Decimus Junius Juvenalis (vers 55-138 JC), plus connu sous le nom de Juvénal, était un satiriste romain. Il écrivit cinq livres contenant 16 satires, chacun critiquant un élément différent de la société romaine, qu'il s'agisse de logements médiocres, de relations patrons/clients, de présence de Grecs dans la ville, de l'éducation des enfants, de la prière ou de l'arrogance et de la vanité des femmes de la ville. Bien que des poètes antérieurs tels que Horace (Quintus Horatius Flaccus, 65-8 av. JC) et Gaius Lucillius (180-103 av. JC) aient écrit certaines œuvres satiriques, Juvénal fut le premier auteur à se consacrer entièrement à la satire. Écrites entre 110 et 130 après JC, à peu près au même moment que les Annales de Tacite, ses satires sont remplies de haine et de colère: haine pour les anciens aristocrates qui contrôlaient la ville et colère face à la façon dont les pauvres étaient traités. Ses emportements contre la corruption qu'il voyait prédominante dans la société romaine et la cruauté humaine sont des thèmes majeurs tout au long de ses satires. Rome, aux yeux de Juvénal, était habitée par des dégénérés et sa vertu avait pratiquement disparu.
Jeunesse
Juvénal était né vers 55 après JC dans une famille de la classe moyenne dans la petite ville d'Aquino, près de Rome. Bien que peu de choses soient connues de ses débuts, on pense qu'il a peut-être commencé une carrière administrative, devenant finalement soldat sous le règne de l'empereur romain Domitien (r. 81-96 de notre ère). Malheureusement pour Juvénal, il eut des démêlés avec l'empereur lunatique lorsqu'il insulta l'un des favoris de la cour de Domitien. Pour son crime, le jeune satiriste fut exilé à Syène en Égypte (Assouan). Quand il rentra à Rome en 96, après l'assassinat de Domitien, il concentra ses énergies sur l'écriture. C'est dans ses cinq livres de satire qu'il exprime sa colère contre Rome et les citoyens romains.
Son ressentiment affecta sa perception à la fois de la ville et de ses habitants. Sans les moyens de subvenir à ses besoins, il fut contraint de demander l'aide d'un mécène en tant que client. Plus tard, il se demanda si toutes les insultes reçues au cours des dîners en valaient vraiment la peine. Sous le règne de l'empereur Hadrien (r. 117-138 de notre ère), il s'éleva au-dessus du seuil de pauvreté et acheta une ferme près de Tivoli, mais l'argent, la terre et les serviteurs n'affectèrent pas son attitude, et son évaluation de la ville et de ses citoyens ne changea pas. Cette perspective est évidente tout au long de ses 16 satires.
Œuvres
Juvenal écrivit cinq livres de satire :
- Livre I - Satires 1-5
- Livre II - Satire 6
- Livre III - Satires 7-9
- Livre IV - Satires 10-12
- Livre V - Satires 13-16 (le dernier est incomplet)
Dans son premier livre de cinq satires, écrit vers 110 après JC sous le règne de Trajan (r. 98-117), il condamne le vice et le crime qui prévalent à Rome, la relation patron/client, et la décadence et la richesse de l'élite de la ville. Bien qu'il ait essayé d'éviter de parler de ceux qui étaient au pouvoir, il trahit parfois cet idéal: des références voilées dans sa première satire seraient au sujet de Domitien.
Dans Satire 3, Juvénal parla par l'intermédiaire d'un ami nommé Umbricius. Il s'en prit à une multitude de problèmes différents: la corruption de la ville, ses logements médiocres, et la présence d'étrangers trompeurs, notamment les Grecs :
Romains, il faut le dire à qui, dans cet asile,
A qui vois-je les grands prodiguer les faveurs?
Puis-je de mes tableaux adoucir les couleurs?
Temporiser, quand Rome est Grecque ou Syrienne
Et cette portion de la lie Achéenne,
Quelle est-elle à côté de ce nombreux essaim
Que l’Oronte a vomi sur le fleure romain?(Traduction de V. FABRE DE NARBONNE, 1825)
Pour Juvénal, la pauvreté entravait le mérite d'un homme. Il écrit :
La plus grande malédiction de la pauvreté, bien pire que la réalité, est qu'elle rend les hommes des objets d'hilarité, ridiculisés, humiliés, gênés. (Gochberg, 504)
Dans sa troisième satire, il critiqua également les horribles conditions de logement de la ville où ceux qui se trouvaient aux étages supérieurs avaient peu, voire aucune, protection contre la pluie et le feu. Il écrivit :
Vous n’avez pas à craindre, à Gabie, à Préneste,
Ces horribles fléaux qui rendent si funeste
L’asile des Romains. Vous êtes effrayés
De rencontrer partout mille murs étayés,
Dont le frêle soutien fléchit et vous menace.
A-t-il d’un vieux manoir reblanchi la surface,
Ou d’un bois vermoulu poli la vétusté?
Dormez, dit l’architecte, en toute sûreté.
