Dans la mythologie nordique, Hel est la reine du royaume des morts qui porte le même nom qu'elle. Elle est la fille du dieu Loki et de la géante Angrboda, et la sœur du loup Fenrir et du serpent-monde Jörmungand. Bien que souvent mentionnée en tant queune déesse, Hel est plutôt à moitié déesse à moitié jötunn, une habitante de Jotunheim, le royaume des géants.
Son nom signifie «caché» et fait référence aux morts enterrés ou incinérés, et dont les âmes sont invisibles aux yeux des vivants. La plupart des spécialistes s'accordent à dire qu'elle n'existait pas en Scandinavie préchrétienne, et qu'elle est plus ou moins une création du mythographe Snorri Sturluson (1179-1241) qui a sauvegardé les sagas nordiques. Cependant, Sturluson était un chrétien écrivant pour des lecteurs chrétiens, et on pense donc qu'il aurait altéré certains aspects des histoires païennes pour les rendre plus acceptables auprès de son lectorat.
Il est admis que Hel est un exemple de ces altérations puisqu'auparavant, il semblerait que Hel ait été un lieu synonyme de «tombe» sans aucun être surnaturel le supervisant. En tant qu'entité, Hel est décrite comme étant moitié femme magnifique, moitié cadavre bleu en décomposition, et ne ressemble pas au personnage de Hela dans le film de 2017 Thor: Ragnarök (de plus, elle n'est la sœur ni de Thor ni de Loki). Elle est parfois désignée comme étant une géante puisque sa mère, Angrboda, en était une et vivait à Jotunheim.
Comme dit précédemment, on la présente de nos jours également comme une déesse étant donné qu'elle est la fille du dieu Loki. Cependant, les sources principales suggèrent qu'elle était une jötunn; pas forcément une géante ou une déesse, mais une descendante des jötnar de Jotunheim, et pourrait aussi bien être une géante que ne pas l'être. Il n'existe aucune définition claire à ce sujet dans les textes nordiques, et il vaut probablement mieux l'imaginer comme un être surnaturel (peut-être une demi-déesse) de taille normale.
Origine de Hel et enfants de Loki
Les récits originaux qui composent les sagas nordiques furent transmis oralement pendant des siècles et mis par écrit seulement à notre ère. Avant cela, on écrivait à l'aide de runes organisées en un alphabet de 24 caractères, mais ce système n'était utilisé que pour les œuvres courtes comme des mémoriaux gravés dans la pierre ou des bâtons runiques. Voilà ce que le professeur John Lindow écrit à ce sujet:
Bien que les quelques bâtons runiques et autres sortes d'inscriptions qui ont été conservés aient montré que les runes pouvaient être utilisées de bien des façons, la Scandinavie de l'âge des Vikings était dans les faits une société orale, dans laquelle presque toutes les informations étaient préservées dans la mémoire des mortels (plutôt que dans les livres qui pouvaient être conservés) et transmises d'une mémoire à une autre à travers la parole. Certaines de ces paroles étaient de nature formelle, d'autres non. Mais tout comme les discours étaient adaptés par les politiques en fonction de leur audience, beaucoup de connaissances anciennes ont dû êtres sujettes à des changements lors de leur transmission à l'orale. Sans l'autorité d'un document écrit, il n'y avait aucun moyen de comparer les versions d'un texte. Nous ne pouvons donc pas présumer qu'un récit mis par écrit dans une source du XIIIe siècle est resté inchangé après des siècles de transmission orale. (11-12)
Ceci est valable pour tous les aspects de la mythologie nordique, mais encore plus en ce qui concerne Hel. Certains spécialistes modernes en ont conclu qu'il n'y avait aucune entité connue sous le nom de Hel dans les croyances scandinaves antérieures au christianisme. C'est le cas de Rudolf Simek, qui remarque que «dans l'ensemble, aucun élément ne permet d'admettre l'existence d'une quelconque croyance en une déesse nommée Hel à l'époque précédent le christianisme» (138). En même temps, on reconnaît que personne ne peut dire avec certitude en quoi consistaient les croyances avant le christianisme puisqu'il n'y a aucune trace écrite de celles-ci.
Hel est mentionnée pour la première fois dans le texte du XIIIe siècle Gylfaginning tiré de l'Edda en prose, chapitre 34, où elle est décrite comme étant l'un des trois enfants de Loki, nés de la géante Angrboda et vivant à Jotunheim. Les dieux d'Asgard reçoivent une prophétie selon laquelle ces enfants finiraient par leur causer du tort en grandissant, et Odin les fait donc amener à Asgard ou va les chercher lui-même pour garder un œil sur eux.
