Le capitaine Stede Bonnet était un planteur de La Barbade devenu pirate et corsaire en 1717. Connu sous le surnom de « gentleman pirate », Bonnet embarqua pour l’illégalité sur le tard, afin d’échapper, selon les récits d’époque, à une épouse acariâtre. Il fut pendu pour ses crimes en novembre 1718, à Charleston, en Caroline du Sud.
La carrière de pirate de Bonnet dura à peine 20 mois, dont une partie passée en captivité entre les mains d’Edward Teach, dit Barbe-Noire (mort en 1718). Venu de la terre ferme, Bonnet eut grand-peine à gagner le respect de son équipage, dépourvu qu’il était de connaissances et d’expérience maritimes. Il fut capturé en Caroline après un échange de coups de canon avec deux navires envoyés par le gouverneur de Caroline du Sud.
Du fermier au pirate
Stede Bonnet naquit à La Barbade en 1689. Selon l’Histoire générale des plus fameux pyrates, célèbre ouvrage rassemblant des biographies de pirates, composé dans les années 1720 et attribué à Charles Johnson, puis à Daniel Defoe, Bonnet était un ancien major de l’armée. Malheureusement, les archives barbadiennes ne font aucune mention d’un dénommé Stede Bonnet. Notre source principale est donc cette Histoire générale, ce qui pose des difficultés particulières. Cet ouvrage mêle en effet avec finesse éléments fictifs et informations réelles tirées de documents tels que des comptes-rendus de procès et des lettres.
Héritier de la plantation familiale de La Barbade, Bonnet reçut une éducation de qualité. Selon les mots de son juge, il était alors « généralement considéré comme un homme cultivé » (Cordingly, p. 18) et possédait une solide réputation de gentleman. Il semble que Bonnet ait vécu une crise, à la moitié de sa vie : il considéra alors que son existence d’homme respectable n’avait aucune valeur et décida de partir à l’aventure. Selon certains témoignages, ce fut l’épouse de Bonnet, une femme étouffante, ou, selon l’euphémisme de Johnson/Defoe, les « chagrins qu’il eut à essuier dans son mariage » (p. 95) qui le poussèrent à bout, en mars 1717.
Malgré son absence d’expérience de la vie en mer, Stede Bonnet devint alors pirate. Assez riche pour s’atteler à son projet, il acheta un sloop et engagea un équipage, estimé à environ 70 hommes. Le navire fut rebaptisé le Revenge. C'était le moment pour Bonnet de révéler son intention: se livrer à la piraterie. Ses hommes étaient placés devant un choix difficile : soit ils devenaient pirates, avec la promesse de recevoir leur part du butin, quel qu’il soit, soit ils seraient « maronnés » sur une île déserte. Par la suite, Bonnet entreprit de capturer des navires marchands pour les délester de leur cargaison, le long de la côte est américaine, jusqu’à New York. Les prises comprenaient vêtements, provisions et munitions.
La planche et le drapeau
Bien que novice dans le milieu de la piraterie, Bonnet assit vite sa réputation : il devint l’un des capitaines les plus cruels des Caraïbes, une position pourtant fort concurrencée. Selon certaines sources, ce fut lui qui inventa le supplice de la planche, où le prisonnier, attaché et les yeux bandés, devait marcher sur une planche fixée au pont et surplombant la mer. La victime sans défense était alors poussée à avancer au-dessus des flots sous les quolibets de l’équipage, la menace des sabres et les coups de pistolets. Cette forme d’exécution deviendrait par la suite très en vogue chez les auteurs de fictions mettant en scène des pirates. Cependant, il n’existe aucune trace historique du supplice de la planche à l’âge d’or de la piraterie.
Un autre fait controversé est le lien entre Bonnet et le drapeau pirate, le Jolly Roger. Une gravure de 1724, populaire et maintes fois reproduite, représentant Bonnet, figure dans une des premières éditions de l’Histoire générale des plus fameux pyrates. Cette image montre Stede Bonnet devant le Jolly Roger, composé de deux os entrecroisés surmontés d’un crâne. Toutefois, ce n’était pas Bonnet qui arborait cette version du drapeau, mais le pirate britannique Richard Worley (mort en 1718). Bonnet voguait bien sous le Jolly Roger, mais le pavillon avait la forme d’un drapeau noir décoré d’un crâne en son centre, surmontant un seul os, flanqué d’un poignard sur sa gauche et d’un cœur sur sa droite. Comme toutes les variantes du Jolly Roger et des drapeaux pirates, on le hissait pour inciter un navire à se rendre sans combattre.
Bonnet et Barbe-Noire
Dépourvu de connaissances maritimes, Bonnet faisait face à un problème de taille : il était entièrement dépendant de son équipage. Une position inconfortable pour un capitaine, car maîtriser ses hommes en mer constituait un défi, même pour les chefs les plus expérimentés. Quand Edward Teach rencontra Bonnet au large de la Caroline, vers mars 1718, il tourna en ridicule le manque de savoir-faire marin de l’ancien planteur. Une nuit, Teach profita de l’ivresse de ce dernier pour le faire prisonnier et le retenir comme « invité » sur son Queen Anne’s Revenge, un navire pirate plus grand et plus puissant que le sien. Teach autorisa les hommes de Bonnet à élire un nouveau capitaine, un certain lieutenant Turner. Le Boston News Letter rapporta que Bonnet avait été aperçu marchant sur le pont du navire de Barbe-Noire, « en robe de chambre », puis se retirant à l’intérieur pour y retrouver « ses livres, dont il avait une bonne provision à bord » (Cordingly, p. 18).
