La caraque (alias nef; nao en espagnol, nau en portugais) était un type de grand navire à voile utilisé pour l'exploration, le transport de marchandises et comme navire de guerre aux 15e et 16e siècles. Parmi les caraques célèbres, on peut citer la Santa Maria de Christophe Colomb (1451-1506) et le Victoria, qui accomplit le premier tour du monde en 1522.
Les caraques portaient généralement trois mâts avec un mélange de voiles carrées et de voiles triangulaires. Elles pouvaient résister à une mer agitée et transporter des centaines de tonnes de marchandises d'un continent à l'autre, ce qui en fit le navire de prédilection des puissances coloniales tout au long de l'âge des grandes découvertes, avant qu'elles ne soient remplacées par le galion, plus grand.
Conception
Les Portugais conçurent la caravelle (caravela) au milieu du XVe siècle, un navire de taille moyenne à faible tirant d'eau et à voiles latines ou triangulaires. La caravelle était bien adaptée à l'exploration en eaux inconnues mais, avec un poids maximum de 300 tonnes, elle ne pouvait pas transporter beaucoup de marchandises. Une alternative plus importante était la caraque, également développé par les Portugais, qui pouvait peser jusqu'à 2 000 tonnes lorsqu'elle était entièrement chargée, même si les premières versions avoisinaient généralement les 100 tonnes. Les caraques avaient généralement quatre ponts, les deux inférieurs étant utilisés pour les marchandises, le troisième pour les cabines et le quatrième pour les marchandises privées (des passagers et de l'équipage du navire). L'augmentation de la taille fut rendue possible par une nouvelle conception de la coque.
La caraque était un navire court et pas particulièrement rapide. Les caraques n'avaient généralement qu'un rapport de 2:1 entre la longueur et la largeur, ce qui leur conférait une plus grande stabilité par mer agitée, mais réduisait leur manœuvrabilité. Les coques des premières caraques étaient en pin ou en chêne et construites avec des planches qui se chevauchaient (bordage à clins), mais cette conception finit par être remplacée par des coques à franc-bord. Lorsque les empires européens s'étendirent, des bois durs indiens ou brésiliens de qualité supérieure furent utilisés pour les caraques. Des superstructures de type château étaient construites à la proue et à la poupe. Ces châteaux avant et arrière étaient particulièrement nécessaires pour les caraques servant de navires de guerre, lorsqu'il y avait un grand nombre de marins à bord. Un château arrière haut et imposant servait de refuge de dernier recours en cas d'abordage du navire. L'inconvénient de ces grandes superstructures est qu'elles pouvaient alourdir le navire et réduire sa manœuvrabilité.
Les trois ou quatre mâts d'une caraque portaient un mélange de voiles carrées et triangulaires, peut-être 10 au total. La disposition habituelle des voiles était la suivante: des voiles carrées sur le mât de misaine et le grand mât, une voile latine sur le mât d'artimon (le plus proche de la poupe) et une petite voile carrée sur le beaupré. S'il y avait un quatrième mât (bonaventure), il était gréé d'une autre voile latine. Ce mélange permettait au navire de profiter du vent, qu'il soit complètement arrière ou même de face.
Entretien
Les caraques, comme tout autre type de navire de l'époque médiévale et du début de l'époque moderne, prenaient l'eau. Des pompes devaient être utilisées, surtout par mer forte, pour maintenir les eaux sales dans les fonds de cale du navire à un niveau acceptable. Pour la même raison, l'extérieur des coques devait être protégé en cas de longs voyages en mer. Un mélange épais de goudron noir était appliqué sur la partie de la coque située au-dessus de la ligne de flottaison afin d'empêcher la pourriture. Sous la ligne de flottaison, de la poix chaude était utilisée pour enduire les planches afin d'augmenter l'imperméabilité du bois. Enfin, un mélange de poix et de suif (graisse animale) était étalé sur toute la coque pour décourager les animaux marins et surtout les tarets. Aucune de ces méthodes n'était totalement efficace, et ce n'était qu'une question de temps avant qu'un navire ne se désintègre et ne devienne une épave pourrie et rongée par les vers, en particulier dans les eaux tropicales. Si les marins avaient de la chance, le navire les ramènerait à la maison, tout juste.
Les actions de la mer, les embruns salés, le vent, le soleil et la glace faisaient tous des ravages sur les navires en bois. Les réparations étaient incessantes. Le gréement, fait de lin tordu, devait être constamment renouvelé et les voiles en toile, abîmées par le vent, devaient être réparées. Au moins une fois par voyage, et très souvent deux fois, des travaux d'entretien plus importants étaient nécessaires. Les coques devaient être périodiquement débarrassées des milliers d'incrustations marines, comme les bernacles, qui ralentissaient considérablement le navire. Pour ce faire, il fallait jeter l'ancre dans des eaux peu profondes et déplacer l'ensemble des provisions et de la cargaison d'un côté des cales du navire. Des cordes étaient ensuite utilisées pour faire basculer le navire en biais afin que la partie inférieure de la coque soit exposée et que les hommes puissent la gratter. L'opération était ensuite répétée de l'autre côté du navire. C'était aussi l'occasion de refaire le calfatage, c'est-à-dire d'enfoncer une bourre d'étoupe (fibres de corde lâches) entre les bordages de la coque afin de les rendre aussi étanches que possible.
