Hénoch

Définition

Rebecca Denova
par , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié sur 16 septembre 2021
Disponible dans d'autres langues: Anglais
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Enoch Being Taken to Heaven by God (by Albertus Pictor, CC BY)
Hénoch est amené au ciel par Dieu
Albertus Pictor (CC BY)

Dans le livre de la Genèse, à l'époque précédant le déluge, Hénoch est le fils de Jared et le père de Mathusalem. Il y a peu de détails sur Hénoch. Nous apprenons qu'il vécut 365 ans, puis qu'Hénoch "marcha aux côtés de Dieu, puis il disparut, car Dieu l'enleva auprès de lui." (Genèse 5:24). Cette note énigmatique a été interprétée comme signifiant qu'Hénoch n'était pas mort physiquement, mais qu'il avait été enlevé par Dieu pour poursuivre son existence au ciel.

Dans les textes traditionnels, il n'est plus mentionné, mais il est devenu un personnage important pendant la période du Second Temple (450 av. J.-C. - 70 ap. J.-C.). Si vous avez lu les évangiles, le concept et la référence à Jésus de Nazareth en tant que "fils de l'homme" sont tirés des livres d'Hénoch.

Les livres des prophètes

Israël subit plusieurs catastrophes majeures au cours de son histoire. En 722 avant notre ère, l'Assyrie conquit le Royaume du Nord d'Israël. Les conquérants échangèrent les populations, déplaçant leur propre peuple dans la région, et c'est à ce moment-là que dix des douze tribus d'Israël disparurent dans l'histoire. En 587 avant notre ère, l'empire néo-babylonien conquit le royaume méridional de Juda, détruisant Jérusalem et le complexe du Temple. Les livres des prophètes imputent ces catastrophes aux péchés du peuple, en particulier au péché d'idolâtrie.

En même temps, les prophètes offraient un message d'espoir: le Dieu d'Israël interviendrait une dernière fois dans l'histoire de l'humanité et susciterait un messie ("oint") qui conduirait les armées d'Israël contre les nations. À ce moment-là, Israël retrouverait sa gloire d'antan et le plan originel de Dieu pour les humains (le jardin d'Éden) serait rétabli sur la terre. L'expression abrégée pour cette conviction était "le royaume de Dieu sur terre".

La figure d'Hénoch devint populaire en tant que source de révélations.

En 330 avant notre ère, Alexandre le Grand (r. de 336 à 323 av. J.-C.) conquit les régions du bassin méditerranéen. À sa mort, ses généraux se partagèrent son empire pendant les guerres des Diadoques. En 167 avant notre ère, le roi syrien Antiochos IV Épiphane (175-164 av. J.-C.) ordonna l'extinction des coutumes juives (leur religion). Les Juifs, sous la direction d'une famille connue sous le nom de Maccabées, se soulevèrent contre lui et finirent par le chasser lors de la révolte des Maccabées.

Tous les Juifs n'étaient pas d'accord avec la maison régnante des Maccabées (les Hasmonéens) et c'est ainsi que se formèrent divers groupes ou sectes de Juifs: les Pharisiens, les Sadducéens, les Esséniens et les Zélotes. En 63 avant notre ère, Rome avait conquis Israël et nombre de ces groupes ressentirent l'urgence d'une intervention de Dieu. Un regain d'intérêt pour les détails des livres prophétiques, mis à jour pour refléter la situation actuelle, se manifesta. Des textes supplémentaires rappelant d'anciennes figures d'Israël furent rédigés pour interpréter les points de vue sur les derniers jours.

À l'époque du Second Temple, il n'y avait plus de prophètes traditionnels d'Israël. Au lieu de cela, nous assistons au développement des voyants, des hommes qui avaient fait l'expérience de voyages extracorporels au ciel. Là-bas, Dieu leur aurait révélé les secrets de l'intervention future. Le terme "apocalypse" désigne une révélation, le dévoilement de choses cachées. Comme les révélations concernaient les derniers jours (eschaton en grec), les spécialistes appliquent le terme d'"eschatologie apocalyptique" à la littérature de cette période. Pour être crédibles, les textes étaient toujours rédigés au nom d'une personne que l'on savait au ciel. Le personnage d'Hénoch devint populaire en tant que source des révélations.