Les trois enfants en question sont la jeune femme Hel, le louveteau Fenrir, et le petit serpent Jörmungand. Presque instantanément, Odin précipite Jörmungand dans la mer et jette Hel sous le royaume de glace Niflheim où il lui confie le «commandement» des neuf royaumes de la cosmologie nordique. Il semblerait que ce commandement soit limité aux âmes des défunts qui passent par Helveg, le chemin des morts, pour atteindre son royaume situé sous Niflheim, appelé Niflhel ou Hel.
Odin garde Fenrir le loup à Asgard, pour des raisons qui restent floues, où il grandit à une vitesse de plus en plus préoccupante jusqu'à atteindre une taille et une force telle que les dieux craignent de ne pas être en capacité de le dompter s'il venait à se retourner contre eux. Ils piègent Fenrir en le convaincant de se faire attacher avec des chaînes faites par les nains qui le maintiennent fermement prisonnier sur une île, puis l'abandonnent là. Pendant ce temps, Jörmungand grandit lui aussi sous la mer, jusqu'à devenir si grand qu'il finit par encercler le monde de Midgard où vivent les mortels. Il est ainsi connu comme le serpent-monde. Alors que le destin de ses frères se déroule, Hel devient la reine des morts dans son sombre royaume qu'elle ne peut pas plus quitter que ses sujets.
La terre de Hel
Le lieu Hel se situe vers le Nord et est accessible en descendant le long d'une route qui mène à un pont surplombant une rivière de lances, puis en passant par un grand portail grillagé et gardé par le loup Garm. Ce royaume est réservé principalement à ceux morts de vieillesse ou de maladie (bien qu'il semblerait y avoir des exceptions pour les accidents) plutôt qu'au combat avec gloire, ou de toute autre façon.
Les âmes des guerriers vont à la salle d'Odin le Valhalla, les morts noyés sont emportés par la déesse Ran, épouse du dieu de la mer Aegir, et les gens du peuple vont à Fólkvangr («champ du peuple») dirigé par la déesse Freya. À part être malade ou âgé, les critères de sélection pour finir à Hel restent obscures, mais il ne s'agit pas d'un royaume de punition ou de tourment. Les âmes sont bien traîtées à Hel, comme le montre clairement l'histoire du dieu Baldr qui, à son arrivée dans l'au-delà, découvre que le sol est recouvert d'or et les bancs de paille fraîche pour l'accueillir. Simek remarque que «Hel n'est pas un lieu dédié au châtiment, ce n'est pas l'enfer, il s'agit simplement de la demeure des morts» (136), mais que dans l'ensemble, c'est loin d'être un endroit agréable.
Une fois sur place, les défunts ne peuvent jamais partir, et leur monde devient humide, sombre, froid et brumeux. Simek donne la description suivante du palais de Hel:
Son hall est appelé Eljudnir «l'endroit humide», son assiette et son couteau «faim», son serviteur Ganglati «le lent», la domestique Ganglot «la paresseuse», le seuil Fallandaforad «le bloque trébuchant», le lit Kor «maladie», le baldaquin Blikjanda-bolr «malchance lugubre». (137)
D'après différents récits, il semblerait que n'importe quelle âme autre que celle d'un guerrier mort au combat puisse se retrouver à Hel, mais il n'y a pas de critère donné pour expliquer pourquoi un esprit finit à Hel plutôt qu'à Fólkvangr, outre le fait de mourir de maladie ou de vieillesse. Néanmoins, il s'avère qu'un bon nombre d'âmes se retrouvent à Hel sans être mort de l'une de ces deux causes. Les deux plus célèbres exemples sont le dieu Baldr et sa femme Nanna.
Mort de Baldr
Le récit de la mort de Baldr semble avoir été l'un des plus populaires de l'ère viking, et est détaillé par Sturluson dans le chapitre 21 de la Gylfaginning de l'Edda. Simek remarque que Sturluson «dédie la plus longue partie ininterrompue de l'Edda au mythe de la mort de Baldr et à la description de ses funérailles» (27). Cette histoire est la seule à faire figurer l'entité Hel de façon importante. Toutefois, même là, elle reste une image vague.
