Mythologie de Chitral

Définition

Muhammad Huzaifa Nizam
de , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 18 décembre 2020
Disponible dans ces autres langues: anglais, espagnol, Turc
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The Peri (Fairy) (by L'art au présent, CC BY-NC-ND)
La Péri (Fée)
L'art au présent (CC BY-NC-ND)

La mythologie de Chitral se développa dans la région de Chitral, la partie la plus haute des montagnes de l'Hindou Kouch, où le peuple chitralien, à la jonction de l'Asie du Sud, de l'Asie centrale, de l'Asie de l'Ouest et de l'Asie de l'Est, fut exposé à de nombreuses influences culturelles extérieures. Cette mythologie se développa au cours de plusieurs millénaires pendant lesquels les changements survenus dans la région conduisirent à l'adoption de nouveaux ensembles de croyances culturelles à Chitral. Bien que l'on ne sache pas grand-chose de l'ancien système de croyances des habitants de Chitral, les traditions ont préservé les récits de nombreuses créatures et entités de la mythologie archaïque, qui témoignent d'une forte synthèse entre les influences extérieures et les cultures locales. Les principales créatures sont les fées et les phénix, les cyclopes et les géants de feu, les chevaux-goules et les loups célestes, les lutins et les géants, entre autres. Chaque créature est unique dans ses liens avec les créatures d'autres anciennes mythologies voisines.

Créatures de la mythologie de Chitral

Péris (Fées)

Les fées jouissent de la plus grande vénération dans la mythologie chitralienne, et la nature est considérée comme leur domaine. La plupart des habitants de Chitral considèrent le Terich Mir (roi des ténèbres), la plus haute montagne de la chaîne de l'Hindou Kouch, haute de 7 600 m, comme le célèbre Koh e Kaaf des mythologies orientales, et l'appellent Peristan (terre des fées). Cette montagne est considérée comme l'ultime forteresse des fées, qui y résident dans un colossal palais doré, à côté de pics montagneux plus petits qui abritent également des fées et leurs forts.

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Chaque fort possédait des tambours de fées qui résonnaient en temps de guerre, lorsque les humains et les fées marchaient ensemble sur l'air guerrier appelé zangwar.

Le rôle le plus important joué par les fées est celui de bergers de la faune dominante de la région. On croyait que chaque troupeau de markhor sauvage était gardé par une fée et que chaque chasseur devait d'abord faire une offrande au berger gardien du troupeau, qui donnait sa permission ou arrêtait le chasseur et punissait même les chasseurs s'ils s'opposaient à sa volonté.

Selon la légende, les fées et la population locale pouvaient se marier entre eux. L'histoire la plus célèbre est celle de la princesse fée née du Mehtar (souverain) de Chitral, que l'on voit souvent se déplacer sur son cheval à Chitral, bien que le père supposé de la fée soit mort il y a 400 ans. On croyait qu'en cas de calamité, de nombreuses entités appartenant au royaume des fées venaient en aide aux guerriers de Chitral. Chaque fort possédait des tambours de fées qui résonnaient en temps de guerre, car les humains et les fées marchaient ensemble sur l'air guerrier connu sous le nom de zangwar.

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Khangi (lutins domestique)

Les khangis sont des lutins domestiques que l'on ne trouve que dans les endroits spacieux tels que les forts et les grandes maisons, où ils sont considérés comme faisant intrinsèquement partie de la famille et sont souvent aperçus en train de se déplacer dans la maison. Ils sont à la fois protecteurs et participent aux tâches ménagères, comme la cueillette des fruits, et les familles préparent des plats distincts pour les khangis. Si aucune offrande n'est faite, le khangi peut semer le trouble jusqu'à ce qu'il ne soit nourri. On trouve des lutins domestiques similaires dans toutes les mythologies d'Europe du Nord, comme Puck dans la mythologie anglaise ou Hinzelmann dans la mythologie allemande.