Commerce et guerre navale
Au XVIe siècle, la capacité de chargement supérieure des caraques en fit des navires familiers qui sillonnaient les océans le long des routes commerciales des Amériques vers l'Europe et de l'Europe vers l'Inde et l'Asie de l'Est. Des colonies comme la colonie portugaise de Goa accueillirent des caraques de marchands venus du monde entier pour transporter de l'or, des épices, de la soie, de l'ivoire et des esclaves d'un océan à l'autre.
La guerre navale se développa et les tactiques changèrent, passant de l'abordage d'un navire ennemi à son élimination à l'aide de canons, ce qui entraîna l'évolution des caraques. Auparavant, de nombreux petits canons étaient transportés sur le pont, mais au fur et à mesure que ces armes devenaient plus grosses, elles devaient être placées plus bas dans le navire pour éviter qu'il ne chavire. Par conséquent, les sabords furent utilisés comme des fenêtres qui pouvaient être fermées par un volet lorsqu'elles n'étaient pas utilisées pour le combat. Un navire comme le Mary Rose (voir ci-dessous) transportait 90 canons. Mais cela ajoutait un nouveau danger: l'inondation du navire. Les sabords des premières caraques n'étaient qu'à un mètre (39 pouces) au-dessus de la ligne de flottaison. Les caraques transportaient également un arsenal supplémentaire de petits canons dans les châteaux avant et arrière qui pouvaient être utilisés pour tirer de près sur les ponts d'un navire ennemi ou pour présenter un feu redoutable à l'arrière. Le point faible de la caraque était sa proue qui ne pouvait présenter aucune pièce d'artillerie.
À partir de la seconde moitié du XVIe siècle, la caraque fut progressivement remplacée par le galion, plus grand et plus navigable, à la fois comme navire marchand et comme navire de guerre de prédilection. Le galion combinait les meilleures caractéristiques de conception de navires tels que la caraque et la caravelle, avait des gaillards d'avant beaucoup plus bas, était plus rapide, plus manœuvrable et pouvait transporter beaucoup plus de canons lourds. Le galion espagnol était encore plus grand et transportait encore plus de canons, car le fait de tirer des bordées et de faire sauter des fortifications à terre faisait désormais partie intégrante de la guerre navale.
Caraques célèbres
La Santa Maria
L'explorateur génois Christophe Colomb mit le cap sur le Nouveau Monde en 1492, bien qu'il ait été en réalité à la recherche d'une route maritime vers l'Asie et d'un accès direct au lucratif commerce des épices en Orient. Sa flotte de trois navires se composait de deux caravelles, la Niña ("La fille") et la Pinta ("La peinte"), et de son navire amiral, la caraque Santa Maria. La célèbre caraque n'était pas toute jeune, puisqu'elle avait été inaugurée à Pontevedra, en Galice, dans le nord de l'Espagne, en 1460. Le navire mesurait environ 19 mètres de long et pesait quelque 108 tonnes, ce qui était énorme pour un voyage vers l'inconnu. La Santa Maria avait trois mâts et un beaupré qui portaient collectivement cinq voiles. Ce navire était le plus lent du trio mais le plus grand avec un équipage d'environ 40 hommes, soit le double de celui des caravelles. Colomb finit par débarquer sur une île des Bahamas, et non sur le continent asiatique ou américain, mais il montra la voie à travers l'Atlantique à d'innombrables navires qui suivirent son sillage.
Le São Gabriel et le São Rafael
Le navigateur portugais Vasco de Gama (c. 1469-1524) franchit le cap de Bonne-Espérance et effectua le premier voyage maritime de l'Europe vers l'Inde en 1497-9. Deux de ses quatre navires étaient des caraques: le São Gabriel et le São Rafael. Construit spécialement pour l'expédition, da Gama commandait en personne le São Gabriel.
La Victoria
Le navigateur portugais Ferdinand Magellan (c. 1480-1521) partit avec une flotte de cinq navires pour trouver une route maritime vers l'Asie et faire le tour du monde d'est en ouest. Aucune dépense n'avait été épargnée et la flotte comprenait quatre caraques: San Antonio (120 tonnes), Trinidad (100 tonnes et navire amiral de Magellan), Concepción (90 tonnes) et Victoria (85 tonnes). Le Victoria avait été inauguré au Gipuzkoa en Espagne en 1519. Le navire mesurait de 18 à 21 mètres de long (59-69 pieds) et avait une coque à franc-bord. La flotte de Magellan fut la première à franchir le cap Horn en Amérique du Sud et les premiers navires européens à traverser l'océan Pacifique. Magellan fut tué aux Philippines, mais le Victoria revint en Espagne en 1522. La caraque avait quitté son port d'attache pendant trois ans et parcouru plus de 60 000 milles. C'est le seul navire de la flotte de Magellan qui fit retour en Europe.
