Alexander Selkirk (ou Selcraig, 1676-1721) était un Écossais, célèbre pour avoir été abandonné pendant quatre ans et quatre mois sur une île déserte de l'océan Pacifique, jusqu'à son sauvetage par un navire britannique en février 1709. Son histoire inspira le personnage principal du célèbre roman Robinson Crusoé de Daniel Defoe (1660-1731), paru en 1719.
Selkirk participait à une expédition de corsaires dans le Pacifique lorsqu'il fut abandonné sur une île isolée de l'archipel Juan Fernández. Il souffrit peut-être quatre années de solitude, mais il s'en sortit mieux que ses compagnons de bord qui firent ensuite naufrage et furent emmenés dans une prison espagnole. Le sort de Selkirk s'améliora remarquablement après la capture d'un navire au trésor espagnol par l'expédition qui l'avait sauvé. Menant une vie aisée en Angleterre grâce à sa part du butin, Selkirk devint officier de la Royal Navy avant de mourir en mer en 1721.
Enfance
Alexander Selkirk, parfois appelé Selcraig, naquit en Écosse en 1676. Il était le fils d'un cordonnier et avait six frères. Sa première apparition dans les documents historiques est qu'il fut reconnu coupable de comportement indécent, dans une église. Il prit ensuite la mer et devint officier grâce à ses compétences en mathématiques et en utilisation d'instruments de navigation. En 1703, il se joignit à la fatidique expédition de corsaires de William Dampier (v. 1651-1715), destinée à l'aventure dans l'océan Pacifique.
Abandon
Être abandonné sur une île déserte n'était pas une punition rare pour les marins indisciplinés, mais en 1704, Selkirk se porta volontaire pour ce traitement au beau milieu de son expédition. En général, un marin était laissé sans provisions, sans équipement ou même sans vêtements, de sorte que l'abandon était, en réalité, une condamnation à mort différée et une punition réservée aux voleurs et aux mutins. Pour cette raison, certains marins préféraient être abattus, et pour les autres, on leur laissait souvent un pistolet afin qu'ils puissent l'utiliser sur eux-mêmes lorsque les ravages de la soif et de la famine atteindraient leur paroxysme.
Cet épisode désastreux commença quelque temps auparavant. Alors qu'elle naviguait dans l'océan Pacifique au large des côtes chiliennes au cours de l'été 1704, l'expédition corsaire britannique dirigée par William Dampier atteignit l'archipel Juan Fernández, à 630 km de la côte. L'expédition comprenait deux navires, le Saint George, dont le capitaine était Dampier, et le Cinque Ports, dont le capitaine était Thomas Stradling. Le premier capitaine du Cinque Ports étant décédé au milieu du voyage, Stradling fut promu tandis que Selkirk fut nommé commandant en second. C'était peut-être le début des frictions entre les deux marins. Stradling se révèla être un commandant peu doué, et sa discipline stricte le rendit impopulaire auprès de son équipage. Il y eut même une quasi-mutinerie à un moment donné, mais Dampier intervint et résolut la situation. Les tensions remontèrent lentement après une période où peu de prises furent capturées, et qu'une attaque sur le port espagnol fortifié de Santa Maria au Panama échoua.
Le Cinque Ports avait maintenant besoin de réparations et le navire se sépara du Saint George et s'arrêta aux îles Juan Fernández en septembre. Selkirk fit valoir à Stradling que le nouveau calfatage du navire était insuffisant et qu'il risquait fort de fuir au point de faire couler le navire. Selkirk refusa de naviguer et Stradling le laissa sur l'île, en octobre, seul avec son coffre de mer. Heureusement pour Selkirk, son coffre contenait un grand nombre de pièces d'équipement utiles pour la survie sur une île inhabitée. Son sauveteur en dressa la liste suivante :
Il avait avec lui ses vêtements et sa literie, avec un fusil [mousquet], de la poudre, des balles et du tabac, une hachette, un couteau, une bouilloire, une Bible, quelques objets pratiques, et ses instruments et livres de mathématiques. Il se distrayait et subvenait à ses besoins aussi bien qu'il le pouvait, mais pendant les huit premiers mois, il avait dû faire face à la mélancolie et à la terreur d'être laissé seul dans un endroit aussi désolé.