Les livres d'Hénoch

1, 2 et 3 Hénoch affirme que lorsqu'il fut enlevé par Dieu, il devint le gardien des trésors célestes, le chef des archanges et l'accompagnateur de Dieu sur son trône. Ces textes ont des sous-titres : les Similitudes d'Hénoch, le Livre des Paraboles d'Hénoch, le Livre des Géants, le Livre des Songes et le Livre des Veilleurs. Il est également mentionné dans les Jubilés et le livre de Ben Sira.

Genèse 6:1-4 raconte une histoire quelque peu énigmatique :

Quand les hommes commencèrent à se multiplier sur la terre et qu’ils eurent des filles, les fils des dieux s’aperçurent que les filles des hommes étaient belles. Ils prirent pour eux des femmes parmi toutes celles qu’ils avaient distinguées. Alors le Seigneur dit: « Mon souffle n’habitera pas indéfiniment dans l’homme: celui-ci s’égare, il n’est qu’un être de chair, sa vie ne durera que cent vingt ans. » En ces jours-là, et même plus tard, il y avait des géants sur la terre. Les fils des dieux s’approchaient des filles des hommes et elles en avaient des enfants : ce sont les héros du temps jadis, des hommes de renom.

Ce passage fournit le contexte de l'histoire suivante, le mal qui se déchaîna sur la terre et la raison pour laquelle Dieu envoya le déluge pour la purifier. C'est dans la littérature d'Hénoch que nous trouvons les détails spécifiques de la raison pour laquelle ce mélange avec les humains était si terrible. Les termes "gardiens" et "géants" sont utilisés indifféremment. Nous pouvons également comprendre ce passage comme une polémique, une critique des voisins d'Israël qui prétendaient que beaucoup de leurs dieux s'étaient accouplés avec des femmes humaines. Dans le judaïsme, le domaine divin et le domaine humain sont toujours restés distincts.

Enoch
Hénoch
William Blake (CC BY-NC-SA)

Les "fils de Dieu" étaient considérés comme des anges. Selon la littérature d'Hénoch, ces anges exploitaient les êtres humains et en faisaient des esclaves. Hénoch apprit ensuite que le chef des gardiens enseignait également aux humains les arts de la métallurgie et de la cosmétique, raison pour laquelle il fut chassé :

Et Azazel apprit aux hommes à fabriquer les épées et les glaives, le bouclier et la cuirasse de la poitrine, et il leur montra les métaux, et l’art de les travailler, et les bracelets, et les parures, et l’art de peindre le tour des yeux à l’antimoine et d’embellir les paupières, et les pierres les plus belles et les plus précieuses et toutes les teintures de couleur, et la révolution du monde. 2. L’impiété fut grande et générale ; ils forniquèrent, et ils errèrent, et toutes leurs voies furent corrompues (1 Hénoch 8:1-3)

Azazel devint le démon auquel le bouc émissaire était envoyé dans le désert lors du rituel de Yom Kippour, pour expier les péchés de la nation. Cette figure fut également incorporée dans les traditions concernant l'histoire de Satan, ou du Diable, chassé du ciel.

Et à Michel [l'archange] le Seigneur dit ... enchaîne-les pour soixante-dix générations sous les collines de la terre jusqu’au jour de leur jugement et de leur consommation, jusqu’à ce que soit consommé le jugement éternel. (1 Hénoch 10:11-15)

La figure d'Hénoch dans le christianisme primitif

Hénoch devint une figure modèle dans le christianisme primitif de deux manières :

  1. en absorbant les traditions relatives au "fils de l'homme"
  2. en validant le fait que Jésus-Christ était une figure divine préexistante.

Comme le raconte 1 Hénoch, lors d'un de ses voyages, il a décrit le Dieu d'Israël ainsi qu'une figure se tenant à côté de son trône :

Là je vis quelqu’un qui avait une « tête de jours », et sa tête était comme de la laine blanche ; et avec lui un autre dont la figure avait l’apparence d’un homme, et sa figure était pleine de grâce, comme un des anges saints. J’interrogeai l’ange qui marchait avec moi, et qui me faisait connaître tous les secrets au sujet de ce Fils de l’homme : « Qui est-il, et d’où vient-il ; pourquoi marche-t-il avec la Tête des jours ? »

« Il me répondit et me dit : « C’est le Fils de l’homme, qui possède la justice et avec lequel la justice habite, qui révélera tous les trésors des secrets, parce que le Seigneur des esprits l’a choisi , et son sort a vaincu par le droit devant le Seigneur des esprits pour l’éternité. Le Fils de l’homme que tu as vu fera lever les rois et les puissants de leurs couches, et les forts de leurs sièges ; et il rompra les freins des forts, et il brisera les dents des pécheurs. »

