
La Legio X Fretensis était une légion de l'armée romaine formée par Jules César ou Auguste. La légion passa la majeure partie de son existence en Orient, principalement en Judée. Elle participa aux deux campagnes arméniennes de Corbulon ainsi qu'à la bataille de Vespasien et Titus contre la Grande Révolte juive de 66 de notre ère, assiégeant Jérusalem et Massada.
Nom et origine
Une partie du mystère entourant la légion réside dans l'origine de son nom "Fretensis". Le mot vient de fretum qui signifie "du détroit". Ceux qui pensent que la légion aurait été formée par Jules César (100-44 av. J.-C.) soutiennent que le nom viendrait de sa traversée du détroit d'Otrante avec la 10e légion sur la route de l'Épire. Les partisans d'Octave, le futur Auguste (27 av. J.-C. - 14 ap. J.-C.), affirment que le nom viendrait de sa bataille contre Sextus Pompée (c. 67-35 av. J.-C.) dans le détroit de Messine. Quoi qu'il en soit, le titre indique que la légion aurait pu être formée de marins romains. Ce qui est accepté, cependant, c'est qu'une légion connue seulement sous le nom de "Dixième" servit sous Jules César pendant la guerre des Gaules et la guerre civile. Après sa mort, Octave en hérita.
À l'époque de César, les légions étaient identifiées par leur numéro, et non par leur nom. Les historiens font référence à une 10e légion créée par César à l'époque où il était gouverneur provincial de l'Hispanie ultérieure. L'historien grec Plutarque (c. 45/50- 120/125 ap. J.-C.) affirme qu'après son arrivée en Espagne, César leva dix nouvelles cohortes qui vinrent s'ajouter aux vingt cohortes déjà existantes. Ces nouvelles cohortes pourraient bien avoir été formées en une légion, la dixième. Comme le montrent la bataille de Pharsale (48 av. J.-C.) et la bataille de Munda (45 av. J.-C.), César accordait une grande confiance à sa dixième légion, qu'il plaçait à l'extrême droite de sa formation de combat, une position à la fois prestigieuse et dangereuse. Plutarque cite un exemple de la confiance du commandant dans le dixième, qui se déroula au cours de sa décennie en Gaule. Ayant constaté l'appréhension de ses officiers, César se mit à fulminer contre ces jeunes hommes de la noblesse:
... César s’aperçut que ses capitaines, les plus jeunes surtout et les plus nobles, qui ne l’avaient suivi que dans l’espoir de s’enrichir et de vivre dans le luxe, tremblaient à l’idée d’une telle guerre. Il les assembla, et leur dit qu’ils pouvaient quitter le service: "Lâches et mous comme vous êtes, dit-il, à quoi bon vous exposer à contrecœur? Je n’ai besoin, ajouta-t-il, que de la dixième légion pour attaquer les Barbares". (Vies des hommes illustres, trad. A. Pierron, Remacle )
La dixième légion apprécia ce compliment "et dépêcha quelques-uns de ses membres pour lui témoigner sa reconnaissance et ses remerciements" (791). Un autre exemple de la loyauté de la légion - une légion qu'il considérait comme sa garde du corps personnelle - nous vient d'une rencontre proposée avec le roi germain Arioviste. Dans ses propres termes (il écrivait toujours à la troisième personne), César écrit que le roi "a soudain exigé que César n'amène en aucun cas de l'infanterie". Comme il ne pouvait amener que de la cavalerie, il "décida de faire descendre tous ses irréguliers indigènes et de mettre à leur place les hommes de la dixième légion, sachant bien qu'il pouvait compter sur eux [...] il aurait autour de lui une garde rapprochée absolument dévouée." (31)
Cependant, sa légion bien-aimée n'était pas irréprochable. Avant qu'il ne parte combattre en Afrique du Nord, la dixième légion se mutina avec les septième et neuvième légions, réclamant des arriérés de solde et demandant à être libérée ainsi que des terres. César était connu en tant que chef ferme mais juste, appliquant la discipline chaque fois que cela s'avérait nécessaire. Il joua le jeu des légions en leur accordant à toutes une décharge immédiate. Dans son ouvrage Masters of Command, l'historien Barry Strauss écrit que les légions, se rendant compte qu'elles aimaient la guerre romaine et ne voulaient pas y renoncer, demandèrent à être reprises. César accepta mais n'oublia jamais l'incident, se vengeant plus tard sur les meneurs. La Legio X continua à servir avec César jusqu'à sa mort en 44 avant notre ère. Par la suite, la légion passa au jeune Octave qui la transféra en Macédoine. On ne sait pas si la légion servit sous ses ordres lors de la bataille d'Actium en 31 avant notre ère. De la Macédoine, la 10e légion fut envoyée à l'est et stationnée à Cyrrhus en Syrie.