La Mary Rose
La Mary Rose était le navire amiral de la Royal Navy construit par Henri VIII d'Angleterre (r. de 1509 à 1547). Ce navire de guerre fut construit à Portsmouth et mis à l'eau en 1511. Le navire avait une longueur de quille de 32 mètres (105 pieds) et jaugeait à l'origine entre 500 et 600 tonnes, mais après un réaménagement, il jaugeait près de 800 tonnes (sans la cargaison). Après avoir participé à la bataille de Saint-Mathieu contre les Français en août 1512 et avoir servi de navire de transport de troupes lors de la campagne écossaise de 1513, le navire coula tristement dans le Solent, au large de la côte sud de l'Angleterre, le 19 juillet 1545, pendant la guerre anglo-française de 1542-46. Le désastre fut probablement dû à l'eau qui pénétra dans les sabords ouverts de la Mary Rose lors d'un virage serré. Presque toutes les personnes à bord de la Mary Rose se noyèrent. L'équipage de la caraque se composait d'environ 200 marins, 185 fusiliers marins, 30 canonniers et un bon nombre d'archers. L'épave fut renflouée en 1982 et est aujourd'hui conservée et exposée au public dans l'arsenal historique de Portsmouth.
La Madre de Deus
La Madre de Deus était une énorme caraque portugaise capturée par des corsaires anglais aux Açores en 1592. Le vol en haute mer fut organisé par Sir Walter Raleigh (c. 1552-1618), bien qu'il n'ait pas été présent. La flotte d'attaque était plutôt dirigée par Martin Frobisher (c. 1535-1594). Avec un équipage de 700 hommes et un navire équippé de 32 canons, la Madre de Deus était un géant de 1450 tonnes avec une longueur de quille de 30,5 mètres (100 pieds) et une largeur de 14 mètres (31 pieds). La flotte d'au moins sept navires anglais était plus rapide et plus manœuvrable, et si elle pouvait se maintenir devant le navire portugais où il n'y avait pratiquement pas de canons, l'attaque aurait de bonnes chances de réussir. Après une courageuse résistance de plusieurs heures, les Portugais finirent par se rendre.
Le navire capturé était rempli de 500 tonnes de marchandises précieuses provenant d'Asie orientale. Des épices, des parfums, des perles, des bijoux, des rouleaux de soie, des tapis fins, de l'or et de l'argent étaient entreposés sur les sept ponts du navire. Il s'agissait de la prise la plus riche jamais réalisée par les corsaires d'Élisabeth Ire d'Angleterre (r. de 1558 à 1603) et elle entra triomphalement dans le port de Dartmouth. La reine d'Angleterre fut ravie de sa prise, et elle reçut un beau retour de 80 000 livres sterling sur son investissement initial de 3 000 livres sterling dans ce projet corsaire.
Représentations des caraques
Les caraques apparurent dans toutes sortes d'endroits, en dehors de la mer. Ces navires jouèrent un rôle si important dans les empires de culture maritime qu'ils figurent dans d'innombrables peintures, dans des livres, dans des manuscrits magnifiquement illustrés et sur des armoiries. Le livre le plus célèbre, qui regorge de représentations de caraques et d'autres navires de l'époque triés par les flottes d'expédition, est peut-être le Livro das Armadas, datant du milieu du XVIe siècle, qui se trouve aujourd'hui à l'Académie des sciences de Lisbonne. Un autre catalogue de navires intéressant est le Livro das Traças de Carpinteria de 1616, qui est en fait un manuel de construction et présente donc des illustrations détaillées de parties spécifiques de navires.
Les caraques figurent en bonne place sur les cartes des XVIe et XVIIe siècles. Par exemple, la célèbre carte géante du monde dessinée par Juan de la Cosa (c. 1450-1510) en 1500 montre des caraques sur de nombreuses côtes. Cette carte se trouve aujourd'hui au Musée national de la marine de Madrid.
La Mary Rose est célèbre pour sa représentation sur le Rôle d'Anthony. Ces trois rouleaux de vélin, aujourd'hui conservés à la British Library de Londres, contiennent des illustrations de 58 navires anglais. Créés par Anthony Anthony, ils furent présentés à Henri VIII au début des années 1540. Enfin, les caraques étaient un sujet populaire pour les peintres à partir du XVIe siècle. La poupe des caraques étant souvent remplie de canons, les artistes préféraient généralement capturer les navires sous cet angle des plus spectaculaires.