(Rogers, 92)
Dans le climat tropical, les vêtements de Selkirk se désagrégèrent rapidement et il en fabriqua de nouveaux en utilisant des peaux de chèvre cousues ensemble avec une aiguille qu'il fabriqua à partir d'un clou. En frottant des bâtons de bois de piment ensemble, il put faire son propre feu. Il construisit deux abris avec des branches et des hautes herbes et les garnit des peaux de chèvre. Il apprivoisa un grand nombre de chats sauvages de l'île afin de protéger son abri des rats et de se donner quelque chose pour occuper les longues journées de solitude. Sa foi lui permit de garder la raison en lisant sa Bible et en chantant des hymnes. Son sauveteur Rogers rapporta que Selkirk avait "dit qu'il avait été un meilleur chrétien pendant qu'il était dans cette solitude que jamais auparavant, ou que, craignait-il, il ne le serait plus jamais" (Ibid).
L'île ou vécut Selkirk, connue aujourd'hui en espagnol sous le nom de Isla Robinson Crusoe (anciennement Isla Más a Tierra), a la forme d'un croissant avec une longue et mince péninsule à l'extrémité ouest et des montagnes au centre. Fortement boisée, l'île fournit à Selkirk du bois, de l'eau de source fraîche et de la viande de chèvre, de phoque et d'otarie. Il y avait aussi des prunes sauvages, des herbes et des navets qui avaient été plantés par les marins lors de précédents séjours sur les îles. Selon Rogers, Selkirk ne pouvait pas supporter le poisson sans sel, car cela affectait gravement ses intestins, mais il mangeait des homards quand il pouvait les attraper. Le groupe d'îles avait été utilisé comme base de pirates et de corsaires tout au long du 17e siècle, et Selkirk pensait probablement que les chances qu'un navire de passage vienne le sauver dans les deux mois étaient assez élevées. En fait, il dut attendre plus de quatre longues années avant de revoir un autre être humain. Au moins, s'il en avait eu les moyens, Selkirk aurait été satisfait d'apprendre qu'il avait eu raison au sujet du Cinque Ports, et qu'il coula, faisant échouer Stradling et un certain nombre de membres de l'équipage sur les îles Mapella. Ils y restèrent jusqu'à ce qu'un navire espagnol ne les récupère et ne les transporte enchaînés dans une prison de Lima, accusés de piraterie. Des deux hommes, Selkirk avait clairement bénéficié du meilleur sort.
William le Miskito
Curieusement, Selkirk n'était pas le premier marin à s'échouer sur les îles Juan Fernández. En 1681, le boucanier Capitaine Watling y laissa par nécessité un Indien Mosquito (alias Miskito, originaire du Honduras ou du Nicaragua). Le navire de Watling était menacé par un navire espagnol en approche et il quitta donc l'île alors que cet homme, appelé William, était parti à la chasse à la viande fraîche. William ne fut cependant pas oublié par certains membres de l'équipage de Watling qui naviguèrent devant les îles en 1684 sous les ordres d'un autre flibustier, le capitaine John Cook. L'un des membres de l'équipage était William Dampier (encore lui), et il voulait voir si William était toujours vivant sur l'île déserte. Il trouva son vieux compagnon en bonne santé, bien que ses vêtements aient été remplacés par des peaux de chèvre. William avait survécu grâce à son fusil qui, bien qu'inutile en tant qu'arme à feu lorsqu'il n'eut plus de balles, s'était révélé extrêmement utile lorsque William avait découpé le canon en métal pour fabriquer divers outils comme des hameçons par exemple.
Sauvetage et Fortune
Alexander Selkirk s'était installé sur son île, mais il surveillait constamment les navires qui passaient. Finalement, un navire accosta. En 1708, l'Anglais Woodes Rogers (1679-1732) s'était embarqué dans un voyage de corsaires qui allait lui faire faire le tour du monde. Le 2 février 1709, au milieu de la circumnavigation, Rogers sauva Selkirk des îles Juan Fernández. Rogers consigna certains détails de la vie solitaire de Selkirk sur son île déserte dans ses propres mémoires de la circumnavigation, tels que présentés dans A Cruising Voyage Round the World, publié en 1712. Rogers nota que Selkirk était "vêtu de peaux de chèvre" et qu'il "avait l'air plus sauvage que les premiers propriétaires de ces peaux" (Ibid). Il nota également que Selkirk avait oublié comment parler mais qu'il était, par ailleurs, en excellente condition physique. Lorsqu'il retrouva la parole, Selkirk dit à Rogers qu'il n'avait aperçu que quelques navires au fil des ans et qu'aucun n'avait vu ses feux de signalisation. Deux navires avaient jeté l'ancre dans les îles, mais ils étaient espagnols et avaient tiré sur Selkirk, l'obligeant à se retirer dans la forêt.