Campagnes arméniennes de Corbulon
En 17 de notre ère, la X Fretensis était stationnée à Zeugma et gardait le passage de l'Euphrate. En 19 de notre ère, le commandant romain Germanicus, neveu de l'empereur romain Tibère (r. de 14 à 37 de notre ère), était en mission diplomatique en Syrie. À l'époque, il était le commandant des forces romaines en Orient. Beaucoup pensent, notamment l'historien Tacite (c. 56 - c. 118 de notre ère), qu'il était en fait là pour vérifier le comportement de son gouverneur, Cnaeus Calpurnius Piso. Germanicus quitta brièvement la Syrie pour se rendre en Égypte, mais donna l'ordre au gouverneur de marcher avec ses légions (Fretensis en faisait probablement partie) sur l'Arménie. À son retour, il découvrit que Pison lui avait désobéi. Furieux, Germanicus lui ordonna de retourner à Rome. Tacite relate le conflit et l'arrogance de Piso:
Bien qu'il ait reçu l'ordre de faire marcher une partie des légions en Arménie [...], il négligea de le faire. Finalement, les deux hommes se rencontrèrent à Cyrrhus, le quartier d'hiver de la dixième légion, chacun contrôlant son regard, Piso dissimulant son exploit, Germanicus évitant tout semblant de menace.(Annales, II. 57)
Germanicus mourut peu après, et des spéculations circulèrent sur le fait que Piso avait empoisonné le commandant. Piso fut finalement jugé par le Sénat romain, mais il se suicida avant d'être condamné.
On n'entend plus parler de la légion jusqu'en 54 de notre ère, lorsqu'elle participa aux campagnes arméniennes de Cnaeus Domitius Corbulo alias Corbulon. Tout comme César, Corbulon respectait la ténacité de la légion et choisit la Legio X Fretensis et la Legio VI Ferrata pour mener sa campagne. Malheureusement, les légions n'étaient pas en bonne condition physique pour aller au combat. Le commandant leur fit donc subir un entraînement rigoureux, ce qui lui permit de gagner un respect peu enthousiaste de leur part. En ajoutant des cohortes de la Legio III Gallica, il marcha en Arménie depuis la Cappadoce en 58 de notre ère. Corbulon plaça la X Fretensis au centre, la VI Ferrata à gauche et la III Gallica à droite. Les légions conquirent rapidement la ville de Volandum où tous les hommes adultes furent exécutés.
Ils se dirigèrent ensuite vers Artaxate (Artashat), la capitale. Avant l'attaque de la ville, Corbulon et son armée firent face à Tiridate Ier d'Arménie. Selon Tacite, ce dernier, honteux de son impuissance à s'opposer au siège romain, décida de déployer ses forces. "Soudain, il se jeta sur les colonnes romaines...." Cependant, Corbulon ne fut pas surpris et forma son armée pour la marche et le combat. "Sur les flancs droit et gauche marchaient les troisième et sixième légions, avec au centre quelques hommes choisis de la dixième..."(Annales, 13. 40) Après avoir capturé la ville et ordonné à tous les citoyens de partir, Corbulon fit brûler la ville. Après la reddition de Tigranocerte, Corbulon se retira en Syrie.
La paix arménienne ne dura pas très longtemps. En 62 de notre ère, les Parthes réaffirmèrent leurs prétentions sur l'Arménie et encerclèrent Tigranocerte, assiégeant la nouvelle capitale. Corbulon ordonna rapidement à deux légions de venir en aide à la ville. À l'annonce de l'arrivée des légions, les Parthes se retirèrent d'Arménie. Corbulon demanda à Rome d'envoyer des renforts et un général de haut rang pour prendre en charge la défense de l'Arménie. Pour protéger la Syrie, Corbulon envoya la VI Ferrata, la X Fretensis et des cohortes de la III Gallica pour creuser le long des rives de l'Euphrate, la frontière naturelle entre les Parthes et la Syrie. En réponse à l'appel de Corbulon, Rome envoya l'arrogant Caius Paetus avec la Legio IV Scythica de Macédoine et la Legio V Macedonica de Moésie; cependant, il choisit de laisser cette dernière au Pont. Prétextant qu'il n'aurait besoin que de deux légions en Arménie, la IVe Scythique et la XIIe Fulminata, il entra en Arménie et stationna son armée à Rhandeia pour l'hiver. Malheureusement pour Paetus et ses légions, l'armée parthe encercla le camp et entama un siège.