Jashtan (Elfe)

Les Jashtans sont des elfess spéciaux connus pour leurs festivals d'automne. Ils occupent les maisons pendant l'été, lorsque les gens s'adonnent aux travaux agricoles à l'extérieur. Ainsi, lorsque l'automne arrive, une fête spéciale appelée Jashtan Dekeik (assemblée des Jashtans) a lieu, au cours de laquelle tous les coins et recoins de la maison sont nettoyés à l'aide d'un bâton épineux. On annonce alors aux jashtans qu'ils doivent maintenant migrer vers le sud, où le temps est plus chaud. Les gens avaient l'habitude de laisser des pâtisseries sur le bord des routes pour les jashtans en migration et les observaient la nuit lorsque les lumières de leurs torches se déplaçaient toutes en ligne et disparaissaient soudainement. On observe le même phénomène dans le Kitsunebi (feu du renard) de la mythologie japonaise, où les renards migrateurs créent une traînée de feu à l'aide de torches qui, tout comme celle des jashtans, apparaît la nuit et prend lentement de l'ampleur avant de s'évanouir.

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Kitsunebi (Fox Fire)
Kitsunebi (feu du renard)
Brooklyn Museum (Public Domain)

Khapisi (Sorcière de la nuit)

La Khapisi est une entité démoniaque qui est la version chitralienne de la célèbre sorcière de nuit que l'on retrouve dans de nombreuses cultures et mythologies. La Khapisi s'installe sur la poitrine d'une personne endormie et la rend incapable de respirer et de bouger. Son nom est similaire à celui de la sorcière de nuit pachtoune (Khapasa) et, alors que l'on dit que la Khapasa n'a pas de doigts, la Khapisi est sourde et muette.

Feru-Tis (Fée du foyer)

Le Feru-Tis est un type particulier de fée, plutôt un lutin, qui habite les foyers des maisons de Chitral. Les foyers portent le nom de diraang dans la langue de Chitral (Khowar) et sont un lieu de la plus haute importance dans la culture chitralienne en raison du climat des montagnes de l'Hindou Kouch. La relation entre le foyer et la fée elle-même est expliquée dans le nom de la fée, puisque le mot"feru" se traduit par "cendre" et que"tis" est le simple son produit par le crépitement des braises de bois. La Feru-tis est une fée inoffensive qui ne se livre pas à de nombreuses activités, mais qui est parfois considérée comme espiègle et vole souvent les petites affaires des membres de la famille. Bien que les déesses du foyer telles que Hestia dans la mythologie grecque ou Brigid dans la tradition celtique soient bien connues, la Feru-Tis présente des similitudes remarquables avec Gancanagh dans la mythologie irlandaise.

Étonnamment, Gancanagh et Feru-Tis sont tous deux considérés comme de petits lutins qui habitent dans les foyers. Tout comme Feru-Tis, Gancanagh est également connu pour ses exploits et ses farces, et surtout, Gancanagh préfère l'âtre principal qui était situé au centre des chaumières irlandaises, un peu comme dans la salle traditionnelle Baipash des habitants de Chitral où l'âtre préféré de Feru-Tis occupe une position centrale.

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Halmasti (chien céleste)

Halmasti est un chien démoniaque qui occupe une place de choix dans la mythologie de Chitral. Il est associé aux cieux, comme en témoigne son nom, halmasti signifiant "tonnerre". Il ressemble à un grand loup et possède un pelage rouge foncé, de longs appendices et un grand museau. Il apparaît principalement dans les lieux où un enfant naît ou un cadavre est lavé avant d'être enterré. Aucun de ces lieux ne doit être abandonné pendant sept jours et sept nuits; des rondes de récitation du Coran sont effectuées autour des cadavres et des berceuses sont chantées aux nouveau-nés. Les gens étaient plus prudents avec les nouveau-nés car les Halmasti pouvaient les blesser physiquement et c'est pourquoi les bébés n'étaient pas abandonnés un seul instant, mais en cas d'extrême nécessité, une arme de fer était placée sous l'oreiller du nouveau-né pour le protéger.