Teach finit par libérer Bonnet. Celui-ci ne put récupérer une seule pièce de son butin, mais reprit néanmoins les commandes du Revenge. Teach lui conseilla d’abandonner la piraterie et de demander le pardon de Charles Eden, gouverneur de Bath Town en Caroline du Nord. Bonnet l’obtint à l’été 1718, contre la promesse d’aider à la capture de Teach. Ce pardon était soumis à une autre condition : Bonnet devait devenir corsaire pour le compte du gouverneur. Ses cibles seraient les navires venus d’Espagne, alors en guerre avec l’Angleterre. À contrecœur, Bonnet partit à la poursuite de Barbe-Noire, sans pour autant aller le chercher jusque dans son repaire d’Ocracoke. Au lieu de s'engager officiellement comme corsaire, il préféra se laisser à nouveau attirer par l’argent facile de la piraterie.
Capturé sur le Cape Fear
Pour donner du fil à retordre aux autorités, Bonnet rebaptisa le Revenge, qui devint le Royal James, et se fit lui-même appeler « capitaine Thomas ». Son navire portait désormais dix canons, avec un équipage de 40 hommes. Il captura plusieurs bâtiments marchands dans la baie du Delaware et le long des côtes de Virginie, mais ces eaux et celles des Caraïbes étaient de plus en plus dangereuses pour les pirates. En 1718, les gouverneurs des colonies caribéennes et nord-américaines avaient en effet reçu l’ordre formel d’éradiquer la piraterie.
Pour les capturer, le gouverneur de Caroline du Sud avait déployé des forces spéciales commandées par un officier du cru, le colonel William Rhett. La flotte était composée de deux sloops, le Henry et le Sea Nymph, portant chacun huit canons. Rhett passa quelques semaines à la recherche de Charles Vane, un autre pirate célèbre aperçu dans ses eaux, mais sans succès. Il débusqua ensuite Bonnet et le Royal James sur le fleuve Cape Fear, en Caroline du Sud, fin septembre ou début octobre 1718, conformément aux promesses de ses informateurs. Bonnet y avait jeté l’ancre depuis plusieurs semaines pour caréner son sloop, dont la coque avait grand besoin de réparations.
La première attaque de Rhett fut presque immédiatement bloquée dans son élan, quand un des sloops s’échoua sur un banc de sable. Des hommes de Bonnet aperçurent les navires pris au piège et les signalèrent à leur capitaine, en amont du fleuve. Le lendemain, à l’aube, il tenta de doubler furtivement les deux vaisseaux de guerre pour faire voile vers le large, dans l’espoir qu’ils seraient encore coincés. Mais ce n’était pas le cas, et les navires de Rhett firent demi-tour pour intercepter Bonnet. En tentant de les éviter, Bonnet serra de trop près le rivage et s’échoua à son tour. S’approchant du Royal James, les deux navires de guerre restèrent une fois de plus immobilisés sur les hauts fonds.
Les trois navires étant bloqués, les deux adversaires se canonnèrent pendant près d’une heure. Avec la marée montante, c’était alors à qui se dégagerait le premier pour pouvoir se mettre dans la position adéquate afin de tirer une bordée dévastatrice. Ce fut le Henry qui y parvint. Il commença à pilonner le Royal James avec une telle violence que Bonnet fut forcé de se rendre.
Enchaîné, il fut emmené à Charleston, appelée à l’époque Charles Town, en Caroline du Sud. En vertu de sa condition d’ancien gentleman, Bonnet caressait l’espoir de recevoir une sentence plus clémente, mais le sort en avait décidé autrement. Il est certain que sa tentative d’évasion ne pouvait que desservir sa cause. En résidence surveillée dans une demeure privée en vue de son procès, Bonnet corrompit ses gardes pour pouvoir fuir. Rhett le poursuivit jusqu’à une île des environs, puis le captura une seconde fois. Autre circonstance aggravante : le célèbre siège de Charleston par Barbe-Noire, quelques mois auparavant, qui renforça la détermination des autorités à éradiquer la piraterie. Bonnet leur envoya une lettre demandant la clémence du tribunal, sans recevoir de réponse. Bonnet et 34 de ses hommes furent traînés devant la justice, reconnus coupables de piraterie à l'encontre de 13 navires et, charge bien plus grave selon la loi anglaise, pour de nombreux meurtres. Bonnet et 28 de ses marins furent pendus, le 12 novembre 1718. Quatre autres membres de l’équipage, ainsi qu’Ignatius Pell, devenu informateur, furent acquittés.
Selon des témoins, Bonnet ne fit preuve d’aucun courage lors de son exécution dans le port de Charleston, comme le note Johnson/Defoe :
"Toute sa détermination lui manqua, sa crainte et sa douleur eurent tant d’emprise sur lui qu’il était à peine conscient à son arrivée sur le lieu d’exécution. Son attitude pitoyable lorsqu’il fut condamné toucha fort le peuple de la province, en particulier les femmes, et le gouverneur fut assailli de demandes de grâce, en vain." (111)