(46:1-4)

Et à ce moment, ce Fils de l’homme fut nommé auprès du Seigneur des esprits, et son nom (fut nommé) devant la « Tête des jours ». Et avant que le soleil et les signes fussent créés, avant que les étoiles du ciel fussent faites, son nom fut nommé devant le Seigneur des esprits. Il sera un bâton pour les justes, afin qu’ils puissent s’appuyer sur lui et ne pas tomber ; il sera la lumière des peuples, et il sera l’espérance de ceux qui souffrent dans leur cœur. Tous ceux qui habitent sur l’aride se prosterneront et l’adoreront ; et ils béniront et ils glorifieront et ils chanteront le Seigneur des esprits. (48:2-5)

Les premiers chrétiens identifièrent Jésus de Nazareth à la figure du fils de l'homme.

Cette figure du fils de l'homme devint un élément important dans les derniers jours où Dieu instituerait son royaume. Dans la liste des événements qui se produiraient dans les derniers jours, il y aurait une grande bataille entre les forces de Dieu et les nations. Après la bataille, tous les morts ressusciteraient et seraient jugés. Le Fils de l'homme serait chargé de juger tous les humains.

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Les premiers chrétiens identifièrent Jésus de Nazareth à la figure du fils de l'homme. Cela explique l'affirmation chrétienne selon laquelle Jésus avait le pouvoir, dans son ministère, de pardonner les péchés sur terre (un aspect qui était traditionnellement détenu par Dieu seul). Le livre apocalyptique de Daniel contient un passage décrivant les derniers jours:

Je regardais, au cours des visions de la nuit, et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme ; il parvint jusqu’au Vieillard, et on le fit avancer devant lui.

Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite.

(7:13-14)

Lors du procès de Jésus devant le Sanhédrin, le grand prêtre lui posa la question suivante :

« Es-tu le Christ, le Fils du Dieu béni ? »

Jésus lui dit : « Je le suis. Et vous verrez le Fils de l’homme siéger à la droite du Tout-Puissant, et venir parmi les nuées du ciel. »

(Marc 14:61-62)

Préexistence divine

Lorsque les premiers chrétiens proclamèrent pour la première fois que Jésus de Nazareth était le messie prédit par les prophètes, cette affirmation posait problème car certains éléments de son ministère ne correspondaient pas aux concepts traditionnels de la fin des temps. Le messie devait être un roi guerrier comme le roi David, menant les Juifs contre leurs oppresseurs, en l'occurrence Rome. En même temps, Jésus avait été crucifié par Rome; un messie mort ne pouvait pas être efficace.

Dans les communautés de Paul, le concept de Jésus en tant que fils de l'homme le plaçait au début de la création, car le fils de l'homme précédait toute la création :

Il est l’image du Dieu invisible, le premier-né, avant toute créature :

en lui, tout fut créé, dans le ciel et sur la terre. Les êtres visibles et invisibles, Puissances, Principautés, Souverainetés, Dominations, tout est créé par lui et pour lui.

Il est avant toute chose, et tout subsiste en lui.

(Colossiens 1:15-17)

L'idée d'Hénoch selon laquelle le fils de l'homme deviendrait "une lumière pour les nations" se retrouve tout au long du livre d'Ésaïe. Elle fut appliquée par Paul et les premiers missionnaires chrétiens pour justifier l'admission des païens sans les marqueurs de l'identité ethnique juive que sont la circoncision, les lois alimentaires et l'observance du sabbat. Le quatrième évangile de Jean utilisa ces idées sur la préexistence du Christ en affirmant qu'il était le logos, ou la "parole" de Dieu, manifesté sous forme humaine sur terre.

Trinity
La Trinité (Église St-Etienne du Mont, Paris)
Lawrence OP (CC BY-NC-ND)

L'affirmation selon laquelle Jésus était ressuscité des morts et monté au ciel s'appuyait sur le modèle d'Hénoch. Dans les Actes des Apôtres, la lapidation d'Étienne confirma l'exaltation de Jésus. Juste avant de mourir, Étienne eut une vision de Jésus au ciel, "à la droite de Dieu" (Actes 7:55). Dans la lettre aux Hébreux, la comparaison est explicite:

Grâce à la foi, Hénoch fut retiré de ce monde, et il ne connut pas la mort ; personne ne le retrouva parce que Dieu l’avait retiré ; avant cet événement, il avait été agréable à Dieu, l’Écriture en témoigne. (11:5).

