John Woo sortit le film Red Cliff (Les Trois Royaumes), qui fut acclamé par le public et la critique, et la bataille a fait l'objet de jeux vidéo entre autres œuvres.
Sur la base de ces médias, ainsi que des représentations d'opéra et des œuvres d'art, Cao Cao est généralement dépeint comme le méchant absolu, déterminé à conquérir la Chine à tout prix, tandis que Liu Bei et Sun Quan sont considérés comme des héros patriotiques défendant la liberté de leur patrie contre un tyran impitoyable. En réalité, aucune des parties en présence qui s'affrontèrent lors de la bataille de la Falaise rouge n'avait à cœur l'intérêt du peuple chinois et aucune d'entre elles n'avait de prétention légitime au Mandat du Ciel. Chacun rivalisait avec l'autre par pur intérêt personnel, et le peuple pour lequel ils étaient censés se battre paya le prix de leur ambition.