Et le pauvre, blotti dans l’antique édifice,
Se couche tous les soirs au bord d’un précipice.(Traduction de V. FABRE DE NARBONNE, 1825)
Bien qu'il finisse par s'élever au-dessus de sa propre pauvreté, il n'oublia jamais le temps qu'il passa comptant sur les dons d'autrui, ces mêmes personnes qu'il apprit à mépriser. Plus tard, il écrira sur cette expérience humble dans l'une de ses satires. Dans les premières lignes de sa cinquième satire, il demandait :
Si tu ne rougis pas du métier que tu fais:
Si la table d’autrui t’offre encor des attraits;
Si tu n’as pas cessé d’y voir le bien suprême;
Et ces dédains amers que chez Auguste même,
Sarmentus et Galba n’auraient pu tolérer,
Si d’un esprit content, tu peux les endurer,
Ton serment, dès ce jour, m’est suspect d’imposture:.(Traduction de L. V. RAOUL, 1812)
Dans Satire 6, il critiqua les femmes de Rome, leur arrogance, leur vanité et leur cruauté en 600 lignes environ. D'autres satires attaquaient la misère et la pauvreté des intellectuels de la ville qui ne pouvaient pas trouver de récompenses décentes pour leur travail (Satire 7), et le culte de la noblesse héréditaire (Satire 8). Critiquant les origines légendaires de la ville et la nature pompeuse de ses citoyens, il s'en prend aux aristocrates de la ville, à savoir les patriciens, qui se vantaient de leurs arbres généalogiques, datant de siècles à la fondation de la ville.
Au reste, quel que soit l’éclat de ta famille,
Dût-elle à Romulus l’éclat dont elle brille,
Songe que le premier de tes nobles parents
Ne fut qu’un fugitif, un pâtre, — ou ... tu m’entends.(Traduction de L. V. RAOUL, 1812)
Dans Satire 10, il parla des ambitions humaines, de la richesse, de la puissance et de la gloire, et comment, au lieu de celles-ci, il faut poursuivre un corps, un esprit et un cœur sains. Après avoir parlé des extravagances stupides des riches dans Satire 11, il admonesta les parents de Satire 14 qui enseignaient la cupidité à leurs enfants. Dans Satire 15, ayant entendu parler d'une émeute en Égypte, il parla de cruauté humaine et en arriva à la conclusion que les humains sont beaucoup plus cruels que les animaux. Dans la dernière satire inachevée 16, il avait espéré aborder les privilèges des soldats professionnels.
Style d'écriture
La classicienne Edith Hamilton dans son livre The Roman Way écrit sur Juvénal et son contemporain Publius Cornelius Tacitus ( alias Tacite c. 56 - c. 118 JC). Selon elle, la grande littérature des deux premiers siècles provoqua sa propre destruction. À cette époque, alors que Rome était une ville mourante, la littérature romaine de l'époque était presque morte à l'exception des œuvres de trois individus: Tacite, l'historien; Sénèque (4 av. JC - 65 JC), le philosophe stoïque et dramaturge; et Juvénal, le satiriste brillant mais amer. Contrairement à Sénèque qui voyait la pureté et la bonté, Tacite et Juvénal considéraient Rome comme un mal, sans un seul facteur atténuant. Hamilton considérait Juvénal comme un homme fier mais pauvre vivant dans une ville où les pauvres étaient traités avec insolence, même par les esclaves. Elle écrit qu'il était un génie sensé qui se détestait pour avoir accepté des restes de table qui lui avaient été jetés par des hommes qu'il détestait.
En lisant les cinq livres de satire, on voit facilement la colère qui remplit Juvénal. Après son retour à Rome après son exil en Égypte, un homme déjà en colère voit sa Rome à travers de nouveaux yeux. Ayant tout perdu, il est forcé de vivre dans des logements dangereux et en décomposition et de manger des dons de gens qu'il apprit à détester jour après jour. Finalement, il échappa à sa propre pauvreté, mais sa haine pour la ville et ses habitants demeura telle quelle jusqu'à sa mort vers 138 JC. Comme il est évident tout au long de ses écrits, sa haine envers les femmes de la ville montre clairement pourquoi personne ne peut trouver de mention d'une épouse ou d'une famille.
Héritage
Que ses satires amères aient ou non aliéné ceux de la communauté littéraire, il n'était guère apprécié par les autres poètes de son âge. Ce n'est qu'à l'époque de l'auteur chrétien Tertullien (c. 155 - c. 240 JC) qu'il commença à être lu et cité. Il acquit une notoriété tardive au Moyen Âge et à la Renaissance. Plus tard, d'autres, comme Giovanni Boccaccio (1313-1375), auteur du Decameron, et le poète anglais Lord Byron (1788-1824), commencèrent à le lire et à l'imiter. Bien qu'oubliée pendant son temps, sa mémoire a été préservée à travers plusieurs de ses répliques cultes telles que «... un esprit sain dans un corps sain », « Qui gardera les gardes eux-mêmes ? » , «... la démangeaison de l'écriture » et «Le plus grand respect est dû à l'enfant. »