Tiangou, the Heavenly Dog
Tiangou, le chien céleste
Yeahsoo (Public Domain)

L'Halmasti est certainement la créature la plus singulière de la mythologie de Chitral, car elle montre non seulement que le folklore se développe différemment selon les régions, mais aussi que le Chitral, à la jonction des mondes turc, iranien et sinitique, présente une synthèse de ces trois mondes. L'origine d'Halmasti se trouve dans l'ancienne Sumer, où elle était connue sous la forme d'un démon féminin appelé Littu, adopté par les peuples sémites sous le nom de Lillith et répandu dans toute la mythologie européenne, principalement en tant que voleuse d'enfants, tandis que les tribus iraniennes occidentales l'ont adopté sous le nom d'"Al" ou "Hal", une autre sorcière voleuse d'enfants. Dans le monde turc, un esprit féminin connu sous le nom d'Al-Basti chasse les âmes coupables, dont les habitants de Chitral ont très probablement hérité. Les habitants de Chitral ont adopté son nom turc, mais pas sa description en tant qu'entité féminine. La description chitralienne de l'Halmasti reflète plutôt le Tiangou (chien céleste), un chien de chasse céleste de l'ancienne mythologie chinoise qui descendait des cieux avec des éclairs foudroyants pour dévorer le soleil et la lune et provoquer des éclipses, et qui transmettait également de la pétulance aux petits enfants.

Quqnoz (Phénix)

Dans la mythologie de Chitral, on trouve également le concept d'un grand oiseau mythique ressemblant à un phénix, dont le bec comporte plus de 300 pores. Il vit 500 ans et, vers la fin de sa vie, il monte sur un tas de bois où il chante une chanson qui enflamme le bois. À la première pluie du printemps, la première gouttelette pond un nouvel œuf à partir des cendres. On dit que toute la musique de la langue provient du mythique Quqnoz. Son nom et sa description sont proches du Quqnos de l'ancienne mythologie persane, bien que la version persane ait 100 pores dans son bec et vive plus longtemps.

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Chumur Deki (destrier à pattes de fer)

Le Chumur Deki semble être un produit indigène de l'ancien mode de vie des habitants de Chitral, où les caravanes redoutaient une rencontre avec cette créature démoniaque.

Une autre créature mythologique de Chitral est un cheval aux jambes de fer, que l'on ne reconnaît qu'au bruit de ses sabots de fer heurtant le sol et qui est un présage de malchance, apportant le désespoir à ceux qui l'aperçoivent. Cette créature semble être un produit indigène de l'ancien mode de vie des habitants de Chitral, où les caravanes et ceux qui participaient au commerce transrégional avec l'Asie centrale redoutaient une rencontre avec cette créature démoniaque. Il pourrait également s'agir d'un produit des superstitions entretenues par les commerçants ou peut-être du destin qui frappa certains d'entre eux au cours de ces voyages.

Banshee de Shoghort

La banshee fait également son apparition dans le folklore de Chitral, mais en tant qu'entité singulière au fond d'une vallée appelée Shoghort, à l'intérieur d'un vieux fort. Des écrits datant de plus d'un siècle indiquent que le fort est habité par une banshee dont les gémissements ne peuvent être entendus qu'avant la mort d'un roi. Certains auteurs ont également identifié cette banshee comme étant la princesse fée susmentionnée, née d'un souverain du Chitral il y a 400 ans, qui agit ainsi pour montrer sa sympathie envers le royaume de son père.

Nihang (dragon aquatique)

D'autres créatures célèbres de la mythologie de Chitral sont les dragons lacustres, connus sous le nom de Nihang, nom dérivé du mot persan nahang désignant les crocodiles, mais classiquement utilisé pour désigner diverses créatures marines. Un terme plus approprié pour ces créatures serait peut-être celui de serpents ailés, que l'on trouve également dans de nombreuses régions du Pakistan continental. Ces gigantesques créatures écailleuses étaient connues pour leur crinière dorée et l'une d'entre elles habitait un lac à Chitral où elle terrorisait la population locale, mais son règne de terreur prit fin lorsqu'un jour un ancien guerrier se dressa contre elle à l'aide d'une épée à deux poignées.