Ayant reçu un appel de Paetus, Corbulon mit sur pied une force de secours, mais pas avant que Paetus ne signe un accord embarrassant avec les Parthes, qui prévoyait que les Romains quittent l'Arménie. Tacite relate la rencontre de Paetus avec le roi parthe:
Il lui rappela que la paix était également dans l'intérêt des deux parties, et qu'il serait bon qu'il ne se contente pas de regarder le présent. ... Il fut convenu que les légions seraient libérées du blocus, que toutes les troupes quitteraient le territoire arménien et que les forts et les approvisionnements seraient remis aux Parthes. (Annales, 15. 13-14)
En ajoutant la V Macedonica et la XV Apollinaris à ses propres légions, Corbulon put renégocier un nouveau traité en position de force: Les Parthes se retirèrent d'Arménie.
Vespasien et la révolte juive
En 66 de notre ère, Vespasien (r. de 69 à 79 de notre ère) et son fils Titus (r. de 79 à 81 de notre ère) furent envoyés par Néron (r. de 54 à 68 de notre ère) dans le cadre d'une contre-offensive visant à réprimer la révolte juive. Le futur empereur commandait la V Macedonica, la XV Apollinaris, la X Fretensis et la III Gallica. En juin 67 de notre ère, il marcha sur la Galilée. La ville de Gabara tomba ainsi que Jotapata après un siège de 47 jours; 40 000 personnes moururent pendant le siège. Ensuite, Tibériade et Tarichée capitulèrent, ainsi que Gamala. Au printemps 68, la IIIe Gallica fut retirée de l'armée de Vespasien et fut envoyée en Moésie. La IIIe Gallica partie, le X Fretensis avança sur le Jourdain et s'empara de Jéricho. Cependant, le climat politique à Rome obligea Vespasien à suspendre son offensive. Déclaré empereur par ses légions, il envoya son fils Titus à Rome où son armée battit Vitellius (r. 69 de notre ère) lors de la seconde bataille de Bedriacum, et devint ainsi le nouvel empereur de l'Empire romain.
En 69-71 de notre ère, Titus fut chargé de prendre Jérusalem. La XVIIIe, la XIIe Fulminata et la IIIe Cyrenaica s'ajoutèrent à ses forces déjà considérables. Avec le X Fretensis, le V Macedonica et le XV Apollinaris, Titus marcha sur la ville. En mai, la première des trois murailles de la ville commença à s'effondrer sous l'effet de la guerre de siège romaine. Cependant, une contre-attaque juive obligea les légions à se retirer. Après l'effondrement des première et deuxième murailles, les défenseurs juifs se retirèrent derrière la troisième muraille. Enfin, en août, Titus mit en place l'assaut final. L'assaut fut un bain de sang. Pendant le siège final, le sanctuaire du Temple prit feu, et certains accusèrent Titus. Pendant que la ville brûlait, les légionnaires la pillaient. Il fallut quatre mois pour que la ville tombe, un million de personnes périrent et 70 000 furent faites prisonnières. La X Fretensis resta alors à Jérusalem en tant que légion résidente, construisant une base sur les ruines brûlées.
En 71 de notre ère, Lucillius Burrus prit le commandement de la X Fretensis et marcha sur Machéronte, qu'il laissa à l'état de ruines fumantes. Malheureusement, la mort du commandant pour des raisons naturelles obligea la légion à retourner à Jérusalem. En 73 de notre ère, sous le commandement de Lucius Flavius Silva, la légion s'approcha de la ville de Massada. Après avoir franchi la première muraille de la ville, la légion découvrit une seconde muraille. Craignant ce qui pourrait arriver, les hommes de la ville tuèrent leurs femmes et leurs enfants. Les hommes suivirent bientôt en se suicidant. Lorsque les X Fretensis entrèrent enfin, ils trouvèrent le silence.
Des cohortes de la légion resteraient à Massada pendant les 40 années suivantes. Après Massada, les allées et venues de la légion ne sont pas connues. Au cours de la révolte de Bar-Kochba, en 132-135 de notre ère, la légion subit de lourdes pertes. L'empereur Hadrien (r. de 117 à 138 de notre ère) ordonna le transfert de marins de la flotte de Messène pour reconstituer la légion. On ne sait pas grand-chose de la suite. Certains affirment qu'elle aurait soutenu Pescennius Niger contre Septime Sévère en 193 de notre ère. En 230 de notre ère, des preuves indiquent que la légion était toujours basée à Jérusalem avant d'être transférée dans la ville d'Aela, sur la mer Rouge.