Apparemment, lorsque Selkirk aperçut William Dampier (oui, il faisait aussi partie de ce voyage), qui était le chef navigateur de Rogers, il demanda à être débarqué et laissé à sa solitude, mais Rogers refusa. Dampier, malgré cette attitude froide, préconisa qu'avec son expérience maritime et son savoir-faire en matière de navigation, Selkirk serait un ajout utile à l'équipage. En conséquence, Selkirk fut nommé second à bord du Duke, le navire de Rogers.
L'expédition de corsaires se poursuivit et fit très vite une capture remarquable, celle du Nuestra Señora de la Encarnación Disengaño, un galion de Manille, qui transportait une énorme quantité de marchandises chinoises et autres biens précieux. Pris le jour de l'an 1720, il s'agit d'un coup étonnant puisque seuls quatre galions de Manille furent pris au cours de trois siècles d'opportunités, tant ces navires au trésor espagnols annuels étaient bien armés et protégés lorsqu'ils transportaient leur butin entre Acapulco au Mexique et Manille aux Philippines. Selkirk reçut une part de 800 livres sterling du butin du galion (plus de 150 000 livres sterling ou 200 000 dollars d'aujourd'hui), ce qui en fit une véritable histoire de passage de misère à fortune. Après son retour en Angleterre en octobre 1711, après une absence de huit ans, loin de sa patrie, Selkirk vécut confortablement de son argent pendant plusieurs années, et en 1717, il devint officier de la Royal Navy ; il mourut en mer en 1721 après avoir contracté une fièvre tropicale. On rapporte qu'il aurait dit, à la fin de sa vie, qu'il aurait préféré se trouver sur son île déserte.
Selkirk et Robinson Crusoé
La vie de Selkirk sur une île déserte inspira le roman de Daniel Defoe, Robinson Crusoé, publié pour la première fois en 1719 et largement considéré comme le premier roman de langue anglaise. Defoe s'est beaucoup intéressé à l'histoire maritime et en particulier à la vie des corsaires et des pirates. En effet, certains historiens le considèrent comme l'auteur du célèbre ouvrage sur les pirates intitulé Histoire générale des plus fameux pirates. Cet ouvrage fut compilé dans les années 1720 et sa page de titre attribue à l'auteur le titre de capitaine Charles Johnson. Johnson et Defoe n'étaient peut-être qu'une seule et même personne. Bien qu'il y ait peu de preuves que Defoe ait jamais rencontré Selkirk, l'auteur est connu pour avoir rencontré Woodes Rogers et il aurait donc entendu l'histoire de Selkirk de la bouche de son sauveteur. Il existe également une interview de Selkirk réalisée et publiée en 1713 par le journaliste Sir Richard Steel (1672-1729). Defoe aurait également entendu parler de William, laissé sur l'île en 1681, car William Dampier raconta cette histoire dans ses différents mémoires publiés en 1697 et 1699. William fut peut-être l'inspiration pour le personnage de Vendredi, un cannibale que Crusoe sauva.
Il y a quelques différences notables entre Crusoe et Selkirk, le premier ayant fait naufrage, et non pas été délibérément abandonné, et s'étant retrouvé sur une île déserte au large de la côte est de l'Amérique du Sud, et non pas de la côte ouest. Crusoe survit 27 ans et finit par trouver un compagnon en la personne de Vendredi, ce que Selkirk ne fit jamais au cours de ses quatre années et quatre mois de solitude. Que l'on considère Robinson Crusoé comme un récit divertissant de survie ou comme une allégorie de la rédemption spirituelle, le niveau de détail convaincant contribue largement au succès du roman. Defoe tissa habilement des détails maritimes tirés de vieux loups de mer tels que Rogers et Dampier dans l'histoire de Selkirk et il créa un récit tout à fait crédible de survie humaine. Le livre fut un classique instantané et devint l'un de ces rares romans qui sont autant appréciés par les critiques littéraires que par les lecteurs en général.
L'attrait durable de Robinson Crusoé a incité les historiens à poursuivre leurs recherches sur la vie et l'époque d'Alexander Selkirk. En 2005, une expédition archéologique a été envoyée aux îles Juan Fernández avec pour mission de découvrir tous les artefacts liés à l'histoire de Selkirk. Les découvertes, plutôt maigres, comprenaient un fragment d'une paire de diviseurs de navigation en métal, presque certainement celui de Selkirk. Enfin, Selkirk écrivit peut-être un journal de son expérience, mais celui-ci, à l'instar de son auteur, fut également abandonné, oublié dans la bibliothèque d'État du patrimoine culturel prussien à Berlin, où son existence même est contestée.