Si les premiers chrétiens avaient simplement affirmé que Jésus était maintenant au ciel mais qu'il reviendrait pour mener la bataille finale de Dieu, cela aurait correspondu à de nombreux points de vue du judaïsme du second temple. Cependant, ils transformèrent la vision traditionnelle du messie (un roi guerrier humain) en postulant un être céleste préexistant qui était descendu, s'était incarné, puis était remonté pour revenir dans les derniers jours.

Par l'intermédiaire d'Hénoch et de Daniel, le christianisme primitif commença à vénérer Jésus comme un être divin, ce qui conduisit à la canonisation ultérieure de ces idées dans ce qui devint le concept chrétien de la trinité. Jésus et Dieu furent déclarés d'une essence identique, tous deux responsables de la création. Le concept de Jésus en tant que juge final fut canonisé dans le credo de Nicée (325 av. J.-C.).

Utilisation et datation des livres d'Hénoch

Les références à des éléments de la littérature d'Hénoch étaient largement répandues dans les cercles chrétiens des premiers siècles. Aux IIe et IIIe siècles de notre ère, les Pères de l'Église les utilisèrent pour expliquer comment le mal avait corrompu la terre, pour les prophéties des derniers jours et pour valider la préexistence du Christ. Mais comme les décennies passèrent et que le royaume ne s'était pas matérialisé, les prophéties de la fin des temps furent placées dans l'avenir. Dans l'intervalle, l'Église devint le modèle idéal de la vie dans le royaume. Ni les Écritures juives ni le Nouveau Testament n'ont inclus les textes d'Hénoch dans leur canon des Écritures acceptées. Ce n'est qu'avec la découverte archéologique d'anciens manuscrits (parmi les manuscrits de la mer Morte, les traductions en syriaque et les textes éthiopiens) que les érudits ont commencé à examiner ce matériel.

De nombreux livres d'Hénoch n'ont pas survécu dans leur forme originale. Les chercheurs débattent de la chronologie des textes et examinent comment et pourquoi ils ont été édités au cours des siècles. Les dates varient entre 150 avant notre ère et le 5e siècle de notre ère. La datation la plus tardive plaide souvent en faveur d'une source chrétienne, affirmant que les nouvelles éditions d'Hénoch ont été écrites pour ajouter un témoignage supplémentaire au concept de fils de l'homme du Christ, qui avait déjà été développé.

The Book of Enoch Manuscript
Manuscrit du livre d'Enoch
University of Michigan, Ann Arbor Library (Public Domain)

Dans les domaines modernes du judaïsme du Second Temple et des études du Nouveau Testament, les livres d'Hénoch (ainsi que d'autres textes apocalyptiques) sont devenus des lectures obligatoires. Leur importance est reconnue pour la compréhension de concepts qui étaient dans l'air du temps dans le contexte historique de l'émergence du christianisme au 1er siècle de notre ère. Le matériel d'Hénoch a validé les revendications ultérieures de la christologie ou la compréhension des deux natures du Christ, à la fois divine et humaine. Cette conception a été codifiée et canonisée lors du concile de Chalcédoine en 451 de notre ère.

Il existe aujourd'hui un groupe international d'érudits fondé en 2001 par Gabriele Boccaccini, le Séminaire Enoch. Il se consacre à l'avancement de la recherche sur Hénoch et d'autres écrits de cette période. Le Séminaire Hénoch encourage les chercheurs diplômés à présenter leurs recherches lors de conférences internationales.

Bibliographie

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À propos du traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

A propos de l'auteur

Rebecca Denova
Rebecca I. Denova, Ph. D., est Professeur émérite de Christianisme Primitif au Département d'Études Religieuses de l'Université de Pittsburgh. Elle a récemment publié un ouvrage, "The Origins of Christianity and the New Testament" (Wiley-Blackwell).

Citer ce travail

Style APA

Denova, R. (2021, septembre 16). Hénoch [Enoch]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Récupéré de https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-19140/henoch/

Le style Chicago

Denova, Rebecca. "Hénoch." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. Dernière modification septembre 16, 2021. https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-19140/henoch/.

Style MLA

Denova, Rebecca. "Hénoch." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 16 sept. 2021. Web. 20 nov. 2024.

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