Le récit est raconté en entier dans l'Edda, mais un poème court, Baldrs Draumar («Les Rêves de Baldr») issu de l'Edda poétique, y a aussi contribué. Dans Les Rêves de Baldr, celui-ci fait des cauchemars, ce qui contrarie les autres dieux car il est aimé de tous. Dans l'Edda, il est décrit comme:
Le deuxième fils d'Odin, à propos duquel on ne dit que du bien : c'est le meilleur d'entre tous, et tout le monde le couvre de louanges; il est tellement beau et radieux que de la lumière émane de lui [et] il est le plus sage de tous les Ases, le plus éloquent, et le plus aimable. (Gylfaginning, 21 ; Simek, 26-27)
Odin chevauche jusqu'au territoire de Hel et ramène l'esprit d'une sorcière à la vie pour lui demander la signification de ces rêves. Il voit que le royaume a été joliment préparé pour l'arrivée de quelqu'un, et l'esprit de la sorcière lui apprend que tout cela va servir à accueillir Baldr. Le court poème se termine sur le conseil de la sorcière à Odin de rentrer chez lui profiter du temps qu'il lui reste, car il reviendra peu de temps après le Ragnarök au cours duquel il sera tué et les neuf royaumes détruits.
Dans l'Edda, la femme d'Odin (et mère de Baldr), Frigg, essaye de sauver son fils en faisant promettre à chaque chose, animée ou non, de ne pas faire de mal à Baldr. Comme il est l'ami de tous, tout le monde donne sa parole sans hésiter, et Frigg rentre chez elle satisfaite. Les autres dieux développent bientôt un nouveau sport consistant à rassembler divers objets et à les jeter sur Baldr. De par leur promesse, les outils rebondissent sur lui sans le blesser. Un jour le dieu de la malice Loki observe ce jeu et, ayant envie de causer du désordre comme à son habitude, se déguise en femme et se rend au palais de Frigg à Fensalir.
Frigg accueille le visiteur et lui demande ce que font les dieux à Asgard. La femme lui répond qu'ils jouent comme d'ordinaire à lancer des objets à Baldr et à les regarder rebondir, puis lui demande l'air de rien si c'est bien vrai que chaque chose dans les neuf royaumes a prêté serment de ne pas faire de mal au dieu. Frigg, ne se doutant de rien, confie à son invité que chaque chose et chaque être a donné sa parole, excepté le gui: elle a décidé de ne pas lui demander, car la jeune plante est trop petite pour faire du mal à qui que ce soit.
Loki s'en va alors cueillir du gui qu'il trouve à l'ouest du Valhalla, puis retourne à Asgard où le jeu se poursuit. Hodr, le frère aveugle de Baldr, se tient à l'écart du groupe, triste de ne pas pouvoir prendre part aux festivités. Loki place alors le gui entre ses mains et lui dit qu'il va l'aider à jouer avec les autres en le guidant. Hodr lance le gui, qui transperce Baldr et le tue.
Les conditions de Hel
Alors que les dieux sont horrifiés et commencent à pleurer, Frigg apparaît et cherche un volontaire pour aller jusqu'à Hel demander à ce que l'âme de Baldr leur soit rendue. Hermodr, décrit comme le frère de Baldr mais pas le fils de Frigg (donc peut-être celui d'Odin, bien que ça ne soit pas clair) accepte cette mission et chevauche le long de la route déserte Helvegr en direction du royaume de Hel. Alors qu'il voyage durant neuf nuits pour atteindre la rivière de Hel, les autres dieux préparent les funérailles de Baldr, et Nanna, sa femme, met fin à ses jours à cause du chagrin causé par cette perte.
Modgudr, la servante de Hel, vient à la rencontre de Hermodr sur le pont. Voyant qu'il s'agit d'un être vivant, elle l'avertit qu'il ne peut pas entrer dans le royaume de Hel, et lui demande la raison de sa venue. Hermodr lui explique qu'il cherche l'ombre de Baldr, et Modgudr lui confirme qu'il est ici. Le dieu saute alors par-dessus le mur de Hel (puisqu'en tant que vivant il ne peut pas passer à travers le portail), et atterrit dans le hall de la reine. Il y trouve Baldr en train d'être honoré, et entouré des plus beaux ornements. Hermodr passe la nuit dans le hall, et le matin suivant fait part à Hel de sa requête et lui demande de la lui accorder.