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La description du dragon de Chitral montre un autre lien entre l'Orient et l'Occident. En effet, la description physique du dragon semble être tout à fait est-asiatique avec son épaisse crinière de fourrure, son habitat aquatique et son corps long et mince semblable à un serpent. Les créatures lacustres semblent être une ancienne croyance des montagnes de l'Hindou Kouch. Le voyageur chinois du VIIe siècle, Xuanzang, a parlé d'un dragon habitant un lac dans la région. Bien que l'emplacement de ce lac ne soit pas connu avec certitude, certains l'ont identifié comme étant le lac Dufferin, à la frontière du Chitral avec l'Afghanistan.

Chinese Dragon Roof Tile
Tuile de toit dragon chinoise
The British Museum (Copyright)

Deo (Géant de feu / Feu follet)

Les Deo sont des créatures démoniaques et l'un des quatre principaux géants de Chitral, qui habitent des régions désolées telles que les grottes et vivent dans une nature extrêmement sauvage. Contrairement aux autres géants de la mythologie, les deo font souvent des apparitions parmi les humains et ont la capacité particulière de se transformer en orbes de feu incandescents que l'on peut souvent apercevoir sur les chemins des voyageurs. Ils apparaissent devant les voyageurs mais ne leur permettent pas de les approcher car ils disparaissent rapidement. Leur apparence et leurs actions les rapprochent des feux follets du folklore médiéval européen, mais la propriété de changement de forme semble intrinsèque à l'ouest de l'Himalaya.

Nang (cyclope aquatique)

Le Nang est l'un des quelques géants principaux de la mythologie de Chitral qui sont connus pour leur habitat sous-marin sous les lacs et leur œil central unique, qui leur donne l'apparence d'un cyclope. En effet, le nom lui-même semble être une corruption du terme"nihang" mentionné plus haut pour désigner les créatures marines. De manière classique dans les contes de géants, le Nang possède une grande quantité de trésors sous-marins et terrorise souvent les princes et les princesses dans son palais. L'association des lacs, des géants et des princes semble être une autre qualité intrinsèque des chaînes de montagnes du nord du Pakistan où, juste au sud de Chitral, se trouve le lac Saif Ul Malook, nommé d'après le protagoniste d'un conte impliquant un géant et un prince.

Barzangi & Barmanu

Le démon géant Barzangi est une créature d'une puissance phénoménale; on dit qu'il arrive avec des pluies extrêmes et des tempêtes de grêle. L'étymologie de son nom est difficile à déchiffrer, mais il provient probablement des mots persans"barez", qui signifie "haut" ou "distinctif", et"zangi", qui signifie "sombre", ce qui se traduit par "Géant sombre". Il habite les grottes et les zones désolées et se nourrit d'autres créatures vivantes; on dit qu'il dévore un homme avec une telle férocité qu'aucune goutte ne tombe au sol avant qu'il ne s'attaque à sa proie humaine. Les récits de héros locaux combattant le Barzangi n'offrent qu'un seul moyen de vaincre le géant: la décapitation. Cependant, le Barzangi, à la manière d'une hydre, a la capacité de régénérer sa tête sept fois.

Le Barmanu est le géant le plus célèbre de Chitral. C'est la version indigène du yéti de l'Himalaya.

Conclusion

Bien que la mauvaise conservation des sources écrites ait rendu impossible la reconstitution de l'ancien système de croyance des habitant de Chitral, nous avons une maigre compréhension du rôle joué par ces créatures dans les religions archaïques de l'Hindou Kouch grâce à la minorité kalash de Chitral qui maintient les croyances traditionnelles vivantes. Au cours des millénaires, l'Hindou Kouch a connu de nombreux ennemis, et chacun d'entre eux a laissé son empreinte sur le peuple, comme en témoigne la richesse de la mythologie et du folklore dont Chitral s'enorgueillit.

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Bibliographie

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Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Citer cette ressource

Style APA

Nizam, M. H. (2020, décembre 18). Mythologie de Chitral [Chitrali Mythology]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-19325/mythologie-de-chitral/

Style Chicago

Nizam, Muhammad Huzaifa. "Mythologie de Chitral." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le décembre 18, 2020. https://www.worldhistory.org/trans/fr/1-19325/mythologie-de-chitral/.

Style MLA

Nizam, Muhammad Huzaifa. "Mythologie de Chitral." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 18 déc. 2020. Web. 06 janv. 2025.

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