Hel accepte de renvoyer Baldr et Nanna dans le monde des vivants à une condition: chaque chose et chaque personne des neuf royaumes doivent pleurer la mort du dieu. Baldr et Nanna donnent des cadeaux à Hermodr pour Odin, Frigg et la fidèle servante de cette dernière, Fulla, puis il part répandre son message dans les différents royaumes. Chaque chose et chaque personne se mettent à pleurer Baldr au fur et à mesure que Hermodr raconte son histoire, jusqu'à sa rencontre avec la géante Thokk vivant dans une caverne sombre, qui refuse sa requête. Thokk lui dit qu'elle ne connaît pas ce Baldr dont il parle et ne voit pas l'intérêt de pleurer pour lui et, qu'en plus, les morts devraient rester parmi les morts. Le texte insinue que Thokk est en réalité Loki sous une de ses autres formes, mais Hermodr ne le sait pas. N'ayant pas réussi à la faire pleurer, les termes de Hel ne sont pas remplis, et Baldr et Nanna restent dans son royaume jusqu'à la fin du Ragnarök.
Ragnarök
Le Ragnarök est le crépuscule des dieux au moment où le cycle actuel des neuf royaumes se termine par une bataille cataclysmique entre les forces de l'ordre et celles du chaos. Le Ragnarök a été décrété par les Norns (les déesses du destin) et ne peut pas être arrêté, et aucune raison n'est avancée pour expliquer son arrivée mais les dieux (et Odin en particulier) ont participé à sa venue inéluctable à cause de la façon dont ils ont traité les enfants de Loki.
Après la mort de Baldr, Loki est enfermé sous terre avec un serpent dont le venin brûlant lui coule sur la tête. Au même moment, son fils Fenrir est prisonnier sur une île, Jörmungand est confiné à la mer, et Hel est incapable de quitter son sombre royaume. Dans la Forêt de Fer, Angrboda, l'ancienne amante de Loki, élève ses petits-enfants (les fils de Fenrir), les loups Sköll et Hati, puisque leur père est retenu prisonnier. Bien que Loki soit puni à juste titre pour la mort de Baldr, Odin et les autres dieux d'Asgard sont directement responsables de l'enfermement des enfants de Loki, qui étaient innocents et vivaient paisiblement avec leur mère à Jotunheim avant d'être enlevés et maltraités.
Un jour, une armée de morts s'élève au même moment où Fenrir brise ses chaînes et hurle devant les portes de Hel. Les relations humaines s'effondrent et les traditions tombent dans l'oubli, tandis que le climat change radicalement, apportant trois hivers rigoureux sans aucun été. Pendant ce temps, sous terre, Loki se tord de douleur chaque fois que le venin le frappe, provoquant des tremblements de terre jusqu'à ce qu'il ne finisse par se libérer.
Les séismes perdurent tandis que le navire Naglfar, construit avec les ongles des défunts, émerge des vagues causées par le géant Hrym. Hel aide Loki en lui offrant un second navire qui amène Surtr et les autres géants de feu au combat. Jörmungand sort des mers, créant des raz-de-marée dans les neuf royaumes, tandis que les forces du chaos font face aux dieux et héros du Valhalla sur le champ de bataille. Presque tous les dieux périssent, notamment Odin, Thor et Loki, et les neuf royaumes disparaissent dans les flammes. Néanmoins, le chaos est vaincu et l'ordre rétabli, ce qui donne naissance à un nouveau cycle de vie et à de nouveaux royaumes.
Conclusion
Hel n'apparaît pas comme une figure prédominante dans le récit du Ragnarök, mais on comprend qu'elle a aidé à assembler une armée de morts pour le combat final et a soutenu les actions de Loki. On ne sait pas vraiment si elle survit au Ragnarök, mais cela semble peu probable étant donné que Baldr et Nanna sont tous deux libérés de son royaume, ce qui laisse supposer qu'elle n'a plus le pouvoir de retenir les morts. Elle est sûrement tuée par l'incendie déclenché par le géant de feu Surtr qui anéantit les neuf royaumes.
Son rôle de soutien durant le Ragnarök est fidèle non seulement à sa nature propre, mais aussi à la façon dont elle apparaît dans les récits nordiques. Son nom, comme dit plus haut, signifie «caché», et elle est toujours du genre à agir dans l'ombre. Même dans l'histoire de la mort de Baldr, elle fait l'apparition la plus brève de tous les personnages.
C'est probablement volontaire dans le sens où Hel représente la mort qui n'attire l'attention ou n'annonce sa venue que rarement, avant d'entrer en scène et d'emporter quelqu'un. C'est l'idée suggérée par son apparence de belle jeune femme en bonne santé quand on la voit d'un côté, et de cadavre bleu de l'autre. La mort peut changer la vie de quelqu'un en un clin d'œil, et finalement, c'est ce que Hel aurait représenté, encourageant sans doute les vivants à profiter au maximum du temps qu'il leur reste avant qu'il ne soit écoulé.